La Presse Anarchiste

Dans notre courrier

Nous avons assez sou­vent déplo­ré l’insuffisance du cour­rier reçu pour ne pas nous réjouir du contraire. C’est le cas cette fois-ci, et nous sommes heu­reux de consta­ter qu’enfin, un échange réel existe entre un cer­tain nombre de lec­teurs et nous. À côté des clas­siques lettres d’encouragements, sou­vent accom­pa­gnées d’une aide « concrète », nous rece­vons aus­si des lettres cri­tiques et nous devons dire que nous pré­fé­rons publier celles-là, on com­pren­dra faci­le­ment pour­quoi. Ain­si, nous avons le plai­sir de repro­duire ci-contre dans sa qua­si-tota­li­té, la lettre du cama­rade G.P. de Châ­te­nay-Mala­bry, à laquelle il nous per­met­tra, excep­tion­nel­le­ment de répondre sur quelques points nous sem­blant par­ti­cu­liè­re­ment intéressants.

« Votre der­nier numé­ro de NR est inté­res­sant. Je ne peux dis­cu­ter sur la « Franc-Maçon­ne­rie » ou contre­dire sur les « Kib­bout­zim », ce sont des ques­tions que j’ignore, et j’ai appris pas mal de choses. Je pense tout de même qu’il n’y a pas à idéa­li­ser ce qui s’est pas­sé en Israël. Les docu­ments que vous don­nez peuvent être lus dans n’importe quelle presse, je pense que NR est fait pour don­ner son point de vue cri­tique sur ce sujet, sans cela c’est inutile, donc je ne trouve pas ces cri­tiques. Il n’est pas ques­tion du rap­port « kib­bou­ti­zim et État », du rôle du natio­na­lisme qui est un véri­table chau­vi­nisme, du mili­ta­risme qui est très actif, etc., sans par­ler des rap­ports avec les Arabes et des rai­sons qui font qu’il n’existe pas de telles entre­prises englo­bant les Arabes… Quant à la « Franc-Maçon­ne­rie », pour moi, c’est une reli­gion comme une autre, c’est éga­le­ment une équipe qui veut prendre la place des autres et elle est à com­battre comme n’importe quelle « ins­ti­tu­tion » qui veut « diri­ger », sur­tout pour son propre compte. Je ne connais rien de par­ti­cu­lier sur son compte, c’est une puis­sance à éli­mi­ner, à détruire comme les autres puis­sances, et au même titre. Sa puis­sance a sans doute beau­coup dimi­nué depuis l’heureux temps de la 3e Répu­blique, mais toutes ces mani­fes­ta­tions ne tendent que vers un but : « reprendre du poil de la bête ». Il est nor­mal que ces grands bour­geois aient mis sur pied la laï­ci­té, ils avaient l’aide, pour ce genre de choses, des pro­tes­tants, pour s’assurer l’Économie, ils devaient mener la lutte contre l’Église et prendre en mains l’État. À l’époque, l’école laïque était néces­saire à leur déve­lop­pe­ment, ce n’est pas pré­ci­sé­ment d’une école laïque dont il s’agissait mais plu­tôt d’une École de la nation. Nous nous ache­mi­nons d’ailleurs de plus en plus vers cette École de la nation unique et bien­tôt nous ver­rons la fusion des Écoles dites laïques et des Écoles dites « libres ». Toutes les mesures qui sont prises depuis Pétain ten­dant vers ce but et d’ailleurs, ce ne sont pas nos « hommes de gauche » qui s’y oppo­se­ront, pour eux, la Nation est une notion tabou et le titre même de la revue des com­mu­nistes est signi­fi­ca­tif : « l’École et la Nation ».

Sur le Portugal/​Angola et la Belgique/​Congo, il y aurait des choses à dire, sur­tout sur le der­nier article, mais cela entraî­ne­rait trop de consi­dé­ra­tions et je n’ai pas le cou­rage de l’entreprendre.

