La Presse Anarchiste

Revue des journaux

Reli­gion… pour les autres

La reli­gion, comme le patrio­tisme, est chose super­flue pour les rou­blards qui en pro­clament à tous les échos la néces­si­té… pour les autres.

— Allez, enfants de la patrie, voci­fé­raient pen­dant la guerre les super­pa­triotes qui enva­his­saient les trains en par­tance pour des coins plus hospitaliers.

— Il faut une reli­gion pour les peuples déclarent des gens qui s’avouent libre-pen­seurs. Tel l’ex-chambardeur de la Guerre Sociale qui vomit dans la Vic­toire :

« L’Église catho­lique est une grande école de dis­ci­pline morale et de dis­ci­pline sociale. »

Mais le catho­li­cisme a aus­si, paraît-il, une influence bien­fai­sante sur la natalité :

Si tous nos dépar­te­ments res­sem­blaient à l’Yonne et au Var qui sont à la fois les pre­miers de touts nos dépar­te­ments par leur déchris­tia­ni­sa­tion com­plète, leur répu­bli­ca­nisme inté­gral et leur effroyable dépo­pu­la­tion, nous serions, avant vingt ans, un peuple fini. Le catho­li­cisme n’aurait-il d’autre mérite que d’enrayer le fléau ter­ri­fiant de notre dépo­pu­la­tion, qu’il aurait le droit, dans ce pays, à quelque ména­ge­ment de la part de tous les patriotes, fussent-ils les plus impé­ni­tents des libres pen­seurs, comme nous le sommes tous en ce journal.

Oui, mais le nombre gran­dit constam­ment de ceux qui s’aperçoivent que si Dieu bénit les nom­breuses familles, il ne leur donne pas de quoi man­ger. Et l’on prend ses pré­cau­tions, mal­gré Tatave, ses pitre­ries et son goupillon !

Grâce amnis­tiante

Le Petit Bleu publie cette manchette :

« Je défie qu’on ose publier la liste com­plète des 4870 mer­can­tis qui ont béné­fi­cié de la grâce amnistiante. »

Cette liste ne nous dirait rien qui vaille. Nous sommes, en effet, fixés sur « l’honnêteté com­mer­ciale » des mer­can­tis, grands et petits. Pour gagner de l’argent, tous les moyens sont bons, même et sur­tout ceux qui portent atteinte à la san­té des consom­ma­teurs : vins fabri­qués, lait fal­si­fié, viandes ava­riées, etc. Mais les mer­can­tis de tous poils sont les meilleurs sou­tiens du régime. Et c’est tou­jours autant d’électeurs de récupérés.

Tan­dis que ceux qui n’ont fait aucun tort à leurs sem­blables, qui n’ont com­mis d’autre crime que celui de pen­ser, ceux qui se sont révol­tés contre l’iniquité et qui souffrent dans les bagnes, ceux-là sont extrê­me­ment dan­ge­reux et pour eux, en fait d’amnistie, c’est la mort lente loin des leurs.

Les trois Georges

Est-ce une série noire pour ceux qui portent le nom de Georges ? J’ai par­lé dans le der­nier numé­ro de la chute de pié­des­tal du vieux tigre accu­sé d’avoir tra­vaillé uni­que­ment pour le roi… Georges.

Le vieux, si j’en crois une infor­ma­tion du Petit Pari­sien, n’en part pas moins pour l’Amérique, faire une série de trente confé­rences sur ce sujet :

Devoirs de chaque peuple dans la crise mon­diale créée par la guerre.

Ça, c’est du culot…

Nous avons assis­té ensuite à la défaite du boxeur natio­nal Georges Car­pen­tier, qu’un nègre mit à mal, non sans entraî­ner de la part de la presse une incon­ti­nence d’appréciations qui du reste ne nous inté­ressent pas.

