La Presse Anarchiste

Actors Equity

L’article que nous présen­tons ici ne pré­tend pas « ouvrir le dossier » de la lutte antiraciste aux USA, pas plus que celui du syn­di­cal­isme améri­cain. Pour­tant, à tra­vers le réc­it d’une expéri­ence lim­itée à un milieu don­né, il nous offre un aperçu des prob­lèmes, des dif­fi­cultés, des pos­si­bil­ités, que peu­vent ren­con­tr­er ceux qui, aux USA, lut­tent pour plus d’égalité raciale et économique. L’attitude de la bureau­cratie syn­di­cale face à cette lutte, sa col­lab­o­ra­tion avec le patronat, son mépris de la « base » dif­fèrent peu de la sit­u­a­tion que nous con­nais­sons en France. Là, comme ici, la for­ma­tion de groupes décidés devient une néces­sité devant l’enlisement bureau­cra­tique des organ­i­sa­tions tra­di­tion­nelles. Nous remer­cions ici la jeune cama­rade noire améri­caine, qui, à notre demande, a bien voulu nous adress­er ces lignes.

New York a une pop­u­la­tion com­posée de plus de 12 % de gens de couleur. Ils y vivent, tra­vail­lent dans ses usines, dans ses ate­liers de con­fec­tion, etc. emploient quo­ti­di­en­nement ses trans­ports publics, y achè­tent tous leurs biens de con­som­ma­tion et souf­frent de son éter­nelle mal­adie : la dis­crim­i­na­tion dans l’emploi, dans le loge­ment, dans la vie. Mal­gré l’existence de lois l’interdisant, mal­gré le fait que la plu­part des gens de couleur sont syn­diqués, et pensent que la pre­mière fonc­tion d’un syn­di­cat est de pro­téger ses ouvri­ers con­tre de tels torts, la dis­crim­i­na­tion raciale demeure.

Manifestations

Pen­dant les mois de mars et avril, deux « pick­ets » de man­i­fes­ta­tion furent mis en place devant deux théâtres new-yorkais qui venaient de mon­ter, l’un, une opérette, « Sub­ways are for sleep­ing » (Les métros sont pour dormir), l’autre, une comédie : « How to suc­ceed in busi­ness with­out real­ly try­ing » (Com­ment réus­sir dans les affaires sans faire d’effort).

Ces man­i­fes­ta­tions com­posées de plusieurs groupes anti-dis­crim­i­na­tion, étaient organ­isées par un groupe de jeunes acteurs, mem­bres du syn­di­cat théâ­tral « Actors Equi­ty » pour pro­test­er con­tre le refus des patrons de théâtres d’employer des acteurs de couleur, pour jouer les rôles que les Noirs, les Por­to-Ricains, et les jaunes occu­pent dans la vie quo­ti­di­enne de New York. L’action de la pièce « Sub­ways… » se déroule dans le métro de New York, celle de « Com­ment réus­sir… » dans une grande Com­pag­nies d’Assurances : deux lieux dans lesquels le pour­cent­age des gens de couleur est élevé. Or, dans ces deux pièces, la dis­tri­b­u­tion des rôles est exclu­sive­ment blanche…

Formation spontanée d’une commission

La déci­sion d’organiser de telles man­i­fes­ta­tions fut prise au cours d’une réu­nion tenue en décem­bre 1961 par des syn­di­cal­istes du théâtre qui voulaient dis­cuter de ce qu’ils con­sid­èrent comme un prob­lème exigeant une action immé­di­ate. Influ­encés par l’action récente des groupes anti-dis­crim­i­na­tion qui avaient par­ticipé au renou­veau du mécon­tente­ment aux États-Unis, ces jeunes acteurs syn­di­cal­istes étaient impa­tients d’en finir avec l’attentisme.

