La Presse Anarchiste

Collectivités volontaires en Israël

Les élé­ments les plus impor­tants pour com­prendre les kib­bout­zim sont les suivants :

1. les kib­bout­zim ont main­te­nu leur pro­duc­tion col­lec­tive sans aucune rela­tion d’employeur à employé par­mi leurs membres, ni direc­tion auto­ri­taire de leur pro­duc­tion. Tou­te­fois, les déci­sions concer­nant la pro­duc­tion sont prises à pré­sent, moins par le groupe entier que par les comités.

2. les kib­bout­zim ont main­te­nu une forme col­lec­tive et presque éga­li­taire de vie sociale et de consom­ma­tion. Par des liens sociaux étroits entre leurs membres et par le fait d’élever leurs enfants en com­mu­nau­té, les kib­bout­zim ont prou­vé qu’une telle vie sociale col­lec­tive est non seule­ment viable, mais pré­sente de nom­breux avan­tages, bien que natu­rel­le­ment, tous les pro­blèmes n’en soient pas pour autant résolus.

3. au com­men­ce­ment, aucun contrôle du genre de ceux exer­cés par les gou­ver­ne­ments, les églises ou la presse en ce qui concerne les idées ou les opi­nions poli­tiques n’existait dans la plu­part des kib­bout­zim. Aujourd’hui, cette forme de pres­sion et de contrôle existe sur les idées poli­tiques dans plu­sieurs kibboutzim.

4. les kib­bout­zim n’influencent que très légè­re­ment les pro­blèmes et les acti­vi­tés des autres tra­vailleurs, du fait que la lutte des classes est aujourd’hui très faible dans le pays. Tou­te­fois, les kib­bout­zim ne sont pas apo­li­tiques et consti­tuent l’opposition de gauche dans le pays.

5. les kib­bout­zim n’ont pas été éta­blis sur la seule base de l’idéalisme. Ils ont été sou­te­nus – volon­tai­re­ment ou non – par les Juifs qui venaient cher­cher refuge en Pales­tine parce qu’il leur était presque impos­sible de construire autre­ment une base de pro­duc­tion pour la popu­la­tion juive et l’État d’Israël, qui, au début, ten­ta de limi­ter et de modi­fier les kib­bout­zim, dut les accep­ter comme étant une néces­si­té pour le déve­lop­pe­ment et la défense du pays.

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Avant d’examiner ces ques­tions, il est utile d’avoir quelques infor­ma­tions d’ordre général :

Il y a aujourd’hui envi­ron 225 kib­bout­zim en Israël, où vivent envi­ron 80 000 per­sonnes. Les plus petits et les plus récents ont envi­ron 30 membres avec quelques enfants. Les plus grands envi­ron 1 000 membres, sur une popu­la­tion d’environ 3 000 per­sonnes (la plu­part son des enfants ou des parents de membres ; un homme et sa femme sont membres individuellement).

Les kib­bout­zim sont avant tout agri­coles. La terre est louée, en effet, sans limi­ta­tion de durée, par l’Organisation des terres publiques juives ; les bâti­ments et l’équipement furent payés au début par des emprunts consen­tis par les orga­ni­sa­tions publiques et, plus tard, par les pro­fits réa­li­sés par les kib­bout­zim. La pro­duc­tion des kib­bout­zim est ven­due par l’intermédiaire d’une coopé­ra­tive à l’échelon natio­nal. De plus, tous les plus grands kib­bout­zim pos­sèdent de petits ate­liers ou même des usines de moyenne impor­tance qui assurent la mise en boîtes et l’emballage des ali­ments pro­duits, la fabri­ca­tion de tuyaux de plas­tique, de pro­duits déter­gents, d’instruments ara­toires, de mobi­lier, etc. Ces usines sont éta­blies par le kib­boutz dans ce but d’accroître ses reve­nus, et aus­si pour per­mettre aux membres qui ne peuvent assu­rer un tra­vail pro­duc­tif dans l’agriculture, ou dans une autre acti­vi­té du kib­boutz de ne pas demeu­rer des membres improductifs.

Envi­ron la moi­tié des tra­vaux du kib­boutz ont une pro­duc­tion direc­te­ment com­mer­cia­li­sable : fermes et ate­liers. L’autre moi­tié des tra­vaux sont néces­si­tés par le tra­vail et la vie des gens : ate­lier de répa­ra­tion des machines agri­coles et de fabri­ca­tion d’outillage, construc­tion de bâti­ments et menui­se­rie, can­tine, blan­chis­se­rie, confec­tion de vête­ments et ravau­dage, nur­se­rie, mai­sons d’enfants et écoles pour chaque âge, entre­tien et embel­lis­se­ment, hygiène, acti­vi­tés publiques de la Fédé­ra­tion des kibboutzim.

