La Presse Anarchiste

Un principe fondamental : le Déterminisme

Nous avons vu que l’homme cher­chant à se rendre compte du monde envi­ron­nant se trou­vait sol­li­ci­té par deux ten­dances. D’une part, et cette idée venait la pre­mière, il pou­vait croire la nature sou­mise à la volon­té chan­geante et capri­cieuse d’un ou plu­sieurs dieux : ceux-ci se jouant de toute règle et de toutes lois, bou­le­ver­saient selon leur bon plai­sir les êtres ter­restres. En face de ces esprits très puis­sants et dont le pou­voir est allé gran­dis­sant dans l’esprit des pre­miers hommes puisqu’il est allé se concen­trer en un seul Dieu, dont le pou­voir et l’intelligence sont sans limites. Mais par ailleurs une étude de plus en plus appro­fon­die des phé­no­mènes natu­rels a fait consta­ter aux pre­miers obser­va­teurs qu’il y avait une cer­taine constance dans la suc­ces­sion des faits, que l’homme pou­vait pré­voir bien sou­vent la suite des évé­ne­ments et que l’on ne consta­tait jamais de façon cer­taine une contra­dic­tion mira­cu­leuse à l’événement atten­du. On a d’abord exa­mi­né des cas très simples. Un poids sus­pen­du à une corde tombe quand on coupe la corde. L’idée a alors ger­mé dans l’esprit des hommes qu’ils pour­raient peut-être se rendre compte du méca­nisme de la nature, qu’il y avait des lois fixes reliant les divers phé­no­mènes et que le caprice d’une volon­té supé­rieure se bri­se­rait devant l’enchaînement fatal des faits. L’idée de divi­ni­té a subi un coup ter­rible de cette consta­ta­tion. Les hommes y res­taient cepen­dant fidèles au début ; mais les dégâts faits à la théo­lo­gie par la concep­tion nou­velle devaient s’accroître et se dévoi­ler par la suite. Or, nous pou­vons consta­ter que lorsqu’une idée consi­dé­rée comme abso­lu­ment vraie au début souffre quelques excep­tions par la suite, ces excep­tions vont en s’accroissant dans la suite : la véri­té uni­ver­selle pri­mi­tive n’est plus elle même tolé­rée qu’à l’état d’exception et elle finit par être reje­tée définitivement.

C’est ce qui est arri­vé à l’idée de toute puis­sance de Dieu. Consi­dé­rée comme abso­lue au début et sans limites, la rai­son humaine lui a vite impo­sé des bornes. On s’est ren­du compte qu’elle ne pou­vait accom­plir cer­tains actes consi­dé­rés comme absurdes. Elle ne pou­vait créer deux paral­lèles ayant un point com­mun, un tri­angle dont la somme des angles était dif­fé­rente à 180°. Puis on a remar­qué que le Dieu ne dis­po­sait pas avec l’aisance que s’imaginaient les pri­mi­tifs de la suc­ces­sion des jours et des sai­sons, des lois de la pesan­teur. Avec les pro­grès de la phy­sique et de la chi­mie, le pou­voir de la pro­vi­dence a été relé­gué aux phé­no­mènes dits vitaux : la phy­sio­lo­gie et la méde­cine n’ont pas tar­dé à l’en délo­ger. Comme l’intérêt des prêtres était de lui accor­der une vie tenace, ils ont éta­bli son pou­voir sans limite sur l’âme et les facul­tés intel­lec­tuelles. Mais, l’étude vrai­ment objec­tive des sen­sa­tions, la recherche patiente des états céré­braux ont prou­vé que là pas plus qu’ailleurs la main de Dieu ne se mon­trait. On a consta­té un enchaî­ne­ment logique dans les faits intel­lec­tuels et Dieu, c’est-à-dire l’inexplicable, a per­du son der­nier domaine.