Je par­le­rai sur­tout de l’éditorial. Celui-ci dit : « soli­da­ri­té avec le peuple algé­rien contre le colo­nia­lisme fran­çais ». Qu’est-ce que cela veut dire, en pra­tique ? En quoi pou­vait se mani­fes­ter la soli­da­ri­té avec le peuple algé­rien ? Nous étions dans le pays colo­nia­liste donc nous devions nous oppo­ser avant tout aux méfaits que la métro­pole pou­vait com­mettre sur ce plan, c’était la seule forme de soli­da­ri­té réelle, valable, avec le peuple algé­rien. Or nous sommes abso­lu­ment inca­pables de nous faire entendre, aus­si bien dans l’ensemble du pays que sur nos lieux de tra­vail, nous n’avons pra­ti­que­ment aucune audience, et, par­ler de soli­da­ri­té avec le peuple algé­rien dans ces condi­tions, ne pou­vaient être que du vent. Tout au plus un conten­te­ment à peine moral pour soi-même et admettre toutes les illu­sions. Nous n’avons été, durant tout le temps de la guerre d’Algérie (et des autres), qu’incapables de lan­cer réel­le­ment et de mettre en pra­tique, à plus forte rai­son, le seul slo­gan pou­vant être valable au cours d’un tel genre de conflit : « Rapa­trie­ment immé­diat du corps expé­di­tion­naire ». Aucun grou­pe­ment de « gauche », à ma connais­sance, n’a for­mu­lé ce slo­gan (et pour cause) et les groupes dits révo­lu­tion­naires ont été inca­pables de le prendre à leur compte et de le dif­fu­ser ; or, dans ce cas, pour moi, ce « soli­da­ri­té avec le peuple algé­rien » ne veut abso­lu­ment rien dire. La lutte doit être menée dans le pays où nous nous trou­vons, contre le régime que nous subis­sons et nous devons consta­ter que nous avons été inca­pables, dans ce sens, d’être soli­daires avec le peuple algé­rien sur un plan socia­liste et anti-colonialiste.

Autre chose encore dans cet édi­to­rial : « Toute libé­ra­tion future du peuple algé­rien ne pou­vait que pas­ser d’abord par la des­truc­tion du colo­nia­lisme, l’étape sui­vant étant sa lutte contre le pou­voir éta­tique, la bureau­cra­tie et les nou­veaux nan­tis. Là est la véri­table révo­lu­tion bien plus dif­fi­cile à faire, au fond, que celles des armes.

Il y a une cer­taine reli­gion dans cette for­mule. C’est admettre dans ce pas­sage les étapes néces­saires et tout ce que cela com­porte, admettre qu’il y a un pas vers on ne sait quel pro­grès, que cer­tains régimes se trou­ve­raient dans le sens de l’histoire, qu’il y a un cours de l’histoire iné­luc­table, etc. Qu’est-ce que ça veut dire tout ça ? L’Algérie d’aujourd’hui est autant sous l’emprise colo­niale que celle d’autrefois. La France n’est plus la puis­sance colo­niale en pied, mais l’Algérie a besoin de capi­taux pour vivre et elle subit tou­jours un régime colo­nial. Le colo­nia­lisme n’est pas détruit, il a sim­ple­ment chan­gé de forme, c’est tout, et c’est cela qui nous inté­resse. La for­mule employée par NR est exac­te­ment celle des anti-colo­nia­listes de la fin du 19e siècle et du début du 20e. De toute façon, ces for­mules ne peuvent plus avoir cours pour nous aujourd’hui, elles sont dépas­sées et insuf­fi­santes, nous n’admettons pas ces étapes qui ne peuvent inté­res­ser que les gens avides d’exercer leur pou­voir. Pour les tra­vailleurs algé­riens, les pro­blèmes res­tent les mêmes avant et après le départ de la France, puis­sance colo­nia­liste. La révo­lu­tion, la véri­table, la plus dif­fi­cile, comme il est dit dans l’éditorial, reste à faire, la seule valable, celle qui repousse tout colo­nia­lisme et toute exploi­ta­tion. Jusqu’à main­te­nant, aucun pas n’a été fait dans ce sens, être révo­lu­tion­naire jus­te­ment, c’est vou­loir faire autre chose que ce qui s’est fait jusqu’à main­te­nant. L’impérialisme, aujourd’hui, a besoin, pour pla­cer sa came­lote, pour faire tour­ner son indus­trie, d’États “indé­pen­dants”. L’Algérie (c’est valable pour n’importe quelle autre ancienne colo­nie) a beau­coup plus de besoins en tant qu’État indé­pen­dant qu’en tant que pays colo­ni­sé. Il s’est trou­vé que les reven­di­ca­tions des bour­geois natio­naux et des bureau­crates en mal de pou­voir aient coïn­ci­dé avec les besoins des divers impé­ria­lismes mon­diaux, c’est de cette façon que “la libé­ra­tion natio­nale” a réus­si. Je pense que c’est sur ce plan que nous devons trai­ter le pro­blème, nous ne pou­vons le voir qu’à l’échelle mon­diale. J’ai eu avec Lou­zon (de la “Révo­lu­tion pro­lé­ta­rienne”) un échange de lettres assez violent vers 195556, sur ce sujet, il don­nait exac­te­ment les mêmes réponses que vous (il ajou­tait sim­ple­ment que j’étais natio­na­liste ou un colo­nia­liste qui s’ignore !).

