La Presse Anarchiste

Portugal et Angola

Un de nos cama­rades a reçu du Brésil[[Pour les lec­teurs lisant le por­tu­gais s’a­dres­ser à Edi­to­ria Mun­do Livre, caixa pos­tal I (Agên­cia de Lapa) Rio de Janei­ro – Bré­sil.]], un livre écrit par un réfu­gié por­tu­gais, Edgar Rodrigues “Le Por­trait de la Dic­ta­ture Por­tu­gaise”. Dans une lettre per­son­nelle, l’auteur sou­li­gnait que “les publi­ca­tions qui disent la véri­té sur la sinistre dic­ta­ture de Sala­zar sont si rares qu’on ne sait, hors du Por­tu­gal, rien ou peu de chose de ce qui s’y passe”. Et dans une autre : “je vous remer­cie sin­cè­re­ment de la pro­messe de publier dans Noir et Rouge un com­men­taire sur mon livre, ce que je consi­dère comme un acte de soli­da­ri­té envers nos cama­rades qui vivent, luttent, souffrent et meurent au Portugal…”

Voi­ci un compte ren­du et des extraits de ce livre.

Le Por­tu­gal a une super­fi­cie de 90 000 km² et 8 500 000 habi­tants. Ses res­sources sont sur­tout agri­coles. Le sous-sol, très riche, est à peine exploité.

À notre connais­sance, il n’y a pas de livres qui traitent des mou­ve­ments sociaux et ouvriers de la fin du 19e et du début du 20e siècle. Les idées anar­chistes ont péné­tré au Por­tu­gal par l’intermédiaire de l’Espagne (cf. Net­tlau “Miguel Bakou­nine, la Inter­na­cio­nal Y La Alian­za en Espa­gna, 1868 – 1873).

En 1918, le Pré­sident de la Répu­blique est assas­si­né par un anar­chiste. Les gou­ver­ne­ments se suc­cèdent. En 1928, un ministre des finances pré­sente un pro­gramme, c’est Sala­zar, pro­fes­seur d’Économie Poli­tique à l’Université de Coim­bra. En 1932, Sala­zar est Pré­sident du Conseil ; en 1933 il pro­clame l’État Nou­veau. La consti­tu­tion se fonde sur la famille ; seul le chef de famille vote ; les chefs de famille élisent une assem­blée légis­la­tive. Une autre assem­blée est élue par les repré­sen­tants des cor­po­ra­tions de métier (le droit est inter­dit bien sûr). Le tout, on le voit, est copié de Mus­so­li­ni, seule dif­fé­rence, le catho­li­cisme n’est pas reli­gion d’État. Il y a une charge de Pré­sident de la Répu­blique, mais le Pré­sident du Conseil (c’est-à-dire Sala­zar) est res­pon­sable “devant lui-même et devant Dieu”).

Ni l’industrie, ni l’agriculture, n’ont été modi­fiées en quoi que ce soit. En poli­tique exté­rieure, Sala­zar est allié de Fran­co et des USA.

Rodrigues décrit la lutte de l’opposition contre Salazar.

La répres­sion est orga­ni­sée par la PIDE (Police Inter­na­tio­nale de Défense de l’État) avec les mêmes méthodes que la Ges­ta­po ou la Guépéou.

Ain­si le camp de concen­tra­tion de Tar­ra­fal dans l’archipel du Cap Vert, qui dura de 1937 à 1948, où les fièvres et les mau­vais trai­te­ments tuèrent de nom­breux répu­bli­cains et anarchistes.

En effet, si on connaît l’importance du mou­ve­ment liber­taire en Espagne, on ignore géné­ra­le­ment les anar­chistes por­tu­gais. Les mili­tants de la Fédé­ra­tion Anar­chiste de la Région Por­tu­gaise (FARP) font par­tie de la Fédé­ra­tion Anar­chiste Ibé­rique, ils militent sur­tout dans la CGT, syn­di­cat ouvrier. La prise de posi­tion de Sala­zar en 1932, ame­na une répres­sion contre les cen­trales ouvrières. Mal­gré les insur­rec­tions, les syn­di­ca­listes et les anar­chistes furent arrê­tés. Les com­mu­nistes, plu­tôt que de s’allier aux anar­chistes, menèrent une “poli­tique de zig­zag” qui divi­sa la classe ouvrière. Leur jour­nal disait, en jan­vier 1934 : “les com­mu­nistes ne pré­tendent pas atten­ter à la vie de Sala­zar, il ne peut s’agir que de l’œuvre des anar­chistes”. Tout ceci fai­sait le jeu de la PIDE, qui arrê­tait tout le monde.

Durant la guerre d’Espagne, Sala­zar ravi­taille les troupes de Fran­co et lui envoie des soldats.

Avec l’accord de Von Rib­ben­trop-Molo­tov d’août 1939, les com­mu­nistes enfer­més dans les camps donnent leur appui à Sala­zar qui les laissent cepen­dant enfer­més. La même chose eut lieu ailleurs, par exemple au camp du Ver­net, en Ariège : “… d’ici aus­si, beau­coup partent pour l’Italie (les Ita­liens, en géné­ral com­mu­nistes, rapa­triés par Mus­so­li­ni) et pour comble, beau­coup de bri­gades inter­na­tio­nales. Avant-hier, ils se sont enga­gés en Espagne pour la liber­té ; hier ils ont signé un enga­ge­ment dans l’armée fran­çaise et aujourd’hui, ils demandent la pro­tec­tion de Mus­so­li­ni. Voi­là la mora­li­té de beau­coup d’anti-fascistes. Les Suisses de jadis n’ont pas agi d’une autre façon” (lettre d’un cama­rade, 8/​07/​1940).