Mais voi­ci qu’un troi­sième Georges semble devoir suivre dans la décon­fi­ture les deux pre­miers. Llyod George, pre­mier d’Angleterre que cinq années de bou­che­rie n’avaient pu satis­faire, et qui n’a pas assez de répri­mer les révoltes d’Égypte, de l’Inde, d’Irlande, etc., vou­lait, comme le beau Dunois, (pas Amé­dée), par­tir pour la Syrie. Mal lui, en prit. Les Grecs lâchèrent leur « pro­tec­teur » et tout se ter­mi­na par une confé­rence qui semble avoir cal­mé pour un temps la folie guer­rière en Orient. Atten­dons la suite !…

Le tour­ment de l’Unité

Sous ce litre, E. Buré, dans l’Éclair, signale les diver­gences qui existent dans le par­ti socia­liste ita­lien divi­sé en col­la­bo­ra­tion­nistes, cen­tristes, maxi­ma­listes et troi­sième inter­na­tio­na­listes, tous uni­taires, mais dont cha­cun des chefs n’est res­té dans le par­ti que dans l’espoir d’entraîner à sa suite la frac­tion voi­sine dans une scis­sion à son pro­fit. Les col­la­bo­ra­tion­nistes viennent d’être exclus. D’autres scis­sions sont attendues.

Si l’uni­té n’a pu se réa­li­ser dans ce pays où cepen­dant la lutte contre le fas­cisme aurait pu créer, tout au moins, un sem­blant de front unique, il n’en va guère mieux en France où, mal­gré les ordres de Mos­cou concer­nant le Front unique et le tour­ment d’unité qui semble s’être incrus­té chez quelques cama­rades syn­di­ca­listes, les chefs des diverses ten­dances n’en conti­nuent pas moins à s’enguirlander copieu­se­ment, car Uni­té et Front unique sont deux choses différentes.

A. du Bief le constate dans le Jour­nal du Peuple :

Il n’y a rien de plus ter­rible que de tom­ber d’accord.

Voi­ci que nous avons de toutes parts enten­du pous­ser le cri : Uni­té ! Uni­té ! et ceux qui depuis long­temps se van­taient de lut­ter pour le Front Unique devraient être joyeux de voir leur point de vue, je ne dirai pas adop­té, d’ailleurs, mais dépassé.

Erreur ! C’est avec acri­mo­nie que la Vie Ouvrière relève nos cris.

Mais A. du. Bief fait preuve d’une belle confiance, j’allais écrire naï­ve­té, en ajoutant :

Que ces vieux qui trament après eux un pas­sé trop lourd consentent à se sacri­fier à l’avenir du prolétariat.

Et c’est pour­quoi, fai­sant écho à Bes­nard, je veux ajou­ter à ces lignes vieilles de quelques mois :

Démis­sion ! Démission !

Démis­sion ? Voyons, vous les connais­sez bien !…

Faits divers

Un hor­rible « fait divers » vient de four­nir aux jour­naux dits d’information une pâture abon­dante. Une fillette a été trou­vée savam­ment décou­pée, après avoir été vio­lée, dans un débar­ras d’une salle de cinéma.

Et cela donne lieu à des com­men­taires innom­brables sur le châ­ti­ment à réser­ver à l’assassin. Les uns réclament des tor­tures raf­fi­nées en rap­port avec l’odieux crime. D’autres, plus rai­son­nables, attri­buent à la folie un crime aus­si absurde.

La Liber­té, après avoir iro­ni­sé sur les jurés qui condamnent et sol­li­citent ensuite la grâce, écrit :

L’accusé est cou­pable ou inno­cent. S’il est inno­cent, il faut l’acquitter. S’il est cou­pable, il faut le condamner.

— Et s’il n’est pas res­pon­sable ? objectera-t-on.

S’il n’est pas res­pon­sable, il faut l’acquitter au nom de la jus­tice et l’enfermer au nom de la socié­té. Un homme qui tue son père et sa mère ou qui dépèce une fillette est un cri­mi­nel qu’on doit sup­pri­mer ou un fou qu’on doit inter­ner. Entre ces deux hypo­thèses, il n’y a pas de milieu. Et qu’on ne vienne pas nous dire que les jurés ordonnent la mort et réclament la grâce parce qu’ils ont peur de se trom­per ! Si le doute est dans leur cœur, ils n’ont pas à hési­ter : l’acquittement !