Il existe trois fédé­ra­tions de kib­bout­zim com­pre­nant envi­ron 70 kib­bout­zim cha­cune (il existe d’autre part une dizaine de kib­bout­zim reli­gieux qui forment un groupe sépa­ré et au moins un kib­boutz ayant quit­té sa fédé­ra­tion dans le but de réa­li­ser de plus grands pro­fits sans les avan­tages et incon­vé­nients qu’implique l’appartenance à une fédération).

Chaque fédé­ra­tion pos­sède un carac­tère poli­tique et cultu­rel par­ti­cu­lier : deux fédé­ra­tions sont sur­tout mar­xistes, mais pré­sentent, bien que de façon non expli­cite et sou­vent même sans en avoir conscience, des carac­té­ris­tiques anar­chistes. Ces deux fédé­ra­tions sont anti-occi­den­tales et natu­rel­le­ment anti-reli­gieuses. La dif­fé­rence entre ces deux fédé­ra­tions réside sur­tout dans le fait que l’une est plus pro-arabe et l’autre plus orien­tée vers le mili­tan­tisme natio­na­liste. La troi­sième fédé­ra­tion est social-démo­crate et pro-occidentale.

Chaque fédé­ra­tion entre­tient un dépar­te­ment pour conseiller et aider ses kib­bout­zim dans les domaines éco­no­miques, social et de l’éducation ; la fédé­ra­tion oriente l’aide des kib­bout­zim forts et déve­lop­pés au béné­fice de ceux qui sont faibles ou en voie de déve­lop­pe­ment, notam­ment en envoyant tra­vailler dans ces der­niers, des membres expé­ri­men­tés. Elle orga­nise aus­si les acti­vi­tés poli­tiques et cultu­relles dans le pays : jour­naux, maga­zines, édi­tion, acti­vi­té du par­ti par­le­men­taire qui est orga­ni­sé par cha­cune des deux fédé­ra­tions de gauche. La troi­sième fédé­ra­tion ne pos­sède pas son par­ti propre, mais consti­tue elle-même l’aile gauche du par­ti social-démocrate.

Bien que chaque kib­boutz et fédé­ra­tion vote cer­taines règles, aucune n’a édic­té de consti­tu­tion défi­nie. Un kib­boutz est libre de quit­ter sa fédé­ra­tion. Si une scis­sion inter­vient au sein d’un kib­boutz à pro­pos de ques­tions poli­tiques (quelques cas se sont pro­duits), la mino­ri­té reçoit une part de la terre du kib­boutz et y construit ses nou­velles ins­tal­la­tions. Chaque kib­boutz, dans son Assem­blée Géné­rale, accepte (rare­ment rejette) les can­di­dats au titre de membre. Un membre garde la liber­té de quit­ter le kib­boutz lorsqu’il le désire ; ain­si en Israël on ren­contre beau­coup de gens qui furent une fois dans leur vie membre d’un kibboutz.

Indé­pen­dam­ment des kib­bout­zim, il existe en Israël une dizaine de vil­lages semi-col­lec­tifs dans les­quels la pro­duc­tion est col­lec­tive et le reve­nu divi­sé éga­li­tai­re­ment entre les familles. Chaque famille a sa mai­son par­ti­cu­lière, les enfants vivent avec leurs parents et les mères par­tagent leur temps de tra­vail entre leur mai­son et la collectivité.

Il existe aus­si un grand nombre (quelques cen­taines) de vil­lages coopé­ra­tifs dans les­quels chaque famille a une égale par­celle de terre et où les gros tra­vaux et l’emploi des machines agri­coles sont coopé­ra­tifs. L’emploi d’ouvriers agri­coles ou de sai­son­niers n’y est pas auto­ri­sé. Dans ces vil­lages chaque famille tire son reve­nu de son propre tra­vail sur sa propre parcelle.

Nous nous bor­ne­rons dans le cadre de cet article à ne consi­dé­rer que les kibboutzim.

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Les pre­miers kib­bout­zim furent éta­blis peu après 1900 par de jeunes Juifs qui venaient de Rus­sie pour vivre en Pales­tine. Ils étaient des gens de la classe moyenne impré­gnés par diverses idées socia­listes et anar­chistes, dévoués à l’idéal du tra­vail pro­duc­tif et impa­tients de construire une terre d’accueil pour les Juifs per­sé­cu­tés d’Europe.