Quand l’Allemagne attaque la Rus­sie, les com­mu­nistes pro­po­sèrent une alliance aux anar­chistes qui fut, bien sûr, refu­sée. En 1958, Sala­zar per­mit des élec­tions pour la pré­si­dence. L’opposition pré­sen­ta deux can­di­dats, dont le géné­ral Hum­ber­to Del­ga­do. Del­ga­do a ser­vi long­temps Sala­zar et, pour des rai­sons encore obs­cures, il se révèle anti­sa­la­za­riste. De nom­breux inci­dents ont lieu ; Del­ga­do se réfu­gie à l’ambassade du Bré­sil à Lis­bonne “pour ne pas être sui­ci­dé par les sbires de la PIDE.”

En jan­vier 1961, le paque­bot por­tu­gais “San­ta Maria” est kid­nap­pé par des ani­sa­la­za­ristes et quelques répu­bli­cains espa­gnols, sous la direc­tion de Hen­rique Gal­vao. Cette opé­ra­tion avait été orga­ni­sée par Bayo, espa­gnol spé­cia­liste des actions de com­man­do, pro­fes­seur de gué­rilla de Fidel Cas­tro. Cette action vou­lait atti­rer l’attention sur la dic­ta­ture de Sala­zar ; en ce sens, elle réus­sit tota­le­ment. Gal­vao publia un mani­feste : 40 % d’analphabètes – l’État por­tu­gais n’est pas autre chose que l’instrument dépouillant les ouvriers du droit natu­rel d’association – “une popu­la­tion avi­lie par la peur, par l’aridité men­tale, par l’infime niveau de vie (le record d’Europe) qui ne parle plus depuis de nom­breuses années déjà et qui, pour don­ner un signe de vie, se réfu­gie dans les trois F : fado, foot­ball et Fati­ma”. Gal­vao se récla­mait du DRIL (Direc­toire Révo­lu­tion­naire Ibé­rique de Libé­ra­tion). Le DRIL s’inspirait de la Révo­lu­tion Cubaine et pen­sait déclen­cher une insur­rec­tion du jour au len­de­main en Espagne et au Por­tu­gal. Depuis le DRIL s’est décom­po­sé et il semble mort aujourd’hui.

“La phi­lo­so­phie de la vie du gou­ver­ne­ment clé­ri­cal-fas­ciste de Sala­zar se fonde sur man­ger et tra­vailler, payer les impôts, aller à la messe, et obéir aveu­glé­ment”. À l’intérieur du gou­ver­ne­ment, trois forces s’espionnent : le cler­gé, la caste mili­taire réac­tion­naire et les agents de la finance, cha­cun vou­lant prendre la force de ses com­parses, mais la PIDE, qui consti­tue une petite dic­ta­ture dans la dic­ta­ture, espionne tout. Le cler­gé col­la­bore au fonc­tion­ne­ment du gou­ver­ne­ment, obéis­sant, bénis­sant et approu­vant les men­songes et les crimes offi­ciels… au nom de Dieu et de l’argent… Le pou­voir éco­no­mique au pays est aux mains des trusts qui com­posent le gou­ver­ne­ment : ministres… sans exclure les membres du cler­gé, de l’armée et de quelques fils de l’oncle Sam ».

Angola et Mozambique

Il existe une véri­table traite des noirs, appe­lée loca­tion des tra­vailleurs, qui sont envoyés dans les mines de Rho­dé­sie et d’Afrique du Sud au prix de 1 200 cru­zei­ros par tête.

En 1957, il y avait en Ango­la « un hôpi­tal pour 200 000 habi­tants ; une infir­mière pour 60 000 habi­tants et un méde­cin pour 10 000 ».

« … Plus de 4 mil­lions de noirs vivent sous la domi­na­tion de 100 000 blancs… 97 % d’analphabètes ».

« Au Mozam­bique, la consom­ma­tion de lait annuel est d’un litre par per­sonne ; de viande : un kilo à peine ; mais de vin 5 litres, y com­pris les enfants.78 000 blancs dominent 5 mil­lions de nègres » (quant à la répres­sion : un jour­nal anglais de novembre mon­trait des pho­tos d’Angolais enter­rés vivants jusqu’au cou, ensuite un bull­do­zer passe et arrache les têtes…).

« La révolte du nègre de l’Angola n’est pas seule­ment un signe d’émancipation. C’est sur­tout le refus de la tyran­nie des colonialistes ».

Cepen­dant les objec­tifs des Ango­lais semblent extrê­me­ment vagues, ce qui est presque nor­mal, soit qu’ils n’aient pas choi­si de sys­tème poli­tique, soit qu’ils ne veuillent pas s’aliéner l’un ou l’autre bloc. Actuel­le­ment, plu­sieurs mou­ve­ments existent, qui se rejettent mutuel­le­ment l’accusation de ne pas vou­loir s’unir et de faire ain­si le jeu de l’adversaire. Il y a le MPLA (Mou­ve­ment Popu­laire de Libé­ra­tion de l’Angola), l’UPA, le FUL (Front Uni de Libé­ra­tion de la Gui­née et du Cap-Vert) ; le CONCP. Déjà plu­sieurs lea­ders ont été exclus, et on ne sait pas grand-chose de l’action de tous ces mou­ve­ments sur le plan militaire.

L’image du Por­tu­gal qui découle de ce livre est loin de cor­res­pondre à celle que nous en peignent les tou­ristes (belles plages, vie bon mar­ché). Quand les tou­ristes visitent les tau­dis et non plus les cathé­drales, ils com­mencent à com­prendre pour­quoi et com­ment naissent les insurrections.

[/​Israël Renov/​]

La Presse Anarchiste