La Presse Anarchiste

Éditorial

Dans l’Édito de notre dernier numéro, début févri­er, nous par­lions d’année « calme ». Il était évidem­ment aisé de prévoir que celle-ci ne le resterait pas longtemps car si les guer­res « extérieures » ou colo­nial­istes peu­vent un jour pren­dre fin, la vieille, l’éternelle guerre des exploiteurs con­tre les exploités n’est pas proche, elle, de son terme. Il peut paraître puéril de rap­pel­er cela, mais pas mal de gens sem­blent se faire des illu­sions quant à l’oppression éta­tique. On a pour­tant vu ce que cela don­nait quand la « gauche » était au pou­voir et, par un trop facile para­doxe, cer­tains n’étaient pas loin de croire que le gaullisme, né d’un coup d’État mil­i­taire (on rap­pelle cela aux « répub­li­cains » en pas­sant), se révélait lui, « social » : la grève des mineurs a mon­tré ce qu’il en était. Et ce n’est pas fini ; on a voté De Gaulle, on l’a, jusqu’à l’os. On aurait presque pu dire, un moment, jusqu’à l’o(a)s !

Avant de par­ler de l’Espagne et autres événe­ments mar­quants de ces dernières semaines, revenons-en à la grève des mineurs. Elle nous aura d’abord mon­tré que rien n’est défini­tif, figé : la classe ouvrière n’est pas for­cé­ment embour­geoisée jusqu’à ne plus du tout vouloir se bat­tre, ceci pour les « pes­simistes » qui n’hésitent pas, par con­tre, à voir des nou­veaux juin 36 dès qu’il y a une action d’envergure, comme pré­cisé­ment la dernière grève. Une fois de plus, l’épreuve vivante des faits ridi­culise les sché­mas et nous per­met d’y voir plus clair. Lais­sons la lit­téra­ture néo-pop­uliste pour les spé­cial­istes et con­sta­tons plutôt que les tra­vailleurs, quand ils sont unis et décidés, peu­vent met­tre en échec le pou­voir gou­verne­men­tal, en l’occurrence la réqui­si­tion. Mais con­sta­tons aus­si une fois de plus que quand on a des chefs, fussent-ils « syn­di­cal­istes », ceux-ci ser­vent à canalis­er la com­bat­iv­ité ouvrière, à la main­tenir dans des lim­ites « raisonnables » pour mieux sign­er ensuite les armistices dits vic­to­rieux avec les dirigeants. Pas ques­tion de dire : « Allez‑y ! » à des grévistes sans fric et sans réserve (trop facile de jouer les révo­lu­tion­naires avec la peau des autres) mais pas ques­tion non plus de nous taire devant les déc­la­ra­tions d’un bonze syn­di­cal répon­dant aux gars qui protes­tent : « Vous tous qui hurlez, vous vous faites les com­plices du pou­voir gaulliste qui n’a qu’un but, écras­er les syn­di­cats. La vic­toire, nous l’avons eue. Vous faites le lit du gaullisme en pays minier, etc. », surtout quand le bonze en ques­tion, Menu, est présen­té comme un pro-lib­er­taire et risque, de ce fait, de causer le plus grand tort à l’idéal qui nous est cher. Out­re que la thèse de la provo­ca­tion UNR appliquée aux gars qui déchi­raient leurs cartes (les com­bat­tants-opposants sont tou­jours des provo­ca­teurs, Menu, en ce sens, ton syn­di­cat, FO, est prêt à s’unifier avec la CGT stal­in­i­enne !) a fait long feu et est retombée sur le coin de la fig­ure des calom­ni­a­teurs, on peut répon­dre que s’il y a eu vic­toire, ça n’est pas dans les miettes don­nées aux mineurs et déjà grig­notées par les hauss­es actuelles, mais dans le timide début de sol­i­dar­ité man­i­festé aux grévistes. Nous dis­ons bien, timide, car là aus­si, il est facile d’idéaliser et ne serait-ce que dans la région parisi­enne, les tra­vailleurs se sen­taient peu con­cernés, ou ne le furent que pen­dant deux semaines puis furent « fatigués » ensuite… Vic­toire aus­si, peut-être, dans un égale­ment timide début de prise de con­science d’une cer­taine caté­gorie de tra­vailleurs envers la bureau­cratie syn­di­cale et sur les moyens de s’organiser pour les com­bats futurs. Mais surtout pas vic­toire des « négo­ci­a­teurs », ça non ! Tous ceux qui les sou­ti­en­nent sont capa­bles de pré­par­er de nou­veaux aco­quine­ments, grisés qu’ils sont de leurs « suc­cès » (surtout avec les rumeurs tri­pa­touil­lages « uni­taires » en tous gen­res se faisant jouer actuelle­ment, pour l’après-gaullisme…) et, dans notre mou­ve­ment anar­chiste, nous ne devons pas être moins vig­i­lants sur cette grave question.