Ils con­sti­tuèrent une com­mis­sion per­ma­nente (CENP, Com­mis­sion pour l’égalité des acteurs noirs) ayant pour but de faire cess­er la dis­crim­i­na­tion raciale dans les théâtres, en col­lab­o­rant avec les autres groupes anti-dis­crim­i­na­tion, et en exerçant une pres­sion con­stante sur les Syn­di­cats du Spec­ta­cle : Actors’ Equi­ty (théâtre), Screen Actors’ Guild (ciné­ma) et AFTRA (radio-télévi­sion). À l’intérieur des syn­di­cats, la com­mis­sion comp­tait agir pour qu’ils appliquent rigoureuse­ment les dis­po­si­tions anti-dis­crim­i­na­toires déjà inscrites dans les con­ven­tions col­lec­tives pour y faire inscrire des claus­es sup­plé­men­taires et pour qu’ils pren­nent en con­sid­éra­tion les griefs des acteurs noirs, vic­times de discrimination.

La Com­mis­sion s’allia ensuite avec la NACL [[Cette con­fédéra­tion, créée par A. Phillip Ran­dolph (le seul admin­is­tra­teur noir de l’AFL-CIO) est un groupe d’ou­vri­ers noirs, en 1960, compte actuelle­ment 10.000 ouvri­ers noirs. Son but est l’é­gal­ité des ouvri­ers noirs avec les blancs au sein de l’AFL-CIO.]] (Con­fédéra­tion des ouvri­ers noirs), le CORE [[Organ­i­sa­tion spé­cial­isée dans l’ac­tion directe vio­lente, ou non, tournées d’in­té­gra­tion com­posées de mil­i­tants noirs et blancs par­courent les États les plus racistes du Sud, man­i­fes­ta­tions, pick­ets, sol­i­dar­ité.]] (Con­grès de l’égalité eth­nique), et la NAACP [[Organ­i­sa­tion essen­tielle­ment réformiste (et bureau­cratisée) dont les moyens de lutte se lim­i­tent à des déc­la­ra­tions publiques, des vœux, et surtout à l’ac­tion judi­ci­aire et l’aide économique aux mil­i­tants antiracistes.]] (Asso­ci­a­tion pour l’avancement des gens de couleur), organ­i­sa­tions qui ont assuré la Com­mis­sion de leur col­lab­o­ra­tion par la par­tic­i­pa­tion à ses pick­ets de man­i­fes­ta­tion et par l’action judiciaire.

Puis la CENP s’adressa offi­cielle­ment aux syndicats.

Elle con­statait que, mal­gré leur inac­tion en ce domaine, les syn­di­cats pos­sè­dent les moyens les plus effi­caces pour lut­ter con­tre la dis­crim­i­na­tion dans l’emploi au théâtre. Si l’on excepte des directeurs et choré­graphes, le théâtre new-yorkais est syn­diqué à 100 % pour tous les corps de méti­er (tech­ni­ciens, acteurs, met­teurs en scène, dessi­na­teur, etc.). Chaque pièce est oblig­a­toire­ment soumise à une con­ven­tion col­lec­tive passée entre le syn­di­cat et la « Ligue des Théâtres new-yorkais » (syn­di­cat patronal). Cette con­ven­tion est renou­velée chaque année et les syn­di­cats visent à l’améliorer par des deman­des d’augmentations des salaires, mod­i­fi­ca­tions des con­di­tions de tra­vail, etc., par la grève, si besoin est.

Les mem­bres syn­diqués de la CENP se sont donc mobil­isés dans les syn­di­cats pour : réu­nir toutes les infor­ma­tions sur les faits de dis­crim­i­na­tion indi­vidu­elle ou col­lec­tive et pour met­tre les syn­di­cats en demeure d’agir pour la sup­pres­sion de tels faits ; tra­vailler dans les cham­bres syn­di­cales et chercher les moyens de faire con­naître au pub­lic les préjugés racistes dont font preuve les patrons dans la dis­tri­b­u­tion des rôles.

