Le Mexique a été le premier pays où la révolution a éclaté (avant la révolution russe). Pour nous, cette révolution mexicaine a vu le rôle prééminent des anarchistes. Elle est, aujourd’hui encore, une source de réflexions et d’expériences.
Le Mexique pré-révolutionnaire
La situation du Mexique était très claire : celle d’un pays sous-développé. Il suffit de penser à l’Algérie ou à Cuba pour se l’imaginer. 1910 : 15 millions d’habitants, 80 % de paysans ; des propriétés terriennes de plusieurs centaines de kilomètres carrés, un dictateur : Porfirio Diaz (depuis 1976), l’armée, le clergé, les propriétaires fonciers et les capitalistes des USA règlent la vie de la nation.
Dans ces conditions, la population était soumise à une terrible exploitation et son espoir était placé dans la propriété de la terre à celui qui la travaille. C’est le problème de la réforme agraire, problème clé des pays sous-développés.
Le Mexique révolutionnaire
La révolution mexicaine est incompréhensible si on ignore le ferment anarchiste.
Le poids de la dictature et l’exemple des soulèvements anarchistes (voir plus loin) incitèrent l’opposition à se manifester. À l’occasion des élections présidentielles (traditionnellement truquées par Porfirio Diaz) Francisco Madero, intellectuel bourgeois, forme un parti « anti-réélectionniste ». Il est bientôt arrêté. Il s’évade, lance un manifeste « légèrement révolutionnaire », et en 1910, les forces madéristes passent à l’attaque. Les anarchistes également. En mai 1911 Madero prend le pouvoir et lutte contre les anarchistes.
Tout de suite, Madero prouve qu’il n’est qu’un dictateur de rechange. Il va jusqu’à se faire nommer Francisco 1er. Les paysans qui attendent la réforme agraire se soulèvent. Ils avaient lutté pour Madero, dans le nord avec l’ex-voleur de chevaux Pancho Villa, dans le sud avec le petit propriétaire Emiliano Zapata. Les deux leaders reprennent la lutte.
Après bien des intrigues, Madero est assassiné en 1913 par ses propres généraux dirigés par l’ambassadeur des USA. Le général Huerta prend le pouvoir. Un civil, Carranza, madériste désillusionné et partisans de la paix (Zapata et Villa sont toujours en guerre), décide de mener la lutte armée. En 1914, Carranza assura son autorité. Les anarchistes du « parti libéral » décimés, en prison, n’ont plus qu’une influence spirituelle.
En 1914, Zapata reconnaît Carranza à condition qu’il vote la réforme agraire. Villa continue la lutte jusqu’à sa défaite en 1915 par les groupes des USA auxquels il avait déclaré la guerre.
Durant toute la révolution, l’attitude des USA fut des plus hostiles : des troupes étaient massées à la frontière, prêtes à intervenir, Veracruz fut bombardée et occupée à la suite de l’assassinat de soldats américains en visite au Mexique.
Pancho Villa n’avait plus confiance en personne, il avait raison. En 1917, la constitution mexicaine est rédigée. C’est la plus avancée et la plus révolutionnaire de l’époque : droit de vote pour tous hommes et femmes, réforme agraire, villages communautaires. Mais jusqu’à aujourd’hui où la peur du castrisme et de troubles sociaux graves forcent l’actuel président, avec l’assentiment intéressé des USA, à appliquer la réforme agraire, elle reste lettre morte, ou peu s’en faut.
Depuis Madero jusqu’à cette constitution, l’empreinte des idées des réformes préconisées par les anarchistes est indélébile.
Après ce tableau sommaire (les détails ne feraient qu’embrouiller les faits), voici une description de l’activité des anarchistes mexicains.
Introduction des idées socialistes
[[cf. « Notes pour l’histoire de l’anarchisme au Mexique » – Tierra y Libertad, avril 1961 ; « Le mouvement ouvrier en Amérique Latine » – Éditions ouvrières, Paris, 1953, p. 110, Victor Alba.]]
