La Presse Anarchiste

Les anarchistes et la révolution mexicaine

Le Mex­ique a été le pre­mier pays où la révo­lu­tion a éclaté (avant la révo­lu­tion russe). Pour nous, cette révo­lu­tion mex­i­caine a vu le rôle préémi­nent des anar­chistes. Elle est, aujourd’hui encore, une source de réflex­ions et d’expériences.

Le Mexique pré-révolutionnaire

La sit­u­a­tion du Mex­ique était très claire : celle d’un pays sous-dévelop­pé. Il suf­fit de penser à l’Algérie ou à Cuba pour se l’imaginer. 1910 : 15 mil­lions d’habitants, 80 % de paysans ; des pro­priétés ter­ri­ennes de plusieurs cen­taines de kilo­mètres car­rés, un dic­ta­teur : Por­firio Diaz (depuis 1976), l’armée, le clergé, les pro­prié­taires fonciers et les cap­i­tal­istes des USA règ­lent la vie de la nation.

Dans ces con­di­tions, la pop­u­la­tion était soumise à une ter­ri­ble exploita­tion et son espoir était placé dans la pro­priété de la terre à celui qui la tra­vaille. C’est le prob­lème de la réforme agraire, prob­lème clé des pays sous-développés.

Le Mexique révolutionnaire

La révo­lu­tion mex­i­caine est incom­préhen­si­ble si on ignore le fer­ment anarchiste.

Le poids de la dic­tature et l’exemple des soulève­ments anar­chistes (voir plus loin) incitèrent l’opposition à se man­i­fester. À l’occasion des élec­tions prési­den­tielles (tra­di­tion­nelle­ment truquées par Por­firio Diaz) Fran­cis­co Madero, intel­lectuel bour­geois, forme un par­ti « anti-réélec­tion­niste ». Il est bien­tôt arrêté. Il s’évade, lance un man­i­feste « légère­ment révo­lu­tion­naire », et en 1910, les forces madéristes passent à l’attaque. Les anar­chistes égale­ment. En mai 1911 Madero prend le pou­voir et lutte con­tre les anarchistes.

Tout de suite, Madero prou­ve qu’il n’est qu’un dic­ta­teur de rechange. Il va jusqu’à se faire nom­mer Fran­cis­co 1er. Les paysans qui atten­dent la réforme agraire se soulèvent. Ils avaient lut­té pour Madero, dans le nord avec l’ex-voleur de chevaux Pan­cho Vil­la, dans le sud avec le petit pro­prié­taire Emil­iano Zap­a­ta. Les deux lead­ers repren­nent la lutte.

Après bien des intrigues, Madero est assas­s­iné en 1913 par ses pro­pres généraux dirigés par l’ambassadeur des USA. Le général Huer­ta prend le pou­voir. Un civ­il, Car­ran­za, madériste désil­lu­sion­né et par­ti­sans de la paix (Zap­a­ta et Vil­la sont tou­jours en guerre), décide de men­er la lutte armée. En 1914, Car­ran­za assura son autorité. Les anar­chistes du « par­ti libéral » décimés, en prison, n’ont plus qu’une influ­ence spirituelle.

En 1914, Zap­a­ta recon­naît Car­ran­za à con­di­tion qu’il vote la réforme agraire. Vil­la con­tin­ue la lutte jusqu’à sa défaite en 1915 par les groupes des USA aux­quels il avait déclaré la guerre.

Durant toute la révo­lu­tion, l’attitude des USA fut des plus hos­tiles : des troupes étaient massées à la fron­tière, prêtes à inter­venir, Ver­acruz fut bom­bardée et occupée à la suite de l’assassinat de sol­dats améri­cains en vis­ite au Mexique.

Pan­cho Vil­la n’avait plus con­fi­ance en per­son­ne, il avait rai­son. En 1917, la con­sti­tu­tion mex­i­caine est rédigée. C’est la plus avancée et la plus révo­lu­tion­naire de l’époque : droit de vote pour tous hommes et femmes, réforme agraire, vil­lages com­mu­nau­taires. Mais jusqu’à aujourd’hui où la peur du cas­trisme et de trou­bles soci­aux graves for­cent l’actuel prési­dent, avec l’assentiment intéressé des USA, à appli­quer la réforme agraire, elle reste let­tre morte, ou peu s’en faut.

Depuis Madero jusqu’à cette con­sti­tu­tion, l’empreinte des idées des réformes pré­con­isées par les anar­chistes est indélébile.

Après ce tableau som­maire (les détails ne feraient qu’embrouiller les faits), voici une descrip­tion de l’activité des anar­chistes mexicains.

Introduction des idées socialistes

[[cf. « Notes pour l’his­toire de l’a­n­ar­chisme au Mex­ique » – Tier­ra y Lib­er­tad, avril 1961 ; « Le mou­ve­ment ouvri­er en Amérique Latine » – Édi­tions ouvrières, Paris, 1953, p. 110, Vic­tor Alba.]]