Il fau­drait éga­le­ment voir la ques­tion de Cuba de plus près. Cas­tro a vou­lu jouer sur le conflit entre deux impé­ria­lismes rivaux (russe et amé­ri­cain). Ce qui peut réus­sir à cer­tains, ne pou­vait en aucun cas réus­sir pour Cas­tro. Il est trop près phy­si­que­ment des États-Unis et éco­no­mi­que­ment il dépend trop des mêmes États-Unis. Dans un bref délai, nous assis­te­rons cer­tai­ne­ment à un ren­ver­se­ment, bon gré mal gré : Cuba revien­dra, d’une façon ou d’une autre dans l’orbite amé­ri­caine et au besoin avec l’aide des Russes, trop heu­reux de se débar­ras­ser d’un pays aus­si dan­ge­reux (menaces de conflit, inter­ven­tions directes des États-Unis au besoin de conni­vence avec les Russes, etc., que sais-je et sans doute pour bien­tôt). Il est, à mon avis, impos­sible de pen­ser à une révo­lu­tion sérieuse dans un seul pays et encore moins dans un pays comme Cuba. L’éditorial dit : “ne rien perdre de ce qui a été acquis”. Qu’est-ce que cela veut dire ? À mon avis, s’il y a eu quelque chose, ce ne peut-être qu’une sorte de “com­mu­nisme de guerre” que tout pays pri­vé de rela­tions inter­na­tio­nales et de capi­taux emploie, doit employer, durant un cer­tain temps et qui n’a rien à vou­loir avec votre concep­tion du socialisme ».

NDLR. Nous ne pou­vons évi­dem­ment reprendre tous les points sou­le­vés par le cama­rade (un autre NR serait néces­saire !) mais nous vou­drions essayer briè­ve­ment de dis­si­per cer­tains mal­en­ten­dus, de pré­ci­ser cer­taines posi­tions. Sur les kib­bout­zim, il n’était pas ques­tion d’un article sur l’État d’Israël (la mal­en­con­treuse étoile sio­niste des­si­née en début d’article a pu prê­ter à telle confu­sion, mea culpa !) et nous n’avons nul­le­ment vou­lu « idéa­li­ser » quoi que ce soit. Sur la FM voir l’article de notre cama­rade Théo. L’article « Belgique/​Congo » était, rap­pe­lons-le, une lettre de lec­teur et ne repré­sen­tait pas pour autant la posi­tion de notre groupe. Peut-être avons-nous eu le tort de ne pas pré­ci­ser nos réserves, ladite lettre ayant, mal­gré son inté­rêt, cer­taines réso­nances désa­gréa­ble­ment pater­na­listes. D’où l’obligation d’une atten­tion tou­jours en éveil…