Les idées de Fourier et Proudhon apparaissent dans les œuvres de Don Ignacio Ramirez (el Nigromante) « Principes sociaux et principes administratifs ». On peut dater de l’année 1849 l’introduction de ces idées au Mexique, où déjà l’Église catholique fit un appel au peuple sur les « monstrueuses théories de Fourier et de Saint-Simon, de Owen et autres socialistes modernes ».
En juin 1853 se créé au Mexique la première organisation ouvrière du pays : la société privée de Secours Mutuels. Elle condamne l’esclavage en général et « l’esclavage moderne qui nous prive des profits de notre travail ». En 1854, Don Melchior Ocampo lit Fourier et traduit Proudhon. Il était anti-clérical et croyait en la puissance de la révolution.
Mais le véritable début du socialisme se fait grâce à Clotino Rodakanaty, tailleur grec. Il arrive en 1861 et publie « Le livret Socialiste » et « L’idée générale de la Révolution au 19e siècle » de Proudhon, et le « Phalanstère » de Fourier. Il réunit de nombreux étudiants et fonde en 1865 le Club Socialiste des Étudiants. Ce groupe organise les travailleurs et réorganise la Société Privée de Secours Mutuels dissoute en 1855 par Santa Anna. En 1865, se fonde la Société Mutuelle de la Section des Filatures et Tissages de la Vallée de Mexico. Des grèves ont lieu. Rodakanaty s’installe à Chalco pour préparer les paysans à la révolution agraire. En 1869, Chalco se soulève. Victime de la répression, Julio Chavez, leader paysan, est fusillé. Les organisateurs, Rodakanaty et Zalacosta sont arrêtés et déportés. En 1878, Alberto Santa Fe, fonde le parti communiste mexicain, bakouniste, qui fut rapidement dissous.
Histoire du Parti Libéral
Création : le libéralisme avait été l’idéologie dont se réclamait Benito Juárez dans sa lutte contre l’Église et les soldats français de Napoléon
En 1899, se fonde à San Luis Potosí le « Cercle Libéral Penciano Arriaga » (appelé « Le père de la constitution de 1857 », qui ne fut pas appliquée par Porfirio Diaz). En 1900, les « libéraux » lancent le manifeste de San Luis Potosí : anticlérical et dénonçant la corruption administrative, réclamant la formation d’un parti libéral. En 1901 et 1902, les clubs libéraux tentent de se grouper, mais la dictature s’efforce d’y faire obstacle. En 1903, ils ont trois journaux d’opposition « El hijo del Ahuizote » de Juan Sarabia, « Excelsior » de Santiago de la Hoz, et « Regeneracion » de Ricardo Flores Magon.
Presque tous finissent par être emprisonnés ou doivent s’exiler. En 1905, Ricardo Flores Magon et ses partisans créent le « Comité Organisateur du Parti Libéral Mexicain » pour la lutte « par tous les moyens » contre Porfirio Diaz. En 1906 à Cananea (centre cuivrique de la Sonora, près des USA), une grève commence le 1er juin pour protester contre le fait que les ouvriers des USA gagnent 3,50 dollars et les Mexicains 1,50. La police du trust américain tire : il y a une centaine de morts. Les 8 000 grévistes ne purent rien et, de plus, un détachement de troupes américaines avait passé la frontière. Ricardo Flores Magon soutint les revendications ouvrières (journée de 8 heures). Il faut noter aussi l’influence du Parti Libéral sur les « grands cercles d’ouvriers libres » qui se créèrent et appuyèrent de nombreuses grèves.
« Quand bien même l’idéologie de ces hommes fut anarchiste, pour des raisons tactiques et comprenant qu’ils porteraient plutôt préjudice à leurs idées qu’ils ne les bénéficieraient en déclarant à fond leur pensée, ils agitaient les programmes et les idées propres au libéralisme » (Rama, idem, page 68).
