La Presse Anarchiste

Dans notre courrier

Du cama­rade R.P. à Caen :

« … Je vous trans­mets seule­ment quelques réflexions. D’abord l’entreprise de Kolev est faus­sée, essen­tiel­le­ment en tant qu’elle reste dans une sphère intel­lec­tuelle, logique, empreinte d’un “idéal” alors que les pro­blèmes sont et ont été posés (donc en voie de réso­lu­tion) dans la pra­tique des masses insur­gées. De cette pra­tique révo­lu­tion­naire, de ces actes his­to­riques de la classe exploi­tée en insur­rec­tion, il n’est ques­tion nulle part. Ce n’est pas à Kolev de répondre théo­ri­que­ment à la ques­tion, alors que les soviets et les comi­tés d’usines de 1917 – 18 en Rus­sie, ceux de Crons­tadt, les par­ti­sans “makh­no­vistes”, les ouvriers et pay­sans cata­lans, dans une cer­taine mesure les ouvriers d’Allemagne Orien­tale de 1945 à 47, enfin les conseils ouvriers hon­grois (pour ne prendre d’ailleurs que par­mi les exemples les plus connus) y ont répon­du de par leur exis­tence. Ensuite le voca­bu­laire employé par Kolev témoigne d’une énorme confu­sion intel­lec­tuelle. On ne sait jamais très bien de quoi il parle. Qu’entend-il par “mar­xisme” alors qu’il pose sur le même plan Marx, Kauts­ky, Lénine et Pavlov (!).

… Rien n’est cla­ri­fié, ce qui per­met les sophismes sur les­quels toute l’étude est bâtie. Enfin, la confu­sion entre le “pro­lé­ta­riat” et le “par­ti” qui se réclame de lui, fonde toutes les belles absur­di­tés logiques dont Kolev ne se montre pas avare ».

Du cama­rade J. de Bordeaux :

« …En tout cas, cet article détonne sur l’ensemble des ana­lyses publiées par NR. Il mani­feste une igno­rance totale du degré de bureau­cra­ti­sa­tion[[Des struc­tures (déci­sions d’é­tat-major non contrô­lées – dési­gna­tion des can­di­dats aux élec­tions par coop­ta­tion) et des men­ta­li­tés (gui­der la masse, lui don­ner des infor­ma­tions sur ce que font les diri­geants).]] atteint dans les Asso­cia­tions de Pro­vince (et à l’échelle natio­nale) d’où un opti­misme injus­ti­fié quant aux pos­si­bi­li­tés d’intervention à l’intérieur de l’UNEF ; il oublie aus­si et sur­tout que le syn­di­cat étu­diant est pro­fon­dé­ment inté­gré à l’État en ce sens qu’il a renon­cé défi­ni­ti­ve­ment à sa voca­tion de syn­di­cat d’intellectuels à cri­ti­quer en pra­tique le conte­nu de l’enseignement et de la culture dif­fu­sés par l’État. Or, sys­té­ma­ti­que­ment l’UNEF ne s’attaque qu’aux méthodes et s’emploie à aider l’État dans cette dif­fu­sion (ronéo­ter des cours, par exemple). Enfin, l’attitude de mili­tants révo­lu­tion­naires à l’égard de l’UNEF ne peut pas être cal­quée sur celle des mili­tants révo­lu­tion­naires ouvriers à l’égard des syn­di­cats ouvriers : seule une petite mino­ri­té d’étudiants est syn­di­quée et c’est cette mino­ri­té d’étudiants plus poli­ti­sée (mili­tants catho­liques, PSU, com­mu­nistes) donc la plus fer­mée à notre point de vue révo­lu­tion­naire. Contrai­re­ment à ce qui se passe en usine, il est pos­sible de pas­ser par des­sus la tête du syn­di­cat pour avoir une influence en milieu étu­diant et y agir en toute auto­no­mie. Les révo­lu­tion­naires n’ont rien à faire dans une orga­ni­sa­tion dont les rai­sons d’être sont 1°) d’obtenir de l’État une meilleure place à l’élite intel­lec­tuelle dans les hié­rar­chies sociales et 2°) de ratio­na­li­ser la for­ma­tion des cadres dont l’État a un besoin vital à l’intérieur du cadre de la culture et de la tech­no­lo­gie capitaliste ».

Des cama­rades cubains, Mia­mi (USA) :

« … Main­te­nant nous t’écrivons avant tout, pour te don­ner signe de vie et t’exprimer notre désir de main­te­nir nos rela­tions épis­to­laires en obser­vant le ton fra­ter­nel que tu emploies dans ta lettre et qui est, en défi­ni­tive, le seul qui per­mette un échange fécond d’idées et de concepts. Nous ne trai­te­rons pas ici les points très inté­res­sants de ta lettre, car nous n’en avons pas le temps en ce moment. Cepen­dant nous tenons à te dire qu’en géné­ral nous sommes d’accord avec tes appré­cia­tions, bien que nous esti­mions néces­saire de rec­ti­fier quelques-unes de tes infor­ma­tions sur la pré­ten­due révo­lu­tion cubaine.