Mais la ques­tion la plus impor­tante sou­le­vée par le cama­rade, est évi­dem­ment celle de l’Algérie, trai­tée dans notre der­nier édi­to­rial. Et là, nous ne sommes plus tout à fait d’accord avec lui ! Ain­si, il se hérisse devant la phrase « soli­da­ri­té avec le peuple algé­rien contre le colo­nia­lisme fran­çais », et va cher­cher une quel­conque auto-satis­fac­tion de notre part là-dedans. Fran­che­ment, le copain nous prend pour des rigo­los s’il croit que le but de nos cahiers est de dorer la pilule aux autres et à nous-mêmes. Nous pen­sons n’avoir jamais sacri­fié aux faciles redon­dances, à l’héroïsme de salon, et, en ce qui concerne le pro­blème algé­rien, nous avons tou­jours men­tion­né notre posi­tion de prin­cipe anti­co­lo­nia­liste, sans attendre février 1963 pour le faire et sur­tout en sou­li­gnant bien la fai­blesse pra­tique de notre sou­tien. Qu’il relise NR pour s’en convaincre. Mais, même si notre aide maté­rielle fut très réduite, cela nous empê­chait-il de pro­cla­mer notre soli­da­ri­té avec le peuple algé­rien contre le colo­nia­lisme de « notre » pays ? Nous nous rap­pe­lons qu’à une cer­taine époque, en 1956 – 57 par exemple, cer­tains anar­chistes, oui, ren­voyaient dos à dos Algé­riens et Fran­çais : pen­sez donc, c’étaient deux colo­nia­lismes, ça c’était clair et net, fal­lait pas se mouiller – même par la plume – et on pré­fé­rait ne pas en par­ler ! Excuse-nous cama­rade, mais nous per­sis­tons à pen­ser qu’expliquer autour de nous (en la met­tant en pra­tique par­fois) notre soli­da­ri­té anti­co­lo­nia­liste, vou­lait tout autant dire qu’un slo­gan du genre « rapa­trie­ment immé­diat du corps expé­di­tion­naire », parce qu’alors là, en fait d’illusions… Ledit slo­gan a d’ailleurs été for­mu­lé dans la rue, au cours de mani­fes­ta­tions où cer­tains de nous étaient, ceci pour l’Histoire (sic). Quant aux étapes néces­saires, sou­le­vées par notre cor­res­pon­dant, nous avons sim­ple­ment vou­lu dire que rien ne pou­vait être fait en Algé­rie sans que le colo­nia­lisme fran­çais ait fou­tu le camp, oui. Il est facile après coup de dire aujourd’hui, vous voyez, on l’avait bien dit, etc. Mais, outre que nous ne nous fai­sions aucune illu­sion quant au futur État – et en cela les liber­taires si décriés par le mar­xisme dit scien­ti­fique se trompent assez rare­ment – algé­rien, ce que nous n’avons jamais caché, nous répé­tons que tout révo­lu­tion­naire hon­nête et les anar­chistes plus que tous autres, devait choi­sir à ce moment-là. Crois-tu, cama­rade, que tous les Algé­riens ont pris le fusil pour créer d’abord un État et avoir dra­peau et une belle armée ? Ne crois-tu pas qu’il y avait aus­si un peu d’aspiration à la digni­té, la fin du coup de pied au cul per­ma­nent ? On pour­ra répondre que ce sont d’autres, main­te­nant, qui le donnent, peut-être. Mais à ce moment-là, l’Algérien découvre les joies (

– O – 



Du cama­rade R.B. de Mar­seille : « … page 69, para­graphe 3. On connaît en tout cas un cer­tain nombre de copains qui y sont (à la FM), qui ne s’en cachent pas, ou qui y ont été et qui l’ont dit : Voline à Mar­seille par exemple. Beau­coup de copains ici l’ont connu. On a, d’autre part, un copain qui est au GOF, très connu pour son grade (33e degré), et qui est anar. Quant à Prou­dhon, relire “De la Jus­tice dans la Révo­lu­tion et dans l’Église”, où il parle du “Grand Architecte”… ”.

De J.F. (Rhône) le court « billet » sui­vant que nous publions « in exten­so » : « j’ai bien reçu votre publi­ca­tion “Noir et Rouge”, plu­tôt rouge que noir, et je vous en remer­cie. Je l’ai lue avec beau­coup d’intérêt. Il ne vous reste plus main­te­nant qu’à mon­trer avec le même sou­ci d’objectivité et la même évi­dente bonne foi, com­ment et pour­quoi un com­mu­niste ne peut être ni un liber­taire, ni un anar­chiste (n’oubliez pas de m’envoyer le numé­ro de NR qui contien­dra cette démons­tra­tion). En toute cordialité ».