Le 1er juillet 1906 paraît à Saint Louis du Missouri, le « Programme du Parti Libéral et le Manifeste de la Nation ». Ce programme n’était pas trop libéral, afin de réunir tous les antiporfiristes. Il proposait de réduire « le mandat présidentiel à quatre ans » pour éviter les risques de dictature d’une présidence trop prolongée – de lutter contre la corruption en aggravant les peines des fonctionnaires prévaricateurs – de supprimer « les tribunaux militaires en temps de paix » – de n’appliquer la peine de mort que dans les cas extraordinaires – ceci concernant le gouvernement. Pour le peuple : réduction des impôts – « protection de la race indigène ». Pour l’éducation : suppression des écoles du clergé – multiplication des écoles primaires laïques – instruction obligatoire jusqu’à 12 ans – traitements décents pour les maîtres. Pour les travailleurs : réduction du nombre de travailleurs étrangers – « prohibition absolue de l’emploi d’enfants de moins de 14 ans » – établissement d’un salaire minimum et d’un maximum de travail journalier de huit heures – obligation aux patrons de fournir les conditions d’hygiène dans les lieux de travail et de « payer des indemnités pour les accidents du travail » – prohibition de l’immigration chinoise [[Ces travailleurs acceptaient des salaires de famine et concurrençaient la main d’œuvre mexicaine. Il nous semble pour le moins curieux qu’une telle mesure ait pu être préconisée par des anarchistes, alors que la parité de salaires semble la solution la plus équitable. Sans doute, s’agit-il là de mesures « démagogiques », à l’usage de certains antiporforistes, bourgeois et patriotes.]] – « rendre obligatoire le repos dominical ». Pour les paysans : défense aux étrangers d’acheter des terres – nationalisation des biens que le clergé possède encore – obliger les propriétaires à travailler la terre sous peine de la réquisitionner – obligation pour l’État de donner des terres à quiconque en sollicite.
Le programme du Parti Libéral eut une indubitable influence sur toute la révolution mexicaine.
« Cette influence se remarque clairement dans la Constitution de 1917, particulièrement dans l’article 123 qui la légit en matière de travail » (Silva Herzog, page 59).
Premières actions
Le Parti Libéral organise des sociétés secrètes armées dans le Nord et l’Est en 1906. En septembre de la même année, les Libéraux, c’est-à-dire les membres du Parti Libéral se soulèvent (Acayucan, Jimenez, Chihuahua) mais sont battus par l’armée. Le gouvernement de Roosevelt, pour protéger les intérêts des USA au Mexique, arrête les émigrés mexicains (en 1907 Ricardo Flores Magon qui se trouvait à Los Angeles ; en 1906 il avait dû se rendre au Canada pour échapper à la police yankee).
Le 25 janvier 1908 (sans doute en souvenir de « la loi du démembrement des biens du clergé votée… cinquante deux ans avant ») (Silva Herzog, page 59), une quarantaine de groupes, dont une trentaine bien armée, se soulève dans les provinces de Coahuila, Yucatan, Chihuahua. Ils sont organisés ou dirigés par Ricardo Flores Magon, Juan Sarabia, Praxide Guerrero, etc., mais les forces gouvernementales étouffent rapidement ces mouvements.
« Ces mouvements présentaient la technique du putsch… C’est-à-dire qu’un groupe de conjurés, dix, vingt, cent au maximum, à une heure et à un jour convenus tentaient de s’emparer de quelques villages, attaquaient les forces de police ou l’armée, et une fois triomphants, lançaient un manifeste invitant la population à se joindre à ce mouvement »
[/(Rama, idem, page 70)./]
En général, ces tentatives n’eurent pas d’écho dans la population.
Le Parti Libéral reçoit alors l’aide de la IWW des USA (Industrial Word Workers : Ouvriers Industriels du Monde ; syndicat anarchiste d’action directe). Mais la FAT (Fédération Américaine des Travailleurs) n’appuya jamais pratiquement le Parti Libéral, ni non plus aucune des tendances de la révolution mexicaine.
Débuts de la Révolution : rôle du Parti Libéral
En 1910, Madero forme une opposition, le Parti Libéral ne s’allie pas avec lui. En effet, ils divergeaient trop : le Parti Libéral (PL) soutenait que pour être libre politiquement, il faut être libre économiquement. Quand Madero commence la lutte contre Diaz, Ricardo Flores Magon écrit dans “ Regeneracion ” : « Le changement de maître n’est pas une source de liberté ni de bien-être ».