Aux prises avec la bureaucratie syndicale

Selon la Con­sti­tu­tion syn­di­cale et ses statuts, la « Cham­bre syn­di­cale pour les minorités eth­niques » (EMC) est chargée des ques­tions con­cer­nant les syn­diqués de couleur et c’est elle qui reçoit les propo­si­tions d’amélioration des statuts. La CENP a attaqué cette Cham­bre pour voir dans quelle mesure cette dernière avait de la sym­pa­thie pour les minorités eth­niques. En effet, depuis la for­ma­tion du syn­di­cat, les Noirs jugent cette Cham­bre inef­fi­cace et dis­ent de ses mem­bres qu’ils sont « lâch­es, faibles, et font preuve d’un dés­in­téresse­ment total envers les affaires mêmes dont ils sont statu­taire­ment chargés ». De plus, cette Cham­bre était com­posée presque exclu­sive­ment de Blancs…

L’article 23 A de la con­ven­tion col­lec­tive inter­di­s­ait claire­ment toute « dis­crim­i­na­tion dans l’emploi pour rai­son de couleur, de mœurs ou de reli­gion », mais restait let­tre morte depuis des années, les patrons n’en ten­ant aucun compte. La Cham­bre EMC avait pour tâche de pro­pos­er des addi­tifs aux statuts, afin de ren­dre effec­tive l’application de cet article.

Les mem­bres de la CENP sont donc entrés dans la Cham­bre EMC pour l’activer. Au bout de quelques semaines, ils firent une propo­si­tion des­tinée à être soumise par l’EMC à l’Assemblée générale annuelle : il s’agissait d’une clause de con­trôle à ajouter à la con­ven­tion col­lec­tive qui ferait oblig­a­tion aux patrons de présen­ter chaque scé­nario au syn­di­cat avant de procéder à la dis­tri­b­u­tion des rôles. Le syn­di­cat ferait un rap­port et sug­gér­erait aux patrons d’embaucher un Noir, un Por­to-Ricain, ou un Chi­nois pour tel ou tel rôle exis­tant dans le scé­nario. Ces sug­ges­tions seraient toute­fois lim­itées et ne con­stitueraient pas une entrave à la lib­erté des pro­duc­teurs, non plus qu’une ten­ta­tive d’imposer coûte que coûte des acteurs de couleur.

Cette propo­si­tion fut l’objet d’une résis­tance immé­di­ate de la part des bureau­crates syn­di­caux de la Cham­bre EMC : le Prési­dent, après avoir fait con­naître son oppo­si­tion à cette propo­si­tion (pour­tant assez timide), déclara que les nou­veaux mem­bres de la Cham­bre (c’est-à-dire les mil­i­tants de la Com­mis­sion CENP) n’avaient pas le droit de vot­er sur une telle ques­tion (alors que sur des ques­tions moins impor­tantes, ils avaient déjà été appelés à vot­er…). Ce refus des bonzes de la Cham­bre empêchait donc la propo­si­tion d’aller plus loin, c’est-à-dire devant le Con­seil Syn­di­cal puis l’Assemblée générale du syn­di­cat. Le Prési­dent (qui occu­pait deux sièges à la fois : prési­dent de la Cham­bre et mem­bre du Con­seil) annonça alors la défaite de la propo­si­tion. Les mem­bres de la CENP et même les mem­bres de la Cham­bre qui avaient voté con­tre la propo­si­tion, ont élevé une protes­ta­tion con­tre la façon d’agir du Président.

Un syndicat bien tranquille

Le manuel offi­ciel du syn­di­cat Actors’ Equi­ty proclame :

« Nous (le syn­di­cat) sommes con­tre toute forme de dis­crim­i­na­tion, dénonçons tous rejets de can­di­da­ture pour des raisons poli­tiques et déclarons fer­me­ment que l’emploi devrait et pour­rait n’être fait qu’en fonc­tion du talent ».

En out­re, nous avons vu que l’article 23 A de la con­ven­tion col­lec­tive inter­dit aux pro­duc­teurs toute dis­crim­i­na­tion dans la dis­tri­b­u­tion des rôles pour des motifs de couleur, de mœurs, de reli­gion, de sym­pa­thie poli­tique, etc.

