La Presse Anarchiste

Editorial

La guerre d’Es­pagne donne l’oc­ca­sion aux fabri­cants d’o­pi­nions d’emprisonner le pro­lé­ta­riat dans une série de for­mules dépas­sées et dan­ge­reuses. Spé­cu­lant sur ses ins­tincts de jus­tice sociale et ses sou­ve­nirs de juillet 36, les tech­ni­ciens de la pro­pa­gande le saoulent de dis­cours huma­ni­taires et le poussent droit au suicide.

Il est temps de par­ler clair, au risque de s’at­ti­rer la haine des exploi­teurs de cadavres et la vin­dicte des déli­rants jus­qu’au-bou­tistes. L’Es­pagne révo­lu­tion­naire est morte, les jour­nées de mai 37 avaient son­né le glas. Côté Fran­co ou côté Négrin, la classe ouvrière ibé­rique ne pos­sède plus une par­celle de pou­voir ; elle n’a plus que des devoirs, en pre­mier lieu celui de se faire tuer. Pour l’en­cou­ra­ger au sacri­fice, les conseilleurs et les entraî­neurs ne manquent pas, à l’in­té­rieur comme à l’extérieur.

Au der­nier plé­num de la C.N.T., tenu à Bar­ce­lone, le ton fut don­né par l’ex-anar­chiste Gar­cia Oli­ver, aujourd’­hui franc-maçon sta­li­ni­sé, qui exhor­ta les anar­chistes à la lutte : « Mili­tantes de la C.N.T. hay de murir todos ! ».

Par­mi ceux qui furent l’es­poir du monde révo­lu­tion­naire, la pro­pa­gande habile, souple, tac­tique, des lea­ders a per­mis de trans­for­mer la foi anar­chiste en psy­chose guer­rière pure et simple.

Inutile d’in­sis­ter dès lors sur ce qu’est la men­ta­li­té des par­tis sta­li­no-bour­geois où la tra­hi­son mili­taire pure et simple se com­plique de mamours aux masses sacri­fiées et insul­tées dans leurs espoirs de liber­té. Les hommes ne sont plus que de la matière pre­mière, au même titre que l’es­sence ou le ciment.

En dehors de l’Es­pagne, pilon­née par les bombes, la farce revêt le même carac­tère sinistre. On uti­lise le « refe­ren­dum de Luchon » comme preuve de l’at­ta­che­ment des ex-mili­ciens au gou­ver­ne­ment de Bar­ce­lone. Mais on prend bien soin d’« oublier » l’in­ter­dic­tion faite aux sol­dats de séjour­ner en France, c’est-à-dire de déser­ter. Ce n’est pas le côté le moins tra­gique de cette comé­die, que de voir l’ex­ploi­ta­tion de la ren­trée des épaves mili­taires dans la four­naise cata­lane, jugée pré­fé­rable au poteau d’exé­cu­tion chez Franco.

« Des armes ! » clament les socia­listes, les com­mu­nistes, les syn­di­ca­listes, les anar­chistes. Des armes pour la guerre entre impé­ria­lismes, pour la pro­lon­ga­tion de la guerre, pour qu’un front sup­plé­men­taire sub­siste si demain la confla­gra­tion s’é­tend au monde.

La levée du blo­cus, que la lâche­té du pro­lé­ta­riat fran­çais n’a pu effec­tuer lui-même au pro­fit de ses frères espa­gnols, alors maîtres de leur des­ti­née, est exi­gée avec une vio­lence accrue en faveur du gou­ver­ne­ment contre-révo­lu­tion­naire de Barcelone.

Ceux qui, en mai 37, excu­saient les Mont­se­ny d’a­voir bri­sé le sur­saut révo­lu­tion­naire par crainte du sang ver­sé, sont les plus ardents à s’ex­ta­sier devant les dizaines de mil­liers de pro­lé­taires immo­lés pour la défense des Prie­to, des Diaz et des Valladares.

La folie gagne les milieux jus­qu’i­ci les plus lucides et les plus intran­si­geants. Le vieux mili­tant Ber­to­ni, un des anar­chistes ita­liens les plus écou­tés, glisse vers les solu­tions guer­rières. Comme un mau­vais pré­sage, le signa­taire du mani­feste des Seize — cette tache san­glante qui souilla le mou­ve­ment liber­taire en 1914 — le doc­teur Pier­rot — repa­raît pour prê­cher — avec finesse et intel­li­gence, certes — la défense des démocraties.

Les mili­tants de la Gauche révo­lu­tion­naire main­tiennent le mot d’ordre de la levée du blo­cus, qu’au­cune argu­tie juri­dique ne peut désor­mais sépa­rer de l’in­ter­ven­tion et de la guerre.

Avec une classe ouvrière bal­lot­tée entre les ten­dances impé­ria­listes, ayant per­du confiance en sa force et en ses pos­si­bi­li­tés, la manœuvre sub­tile et les consignes manou­vrières ne peuvent que pré­ci­pi­ter la débâcle et illu­sion­ner les lea­ders sur la valeur d’une agi­ta­tion menée dans le vide.

Avant toute chose, il faut dénon­cer l’u­sage qui est fait de mil­liers de liber­taires, de mar­xistes révo­lu­tion­naires, de sans-par­ti dont la foi socia­liste dépas­sait les doc­trines, tom­bés pour une Espagne libre et égalitaire.

Gri­sés, volés, rou­lés, les sur­vi­vants des « tri­bus » héroïques vont mou­rir pour une cause qui n’est pas la leur.

L’at­mo­sphère est telle que ceux qui veulent cla­mer la véri­té sont qua­li­fiés de lâches et de déser­teurs. Nous serons ces lâches et ces déser­teurs — il en est qui fuient la guerre espa­gnole et qui viennent crier, eux aus­si, la vérité.

Véri­té néga­tive, impuis­sante, pes­si­miste, mais véri­té nue et cruelle que nous cla­me­rons face à tous ceux qui vivent de la guerre « antifasciste ».

Asso­cier le sacri­fice des révo­lu­tion­naires à la défense de Négrin et de la démo­cra­tie bour­geoise serait bri­ser l’es­poir de leur résur­rec­tion dans les luttes qui viendront.

Nous avons conscience de pou­voir dire au nom de ceux qui tom­bèrent en mili­ciens de la révo­lu­tion sociale : « Ce n’est pas pour cela qu’ils sont morts » et d’in­ter­dire aux clowns de la sociale de détrous­ser leurs cadavres.

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