Flores Magon fut conscient que lui et ses amis déclenchaient une révolution et non une simple insurrection. En 1907 il proclamait déjà :
« Il (Diaz) n’est pas en présence d’un mouvement dirigé par des aventuriers qui veulent les charges publiques pour se livrer au vol et à l’assassinat des dirigeants actuels, mais bien d’un mouvement qui a ses racines dans les besoins du peuple, et donc, tant que ces besoins ne seront pas satisfaits, la Révolution ne mourra pas, même si tous ses chefs mourraient, si tous les otages de la république se peuplaient jusqu’à craquer et si on assassinait par milliers les citoyens du gouvernement »
[/(Rama, idem, page 72)./]
Les groupes libéraux agissent ; en décembre 1910 Praxide Guerrero meurt à Chihuahua ; en janvier 1911, les Libéraux luttent dans la Sonora, à Tlancala, Chihuahua, Veracruz, Oaxaca, Moreles, Durango. Ricardo Flores Magon dénonce Madero comme faux révolutionnaire ; mais « malheureusement “Regeneracion” circulait avec difficulté au Mexique et le travail d’orientation de Ricardo Flores Magon est rendu difficile et est très souvent complètement ignoré sur le champ de bataille » (Santillan, page 72).
Mais ce qui jusqu’à aujourd’hui reste la gloire du PL, est l’invasion de la Basse-Californie (qui se trouve dans une languette de terre presque déserte, sur la côte du Pacifique).
« Le nord de la Basse-Californie est au pouvoir de Cudahy Otis, et autres multi-millionnaires nord-américains. Toute la côte occidentale appartient à une puissante compagnie de perles anglaise, et la région où est située Santa Rosalia, appartient à une riche compagnie française ».
« Que possèdent les Mexicains de la Basse-Californie ? Rien ! Que donnera le PL aux Mexicains ? Tout !
[/(Ricardo Flores Magon, 16 juin 1911,
Vida y Obra, Mexico, 1923 – I – 168)./]
Un groupe de magonistes, une centaine, mexicains et nord-américains de la IWW, occupa la Basse-Californie de janvier à mai 1911, mais ils furent vaincus. L’objectif de Ricardo Flores Magon était de constituer une république socialiste selon les principes de l’anarchisme. C’est alors qu’ont été divulguées des calomnies tendant à prouver que les magonistes étaient payés pour annexer ce territoire aux USA, répandues par les nationalistes mexicains.
Cette absurde conception a été complètement rejetée dans les derniers congrès d’histoire de la Basse-Californie en 1956 et en 1962, auxquels ont participé des historiens sympathisants de la Fédération Anarchiste du Mexique (notons au passage que la situation économique de la Basse-Californie n’a pratiquement pas changé jusqu’à nos jours. Le Monde du 7/03/1963 signale qu’en Basse-Californie une propriétaire de 10 155 hectares veut expulser 150 000 habitants de la ville de Tijvani sous prétexte que celle-ci se trouve sur ses terres !).
Déclin du parti libéral
En septembre 1911, le PL lance un manifeste signé par Enrique et Ricardo Flores Magon, Librado Rivera, Anselmo L. Figueroa, les trois derniers mousquetaires du PL. Ils se déclarent contre la propriété privée, « contre le capital, l’Autorité et le Clergé, le Parti Libéral Mexicain a dressé le drapeau rouge… pour une réforme agraire et la propriété collective des biens. Terre et Liberté ! ”.
« Ces idées influencèrent de petits révolutionnaires alors, et beaucoup plus tard » (Silva Herzog, page 121).
On remarque la différence de ton avec le programme de 1906 destiné somme toute, à la bourgeoisie. En 1911 les libéraux ne cachent plus leur anarchisme.
En fait, le PL n’était plus que l’ombre de lui-même, ses militants étaient morts en prison, ou passés à d’autres tendances. Le PL subsistera nominalement, en la personne de Ricardo Flores Magon, assassiné le 21 novembre 1922 au pénitencier de Leavenworth (Kansas).
