La Presse Anarchiste

L’Opus dei

Cet arti­cle est inspiré d’un doc­u­ment fourni par le CARE[[Comité d’Aide à la Résis­tance Espag­nole – Mme Audry, ccp Paris 18.654–23 ; 20 rue du Rame­lagh-16e.]].

Origines

La « Société sac­er­do­tale de la Sainte Croix et de l’Opus Dei », fondée par le Père José Maria Escrivà de Bal­a­guer, en 1928, fut approu­vée canon­ique­ment par le Saint-Siège, par le décret « Pri­mum inter insti­tu­ta », le 16 juin 1950 comme insti­tu­tion séculière de l’Église. L’objectif de cette insti­tu­tion est « d’atteindre la per­fec­tion chré­ti­enne et d’exercer pleine­ment l’apostolat en pra­ti­quant dans le siè­cle et au moyen du siè­cle les con­seils évangéliques ». Une des normes secrètes de l’Opus Dei fixe comme tâche de « réalis­er l’œuvre de l’apostolat au moyen de la réno­va­tion de la vie chré­ti­enne, en la ren­dant authen­tique », et insiste sur « propager la vie chré­ti­enne dans les pays où elle est peu dévelop­pée ». De cette manière, l’Opus a établi des antennes à Rome, Lis­bonne, Paris, Lon­dres, New York, Chica­go, Buenos Aires, Mex­i­co, San­ti­a­go du Chili, etc. Au total, il compte plus de cent rési­dences dans le monde entier et le « col­lège romain de la Sainte Croix » à Rome, où actuelle­ment suiv­ent des études de droit canon­ique près de 90 mem­bres de l’Opus, par­mi lesquels seuls quelques-uns se pré­par­ent à être prêtres.

Les mem­bres de l’Opus agis­sent en privé, et par péri­ode, c’est-à-dire d’abord six mois, après un an, deux, etc. Les trois vœux de pau­vreté, obéis­sance, chasteté, sont suiv­is par une cer­taine caté­gorie et bien qu’ils puis­sent égale­ment devenir prêtres (il y en a quelque 50 en Espagne, à Rome, et en Amérique), ils mènent une vie pro­fes­sion­nelle absol­u­ment nor­male, et naturelle­ment, les non-prêtres s’habillent en civ­il. Cette fac­ulté de se mêler par­mi les gens et de pass­er inaperçu a créé autour de la Com­pag­nie une légende de mys­tère et de méfi­ance, et vu ses procédés, on la con­sid­ère comme une espèce de franc-maçon­ner­ie. Son guide et aus­si sa clé et sa tac­tique est le livre « Chemin » du père Escrivà.

Fonctionnement

À côté des mem­bres de la Société qui font trois vœux (qui s’appellent socié­taires « super­numéraires », et qui peu­vent être prêtres ou laïcs), il y a les socié­taires « numéraires » qui ne pronon­cent pas les trois vœux et qui sont mar­iés nor­male­ment. Ils versent des coti­sa­tions à la Société et doivent faire un min­i­mum de pra­tiques religieuses et de prières établies par la Com­pag­nie et se soumet­tre à une dis­ci­pline et à la direc­tion spir­ituelle de leurs prêtres. Ces socié­taires for­ment en pra­tique ce que les con­gré­ga­tions religieuses appel­lent le troisième ordre. La Société est dirigée par un Con­seil Général qui était à Madrid jusqu’à son trans­fert à Rome. Out­re le Prési­dent, Général et fon­da­teur, le père Escrivà, supérieur de l’abbaye de Montserrat.

Buts

Si, face à la réforme protes­tante, l’espagnol Loy­ola a sur­gi pré­cisé­ment avec la Com­pag­nie de Jésus, l’Opus Dei, créa­tion d’un autre espag­nol, appa­raît dans notre ère indus­trielle avec un nou­veau style de lutte et de prosé­lytisme religieux laïc des affaires, de l’industrie et de la vie pro­fes­sion­nelle et uni­ver­si­taire. Tan­dis que les jésuites cul­tivent et con­trô­lent depuis les cen­tres d’enseignement sec­ondaire les familles bour­geois­es, l’Opus se con­sacre de préférence aux uni­ver­si­taires, et plus spé­ciale­ment à ceux qui suiv­ent les car­rières tech­niques, comme les ingénieurs, les médecins, et les archi­tectes. Il faut recon­naître qu’une bonne par­tie de son suc­cès est due au mag­nifique matériel humain qu’ils trou­vèrent tout de suite après la guerre civile, et dont les jésuites ne surent pas prof­iter, absorbés qu’ils étaient par leurs vieilles formes de « captation ».