Depuis dix ans qu’existe cet arti­cle de la con­ven­tion col­lec­tive, les pro­duc­teurs l’ont ignoré (l’année passée par exem­ple, sur les 2 061 rôles qui ont été pourvus à New York, 126 seule­ment furent attribués à des Noirs). Depuis dix ans égale­ment, le syn­di­cat n’a jamais rien fait pour le respect de cet arti­cle. La rai­son don­née pour jus­ti­fi­er cette ligne de con­duite « Bas les pattes » : « Les droits des pro­duc­teurs devront être respec­tés par le syn­di­cat ». Le syn­di­cat présente ces droits comme étant avan­tageux aux artistes et pré­tend que le choix d’un artiste pour un rôle ne saurait dépen­dre de sa couleur, mais bien de l’ensemble de ses traits car­ac­téris­tiques, que ce choix con­stitue l’art du pro­duc­teur et que le syn­di­cat s’interdit d’empiéter sur de tels droits.

Lorsqu’un acteur noir se plaint à son syn­di­cat d’avoir été vic­time de dis­crim­i­na­tion de la part d’un patron, le syn­di­cat refuse d’intervenir et lui répond que « les preuves ne sont pas suff­isantes ». On peut ajouter que le syn­di­cat n’a jamais don­né aucune instruc­tion à ses mem­bres en vue de col­lecter des infor­ma­tions sur des faits pré­cis con­sti­tu­ant un délit de dis­crim­i­na­tion de la part des patrons.

En revanche, en ce qui con­cerne les « Droits des Artistes », le syn­di­cat en a une notion extrême­ment abstraite. Il n’a jamais ten­té de définir ce qu’est « l’art », ni ce qu’est un « artiste ». Par exem­ple, les droits des auteurs dra­ma­tiques et des directeurs, n’ont pas été déter­minés égale­ment par le syn­di­cat qui finale­ment, n’a jamais recon­nu aux acteurs le droit de pra­ti­quer leur art en toute lib­erté sans inter­ven­tion patronale.

La Com­mis­sion CENP, forte de ces con­stata­tions, accuse le syn­di­cat de se réfugi­er der­rière des notions vagues « d’art » et « artistes » pour éviter d’affronter hon­teuse­ment le prob­lème actuel et ses solu­tions : redress­er les torts faits aux acteurs de couleur par la dis­crim­i­na­tion et faire en sorte que les patrons emploient ces artistes.

Les mil­i­tants de la CENP affir­ment « la vraie ques­tion, c’est la pro­tec­tion des ouvri­ers noirs par leur syn­di­cat. Les droits des acteurs sont la seule affaire du syn­di­cat, et c’est ce pour quoi les acteurs cotisent ». Le manuel même du syn­di­cat proclame : « Surtout et avant tout les buts d’Actors’ Equi­ty sont de deman­der et de garan­tir les droits des acteurs dans leurs affaires (busi­ness rela­tions) avec leurs employeurs ».

L’esprit réac­tion­naire de la « Cham­bre syn­di­cale pour les minorités eth­niques » à pro­pos de l’emploi des con­frères de couleur, appa­raît comme une preuve sou­vent mise en évi­dence dans l’histoire du mou­ve­ment syn­di­cal : que les con­di­tions de tra­vail au théâtre sont le résul­tat de la franche col­lab­o­ra­tion qui existe entre la bureau­cratie syn­di­cale et les patrons.

La Com­mis­sion CENP accuse les élites dirigeantes du syn­di­cat de col­la­bor­er pour con­serv­er leurs places et de ren­dre le syn­di­cat impuis­sant en répon­dant aux reven­di­ca­tions de ses mem­bres par le « que va penser le patron, si nous faisons telle ou telle demande ? »

Les grèves (il n’y en a presque jamais) sont tou­jours assurées par un accord formel entre le syn­di­cat et les patrons et par­fois même, un agent du Gou­verne­ment des États-Unis !

Les pick­ets de toutes sortes ont tou­jours été tra­ver­sés par des acteurs sans provo­quer la moin­dre réac­tion du syn­di­cat, alors que le fait de « tra­vers­er un pick­et » [[La loi améri­caine oblige les pick­ets de grève ou de man­i­fes­ta­tions à tourn­er en rond devant l’en­tre­prise en lutte, et inter­dit le sta­tion­nement des mem­bres du pick­et – « tra­vers­er un pick­et » est l’ex­pres­sion qui équiv­aut à « faire le jaune », c’est-à-dire ignor­er la lutte et se ren­dre au tra­vail comme en péri­ode nor­male.]] est inter­dit par la con­ven­tion col­lec­tive, par l’ALF-CIO et par les statuts de chaque syn­di­cat (arti­cle 23 de la CC : « un acteur ne devrait pas tra­vers­er une grève, une ligne de pick­et, que la lutte engagée soit d’ordre syn­di­cal, de défense des droits civils ou autre ».)