Le PL a eu une grande influence théorique, idéologique et militaire (avec les soulèvements de 1906 et 1908) sur toute la révolution mexicaine. Mais il avait trop peu de militants, surveillés par la police et les espions des États-Unis et ils ne purent ou peut-être ne surent pas avoir des groupes organisés parmi les ouvriers et les paysans. Ils furent toujours une minorité dont l’idéalisme, dont l’extraordinaire courage et les qualités humaines entraînèrent la masse, mais sans s’y inscrire, sauf dans quelques foyers. La personne de Ricardo Flores Magon a forgé le PL, c’était un apôtre, un être unique, « un des hommes les plus purs du mouvement ouvrier mexicain » (Octavio Paz, Le labyrinthe de la solitude, page 168). Le lendemain de sa mort (il avait 48 ans, 13 en prison) la Chambre des Députés décréta un jour de deuil national, mais les amis, les militants anarchistes refusèrent les funérailles nationales.
Autres aspects anarchistes ou anarchisants
Le zapatisme dirigé par Emiliano Zapata est, à l’origine, un mouvement local et paysan au sud du pays, dans une région de climat tropical où l’on cultive la canne à sucre. S’opposant aux grands propriétaires, les partisans de Zapata partagèrent les terres, les divisèrent entre eux, les travaillèrent et les défendirent. L’armée était typiquement paysanne, elle ne sortait presque pas de sa zone de combat.
« Zapata même, refusa d’avoir une armée permanente, car il disait que cela serait changer le métier des gens, et que, s’il devenaient soldats, ils allaient oublier d’être paysans. L’armée était, à tour de rôle, les armes à la main ou à travailler la terre »
[/(Rama, idem, page 71)./]
Les anciens militants allèrent surtout avec Zapata qui était très influencé par le PL. Mais il y avait des « divergences profondes » à cause des « tendances étatistes » de Zapata, bien « qu’aucun parti politique… n’ait atteint une solution aussi radicale du problème agraire » (Santillan, page 98).
En 1918, Zapata écrivait, à propos de la révolution russe d’intéressantes idées, toutes imprégnées de saveur anarchiste :
« Nous gagnerions beaucoup, et la justice humaine y gagnerait beaucoup, si tous les peuples de notre Amérique et de tous les pays de la vieille Europe comprenaient que la cause du Mexique révolutionnaire et la cause de la Russie irrédente sont et représentent la cause de l’humanité, l’intérêt suprême de tous les opprimés… Il n’est pas étonnant que, de même que le prolétariat mondial applaudit et admire la Révolution russe, de même il accordera toute son adhésion et sa sympathie et son appui à cette Révolution mexicaine, lorsqu’il se rendra compte de sa finalité. Il faut surtout ne pas oublier que… l’émancipation de l’ouvrier ne peut s’effectuer si on ne réalise pas à la fois la libération des paysans. S’il en allait autrement, la bourgeoisie pourrait mettre ces deux forces l’une en face de l’autre et profiter de l’ignorance des paysans pour combattre et réfréner les impulsions des travailleurs des villes de la même façon que si l’occasion se présente, elle pourra utiliser les ouvriers peu conscients et les lancer contre leurs frères des champs »
[/(Rama, idem, page 73)./]
Zapata ne parlait pas dans le vide. En 1912, des anarcho-syndicalistes, en majorité d’origine espagnole et ignorants de la situation mexicaine, avaient fondé « la Maison de l’Ouvrier Mondial ». Ce syndicat groupait les travailleurs des grandes villes. Quand le gouvernement de Carranza fut menacé par les armées paysannes du Nord – Pancho Villa – et du Sud – Emiliano Zapata – il signa un accord avec la « Maison de l’Ouvrier Mondial », pour créer une force armée ouvrière. L’accord consistait en deux articles, premièrement le gouvernement s’engage « à améliorer, au moyen de lois adéquates, la condition des travailleurs » ; deuxièmement, « les ouvriers de la Maison de l’Ouvrier Mondial… font connaître la décision qu’ils ont prise de collaborer de manière effective et pratique pour le triomphe de la Révolution, soit en prenant les armes pour protéger les villes qui sont au pouvoir du gouvernement constitutionnel, soit pour combattre la réaction ».