L’Opus et l’université

Cepen­dant, ce halo de mys­tère que les jeunes perçoivent dans l’Opus à cause du com­porte­ment de ses mem­bres, fait que les étu­di­ants repoussent les ten­ta­tives de cap­ta­tion et ne cachent pas leur hos­til­ité envers les cama­rades dont on sait qu’ils « sont de l’Opus ». Les mem­bres de l’Opus utilisent les chaires unique­ment comme moyen pour plac­er leurs hommes, sans véri­ta­ble objec­tif péd­a­gogique, peut-être parce que, intel­lectuelle­ment, ils sont plus que médiocres, sauf quelques excep­tions, dont nous avons fait men­tion [[En novem­bre 1961 a été inau­guré en Navarre une uni­ver­sité de l’O­pus en présence de min­istres. Il s’ag­it de for­mer « des minorités dirigeantes choisies pour… un ordre nou­veau.]]. Leur désir d’occuper des charges poli­tiques les oblige à aban­don­ner les chaires. L’actuel min­istre du Com­merce, Ullas­tres (aujourd’hui pro­fesseur à l’Université de Madrid), quand il obtint la chaire d’Économie à l’Université de Mur­cie, ne daigna même pas en pren­dre pos­ses­sion, ce qui lui val­ut d’être blâmé par le doyen de la faculté.

L’O­pus et l’économie]]]

Directe­ment, sans pos­séder de grandes pro­priétés agri­coles ou indus­trielles à son nom, comme il en est générale­ment dans les autres ordres religieux, sans avoir besoin de chercher des dons, des héritages, ou des legs religieux, trop osten­si­bles et tou­jours exposés au risque d’un nou­veau démem­bre­ment dans un pays aux change­ments aus­si rad­i­caux que l’Espagne, la Com­pag­nie dis­pose en abon­dance du prin­ci­pal ressort : l’argent. Il est curieux de con­stater que, tan­dis que l’infiltration uni­ver­si­taire achoppe sur des dif­fi­cultés et éveille des soupçons, il y ait eu beau­coup de pro­grès, ces derniers temps, dans la cap­ta­tion de puis­sants indus­triels, politi­ciens, et hommes d’affaires. Tout cela explique la ver­tig­ineuse expan­sion en spi­rale de l’Opus en Espagne, dont une indé­ni­able man­i­fes­ta­tion est l’actuelle prise en main des prin­ci­paux ressorts de l’économie (telles les grandes ban­ques espagnoles).

Un aspect impor­tant des activ­ités de l’Opus est con­sti­tué par les sociétés immo­bil­ières. Cer­taines sont dev­enues des affaires prospères et sont une source des prin­ci­paux revenus de l’Opus. L’industrie ciné­matographique a été égale­ment touchée, avec des films comme la série rose de Romy Schnei­der, dont la moral­ité est moins impor­tante que les béné­fices qu’on en tire.

Un cas intéres­sant est celui de la Banque d’Andorre. En théorie, il s’agit du « Crédit Andor­rà ». L’évêque de Urgel, co-prince d’Andorre, avec la France, a été gag­né par l’Opus. La sit­u­a­tion du pays per­met le traf­ic de devis­es, ain­si que des inva­sions de cap­i­taux hors d’Espagne. Le min­istre du Com­merce Ullas­tres cou­vre ces opéra­tions illé­gales, puisque mem­bre de l’Opus.

L’Opus et la culture

L’obsession de l’Opus a été de com­bat­tre « L’Institution Libre d’Enseignement » (foy­er laïc de la fin du 19e) et l’enseignement laïc instau­ré par la république en 1931.