Les idées de Fouri­er et Proud­hon appa­rais­sent dans les œuvres de Don Igna­cio Ramirez (el Nigro­mante) « Principes soci­aux et principes admin­is­trat­ifs ». On peut dater de l’année 1849 l’introduction de ces idées au Mex­ique, où déjà l’Église catholique fit un appel au peu­ple sur les « mon­strueuses théories de Fouri­er et de Saint-Simon, de Owen et autres social­istes modernes ».

En juin 1853 se créé au Mex­ique la pre­mière organ­i­sa­tion ouvrière du pays : la société privée de Sec­ours Mutuels. Elle con­damne l’esclavage en général et « l’esclavage mod­erne qui nous prive des prof­its de notre tra­vail ». En 1854, Don Mel­chior Ocam­po lit Fouri­er et traduit Proud­hon. Il était anti-cléri­cal et croy­ait en la puis­sance de la révolution.

Mais le véri­ta­ble début du social­isme se fait grâce à Cloti­no Rodakanaty, tailleur grec. Il arrive en 1861 et pub­lie « Le livret Social­iste » et « L’idée générale de la Révo­lu­tion au 19e siè­cle » de Proud­hon, et le « Pha­lanstère » de Fouri­er. Il réu­nit de nom­breux étu­di­ants et fonde en 1865 le Club Social­iste des Étu­di­ants. Ce groupe organ­ise les tra­vailleurs et réor­gan­ise la Société Privée de Sec­ours Mutuels dis­soute en 1855 par San­ta Anna. En 1865, se fonde la Société Mutuelle de la Sec­tion des Fila­tures et Tis­sages de la Val­lée de Mex­i­co. Des grèves ont lieu. Rodakanaty s’installe à Chal­co pour pré­par­er les paysans à la révo­lu­tion agraire. En 1869, Chal­co se soulève. Vic­time de la répres­sion, Julio Chavez, leader paysan, est fusil­lé. Les organ­isa­teurs, Rodakanaty et Zala­cos­ta sont arrêtés et déportés. En 1878, Alber­to San­ta Fe, fonde le par­ti com­mu­niste mex­i­cain, bak­ouniste, qui fut rapi­de­ment dissous.

Histoire du Parti Libéral

Créa­tion : le libéral­isme avait été l’idéologie dont se récla­mait Ben­i­to Juárez dans sa lutte con­tre l’Église et les sol­dats français de Napoléon iii [[Jesus Sil­va Her­zog « Breve His­to­ria de la rev­olu­cion Mex­i­cana ». – Fon­do de Cul­tura eco­nom­i­ca – Mex­i­co, 1960. – Vic­tor Alba, œuvre citée – Abad de San­til­lan – Ricar­do Flo­res Magon – Mex­i­co 1925 – Revue Tier­ra y Lib­er­tad – Jan­vi­er 1962 – Mex­i­co.]]. Por­firio Diaz s’en était aus­si servi pour pren­dre le pou­voir. « Sous pré­texte de restau­r­er les valeurs authen­tiques du libéral­isme, on organ­isa des clubs d’un bout à l’autre du pays, ce qui for­ma le Par­ti Libéral. Mais pra­tique­ment aux alen­tours de 1905, il se pro­duisit un saut de libéral à « lib­er­taire »… (Car­los Rama Rev­olu­ciones Sociales del Siglo Veinte, Toulouse 1959, page 68).

En 1899, se fonde à San Luis Poto­sí le « Cer­cle Libéral Pen­ciano Arria­ga » (appelé « Le père de la con­sti­tu­tion de 1857 », qui ne fut pas appliquée par Por­firio Diaz). En 1900, les « libéraux » lan­cent le man­i­feste de San Luis Poto­sí : anti­cléri­cal et dénonçant la cor­rup­tion admin­is­tra­tive, récla­mant la for­ma­tion d’un par­ti libéral. En 1901 et 1902, les clubs libéraux ten­tent de se grouper, mais la dic­tature s’efforce d’y faire obsta­cle. En 1903, ils ont trois jour­naux d’opposition « El hijo del Ahuizote » de Juan Sara­bia, « Excel­sior » de San­ti­a­go de la Hoz, et « Regen­era­cion » de Ricar­do Flo­res Magon.

Presque tous finis­sent par être empris­on­nés ou doivent s’exiler. En 1905, Ricar­do Flo­res Magon et ses par­ti­sans créent le « Comité Organ­isa­teur du Par­ti Libéral Mex­i­cain » pour la lutte « par tous les moyens » con­tre Por­firio Diaz. En 1906 à Cananea (cen­tre cuiv­rique de la Sono­ra, près des USA), une grève com­mence le 1er juin pour pro­test­er con­tre le fait que les ouvri­ers des USA gag­nent 3,50 dol­lars et les Mex­i­cains 1,50. La police du trust améri­cain tire : il y a une cen­taine de morts. Les 8 000 grévistes ne purent rien et, de plus, un détache­ment de troupes améri­caines avait passé la fron­tière. Ricar­do Flo­res Magon soutint les reven­di­ca­tions ouvrières (journée de 8 heures). Il faut not­er aus­si l’influence du Par­ti Libéral sur les « grands cer­cles d’ouvriers libres » qui se créèrent et appuyèrent de nom­breuses grèves.