Du cama­rade S.G. de Rennes, à pro­pos de notre bro­chure sur l’Espagne : « … le numé­ro de NR sur l’Espagne est bien docu­men­té et inté­res­sant du point de vue ave­nir éco­no­mique, qui don­na un nou­veau visage de l’Espagne. Ce qu’il y a de trou­blant, c’est que les jeunes en Espagne mécon­naissent tota­le­ment ou presque la révo­lu­tion 1936 – 39, pour­quoi ? Est-ce que tous les révo­lu­tion­naires sont par­tis à l’étranger et per­sonne n’est res­té pour com­mu­ni­quer cette foi révo­lu­tion­naire… Quant aux grèves en Espagne, je pense aus­si comme le rédac­teur, qu’elles vont faire plus pour l’évolution sociale que toutes les petites orga­ni­sa­tions qui font ce qu’elles peuvent, mais ne touchent pas comme de grandes grèves les tra­vailleurs espagnols.

Quant à l’Église en Espagne, son rôle est tou­jours aus­si obs­cur et elle est bien fou­tue de faire comme en France, de s’infiltrer dans les orga­ni­sa­tions ouvrières et de faire comme la CFTC de l’efficacité, c’est leur terme, pour se mettre bien avec le monde du travail… »

Du cama­rade B.V. au Bré­sil : « … le numé­ro de NR sur le racisme et ses suites recueille des faits inté­res­sants. Mais les conclu­sions, les juge­ments des lec­teurs, quel que soit le sujet trai­té, me paraissent tou­jours ténues, par­tielles, et pour­quoi pas le dire, essen­tiel­le­ment rageuses, ner­veuses (émo­tives en géné­ral) ou sen­ti­men­tales. Il fau­drait que je m’explique plus clai­re­ment un jour : je recon­nais que je ne vous donne qu’une impres­sion. Je crois même que je n’en ferai pas un reproche aux rédac­teurs ni aux lec­teurs de NR : je me dis de plus en plus que l’anarchisme est une manière de vivre, et de sen­tir avant d’être une manière de pen­ser, une phi­lo­so­phie pra­tique. Y a‑t-il en ce moment, des moyens d’être intel­lec­tuel­le­ment satis­fait des solu­tions anar­chistes ? Pour prendre le pro­blème sous un autre angle, l’anarchisme est-il un huma­nisme ? C’est une ques­tion pure­ment intel­lec­tuelle. Il s’agit de savoir si la vision poli­tique des anars satis­fe­rait les besoins de jus­tice et de bon­heur de n’importe quelle socié­té. Je crois que l’anarchisme ne répond qu’à une par­tie des ten­dances humaines ; la spon­ta­néi­té, l’activité libre, sans contrainte exté­rieure, la liber­té des rap­ports conçus hors de toute orga­ni­sa­tion poli­tique, bref la vie du cœur, des exi­gences tou­jours renou­ve­lées sur le mode actif, temps pré­sent de l’indicatif… C’est une par­tie seule­ment des exi­gences de la per­sonne humaine en socié­té. C’est peut-être même une petite par­tie. Car enfin, l’inaction, ou l’organisation, ou la mise entre paren­thèses de l’individu, ou la réserve de la froi­deur, c’est une expres­sion du don­né humain, natu­rel ou acquis, et ça ne peut être méprisé.

Vous excu­se­rez ce déve­lop­pe­ment encore obs­cur. Deux conclu­sions : 1) la vie des anar­chistes est un exemple rare d’harmonie entre convic­tions-idées et action. C’est le plus grand pou­voir du “mou­ve­ment” ; 2) mes réserves expliquent en par­tie hélas, mon silence épis­to­laire. Je ne savais pas com­ment les for­mu­ler (et je conviens que je n’en parle pas encore de façon satis­fai­sante) et à chaque fois qu’arrivait NR, ma mau­vaise conscience augmentait ».

