La Presse Anarchiste

revue des revues

Gérard de Lacaze-Duthiers est infa­ti­gable. Il égrène dans les Vaga­bonds (61, rue Che­vreul, à Lyon) des Pen­sées indi­vi­dua­listes dont quelques-unes sont de bonne venue :

Ceux qui pro­clament que pen­ser est un crime com­mettent chaque jour le crime de ne pas pen­ser. Le crime n’est pas de pen­ser, mais d’imposer des limites à la pensée.

Ne cher­chons pas le bon­heur. Il vient à nous sans qu’on le cherche : il suf­fit de savoir pré­pa­rer sa venue.

Il est évident que la pen­sée ne suf­fit pas à trans­for­mer le monde si elle n’est secon­dée par l’action. La pen­sée fait naître l’action qui s’ajoute à elle pour la prolonger.

Paul Ber­ge­ron fait une consta­ta­tion amu­sante et hélas trop rigou­reu­se­ment vraie :

« Ah ! qui nous débar­ras­se­ra à jamais de ces gens impor­tuns qui tou­jours s’efforcent de faire votre bon­heur… Ce qu’ils appellent votre bon­heur, est sou­vent, pour vous, sujet de mille ennuis, mille vexa­tions, mille entraves au déve­lop­pe­ment de votre per­son­na­li­té. Mais que pou­vez-vous contre ces gens qui, mal­gré tout cela, on décré­té que là était votre bon­heur ? Les mettre à la porte de chez vous ? Ce que j’ai fait à plu­sieurs reprises déjà. Et à tra­vers des pleurs, ces « braves gens » vous traitent d’ingrats et de méchants. »

E. Armand rend compte du volume de Loru­lot : Médi­ta­tions d’un pri­son­nier. N’ayant pas eu l’honneur de le rece­voir, je ne puis en dis­cu­ter. Mais je crois volon­tiers avec Armand que : « Le déte­nu ne sort pas de la pri­son meilleur qu’il y est entré ; il en sort pire sim­ple­ment parce qu’au cours de son empri­son­ne­ment, tout est cal­cu­lé pour le mor­ti­fier, pour l’indisposer, pour l’aigrir. »

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M. Robert Pey­ron­net agran­dit son Pion­nier (15 bis, rue Cau­chois, Paris.) Quel beau titre ! Mais ce n’est qu’un titre.

Car ce pion­nier foule des che­mins rude­ment fré­quen­tés. Appa­rem­ment, il doit avoir, des pages à perdre puisqu’il consacre trois colonnes au « Maître écri­vain dont nous admi­rons tous le talent et le grand cœur ». Vous avez devi­né peut-être qu’il s’agit d’Anatole. Mais oui, Ana­tole a décou­vert que : On croit mou­rir pour la Patrie, on meurt pour les indus­triels. Il a fait connaître sa décou­verte au citoyen Cachin. Comme il n’y a plus de cré­dits de guerre à voter, le citoyen Cachin par­ta­gea l’avis d’Anatole et le pla­car­da en tête de l’Humanité. M. Robert Pey­ron­net a cru néces­saire de repro­duire ces pages qui font une suite natu­relle à Sur la voie glo­rieuse (gran­deur et déca­dence d’un patriote !) On peut croire qu’il est des tâches plus urgentes.

Il y a aus­si des poèmes : un notam­ment de Femand Mysor dont j’ai admi­ré les belles majuscules :

Bien n’est Gloire, ni Bon­heur, ni Clar­té, que le Rêve. Un Cre­do de l’Abstinent qui peut, affirme-t-on, se chan­ter sur l’air du Cre­do du Pay­san (à quand la Mar­seillaise des Punaises !).

Il y a un Éclai­reur qui rend compte des livres. Sans même les ouvrir pro­ba­ble­ment, puisque, pour le volume Les Hauts four­neaux de Michel Cor­day, il s’est bor­né à reco­pier la bande que l’éditeur colle autour du volume.

J’allais publier un poème de Gas­ton Cony, direc­teur de Nos Marion­nettes (Gui­gnol des Buttes-Chau­mont.) Jus­te­ment un copain m’a don­né une pho­to du Gui­gnol de la Guerre, diri­gé par le même Cony. Pho­to sug­ges­tive ! On y voit notam­ment un écri­teau — ou une plaque de marbre, je ne sais pas au juste. Sur cet écri­teau, on annonce en lettres d’un pied que Nos Marion­nettes se placent sous le patro­nage de Ray­mond Poin­ca­ré, ce qui est tout à fait sym­bo­lique. Au-des­sous de celui du glo­rieux chef, s’égrènent les noms du Comi­té de Patro­nage, noms glo­rieux comme vous pen­sez bien : Jean Riche­pin, Édouard Her­riot, Hen­ri Robert, Hen­ri Bor­deaux, G. de la Fou­char­dière, et même, — traite des muses, ô Clar­té ! — entre Émile Mas­sard dit Fli­card, et Mau­rice de Waleffe, dit Kar­tof­fel, dûment enca­dra. M. Hen­ri Bar­busse, lui-même !