A. Varel­la, dans le Jour­nal du Peuple, donne à peu près le même point de vue sous une forme différente :

Mais dans sa sen­si­bi­li­té impul­sive, la foule exa­gère — trop fré­quem­ment. L’exacte notion de la jus­tice pure n’a pas encore péné­tré les masses. Elles se livrent encore aux revanches cruelles de l’instinct. La cou­ra­geuse et salu­taire com­pré­hen­sion des tares héré­di­taires qui mènent au crime conti­nue à ne lui ins­pi­rer nulle pitié. La foule observe l’acte, sim­ple­ment, bes­tia­le­ment. Elle en sai­sit la hideur et réclame ven­geance exem­plaire. Elle demande que l’assassin de la petite Bar­ba­la soit à son tour étri­pé, sec­tion­né, mis en sac et confié aux rats. C’est la loi de Lynch dans toute sa stu­pi­di­té philosophique.

Je per­siste à croire que le sup­plice de la mort vio­lente ne doit jamais ser­vir de revanche indi­vi­duelle et que les monstres humains, tueurs d’innocences (satyres ou guer­riers), sont plus dignes des caba­nons, que des paniers à guillotines.

Je me per­met­trai de faire une dif­fé­rence entre les auteurs d’actes sem­blables et les guer­riers. La Révo­lu­tion seule peut sup­pri­mer les guer­riers en sup­pri­mant les causes des guerres. Mais elle devra confier à des spé­cia­listes les malades dan­ge­reux, qui ne sont eux aus­si que les vic­times du détra­que­ment céré­bral cau­sé par les condi­tions anti­na­tu­relles de la vie en socié­té capi­ta­liste. Tous les moyens bour­geois sont illusoires.

Une pen­sée de Laurent Tailhade

J’extrais ce pas­sage d’une page de Laurent Tail­hade que publie l’Inter­na­tio­nale :

La Patrie fran­çaise ! c’est tout ce qui est lâche, voleur ou pros­ti­tué, tout ce qui vit de pour­boires et de des­serte, qui déjeune d’eucharistie et dîne de retape ; les chré­tiens d’écurie, les gen­tils-hommes de lupa­nar et de confes­sion­nal, les géné­raux de bagne et les écri­vains de dépo­toir. Cette patrie, nous la désa­vouons, pleins de dégoût, de mépris et de haine. De tout cœur, nous appe­lons sa fin, le jour misé­ri­cor­dieux qui, dans un cata­clysme sur­hu­main, abo­li­ra son opprobre, édi­fiant la patrie nou­velle de la rai­son, de la jus­tice et de l’amour.

Et une remarque d’Émile Zola

Tou­jours dans l’Inter­na­tio­nale, et à l’occasion du 20e anni­ver­saire de 1a mort de Zola, en consta­tant l’absence de tout per­son­nage offi­ciel à cette cérémonie :

Dès que les répu­bli­cains sont arri­vés au pou­voir, ils n’ont pas échap­pé à cette loi com­mune veut que tout homme deve­nu maître se mette a trem­bler devant la pen­sée écrite…

J’ajouterai que ce que disait Zola pour les répu­bli­cains est vrai pour tous les par­tis qui s’emparent du pou­voir. La liber­té d’exprimer une pen­sée contraire à l’orthodoxie « com­mu­niste » n’existe pas en Rus­sie bolcheviste.

L’offensive contre les huit heures

Le Petit Bleu reproche aux patrons de vou­loir trou­bler la paix sociale en déclen­chant le mou­ve­ment contre les huit heures. La paix sociale existe donc ?…

Le pro­lé­ta­riat fran­çais n’a obte­nu la jour­née de huit heures qu’après l’avoir reven­di­quée pen­dant plus d’un quart de siècle. Pour­quoi cette hâte des patrons à abro­ger la dis­po­si­tion légis­la­tive qui l’institua ? La patience n’est-elle une ver­tu patrio­tique qu’autant qu’elle est pra­ti­quée par la classe la moins favo­ri­sée ?