C’est alors et tout récem­ment que l’homme a pu for­mu­ler net­te­ment le déter­mi­nisme comme une véri­té uni­ver­selle. Ce prin­cipe est celui-ci : « Étant don­né un fait quel­conque il est tou­jours pos­sible de le relier à un ou plu­sieurs autres faits, de telle façon que, ces faits se pro­dui­sant, ils entraînent néces­sai­re­ment avec eux la pro­duc­tion du phé­no­mène considéré. »

Ce prin­cipe s’est mon­tré, à l’application, d’une fécon­di­té remar­quable. En effet, si cer­tains évé­ne­ments ne parais­saient pas liés entre eux par cet enchaî­ne­ment néces­saire, on a tou­jours pu trou­ver par une élude appro­fon­die un cer­tain nombre de condi­tions qu’elles pro­duisent fata­le­ment le phé­no­mène. Ain­si un gland mis dans le sol germe ou ne germe pas ? Où est le déter­mi­nisme ? Ana­ly­sons le pro­blème. Un gland atro­phié dont les organes sont inexis­tants ou les réserves ali­men­taires insuf­fi­santes ne ger­me­ra jamais. Donc, pour que la ger­mi­na­tion soit pos­sible, il faut le pre­mier déter­mi­nant : inté­gri­té orga­nique. D’autre part, voi­ci des glands nor­ma­le­ment consti­tués. L’un pla­cé clans un sol trop froid ne ger­me­ra pas, ain­si d’un autre en milieu trop chaud. Le sable sec, l’argile ne per­met­tant pas la ger­mi­na­tion. Au contraire, un sol d’humus de feuilles pour­ries bien ombra­gé et à une tem­pé­ra­ture moyenne de 10° à 20° envi­ron agi­ra comme exci­tant et la plan­tule fera écla­ter l’écorce du gland et mon­te­ra vers la lumière. Voi­ci le second déter­mi­nant, milieu exté­rieur. Un des déter­mi­nants fai­sant défaut, le déter­mi­né dis­pa­raît, mais là où tous les déter­mi­nants sont réunis, le déter­mi­né se pro­duit inéluctablement.

C’est ce prin­cipe qui est à la base de toute science posi­tive. En effet, les déter­mi­nants ne sont pas abso­lus. Ils ne sont pas iso­lés dans la nature. À leur tour ils sont expli­qués, condi­tion­nés par d’autres déter­mi­nants et ain­si de suite, enchai­nant les effets aux causes, on arrive à une concep­tion unique des faits natu­rels. C’est le monisme.

Ce prin­cipe éten­du à la socio­lo­gie et à la bio­lo­gie humaine, se pro­clame for­cé­ment révo­lu­tion­naire. L’ancien sys­tème social basé sur la volon­té et la puis­sance de Dieu, qui ins­ti­tue des monarques ou des classes pri­vi­lé­giées de droit divin est à pré­sent consi­dé­ré par­tout comme odieux et très ridi­cule. La socié­té humaine est déter­mi­née par l’agglomération latente des indi­vi­dus qui la com­posent. Elle agit sur le milieu (l’homme social a bou­le­verse la sur­face du globe), et le milieu agit sur elle. Elle est donc variable et chaque indi­vi­du, déter­mi­nant social, en recher­chant son indi­vi­duel bien-être, peut modi­fier dans une cer­taine mesure l’édifice socio­lo­gique. Il s’unit à ses sem­blables, dont les inté­rêts sont ana­logues et ain­si se pro­duit l’évolution de la socié­té. L’antagonisme violent de deux groupes sociaux à l’issue d’une période ou l’un d’eux a oppri­mé l’autre et envoyé sou élan vers le bien-être, c’est une révo­lu­tion. Toutes les forces d’évolution com­pri­mées se libèrent d’un seul coup, dépassent le seuil, c’est-à-dire la plus grande force de résis­tance du groupe rival et retournent bru­ta­le­ment à l’équilibre. Une concep­tion sociale nou­velle a pris naissance.

Ce déter­mi­nisme, est aus­si fécond appli­qué à l’individu. Elle lui fait sai­sir la notion de liber­té. C’est ce que montre le petit livre d’Alexandra Myrial : Pour la Vie, où elle indique com­ment les doc­trines hypo­crites du libre arbitre et de la morale ont asser­vi l’esprit humain. « La reli­gion dit à l’homme : sacri­fie toi, tu as le mérite de pou­voir le faire car tu es libre et tu ne dépends de per­sonne. Sois donc esclave, car tu es libre de vou­loir l’être (d’ailleurs si tu ne te sou­mets pas, tu seras puni).

« Tu es dépen­dant de mille causes, dit la science à l’homme, nul n’a donc le droit de te sou­mettre à une loi que tu ne sens pas en toi. Vis, Agis, Aime et Déteste confor­mé­ment aux forces qui se dis­putent ton être. » (Alexan­dra Myrial, Pour la Vie).

[/​André Rey­mond./​]

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