Ils trou­vèrent que les Juifs qui étaient venus avant eux de Rus­sie avaient édi­fié des fermes sur les­quelles ils employaient les pay­sans arabes et les nou­veaux immi­grants ne pou­vaient trou­ver de tra­vail du fait qu’ils ne pou­vaient vivre avec un salaire aus­si insi­gni­fiant que celui avec lequel vivaient les Arabes de l’endroit. Quelques-uns des nou­veaux immi­grants déci­dèrent alors de deve­nir des pro­duc­teurs col­lec­tifs, plu­tôt que de recher­cher conti­nuel­le­ment un emploi. Ils obtinrent du Fonds sio­niste, la terre et des prêts pour l’équipement. Pen­dant des années, ils assé­chèrent des maré­cages et débar­ras­sèrent les champs des pierres qui s’y trou­vaient et y édi­fièrent de petites col­lec­ti­vi­tés fermières. 

Au début, leur vie était phy­si­que­ment très rude. Mais ils étaient ani­més par l’enthousiasme de l’aventure, autant que par leur idéal éle­vé de liber­té qui leur don­nèrent l’élan de créer ces îlots d’une nou­velle forme sociale, aus­si déta­chée de la socié­té pas­sée que les immi­grants avaient connue que de celle de leurs nou­veaux voisins.

Les membres d’un kib­boutz vivaient alors sous des tentes ou de gros­sières huttes de bois et tra­vaillaient très dur.

Pro­duc­tion et consom­ma­tion étaient col­lec­tives et l’égalité était appli­quée stric­te­ment. Les femmes insis­taient pour être égales aux hommes dans le tra­vail. Il n’y avait aucune pro­prié­té pri­vée. Chaque membre vivait avec un ou plu­sieurs autres dans une pièce ou sous tente. Si un homme et une femme déci­daient qu’ils sou­hai­taient vivre ensemble, ils deman­daient sim­ple­ment à l’Assemblée de leur attri­buer une pièce pour eux seuls. Les enfants étaient éle­vés, dès la nais­sance, dans des mai­sons d’enfants par­ti­cu­lières, où ils for­maient une socié­té enfan­tine éga­li­taire, soi­gnés par quelques femmes membres du kibboutz.

Tous les membres d’un même kib­boutz se réunis­saient plu­sieurs fois par semaine, en Assem­blée Géné­rale, en fin de jour­née, pour trou­ver des solu­tions aux pro­blèmes posés par le tra­vail et la vie des kib­boutz. Il y avait aus­si une intense vie sociale com­mune : chants, groupes de danse, dis­cus­sion col­lec­tive du carac­tère et du com­por­te­ment de cha­cun dans ses rela­tions avec les autres, etc.

Peu à peu les kib­bout­zim s’agrandirent parce qu’il était essen­tiel d’augmenter la pro­duc­tion agri­cole et une exis­tence poli­tique pour les immi­grants juifs.

Aujourd’hui, l’État juif est hos­tile aux kib­bout­zim, mais il ne peut pas ten­ter de les détruire. Les kib­bout­zim sont entiè­re­ment loyaux envers l’État juif, bien que, depuis 1948, la plu­part d’entre eux demandent l’instauration d’un État ouvrier judéo-arabe au lieu de la per­ma­nence de l’État juif actuel.

Les kib­bout­zim ont tou­jours à l’égard des Arabes une atti­tude beau­coup plus ami­cale que le reste de la popu­la­tion juive. Il existe d’ailleurs dans quelques kib­bout­zim des groupes de jeunes arabes qui vivent et tra­vaillent comme appren­tis dans la pro­duc­tion et la poli­tique. Avant que les Arabes soient chas­sés ou aient fui comme réfu­giés hors d’Israël, beau­coup de kib­bout­zim avaient à cœur de conser­ver d’étroites rela­tions avec les vil­lages arabes. Pour­tant aujourd’hui quelques kib­bout­zim tra­vaillent des terres qui appar­tiennent à des pay­sans arabes, réfu­giés à l’étranger.

Aujourd’hui, dans les kib­bout­zim bien éta­blis, le stan­dard de vie est satis­fai­sant. Chaque couple a un très petit appar­te­ment dans des mai­sons qui, géné­ra­le­ment, en com­prennent quatre. Les enfants ne vivent pas avec leurs parents, mais passent avec eux toutes leurs heures de liber­té de l’après-midi et de la soi­rée (jusqu’à ce que, deve­nant des adultes ils pré­fèrent pas­ser une par­tie de leur temps libre avec quelque autre de leur âge).