« Les bataillons rouges » furent ainsi formés et ils permirent à Carranza de repousser Zapata et Villa, ce qui donnait ainsi un exemple éclatant de division des classes exploitées.
Le Parti Libéral et les anarchistes
On l’accuse de ne pas être anarchiste, de ne pas être révolutionnaire, de rester à des centaines de kilomètres de la bataille. Ces accusations furent faites par Jean Grave dans les « Temps Nouveaux », lors d’une polémique avec « Regeneracion ». Kropotine l’apaisa un peu avec ces paroles :
« Malheureusement les 9⁄10 (peut-être 99 %) des anarchistes, ne conçoivent pas la Révolution autrement que sous la forme de combats sur des barricades ou d’expéditions triomphantes à la Garibaldi » (27/04/1912).
Importance du Parti Libéral pour notre expérience
Il ne s’agit pas pour nous de faire une analyse exhaustive, mais de souligner les aspects les plus importants.
Le PL était partisan de l’action directe, organisée militairement. Il était dirigé par les anarchistes et refusait les alliances avec les hommes politiques (Madero) ; mais il acceptait de militer avec les militants de base (mouvement de Zapata).
Il était engagé profondément dans l’action, malgré les sabotages des ennemis, et des pseudo partisans de la révolution. Il est curieux de constater que les critiques adressées par les anarchistes non mexicains ont été répétées aujourd’hui. Ces critiques consistent à reprocher à des anarchistes de ne pas se déclarer tels dans l’action, et à leur reprocher d’agir en les traitant de philo-communistes ou d’étatistes.
À Cuba, il a été reproché tour à tour aux anarchistes d’appuyer Castro (c’est-à-dire un non-libertaire) et de le combattre (c’est-à-dire, selon ces critiques, d’être avec les USA).
Pour l’Algérie, il a été reproché à des camarades d’aider le FLN (mouvement nationaliste, donc anti-anarchiste) et de ne pas aider le ***(mouvement de libération, donc pro-anarchiste).
Pour l’Espagne, il a été et il est toujours reproché à des camarades d’agir en dehors de la CNT (Sabater, Mouvement Populaire de Résistance) parce que leur action est anti-fasciste, mais pas nommément libertaire.
Nous voyons donc, que depuis 1912, nous, les anarchistes, nous avons été incapables d’avoir une position nette sur l’action violente et organisée contre l’État. Nous confondons la participation et la non-participation, le comble étant atteint par la CNT, avec sa participation au gouvernement pendant la guerre d’Espagne, erreur dont il est permis de se demander si elle est bien comprise aujourd’hui.
Deux choses devraient nous guider en dehors du fait que l’absolu, la pureté anarchiste sont impossibles dans un milieu non anarchiste. Ces deux choses sont l’intérêt du peuple et la propagation des idées anarchistes. Là encore, nous devons insister sur une évidence : nous n’avons pas le privilège, le monopole des idées anarchistes. Certains camarades, pour ne pas dire la majorité, se scandalisent presque quand quelqu’un, non libertaire, émet des idées libertaires, ils y voient un petit bourgeois, ou un démagogue… un espion, même. On croirait qu’ils ont le sentiment de la propriété des idées… mais si l’anarchisme subsiste et a même des possibilités dans l’avenir, c’est qu’il est servi et désiré par la masse.
Cette attitude de tour d’ivoire, de sectarisme de certains anarchistes condamne automatiquement tout ce qui peut sembler libertaire. Cette attitude est en réalité de la lâcheté consciente et avouée.
Quand un anarchiste s’engage dans une lutte à Cuba, pour l’Algérie, ou pour l’Espagne, il est conscient à la fois qu’il lutte contre un État, une dictature, et que si l’organisation pour qui il milite triomphe, elle ne décrétera jamais le communisme libertaire. Mais c’est là qu’il se montrera vraiment anarchiste en essayant par tous les moyens d’impulser les idées et les réalisations anarchistes. Chose complètement impossible s’il n’avait pas participé à la lutte.