« Il n’y a mille com­plai­sance déma­go­gique, ajoute le Petit Bleu, à recon­naître que la vie est de plus en plus chère et cela c’est tout de même un peu la faute des patrons » :

Que, dans ces condi­tions, ceux-ci songent à rogner la rétri­bu­tion du tra­vail, à impo­ser une plus longue pré­sence dans les ate­liers et par là à pri­ver les ouvriers de la res­source des heures sup­plé­men­taires, c’est une mal­adresse qui offense non seule­ment la plus élé­men­taire jus­tice, mais la décence elle-même. Mais elle menace aus­si la paix sociale, ce qui, pra­ti­que­ment, est beau­coup plus grave.

Or, les der­nières grèves du Havre viennent de prou­ver que la soli­da­ri­té ouvrière existe mal­gré tout.

C’est, cette soli­da­ri­té qui a per­mis aux métal­lur­gistes du Havre de résis­ter aux exi­gences injus­ti­fiées d’un patro­nat qui n’a pas fini de se croire « de droit divin ». Ici, il n’est point de prin­cipe ni de thèse qui pré­vale contre ce fait bru­tal que les grands patrons ont décu­plé pour le moins leur for­tune per­son­nelle depuis la guerre. De même des arma­teurs. Ces gens sont donc mal venus aujourd’hui à se plaindre du tort cau­sé à leurs inté­rêts par les reven­di­ca­tions ouvrières ; ils sont sur­tout mal venus à trou­bler l’ordre public et à para­ly­ser la pro­duc­tion natio­nale à un moment où la France conva­les­cente a besoin de toutes ses forces et du concours de tous ses enfants — et en par­ti­cu­lier de ceux à qui ses dures tra­verses ont le moins nui.

Oui, mais les négriers modernes n’entendent pas de cette oreille. Ils se fichent pas mal de la France, de la Patrie et autres bali­vernes. Il leur faut tou­jours des mil­lions, et les tra­vailleurs doivent cre­ver de faim et de sur­me­nage pour leur per­mettre de vivre dans un luxe insolent !…

La ren­trée parlementaire

La fabrique de lois et d’impôts vient de rou­vrir ses portes, avec le même per­son­nel. Per­son­nel de choix, si j’en crois G. Pon­sot qui les connait bien et qui écrit dans l’Ère Nou­velle :

D’abord quelques hommes d’affaires, puis :

Trois cents Gri­bouilles, dont la niai­se­rie est incu­rable, suivent ces chefs. Pour se garan­tir de la pluie du défi­cit ils s’enfoncent dans les flots de dettes nou­velles. Ils sont igno­rants des ques­tions poli­tiques et fis­cales, comme les carpes du bas­sin de Fon­tai­ne­bleau qui ont au moins le mérite de se taire depuis un cer­tain temps.

Auprès de ces Gri­bouilles, capables même de se nover dans leur mare stag­nante, une cin­quan­taine d’aigrefins qui connurent le bâille­ment des bot­tines, se poussent dans les affaires véreuses par les cor­ri­dors obs­curs du tra­fic de mandat.

De ceux-là, je ne suis pas en peine.

Je ne suis pas en peine s’ils n’ont pas fait les affaires du pays, ils n’ont pas oublié les leurs. Le Direc­toire ne vit jamais pareil assaut aux com­mandes de l’État. Le pillage de l’épargne est mis en coupe sombre et réglée par ces cin­quante dépu­tés en des entre­prises que la vieille firme Tri­coche et Caco­let aurait reje­tées comme suspectes.

Ce joli monde enva­hit aujourd’hui le Palais-Bour­bon, après avoir enten­du la messe au Sacré-Cœur de Mont­martre. Nous serons bien­tôt dévalisés.

Je suis per­sua­dé que G. Pon­sot se figure qu’avec une nou­velle troupe mar­chant der­rière le dra­peau du « Bloc des Gauches » tout serait changé.

Nous avons de bonnes rai­sons pour ne pas par­ta­ger cette illusion.

[/​Pierre Mual­dès./​]

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