Les enfants étu­dient à l’école du kib­boutz jusqu’à l’âge de 18 ans. Peu après cet âge, ils peuvent poser leur can­di­da­ture pour deve­nir membre du kib­boutz. Dans les kib­bout­zim de gauche, la plu­part des jeunes deviennent membres du kib­boutz alors que dans les kib­bout­zim social-démo­crates, la moi­tié seule­ment des jeunes res­tent au kib­boutz à la fin de leur scolarité.

Ils res­tent géné­ra­le­ment dans le même kib­boutz, épou­sant quelqu’un de leur kib­boutz ou d’un autre, ou quelqu’un n’appartenant pas au sys­tème kibboutz.

Production

Dans chaque kib­boutz un cer­tain nombre de membres sont deve­nus spé­cia­listes des dif­fé­rentes branches de l’agriculture, ce qui per­met l’emploi des machines agri­coles modernes et l’application de méthodes de culture scien­ti­fiques. Après qu’un membre (ou un fils ou une fille qui devient un nou­veau membre) a tra­vaillé pen­dant quelques années, il devient géné­ra­le­ment spé­cia­li­sé dans une branche par­ti­cu­lière de tra­vail. Ceux qui ne se sont pas spé­cia­li­sés reçoivent quo­ti­dien­ne­ment une tâche par­mi les tra­vaux qui doivent être faits ou bien sont affec­tés au « coup de main » dans une sec­tion dont la main d’œuvre est momen­ta­né­ment insuf­fi­sante, ou bien encore sont employés aux cui­sines, etc.

Un petit nombre de femmes sont employées dans l’agriculture mais la plu­part tra­vaillent aux cui­sines, au blan­chis­sage, au ser­vice, ou assurent les soins et l’enseignement des enfants.

La répar­ti­tion quo­ti­dienne du tra­vail est faite par un petit comi­té qui est chan­gé chaque année. L’attribution d’un tra­vail per­ma­nent à un membre est faite de façon infor­melle : cela dépend de l’intérêt du membre et du tra­vail deman­dé et aus­si de la néces­si­té ou non d’adjoindre un nou­veau tra­vailleur sup­plé­men­taire à ce tra­vail. Si le tra­vail deman­dé est indi­vi­duel­le­ment impor­tant et requiert une for­ma­tion coû­teuse – comme celle d’un ensei­gnant ou d’un ouvrier pro­fes­sion­nel – c’est l’ensemble du kib­boutz qui prend la déci­sion, qui donne ou non son accord. La déci­sion suprême concer­nant ce que le kib­boutz devrait pro­duire et quelle part du reve­nu devrait être affec­tée aux pro­duc­tions ulté­rieures (ou à la construc­tion de mai­sons et autres dépenses de consom­ma­tion) est éla­bo­rée et pro­po­sée par un grand comi­té et sou­mise à l’approbation de l’Assemblée Géné­rale du kib­boutz. Les déci­sions de détail par­ti­cu­lières à chaque sec­teur pro­duc­tif, champs de céréales, oran­ge­raies, ate­lier d’outillage, cui­sines, écoles, etc. sont prises par les res­pon­sables de sec­teurs et les tra­vailleurs per­ma­nents de ces sec­teurs. De plus un secré­taire cen­tral à la pro­duc­tion assure la solu­tion des pro­blèmes quo­ti­diens. Les res­pon­sables de ces fonc­tions sont élus chaque année par l’Assemblée Géné­rale du kib­boutz. Tou­te­fois comme les kib­bout­zim deviennent de plus en plus impor­tants, les pro­blèmes posés aux res­pon­sables de l’économie cen­trale deviennent de plus en plus com­pli­qués et ces res­pon­sables sont sou­vent choi­sis par­mi les membres aux­quels le kib­boutz a fait don­ner une for­ma­tion spé­ciale (de trois mois à deux ans) dans ces matières. On constate aus­si une ten­dance de l’Assemblée Géné­rale à deve­nir pas­sive en ce qui concerne les déci­sions éco­no­miques depuis que la com­plexi­té de ces pro­blèmes est deve­nue telle que, pour pou­voir en juger, il est néces­saire d’en avoir une connais­sance par­ti­cu­lière. Cepen­dant cela ne signi­fie pas que l’Assemblée Géné­rale accepte tou­jours les pro­po­si­tions du secré­taire ou du comi­té de production.