Par­fois, le syn­di­cat ignore volon­taire­ment les con­tra­ven­tions à la con­ven­tion col­lec­tive : récem­ment pen­dant la dis­tri­b­u­tion des rôles de « Fox­ey » quand, dans son offre d’emploi pour les rôles, le pro­duc­teur a dit « pas de goss­es, pas de Noirs » (ver­sion améri­caine du « pas de chiens, pas d’Arabes » de l’Algérie de papa) le syn­di­cat n’a pas jugé qu’il devait réagir…

Des bonzes tout-puissants

Plusieurs par­tic­u­lar­ités qui car­ac­téri­saient les syn­di­cats améri­cains avant la for­ma­tion de la CIO de 1930 demeurent (avant la nais­sance de la CIO, les syn­di­cats étaient organ­isés par « métiers ». De ce fait, les ouvri­ers qui n’étaient pas pro­fes­sion­nels en étaient exclus. La CIO organ­isa des syn­di­cats d’industries, basés sur l’entreprise, pour résoudre ce prob­lème). Le syn­di­cat est dirigé par une bureau­cratie payée et ren­for­cée par un sys­tème de 65 admin­is­tra­teurs (« officiers », les plus élevés dans la hiérar­chie syn­di­cale) dont 13 sont élus chaque année, assur­ant ain­si une « élite » com­posée d’anciens admin­is­tra­teurs con­ser­va­teurs. Ce « Con­seil » garde un pou­voir qui n’a pas d’exemple dans les syn­di­cats indus­triels. Cette absence de démoc­ra­tie syn­di­cale, ce mépris de la base, fig­ure noir sur blanc dans la Con­sti­tu­tion syn­di­cale, par exemple : 

« … Le Con­seil aura le droit de repouss­er ou amender les règle­ments locaux (by-laws) ou de créer des règle­ments locaux nou­veaux » (Sec­tion I)

« … Le Con­seil aura le droit de des­tituer chaque com­mis­sion ou ses mem­bres (Sec­tion 2)… de pour­voir tout poste, y com­pris d’administrateurs (officiers) ou de mem­bre du Con­seil lui-même » (Sec­tion 6).

« … Le Con­seil aura le droit de refuser chaque propo­si­tion faite par les mem­bres (rank and file) et les com­mis­sions » (Con­sti­tu­tion Sec­tion 7).

Enfin, les con­ven­tions col­lec­tives établies par le syn­di­cat patronal et le Con­seil d’Actors’ Equi­ty ne sont soumis­es à aucune rat­i­fi­ca­tion des mem­bres du syn­di­cat. Une telle pra­tique n’existe presque plus dans les autres syndicats.

À pro­pos des mem­bres de ce tout puis­sant Con­seil, des acteurs nous ont dit que ceux-ci « bien qu’ils soient acteurs eux-mêmes sont surtout “vedettes” et n’ont presque pas de con­tact avec la majorité des acteurs et ignorent ses con­di­tions de tra­vail et de vie ». Ils main­ti­en­nent en fait une rela­tion plus étroite avec les pro­duc­teurs-patrons, qu’avec leurs membres.

La puis­sance des bureau­crates syn­di­caux, leur com­plic­ité avec le patronat raciste expliquent l’ambiance qui règne dans le théâtre new-yorkais qui, dirigé par les investis­seurs et hommes d’affaires, con­trôlé par les pro­duc­teurs, manque d’originalité, de réal­isme, de lib­erté et surtout de l’irremplaçable alliance avec son public.