Sans aucun autre commentaire !

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Je ne veux ramas­ser cette fois, dans les Essais de M. Jean Azaïs que la phrase repro­duite sur la cou­ver­ture et qui est de M. Fer­nand Gregh. Elle me semble excel­lente pour juger la plu­part des œuvres dites d’esprit nou­veau. La voi­ci donc :

« Nous ne pros­cri­vons pas le sym­bole ; mais qu’il soit clair. Un beau sym­bole obs­cur, c’est un beau cof­fret dont, on n’a pas la clé. Il y a d’admirables sym­boles dans Vigny, mais on les com­prend. On peut dire de façon intel­li­gible les choses les plus profondes. »

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Encore une revue tirée à la main : Le Pla­giaire (53, rue Druge, à Vienne). Numé­ro 1 de lan­ce­ment où l’on explique le but visé : étude de la ques­tion sociale. Il est pré­ci­sé que le Pla­giaire accepte l’échange avec les pério­diques s’occupant de pro­blèmes sociaux, phi­lo­so­phiques, psy­cho­lo­giques et tech­niques « mais les lit­té­ra­teurs, artistes ou pré­ten­dus tels, sont priés de s’abstenir. »

Il y a un Avis au lec­teur que je n’ai pas très bien com­pris. On y dit :

« Le Pla­giaire pla­gie tout le monde mais il ne « tape » per­sonne, en consé­quence et contrai­re­ment à l’usage dont il a une sainte hor­reur, il n’ouvre pas de sous­crip­tion pour lui venir en aide : mais comme il est dans la purée (comme toute revue d’idée qui se res­pecte) il accep­te­ra de bon cœur les dons spon­ta­nés. »

Moi, je n’ai pas très bien sai­si la nuance. Et toi, ami lecteur ?

J’ai bien peur que, si le Pla­giaire use de sem­blables dis­tin­guos dans l’étude de la ques­tion sociale, il ne soit un peu… obscur !

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M. Roger Bœuf­gras, secré­taire de rédac­tion aux Pri­maires (rue de la Guiche, à Mont­ceau-les-Mines) ne fut point content de ce que je mal­me­nai ici même cer­tain de ses col­la­bo­ra­teurs. Il me le fit bien voir, ano­ny­me­ment. Un entre­fi­let de sa revue se plai­gnit de ma cri­tique « injuste » qui le « pour­sui­vait ». Et il conclut : Il n’y a plus d’hommes !

Je ne suis pas aus­si pes­si­miste : je pense qu’il y a encore des hommes. Et je sou­haite qu’il reste tou­jours au moins M. Roger Bœufgras !…

Vrai­ment ai-je été aus­si, injuste et pas­sion­né ? J’ai raillé quelque peu M. A.-O. Pin­chart, poète et confé­ren­cier, pitre de trente-sixième ordre [[Au même moment, Géo Charles égra­ti­gnait le même « poâte » dans Mont­par­nasse. Je n’étais donc pas seul à avoir du par­ti-pris.]]. Mais je me sou­viens d’avoir recom­man­dé dans les Pri­maires, une belle prose de Mar­cel Millet et des vers de G. Le Révérend. 

Ain­si ferai-je cette fois. Je signa­le­rai dans le numé­ro d’octobre 1922, à côté de vers assez faibles, une bonne étude de G. Vida­lenc sur le Pain et le Blé, roman post­hume de Jules Leroux. Et de tort inté­res­santes proses de Roger Pillet, un autre dis­pa­ru, inti­tu­lées La Jour­née de Pier­rette.

Mais je vais encore cha­gri­ner M. Bœuf­gras Roger. Voi­ci que je reçois, comme de cou­tume, à l’aube de l’année sco­laire, le cata­logue de la Librai­rie clas­sique Fer­nand Nathan. Et j’y note ceci : Paul Pinas­seau, Dix Poèmes, à lire ou à décla­mer à l’occasion des inhu­ma­tions et des inau­gu­ra­tions de monu­ments des morts de la grande guerre. Prix sans majo­ra­tion : 3 fr.

On avoue­ra que c’est pour rien trois francs, et sans majo­ra­tion encore ! Quel est le maire de cam­brouze qui ne vou­drait se payer un poème ! À six sous la pièce, même pas le prix d’un œuf !

L’amusant est que M. Paul Pinas­seau ver­si­fiait voi­ci quelques mois dans les Pri­maires. Et j’imagine qu’il réci­di­ve­ra : n’est-il pas délé­gué régional ?

Des hommes ? mon­sieur Bœuf­gras. Mais en voi­là un. Et un biau ! comme on dit chez nous.

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Der Sturm (Pots­da­mer Strasse 188, à Ber­lin W. 9) consacre un cahier spé­cial La vraie jeune France. Voi­ci l’un des poèmes de ce recueil — je passe le nom de l’auteur : il ne faut faire à cet homme nulle publi­ci­té, même légère, il en serait trop heureux.