Ces déductions ont été également formulées par Archinov, dans l’Histoire du Mouvement Makhnoviste (nos citations sont tirées de l’édition italienne de 1954).
« On pouvait penser que les anarchistes qui avaient tant parlé d’un mouvement révolutionnaire de masse et l’avaient attendu pendant des années comme on attend un messie, se seraient empresser d’entrer dans ce mouvement, à s’y fondre, à se donner complètement. En réalité cela n’arriva pas.
La plupart des anarchistes russes qui avaient suivi l’école de l’anarchisme théorique, restèrent isolés dans leurs cercles, qui alors n’étaient utiles à personne, tous dispersés, discutant sur ce que serait la nature de ce mouvement, et quels rapports entretenir avec lui, sans rien faire, cherchant à apaiser leur conscience en déclarant que le mouvement n’était pas authentiquement anarchiste.
Et pourtant… La masse avait un urgent besoin de collaborateurs qui sachent formuler et développer ses idées, les introduire dans la vaste concrétisation de la vie réelle, et élaborer de nouvelles formes, ouvrir de nouvelles voies au mouvement (page 244).
… Retenons que ce fait douloureux n’est point arrivé par hasard, mais qu’il avait des causes précises et déterminées, voyons-les. S’occupant plus que les autres de théories anarchistes, ils se sont peu à peu convaincus qu’ils étaient les guides du monde anarchiste et se sont crus certains que le mouvement anarchiste en personne aurait pris son essor grâce à eux, ou du moins avec leur participation immédiate. Au lieu de cela, le mouvement commença loin des théoriciens, presque à la périphérie et pourtant au plus profond de la société contemporaine.
Naturellement, ce fait ne dit rien contre le makhnovisme ni contre l’anarchisme, mais seulement contre ces anarchistes et ces organisations anarchistes qui en présence d’un mouvement social ouvrier et paysan de portée historique, se montrèrent presque passifs et d’esprit si étroit, qu’ils ne surent ou ne voulurent pas venir à son aide (…) quand en chair et en os, ce mouvement a appelé à lui tous ceux pour qui sont chers la liberté des travailleurs et les buts de l’anarchisme (page 245)
L’anarchisme est la vérité et la justice pour les masses. Par son héroïsme, par sa force de volonté, c’est actuellement la seule doctrine sociale sur laquelle les masses peuvent s’appuyer avec confiance, dans le cours de leur lutte. Mais pour justifier cette confiance, l’anarchisme ne doit pas être seulement une grande idée et les anarchistes ses platoniques défenseurs. Il faut que les anarchistes participent constamment au mouvement des masses, que les travailleurs du mouvement révolutionnaire des masses y soient : c’est comme cela seulement que le mouvement respirera pleinement l’atmosphère des idéaux anarchistes. On n’obtient rien sans rien : chaque tâche exige des efforts et des sacrifices continus. L’anarchisme doit trouver l’unité de volonté et d’action, doit se placer devant une représentation précise de ses objectifs historiques. L’anarchisme doit entrer dans les masses et s’y confondre » (page 247, 248).
L’expérience de la Révolution mexicaine nous intéresse à double titre. Ce fut une révolution paysanne, dans un pays sous-développé. Ce fut une révolution fortement marquée par les anarchistes.
Comme à Cuba, on voit que l’élément révolutionnaire est la classe paysanne, et que l’élément ouvrier, quand il est minorité privilégiée, fait cause commune avec les puissances oppressives.
Ce caractère est normal dans le mouvement ouvrier, on connaît des exemples « d’avant-garde » où les ouvriers s’abstiennent de tout mouvement d’opposition.
Il nous semble que les théories anarchistes, surtout bakouniniennes, s’appliquent bien aux pays du « tiers-monde », alors que d’un point de vue marxisme PC, ces pays sont condamnés à attendre l’initiative révolutionnaire du prolétariat (quand il existe).
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