Aperçu des conditions de vie des acteurs

Les acteurs ont l’échelle de salaires la plus basse de tous les syn­diqués, le plus grand pour­cent­age de chô­mage, presque pas de sécu­rité d’emploi, pas de sécu­rité sociale et le « star sys­tem » qui assure un con­trôle patronal sur les indi­vidus (seules les vedettes ont des garanties suff­isantes) – con­di­tions à pro­pos desquelles le syn­di­cat ne pose presque pas de questions.

Du point de vue indi­vidu­el, chaque acteur doit deman­der un con­trat à son employeur con­for­mé­ment à la con­ven­tion col­lec­tive. Mais il existe au moins 11 con­trats dif­férents ! La dif­férence de con­di­tions est très impor­tante surtout entre les vedettes (qui reçoivent plus de garanties, un meilleur salaire, etc.) et ceux qui sont con­sid­érés comme « chœur » et qui n’ont que les petits rôles. De plus, les grandes vedettes béné­fi­cient de l’avantageux con­trat nom­mé « run of the play » (con­trat garan­tis­sant d’être payé même en cas d’arrêt imprévu des représen­ta­tions). L’existence de tant de caté­gories créé une dis­par­ité d’intérêts et com­plique encore la sit­u­a­tion. Et le syn­di­cat ne demande qu’une répar­ti­tion de béné­fices infime pour les petits acteurs.

On a vu que, compte tenu du chô­mage, les petits acteurs sont par­mi les tra­vailleurs les moins payés. Leur syn­di­cat ne sem­ble pas s’en émou­voir puisqu’il impose l’achat de la carte syn­di­cale pour les débu­tants (150 dol­lars, soit 75 000 francs) puis la coti­sa­tion men­su­elle est de 26 dol­lars (13 000 francs) alors que par exem­ple, le syn­di­cat des jour­nal­istes (ces derniers étant moins dému­nis que les petits acteurs) se con­tente d’une coti­sa­tion men­su­elle de 4 % du salaire et ne fait pas pay­er la carte syndicale.

Premier succès

La Com­mis­sion CNEP a obtenu un suc­cès impor­tant con­tre les mœurs racistes du Sud où la ségré­ga­tion du pub­lic existe dans les spec­ta­cles. La Com­mis­sion a réus­si à présen­ter à l’Assemblée générale annuelle du syn­di­cat une clause de statut qui inter­dit à tous les acteurs de jouer devant un pub­lic « ségrégué » et cette propo­si­tion a recueil­li 98 % des voix des syn­diqués. Cette vic­toire est par­ti­c­ulière­ment impor­tante du fait que cette clause s’applique depuis juin 1962 aux « Stock tour­ing Com­pag­nies » (Troupes de théâtre itinérantes) qui ont eu un extra­or­di­naire développe­ment au cours des dix dernières années.

En défini­tive, le suc­cès du mou­ve­ment con­tre la dis­crim­i­na­tion dépend essen­tielle­ment du tra­vail que la Com­mis­sion CNEP effectue au sein de l’Actors’ Equi­ty et des autres syn­di­cats, de la sol­i­dar­ité, de la cohé­sion des acteurs noirs et de leur capac­ité de con­va­in­cre l’ensemble des acteurs blancs que ce com­bat est égale­ment le leur.

La CNEP a un but pré­cis : faire pres­sion sur les syn­di­cats pour assur­er la pro­tec­tion de leurs mem­bres de couleur. C’est d’eux-mêmes qu’est venu le prin­ci­pal pas en avant pour rompre avec l’apathie et la peur qui ont car­ac­térisé les Noirs des dernières décades quand ils ne comp­taient que sur les organ­i­sa­tions de défense des droits civils, les promess­es gou­verne­men­tales et les longs procès.

Lorsqu’il s’attaque aux con­di­tions de tra­vail, aux con­di­tions économiques, le com­bat con­tre la dis­crim­i­na­tion ne peut demeur­er plus longtemps con­finé dans un enchevêtrement pseu­do-psy­chologique, il devient une sim­ple ques­tion de pro­tec­tion des droits des tra­vailleurs et au lieu de n’être qu’un con­tre-racisme, il prend place tout naturelle­ment, dans la lutte générale des exploités con­tre les exploiteurs.

[/B.W./]


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