Les rela­tions de tra­vail sont dans l’ensemble libres et éga­li­taires. Un res­pon­sable de sec­teur n’est rien de plus qu’un des membres de ce sec­teur. Par­fois une même per­sonne demeure res­pon­sable de sec­teur pen­dant plu­sieurs années ; cela se pro­duit lorsque cette per­sonne est de loin la meilleure et la plus active de ce sec­teur ou bien lorsque per­sonne d’autre n’accepte d’assumer cette tâche. Mais même dans ce cas, non seule­ment il n’a aucun pou­voir éco­no­mique sur les autres – son seul pou­voir étant un pou­voir moral – mais il n’a, à aucun moment le sen­ti­ment d’être un chef. C’est cela sans doute plus que toute autre chose, qui fait l’unique atmo­sphère qui est celle du kib­boutz. Dans les usines de kib­boutz il y a plus sou­vent un léger carac­tère de com­man­de­ment dans les rela­tions des res­pon­sables envers les autres membres. Cette situa­tion trouve peut-être sa source dans le fait que, contrai­re­ment à l’agriculture, beau­coup d’usines de kib­boutz emploient du per­son­nel étran­ger au kib­boutz, en plus des membres du kib­boutz qui y tra­vaillent, ou en assurent la direc­tion. Ces diri­geants imposent au per­son­nel des rela­tions de patron à ouvrier. L’emploi des tra­vailleurs est natu­rel­le­ment contraire aux prin­cipes des kib­bout­zim et les kib­bout­zim ont fait de durs efforts pour y mettre fin et ont d’ailleurs réus­si à le réduire ; mais il leur est, du point de vue éco­no­mique, très dif­fi­cile de s’en passer.

Dans quelques cas, l’emploi d’un grand nombre de gens de l’extérieur dans les usines des kib­boutz a eu sur le kib­boutz des consé­quences très néfastes : l’atmosphère poli­ti­co-sociale s’est dégra­dée et les membres du kib­boutz qui diri­geaient l’usine com­men­cèrent à agir comme s’ils en étaient les patrons et allèrent même jusqu’à vivre un peu mieux que les autres membres, dépen­sant de l’argent, uti­li­sant les auto­mo­biles de l’usine, etc.

Le plus grand pro­blème posé par le tra­vail et l’ensemble de la vie du kib­boutz est que pour beau­coup de membres, notam­ment les femmes, le tra­vail n’est pas inté­res­sant.

Les kib­bout­ziens consti­tuent une classe moyenne, non qu’ils soient des bour­geois, mais du fait de leur édu­ca­tion et de ce qu’ils attendent de la vie, bien que leur dur tra­vail et leur condi­tion de non-exploi­teurs les rat­tachent natu­rel­le­ment à la classe ouvrière.

En consé­quence, ils veulent que leur tra­vail même devienne inté­res­sant, mais leur niveau tech­no­lo­gique de pro­duc­tion n’est pas assez éle­vé pour le leur permettre.

Consommation

La mai­son kib­bout­zienne typique com­prend quatre pièces, ou quatre petits appar­te­ments, soit une capa­ci­té de quatre membres ou couples. Au fur et à mesure que de meilleures mai­sons sont construites, les anciens membres les occupent géné­ra­le­ment, les jeunes pre­nant leur place dans les habi­ta­tions moins modernes. À part cela, la consom­ma­tion est plus égale pour cha­cun. Tous les repas sont pris dans la salle à man­ger com­mune (qui, dans les kib­bout­zim les plus riches, est sou­vent un très beau bâti­ment) alors que les membres pré­parent leur thé de l’après-midi dans leur chambre. Chaque membre reçoit le même mon­tant de vête­ments neufs et d’équipement per­son­nel varié. Les objets de plus de valeur, comme radios, etc. sont don­nés dans quelques kib­bout­zim à tous les membres en même temps, dans d’autres kib­bout­zim, les membres les plus anciens sont ser­vis les pre­miers quand la tré­so­re­rie du kib­boutz ne per­met pas de les ache­ter tous en une seule fois.

Les membres qui – avec l’accord de leur kib­boutz – tra­vaillent à l’extérieur (dans le gou­ver­ne­ment, dans les ins­ti­tu­tions publiques ou, rare­ment, dans un emploi tech­nique, pour un employeur pri­vé) donnent leur salaire au kib­boutz et reçoivent en retour l’argent suf­fi­sant pour cou­vrir leurs dépenses à l’extérieur. Du temps, en déduc­tion de leur tra­vail, est accor­dé aux artistes et aux écri­vains, mais s’ils vendent leurs œuvres, ils sont sup­po­sés en ver­ser le mon­tant au kibboutz.