En 1940, le min­istre de l’éducation, favor­able à l’Opus, autorise la créa­tion du « Con­seil de Recherch­es Sci­en­tifiques » qui sert de (… manque un mot) à l’Opus. Le min­istre suiv­ant, catholique libéral ten­ta de sous­traire ce cen­tre à l’Opus, mais il échoua, et fut rem­placé, à cause des menées de Car­los Ser­er, théoricien de l’Opus. Car­los Ser­er est par­ti­san d’un « Kul­turkampf » espag­nol, c’est-à-dire, une cul­ture dirigée, anti­com­mu­niste, etc. « Notre pays a besoin d’une con­science nationale con­stru­ite sur sa foi tra­di­tion­nelle catholique, et il doit obtenir son unité spir­ituelle intérieure dans cette tra­di­tion (… cette raisonnable atti­tude d’éloignement n’exclut pas le para­doxe selon lequel l’Espagne est, en revanche, prête à sec­on­der tout ce qui peut sup­pos­er la rechris­tian­i­sa­tion de l’Europe par la Paix ou par la guerre » (La Fuerza Creado­ra de la Lib­er­tad, page 76).

De plus, l’O­pus con­trôle de nom­breuses pub­li­ca­tions et édi­tions de livres : “Actu­al­i­dad Españo­la, Pun­ta Europa, Diaro de Leon, Correo Cata­lan, etc.”

L’in­qui­si­tion qu’établit l’O­pus étouffe les rares foy­ers de cul­ture qui restent en Espagne.

L’Opus et la politique

Toutes ces manœu­vres secrètes s’orientent-elles vers un objec­tif poli­tique déterminé ?

La Com­pag­nie affirme sans ambages que non, ceci pour la galerie. L’Opus n’a pas dévoilé ses buts, mais d’après l’idéologie com­mune à ses mem­bres, quelques con­clu­sions peu­vent être tirées. Mépris des mass­es, culte des minorités, con­ser­vatisme. C’est sur ce sché­ma réac­tion­naire et con­ser­va­teur, que se développe une idéolo­gie ori­en­tée vers le cor­po­ratisme, le réformisme, afin de main­tenir les priv­ilèges des castes supérieures. La “tra­di­tion” offre le cadre de ce réformisme : la monar­chie autori­taire, la famille chré­ti­enne tra­di­tion­nelle, le vil­lage, la cor­po­ra­tion médié­vale actu­al­isée, les nom­breuses déc­la­ra­tions d’anticommunisme et d’antiprotestantisme d’Occident et d’Orient, mon­trent que l’Opus pense le 20e siè­cle comme le 16e, et que les solu­tions pro­posées sont une “restruc­tura­tion” de l’inquisition sous toutes ses formes.

L’Opus et le gouvernement franquiste

L’ascension de l’Opus au moment où la Pha­lange décline est symptomatique.

La Révo­lu­tion Nationale Syn­di­cale rêvée par la Pha­lange est rem­placée par l’Espagne catholique et tra­di­tion­nelle. L’Opus se présente comme troisième force entre la Pha­lange et l’armée, net­te­ment monar­chiste vers 1956. Aujourd’hui, le change­ment min­istériel de juil­let, après les grèves de cette année, a ren­for­cé la posi­tion de l’Opus dans sa dom­i­na­tion de l’industrie, c’est-à-dire de ce qu’il y a de plus puis­sant et pro­fond en Espagne.

Conclusion

Il serait trop facile de croire que la France est épargnée par ce fléau. On sig­nale des cas isolés d’activités de l’Opus Dei à Paris, à Pau. Il faut com­pren­dre que l’Opus Dei est l’idéologie de la classe pos­sé­dante et qu’elle devien­dra peut-être aus­si celle du cap­i­tal­isme. Et cela est bien plus dan­gereux que Teil­hard de Chardin, dont la revue Planète mon­tre pour­tant com­ment on peut s’en servir pour jus­ti­fi­er un futur fascisme.

[/Diego Sabadell/]

Bibliographie :

- Esprit, sep­tem­bre 1956 (c’est-à-dire juil­let 1957).
— Nue­stro Tiem­po, juil­let 1958, Tri­buna Social­ista, n° 3.
— Canard Enchaîné (vers 1960, date perdue).
— Chronique Espagne n° 141, 166, 168, 171, 174, 181, 185, 187, 208, 237, 246, 247. 


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