Mais il n’y a pas que les affaires français­es, il y a l’Espagne, il y a Fran­co, qu’on décou­vre ! On s’aperçoit que le Caudil­lo fusille, avec l’exécution du com­mu­niste Gri­mau ; on ne l’avait pas remar­qué quand il s’agissait de l’anarchiste Sabater, c’est tout. Bien sûr, nous nous élevons con­tre cette exé­cu­tion, mais nous ne pou­vons nous empêch­er de penser que les morts sont bougre­ment utiles pour cer­tains par­tis et la magis­trale représen­ta­tion du PC, devant la Bourse du Tra­vail (exhi­bi­tion de la mal­heureuse Angela Gri­mau, « appari­tion » qua­si mirac­uleuse de deux augustes vieil­lards, min­istres répub­li­cains que tous croy­aient morts depuis longtemps, etc.) est aus­si une option sur l’avenir, pour après Fran­co, qu’on ne l’oublie surtout pas. Quant à « l’unité » anti-fran­quiste invo­quée à grands sons de trompe, même tabac : si on ne marche pas der­rière nous, com­mu­nistes, on n’est plus uni­taire ! Voir le 26 avril dernier, à Lyon, où au cours d’un meet­ing d’hommage à Gri­mau groupant CGT, CFDT, FO, Ligue des Droits de l’Homme, PC, PSU, SFIO, MPP et on en passe, le représen­tant du PC Capiévic refusa de lire un com­mu­niqué envoyé par les anar­chistes espag­nols. Pourquoi ? Bien évidem­ment parce que celui-ci men­tion­nait l’arrestation de trois jeunes cama­rades français, mil­i­tants lib­er­taires arrêtés chez Fran­co, empris­on­nés et tor­turés. Lutte antifran­quiste dont et cam­pagnes con­tre la tyran­nie du « Caudil­lo », oui, mais là aus­si, pas d’illusions à se faire quant à une future « unité » avec les stal­in­iens et tous ceux qui aidèrent au naufrage de la Révo­lu­tion espag­nole. Car main­tenant, dans une cer­taine lit­téra­ture actuelle, (et même en par­tie le film de Rossif « Mourir à Madrid ») on tend à faire oubli­er la respon­s­abil­ité pri­mor­diale des social­istes, com­mu­nistes et autres « répub­li­cains » dans l’écrasement des mil­ices pop­u­laires, la non-inter­ven­tion du Front Pop­u­laire, l’action de la police secrète stal­in­i­enne con­tre maints de nos cama­rades, l’abandon de la Révo­lu­tion pour la « guerre » et ce qui s’ensuivit. L’unité révo­lu­tion­naire anti-fran­quiste réelle ne se fait pas au niveau des lead­ers mais à la base.

Lutte anti­gaulliste avec les grèves, lutte antifran­quiste rap­pelée à notre atten­tion, certes, mais d’autres lut­tent aus­si, pour des objec­tifs qui nous sont com­muns. En Angleterre, des mil­i­tants incon­nus ont réus­si une action anti-guerre de pre­mière grandeur, avec la divul­ga­tion des fameux secrets des abris réservés aux puis­sants en cas de grabuge atom­ique et dans les rues de Lon­dres, nos cama­rades anar­chistes se sont man­i­festés avec éclat lors de la dernière marche d’Aldermaston, se heur­tant aux flics à cheval et divul­guant les « secrets » de RG6 avec effi­cac­ité. Sans flaflas et sans rap­pels aux tra­di­tions révo­lu­tion­naires qui, au passé glo­rieux que, les cama­rades anglais nous don­nent l’exemple. À nous d’y réfléchir. En l’appliquant à l’occasion

[/Noir et Rouge/]


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