Quelques inéga­li­tés demeurent en rai­son, d’une part, de ce que cer­tains membres reçoivent de leurs parents ou rela­tions, de nom­breux cadeaux, et d’autre part, du fait que quelques-uns, par­mi ceux qui tra­vaillent à l’extérieur, ont l’occasion de s’acheter dif­fé­rentes choses et de vivre mieux lorsqu’ils sont en ville.

Aucun membre de kib­boutz n’est sup­po­sé avoir d’argent, et ceux qui per­çoivent des dom­mages de guerre, en rai­son des atro­ci­tés nazies, dont ils furent vic­times, doivent remettre ces fonds au kib­boutz. (Tou­te­fois, il y a eu quelques cas de membres ayant pas­sé outre à la règle kib­bout­zienne et qui pré­fé­rèrent quit­ter le kib­boutz plu­tôt que de renon­cer à ces fonds).

Le kib­boutz four­nit à ses membres tout ce dont ils ont besoin, y com­pris les ciga­rettes pour ceux qui fument, la bis­cui­te­rie pour consom­mer chez soi, et les gâteaux et vins pour les récep­tions per­son­nelles des membres ou leurs réunions fami­liales. Chaque membre reçoit un peu d’argent lorsqu’il se rend à la ville ou pour ses (courts) congés annuels. Quelques kib­bout­zim envoient chaque année un petit nombre de ses membres pas­ser leurs vacances en Europe.

Il y a de nom­breux petits pro­blèmes au sujet de l’égalité. Par exemple : les membres qui ne fument pas devront-ils rece­voir un sup­plé­ment de cho­co­lat en com­pen­sa­tion des ciga­rettes que les fumeurs reçoivent (il a été déci­dé que non), etc.

L’égalité dans la consom­ma­tion est pro­té­gée par la consom­ma­tion col­lec­tive, par exemple : le fait que les kib­bout­ziens prennent leurs repas ensemble plu­tôt que de rece­voir une même somme d’argent à dépen­ser en nour­ri­ture. Il existe une pres­sion ten­dant à réduire le carac­tère col­lec­tif de la consom­ma­tion de telle sorte que les gens puissent varier le choix des choses selon leurs goûts indi­vi­duels. Il n’y a aucune pres­sion contre l’égalité ; le seul mécon­ten­te­ment qui existe n’est pas contre l’égalité, mais contre l’inégalité que consti­tue le fait qu’un petit nombre de membres par­viennent à se créer une vie plus agréable que celle des autres.

Vie sociale

Le kib­boutz orga­nise des concerts, des confé­rences, des pro­jec­tions ciné­ma­to­gra­phiques, des cercles d’études, des fêtes locales, l’action poli­tique dans la région, etc. Il existe aus­si un comi­té qui prend en consi­dé­ra­tion les pro­blèmes indi­vi­duels à la demande des membres, par exemple les demandes spé­ciales de consom­ma­tion par­ti­cu­lières ou les besoins per­son­nels des membres (chaque membre a le droit de faire venir ses parents pour vivre au kib­boutz en tant qu’invité per­ma­nents ; un membre peut dési­rer s’absenter du kib­boutz pour quelque temps, pour des motifs per­son­nels, etc.). Tous ces pro­blèmes reçoivent leur solu­tion de ce Comi­té dont la presque tota­li­té des membres sont chan­gés chaque année par l’Assemblée Géné­rale. Dans chaque kib­boutz et notam­ment dans les plus anciens, des cercles d’amis se forment de façon infor­melle : des gens se rendent visite pour le thé, d’autres se lient d’une ami­tié intime, des atti­rances plus ou moins secrètes se tissent entre hommes et femmes, etc. Tout cela consti­tue une source de com­mé­rages, ce qui n’est pas éton­nant si l’on consi­dère qu’un kib­boutz a les dimen­sions d’un petit vil­lage et que les kib­bout­ziens tra­vaillent et vivent en une com­mu­nau­té plus étroi­te­ment close qu’aucune autre. Quelques per­sonnes souffrent de se voir contrô­lées par l’opinion publique et les regards bra­qués sur leur inti­mi­té. Il y a au kib­boutz un degré d’intimité qui suf­fit pour la plu­part des gens, mais pas pour toutes les per­son­na­li­tés ni toutes les situa­tions de la vie.

