La Presse Anarchiste

Éditorial

Depuis long­temps nous ne nous sommes entre­te­nus avec nos lec­teurs, aus­si pro­fi­te­rons-nous de ce début d’année, « calme » paraît-il, pour faire le point rapi­de­ment, tant que les évé­ne­ments d’une année « calme » ne nous entraînent vers d’autres pré­oc­cu­pa­tions, d’autres urgences…

Le moins qu’on puisse dire, c’est que 1962 fut, elle, une année agi­tée, pleine de conflits et de rebon­dis­se­ments. Et devant ces pro­blèmes le devoir de tout anar­chiste était de prendre posi­tion, fût-elle dif­fi­cile, déli­cate à prendre.

Ain­si, il y eut l’Algérie et, en cette affaire, l’attitude liber­taire était claire : soli­da­ri­té avec le peuple algé­rien contre le colo­nia­lisme fran­çais. Aus­si sommes-nous éton­nés quand de bons apôtres viennent nous dire main­te­nant : « À quoi cela a‑t-il abou­ti ? À ins­tau­rer un nou­vel État, oppres­seur à son tour, etc. » le tout d’un air sur­pris, voire indi­gné. Eh quoi ? Les Algé­riens avaient-ils pro­mis de créer une socié­té liber­taire ? Cela se serait su et, au bout de la lutte de libé­ra­tion natio­nale, l’État, imman­qua­ble­ment, se pro­fi­lait. Cela étant, nous main­te­nons que toute libé­ra­tion future du peuple algé­rien ne pou­vait que pas­ser d’abord par la des­truc­tion du colo­nia­lisme, l’étape sui­vante étant sa lutte contre le pou­voir éta­tique, la bureau­cra­tie et les nou­veaux nan­tis. Là est la véri­table révo­lu­tion, bien plus dif­fi­cile à faire, au fond, que celle des armes.

Il y eut aus­si Cuba. Sur ce pro­blème éga­le­ment, la posi­tion des liber­taires aurait dû, devrait, être simple. S’il était nor­mal d’approuver la lutte contre Batis­ta, il était déjà bien moins nor­mal de crier « Vive Cas­tro » à sa vic­toire : avait-il, lui aus­si, pro­mis de ne pas faire d’État ? Certes non, et de l’enthousiasme intem­pes­tif de cer­tains cama­rades pour­tant che­vron­nés à la décep­tion sui­vie par réac­tion d’un sou­tien qua­si abso­lu aux efforts inter­ven­tion­nistes des USA, il n’y avait qu’un pas… Cela, nous ne pou­vions l’accepter, d’où notre prise de posi­tion, en 1962, sur la ques­tion cubaine. Aux bous­cu­lades des uns, soit dans le camp dit occi­den­tal, soit dans le camp cas­triste avec son aide russe, nous avons oppo­sé la vieille posi­tion « 3e front » de lutte contre les Blocs et, plu­tôt que de savoir si Cas­tro devien­drait com­mu­niste ortho­doxe ou hété­ro­doxe, notre cama­rade Renof concluait dans le n° 21 de NR qu’il faut sur­tout se deman­der com­ment le peuple cubain pour­ra retrou­ver ses liber­tés, sans rien perdre de ce qu’il a acquis.

Sur ce point, Cuba, comme sur d’autres, nous avons essayé et essaie­rons de res­ter fidèles à nos objec­tifs : tra­vail de recherche et d’étude de tous les pro­blèmes, avec notre optique anar­chiste, attaque impi­toyable de tous les tabous, y com­pris ceux ayant cours en nos propres milieux. Tant pis si cela fait mal. Ce ne sont pas les sujets qui manquent : le racisme, dont nous repar­le­rons très bien­tôt, Israël et le pro­blème des kib­bout­zim, la Franc-Maçon­ne­rie, vieux sujet « déli­cat » dont il est de règle de peu par­ler dans les publi­ca­tions anar­chistes, et dont, jus­te­ment, nous avions déjà par­lé. Nous en repar­le­rons aujourd’hui, demain s’il le faut…

Voi­là ce que nous vou­lions dire à nos lec­teurs, en ce début d’année 1963, année « calme » pour le peuple fran­çais, avec son Guide élu et aimé qui lui pré­pare une dége­lée de coups de pied au c… dont ledit peuple appré­cie­ra bien­tôt les effets. Année « calme » où, la guerre d’Algérie ter­mi­née, les cri­mi­nels OAS sont gra­ciés à tour de rôle, et libé­rés. Pen­dant ce temps-là, les objec­teurs, les insou­mis res­tent en pri­son, pour eux la guerre conti­nue. Un exemple pré­cis ? Michel BOUJUT [[Revue « Témoins », n°31, Streu­lis­trass 74, Zurich.]], déser­teur, « cou­pable » de ne pas avoir vou­lu par­ti­ci­per à la bou­che­rie algé­rienne : 10 ans de pri­son ferme. Le même tri­bu­nal (Bor­deaux) condamne par contre Lucien Cas­tillo, déser­teur ayant, lui, rejoint l’OAS, à 3 mois de pri­son avec sursis.

C’est tout. Ah si, encore un mot : il y a un an, c’était le métro « Cha­ronne », comme c’est loin !

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