Du cama­rade Rodrigues de Rio de Janei­ro (extraits) sur le Por­tu­gal :

« Cela fait 36 ans d’infamies, de crimes, de misère et de souf­frances ; cela fait 36 ans de men­songes, de calom­nies, contre les anti-fas­cistes, de dis­cri­mi­na­tions, de ven­geances, de haines contre ceux qui nour­rissent comme ali­ment le vague espoir d’être un jour libres. Cela fait 36 ans que la presse est bâillon­née et que la cor­rup­tion règne en maître dans les milieux clé­ri­caux, mili­taires, autar­ciques ; c’est un gou­ver­ne­ment cor­rom­pu sous pré­texte d’équilibrer les finances… Des mil­liers de Por­tu­gais émigrent en quête de pain et de liber­té… Dans les cam­pagnes, la misère atteint un niveau incroyable… Le plus scan­da­leux est que le der­nier rap­port qu’il y eut de l’ONU révèle en Europe occi­den­tale une aug­men­ta­tion de la pro­duc­tion ali­men­taire de 9 % par habi­tant, ces huit der­nières années, mais que dans le même temps, il y eut au Por­tu­gal une baisse de 5 % (jour­nal Repu­bli­ca, Lis­bonne, 4/​11/​1961).

Lettre d’Indonésie, décembre 1962 : “nous vivons actuel­le­ment une ter­rible période d’inflation et une des rai­sons les plus impor­tantes, pour les­quelles les gens sont si apa­thiques aux choses qui ne concernent pas direc­te­ment leur exis­tence quo­ti­dienne, est l’accroissement du coût de la vie. Les prix des objets de consom­ma­tion quo­ti­dienne montent irré­sis­ti­ble­ment sans par­ler des objets de luxe. Même le com­merce des ciga­rettes qui a tou­jours été flo­ris­sant (…) est affec­té par cette ter­rible crise. La demande est tom­bée, et la demande de tabac (pour rou­ler les ciga­rettes) a, en com­pa­rai­son, aug­men­té. C’est sur­tout l’homme de la rue qui souffre le plus (comme d’habitude). La par­tie la plus riche de notre popu­la­tion peut encore ‘tirer par­ti’ de la situa­tion. La preuve en est que les bou­tiques qui vendent des articles de luxe font des affaires d’or. Les gens de Dja­kar­ta ont une soif ter­rible de luxe, c’est pour­quoi, à pre­mière vue, tout semble si pros­père, cepen­dant, quand on regarde avec plus d’attention, on remarque plein de types (venant des champs) qui men­dient, couchent sous les proches ou dans les parcs. Cepen­dant, on empêche cela (…) en les ramas­sant tous pour les emme­ner dans des sortes de camp de ‘réha­bi­li­ta­tion’. Peut-être qu’ils deviennent des ‘trans­mi­grants’ pour Suma­tra, l’Est ou l’Ouest de Bor­néo ou même de Nou­velle-Gui­née, je n’en sais rien. La vie se fait de plus en plus dure, cepen­dant, on ne peut pas dire qu’on meurt de faim. Il y a encore ‘assez’ pour rem­plir le mini­mum stric­te­ment vital, mais si ça conti­nue, il n’y a pas d’espoir d’avoir un ‘plus’”.

Des cama­rades cubains, de Mia­mi : “nous par­ta­geons avec vous l’analyse de la pro­blé­ma­tique cubaine actuelle. On ne peut encore rien tirer au clair. Ceci dit, ce qui est très visible, c’est que les États-Unis et l’Union Sovié­tique sont en train de négo­cier le pro­blème cubain et les autres pro­blèmes qui agitent le monde actuel. En marge de ces négo­cia­tions il y a le peuple cubain, celui qui est dedans et dehors, qui n’acceptera aucun type d’accord qui repré­sente la per­ma­nence au pou­voir de la tyran­nie fidé­lo-com­mu­niste diri­gée par Fidel Cas­tro. En effet, le résul­tat est le même, que Fidel Cas­tro se fasse appe­ler mar­xiste-léni­niste, ou fas­ciste. L’important pour nous, est qu’il existe à Cuba un régime dic­ta­to­rial qui a étran­glé tout reste de liber­té, en livrant ce qui aurait pu être une révo­lu­tion libé­ra­trice au monstre tota­li­taire moscovite”. 

La Presse Anarchiste