La plu­part des kib­bout­ziens ont par­mi leurs membres des gens plus « émi­nents » que d’autres (plus connus et plus actifs) ou plus res­pec­tés, ou plus aimés, soit qu’ils soient impor­tants poli­ti­que­ment ou intel­lec­tuel­le­ment dans le pays, ou qu’ils soient par­ti­cu­liè­re­ment com­pé­tents pour les pro­blèmes sociaux ou éco­no­miques du kib­boutz, ou encore parce qu’ils tra­vaillent plus sérieu­se­ment ou sont d’un carac­tère agréable et inté­res­sant. Les gens qui sont plus ins­truits tech­ni­que­ment ou éco­no­mi­que­ment et qui sont sou­vent en posi­tion de prendre les déci­sions rela­tives à la pro­duc­tion ne sont pas néces­sai­re­ment admi­rés ou aimés pour cela. Il n’existe rien qui res­semble à une classe diri­geante ou à un contrôle des ins­ti­tu­tions ou des per­sonnes, rien qui res­semble à un pou­voir que ces gens auraient sur les autres membres, rien non plus qui res­semble à un res­pect ou à une peur qu’ils pour­raient ins­pi­rer s’ils assu­maient les mêmes fonc­tions ailleurs que dans un kib­boutz. Une seule excep­tion majeure : le contrôle poli­tique effec­tué par la fédération.

En prin­cipe il ne devrait y avoir aucun contrôle. Les gens qui tra­vaillent dans la fédé­ra­tion sont des membres de kib­boutz qui ont été délé­gués par leur kib­boutz, pour une période plus ou moins longue, pour faire ce tra­vail. La poli­tique et l’action de chaque fédé­ra­tion sont dis­cu­tées dans les Assem­blées Géné­rales de chaque kib­boutz et les déci­sions sont prises par l’Assemblée fédé­rale des délé­gués de kib­boutz. Tou­te­fois chaque fédé­ra­tion a une petite équipe de lea­ders qui a conti­nué presque depuis le début avec ses sui­veurs qui font ce qu’ils disent et sans aucune oppo­si­tion inté­rieure active. C’est au sein de la fédé­ra­tion qui est la plus à gauche que la situa­tion créée par la pré­sence d’un tel appa­reil poli­tique est le plus grave. Les nou­veaux membres, ou ceux dont les vues sont dif­fé­rentes, peuvent dif­fi­ci­le­ment avoir prise sur les déci­sions de la fédé­ra­tion. Chaque fédé­ra­tion essaie d’influencer et de contrô­ler les vues poli­tiques de ses kib­bout­zim. Il y a envi­ron 10 ans, les kib­bout­ziens membres du Par­ti Com­mu­niste ou pré­su­més tels, furent expul­sés des kib­bout­zim sous l’accusation d’être en train de for­mer des cel­lules scis­sion­nistes secrètes dans leur kibboutzim.

La façon d’élever les enfants est une des carac­té­ris­tiques uniques et des plus belles réus­sites du kib­boutz. Dans presque tous les kib­bout­zim les enfants ne vivent pas avec leurs parents même dès leur plus petite enfance. Les nour­ris­sons sont mis dans des nur­se­ries, confiés aux soins d’une kib­bout­zienne pour envi­ron 6 enfants. La mère est dis­pen­sée d’une par­tie de son tra­vail pour pou­voir venir s’occuper de son bébé. Plus tard, grou­pés par 8 ou plus, les enfants pas­se­ront toute leur enfance ensemble. Ils ont leur propre mai­son, avec des pièces pour dor­mir, pour man­ger, et pour jouer et plus tard, pour étu­dier ; une kib­bout­zienne prend soin d’eux pour plu­sieurs années. Plu­sieurs fois au cours de leur enfance, ils quittent leur mai­son pour une autre, mieux adap­tée à leur stade d’évolution. Dans leur mai­son, ils font une par­tie du tra­vail, et ont une res­pon­sa­bi­li­té de groupe envers cha­cun. Les enfants, sou­vent, deviennent entiè­re­ment atta­chés au membre du kib­boutz qui prend soin d’eux, bien que ce der­nier ne fasse rien qui soit de nature à alté­rer leurs rela­tions avec leurs parents, avec qui ils passent chaque après-midi. En géné­ral, les parents demeurent les adultes les plus impor­tants dans la vie de l’enfant et les enfants pour leurs parents dans le kib­boutz sont tout aus­si impor­tants que n’importe où ailleurs dans le monde.