Nous avons éga­le­ment lu la suite de ton tra­vail sur Cuba dans le n° 21 de NR et nous avons vu avec plai­sir que tu uti­lises pas mal de ren­sei­gne­ments de notre bul­le­tin. Nous te répé­tons que tu peux faire appel à nous avec la plus grande fran­chise chaque fois qu’il te manque des infor­ma­tions sur telle ques­tion concrète sur Cuba. Il est impos­sible que nous soyons tota­le­ment objec­tifs dans ce que nous fai­sons, étant don­né que nous sommes des mili­tants révo­lu­tion­naires par­fai­te­ment défi­nis face à la dic­ta­ture tota­li­taire cas­tro-com­mu­niste, mais nous sommes en train de faire, comme tu le dis toi-même, un véri­table effort pour obser­ver de notre côté un ton posi­tif et impar­tial sur un thème qui “en même temps nous déchire l’âme”, et mal­gré cela, beau­coup de gens dans le mou­ve­ment anar­chiste inter­na­tio­nal nous accusent des pires choses dont on peut accu­ser une poi­gnée d’hommes qui ont tout per­du, car beau­coup sont au bagne, et d’autres ont per­du la vie devant des pelo­tons d’exécution pour res­ter fidèles à leurs principes (…)

… Nous vou­lons seule­ment te signa­ler que la crise cubaine posée par les États-Unis à l’Union Sovié­tique à cause de la pré­sence à Cuba d’armes offen­sives de longue por­tée (par­tiel­le­ment réso­lue par Ken­ne­dy et Khroucht­chev sans la par­ti­ci­pa­tion de Cas­tro) a mis en évi­dence l’intervention poli­tique et mili­taire de la Rus­sie à Cuba. Ce fait obli­ge­ra ceux qui défendent la thèse de la “non-inter­ven­tion” à chan­ger tota­le­ment leur posi­tion, car si on attaque l’intervention amé­ri­caine, on doit, par voie de consé­quence, atta­quer l’intervention sovié­tique, et si on n’attaque pas la seconde, on ne peut non plus atta­quer la pre­mière. Nous, de notre côté, nous main­te­nons l’opinion selon laquelle le pro­blème cubain lui-même – tant celui qui est à Cuba, que celui qui est à l’étranger – en uti­li­sant ses propres forces, et en lut­tant pour ses propres objec­tifs, sans hypo­thé­quer son ave­nir. Cette ligne est la plus dif­fi­cile, mais elle est la plus correcte (…)

Voi­ci des textes de Mala­tes­ta sur Cuba (1900) ; ils ont une étrange réso­nance en 1962 :

“Les tra­vailleurs cubains ont lut­té héroï­que­ment pour l’indépendance de leur pays ; pour elle, ils ont sacri­fié le pain de leurs petits enfants, pour elle, ils ont ver­sé des tor­rents de sang. Il serait dom­mage, vrai­ment dom­mage si tant d’héroïsme et tant de sacri­fices devaient ame­ner uni­que­ment un chan­ge­ment de patrons, comme cela est arri­vé dans d’autres pays…

Pour être libre, il faut abo­lir non seule­ment tel ou tel gou­ver­ne­ment, mais l’institution même du gou­ver­ne­ment, qui donne à quelques-uns le droit et le moyen d’imposer aux autres leur propre volon­té ; et pour que la liber­té ne soit pas une vaine paro­die, il faut abo­lir le droit de quelques-uns à s’approprier le tra­vail d’autrui…

On a dit que les anar­chistes sont les enne­mis de l’indépendance cubaine, on a dit enfin que ma pré­sence à Cuba est un mal pour elle. La véri­té est que les anar­chistes, parce qu’ils sont les enne­mis de tous les gou­ver­ne­ments et qu’ils réclament le droit de vivre et de se déve­lop­per en toute liber­té par­mi tous les groupes eth­niques et sociaux et tous les indi­vi­dus, doivent néces­sai­re­ment s’insurger contre le gou­ver­ne­ment de fait, et être au côté de tout peuple qui lutte pour sa liberté”.

… Les cama­rades cubains signalent dans leur bul­le­tin (décembre 1962) que deux mili­tants anar­chistes ont été fusillés par la police castriste :

Augus­to SANCHEZ-ESPINOSO, 17 ans, paysan.

Ven­tu­ra SUAREZ-DIAZ. 

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