Un beau matin aux dents fermées
Je change le train en plume sonore
Le pays n’a qu’un seul insecte
La mai­son aux narines d’or
est rem­plie de phrases correctes
Décou­pons l’échelle matinale
De l’air et les nerfs de l’air
En dif­fé­rences iri­sées en cris de mal
Pour­quoi se regar­der dans blanc de l’air.

En effet : Pourquoi ?

Mais je songe aux Alle­mands qui vont lire çà et se feront une idée des Français !

Il est vrai que déjà cer­tains nous jugent d’après Mon­sieur Ray­mond Poincaré.

Je me demande quelle com­pa­rai­son est la plus vexante, pour ce qui nous reste d’amour-propre national !

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Au som­maire du der­nier Cra­pouillot (5, place de la Sor­bonne Paris) un amu­sant conte de J. Gal­tier-Bois­sière : La montre et le pou­let, et une chro­nique de Gus Bofa tou­jours aus­si rosse, qui cette fois déchire à belles dents le pseu­do-roman­cier Binet-Valmer.

J’ai aus­si noté dans ce numé­ro un beau poème de Léon Moussinac :

[|Sirènes|]

Tu sais les ports…
Attou­che­ments des quais,
Bateaux qui vous accostent
Avec des noms et des dra­peaux inviteurs
Lourds de légendes et bario­lés de gloires
Des mâts si hauts dans la lumière
Qu’ils semblent brû­ler : oriflammes ;
Et la mer, divan
Aux cous­sins mouvants
Pelo­teurs de torses ;
Et le vent qui dégrafe,
Et le sel qui assoiffe…
Mar­seille, Porte de l’Orient ?
C’est trop peu :
Porte de tout ce que l’on veut,
Où tous les rêves appareillent,
 — Tour du monde
En quatre-vingts secondes —
Un peu, beau­coup, éperdument…

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Le numé­ro d’Octobre 1922 de Belles-Lettres parle assez lon­gue­ment de Rémy de Gour­mont. M. G. Bour­quin constate fort jus­te­ment que :

« Rémy de Gour­mont ne figure point dans les His­toires de la phi­lo­so­phie contem­po­raine… Par contre on consa­cre­rait volon­tiers des pages nom­breuses à un Jean Finot, cham­pion d’anti-alcoolisme et che­vau­cheur de chi­mères poli­tiques, sur­tout consi­dé­rable par sa sot­tise. Cela est dans l’ordre. Et ce serait man­quer de phi­lo­so­phie que de protester. »

N’est-ce point un peu trop rési­gné et ne convient-il point de pro­tes­ter contre la veu­le­rie, l’apathie, la lâche­té du peuple fran­çais comme de son « élite » contre la pleu­tre­rie géné­rale qui fait que nous sommes per­son­ni­fiés par un Georges Car­pen­tier ou un Poincaré !

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Et pour finir sur un sou­rire, voi­ci un poème de Max Jacob paru dans les Feuilles Libres (81 Ave­nue Vic­tor-Hugo Paris).

[|La belle atti­tude.|]

J’ai mis le péplum de la douleur,
J’ai voi­lé ma face avec le peplum de la douleur,
J’ai pris en mains un petit pot de fleurs
Avec un fruit gros comme une noisette
Et j’ai atten­du celle qui doit passer
Et celle qui doit pas­ser a passé,
Mais elle n’a, pas sou­le­vé le péplum de la douleur,
Elle n’a pas regar­dé le petit pot de fleurs,
Elle n’a pas cueilli le fruit de la noisette
Et j’en suis pour mes frais de déguisement,
Seule­ment le petit chat est venu,
Il a grat­té mes ongles de pied,
Me cau­sant un désa­gréable chatouillement.

Hâtons-nous de dire que Max Jacob lui-même inti­tule cela Poèmes Bur­lesques.

Ce numé­ro des Feuilles libres est admi­ra­ble­ment illus­tré par des des­sins de Creixa­nis dont Pas­cal Pia nous conte l’attachante vie.

[/​Maurice Wul­lens./​]

P.-S. — Sous le titre Images lyriques pré­cé­dées de l’Éva­sion dif­fi­cile et de Pre­miers vers d’exil, les Humbles consacrent leur numé­ro de vacances à un recueil de poèmes de Jean-Paul Samson.

Peut-être ce nom ne dit-il pas grand chose aux lec­teurs de la Revue Anar­chiste. Les vei­nards qui purent lire Demain, la cou­ra­geuse revue de Guil­beaux durant la guerre, se sou­viennent peut-être d’un crâne et vigou­reux article : Pour­quoi j’ai déser­té. C’était l’adieu de Jean-Paul Sam­son à ceux qui auraient vou­lu le faire par­ti­ci­per — de fort loin, mais qu’importe, quand on a l’âme bien pla­cée ! — à l’internationale bou­che­rie. L’ami de Jean de Saint-Prix pré­fé­ra la déser­tion à l’embusquage. Que bien des ouvriers, avides de galons et de gloire, méditent cet exemple d’un jeune bour­geois héroïque qui vit tou­jours en exil, fort durement.

Les Humbles ont recueilli les poèmes d’exil de J.-P. Sam­son en un numé­ro spé­cial (2 fr., à la Librai­rie Sociale).

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