L’inhabituelle façon d’élever les enfants et l’environnement social qu’ils ont au kib­boutz ont quelques consé­quences qui sont dif­fi­ciles à décrire. Bien qu’il soit impos­sible de dire quoi que ce soit de défi­ni­tif, ces enfants semblent plus actifs et alertes, encore qu’avec peut-être quelques pro­blèmes émo­tion­nels pour quelques-uns d’entre eux, dus aux contacts inadé­quats avec la mère. Quand ils gran­dissent, ils sont dans l’ensemble plus doux, plus attrayants, peut-être moins ambi­tieux, cer­tai­ne­ment plus socia­le­ment res­pon­sables que les enfants de la ville, et ils sont, de loin, supé­rieurs aux enfants des vil­lages ordi­naires. Quelques-unes des mères sou­hai­te­raient pou­voir avoir leur enfant à la mai­son durant la prime enfance. Toutes ne pensent pas ain­si, et les pères y sont opposés.

Le kibboutz dans la société

L’idéologie du kib­boutz n’était pas de for­mer seule­ment une socié­té idéale ou iso­lée. Les gens avaient aus­si la néces­si­té de gagner leur vie dans un pays qui n’offrait que peu de pos­si­bi­li­tés d’emploi. Ils eurent la fonc­tion sociale et l’idéologie, de rendre pro­duc­tif un pays non déve­lop­pé, de nour­rir la popu­la­tion juive et d’établir et de défendre une terre d’accueil pour les Juifs. Cela impli­qua des rela­tions inégales et inami­cales envers les pay­sans arabes et une réduc­tion des inté­rêts non juifs ; cela implique aus­si, aujourd’hui une sou­mis­sion aux ins­ti­tu­tions juives actuelles (alors qu’avant, les kib­bout­zim ne furent pas sou­mis aux ins­ti­tu­tions bri­tan­niques de Pales­tine). Néan­moins, les kib­bout­zim eurent une fonc­tion réelle dans le pays. Par exemple pen­dant que les pro­prié­taires fon­ciers juifs pré­ci­pi­taient la plan­ta­tion d’orangeraies, parce qu’ainsi ils étaient assu­rés de pou­voir réa­li­ser le maxi­mum de pro­fits, pous­sant la Pales­tine juive vers la posi­tion de colo­nie à culture unique, les kib­bout­zim, eux, firent des cultures variées d’aliments parce qu’ils vou­laient pro­duire ce dont il y avait socia­le­ment besoin et aus­si être indé­pen­dants des crises du « business ».

Pen­dant le boy­cot­tage arabe en 1936, les Juifs n’auraient pu sur­vivre que très dif­fi­ci­le­ment sans les ali­ments variés pro­duits par les kib­bout­zim. Les kib­bout­zim ont tou­jours été le résul­tat de la conjonc­tion des idéaux et d’une réelle fonc­tion sociale dans une situa­tion his­to­rique par­ti­cu­lière. Bien qu’ils repré­sentent l’élément prin­ci­pal de la gauche du pays, ils n’ont jamais beau­coup comp­té dans la lutte des tra­vailleurs sala­riés. Quand la lutte des classes était la plus dure en Pales­tine ils furent prin­ci­pa­le­ment com­bat­tus par les ouvriers. Lorsqu’il y a une longue grève, les gré­vistes peuvent obte­nir du tra­vail dans les kib­bout­zim ; mais en dehors d’une telle aide aux ouvriers, les kib­bout­zim ne peuvent pas faire grand-chose pour amé­lio­rer la condi­tion des tra­vailleurs et chan­ger le carac­tère de l’économie.

Aujourd’hui, beau­coup de gens et plus par­ti­cu­liè­re­ment les fils et les filles des kib­bout­zim, consi­dèrent le kib­boutz non comme une uto­pie finale ou comme un élé­ment utile dans le com­bat de classe, mais comme un endroit qui, mal­gré cer­taines insuf­fi­sances (dues à ses dimen­sions, son carac­tère rural, quelques limi­ta­tions d’ordre cultu­rel et per­son­nel), offre la meilleure façon de vivre par ses rela­tions éco­no­miques et son atmo­sphère humaine construc­tive déga­gée de l’oppression, et est la meilleure qua­li­té humaine moyenne (même si quelques-uns des gens les plus capables quittent par­fois le kib­boutz parce que les pos­si­bi­li­tés de tra­vail qui leur sont offertes par le monde exté­rieur sont pour eux trop attirantes).

L’atmosphère et les gens du kib­boutz nous per­mettent de mieux voir com­bien la vie peut être meilleure quand il n’y a plus aucune exploi­ta­tion, plus aucun contrôle exté­rieur sur le tra­vail et peu de contrôle sur la vie et les idées et aucune dif­fé­rence sen­sible entre les revenus.

[/Z.H./]

La Presse Anarchiste