« Quand bien même l’idéologie de ces hommes fut anar­chiste, pour des raisons tac­tiques et com­prenant qu’ils porteraient plutôt préju­dice à leurs idées qu’ils ne les béné­ficieraient en déclarant à fond leur pen­sée, ils agi­taient les pro­grammes et les idées pro­pres au libéral­isme » (Rama, idem, page 68).

Le 1er juil­let 1906 paraît à Saint Louis du Mis­souri, le « Pro­gramme du Par­ti Libéral et le Man­i­feste de la Nation ». Ce pro­gramme n’était pas trop libéral, afin de réu­nir tous les antipor­firistes. Il pro­po­sait de réduire « le man­dat prési­den­tiel à qua­tre ans » pour éviter les risques de dic­tature d’une prési­dence trop pro­longée – de lut­ter con­tre la cor­rup­tion en aggra­vant les peines des fonc­tion­naires pré­var­i­ca­teurs – de sup­primer « les tri­bunaux mil­i­taires en temps de paix » – de n’appliquer la peine de mort que dans les cas extra­or­di­naires – ceci con­cer­nant le gou­verne­ment. Pour le peu­ple : réduc­tion des impôts – « pro­tec­tion de la race indigène ». Pour l’éducation : sup­pres­sion des écoles du clergé – mul­ti­pli­ca­tion des écoles pri­maires laïques – instruc­tion oblig­a­toire jusqu’à 12 ans – traite­ments décents pour les maîtres. Pour les tra­vailleurs : réduc­tion du nom­bre de tra­vailleurs étrangers – « pro­hi­bi­tion absolue de l’emploi d’enfants de moins de 14 ans » – étab­lisse­ment d’un salaire min­i­mum et d’un max­i­mum de tra­vail jour­nalier de huit heures – oblig­a­tion aux patrons de fournir les con­di­tions d’hygiène dans les lieux de tra­vail et de « pay­er des indem­nités pour les acci­dents du tra­vail » – pro­hi­bi­tion de l’immigration chi­noise [[Ces tra­vailleurs accep­taient des salaires de famine et con­cur­rençaient la main d’œuvre mex­i­caine. Il nous sem­ble pour le moins curieux qu’une telle mesure ait pu être pré­con­isée par des anar­chistes, alors que la par­ité de salaires sem­ble la solu­tion la plus équitable. Sans doute, s’ag­it-il là de mesures « dém­a­gogiques », à l’usage de cer­tains antipor­foristes, bour­geois et patri­otes.]] – « ren­dre oblig­a­toire le repos domini­cal ». Pour les paysans : défense aux étrangers d’acheter des ter­res – nation­al­i­sa­tion des biens que le clergé pos­sède encore – oblig­er les pro­prié­taires à tra­vailler la terre sous peine de la réqui­si­tion­ner – oblig­a­tion pour l’État de don­ner des ter­res à quiconque en sollicite.

Le pro­gramme du Par­ti Libéral eut une indu­bitable influ­ence sur toute la révo­lu­tion mexicaine.

« Cette influ­ence se remar­que claire­ment dans la Con­sti­tu­tion de 1917, par­ti­c­ulière­ment dans l’article 123 qui la légit en matière de tra­vail » (Sil­va Her­zog, page 59).

Premières actions

Le Par­ti Libéral organ­ise des sociétés secrètes armées dans le Nord et l’Est en 1906. En sep­tem­bre de la même année, les Libéraux, c’est-à-dire les mem­bres du Par­ti Libéral se soulèvent (Acayu­can, Jimenez, Chi­huahua) mais sont bat­tus par l’armée. Le gou­verne­ment de Roo­sevelt, pour pro­téger les intérêts des USA au Mex­ique, arrête les émi­grés mex­i­cains (en 1907 Ricar­do Flo­res Magon qui se trou­vait à Los Ange­les ; en 1906 il avait dû se ren­dre au Cana­da pour échap­per à la police yankee).

Le 25 jan­vi­er 1908 (sans doute en sou­venir de « la loi du démem­bre­ment des biens du clergé votée… cinquante deux ans avant ») (Sil­va Her­zog, page 59), une quar­an­taine de groupes, dont une trentaine bien armée, se soulève dans les provinces de Coahuila, Yucatan, Chi­huahua. Ils sont organ­isés ou dirigés par Ricar­do Flo­res Magon, Juan Sara­bia, Praxide Guer­rero, etc., mais les forces gou­verne­men­tales étouf­fent rapi­de­ment ces mouvements.

« Ces mou­ve­ments présen­taient la tech­nique du putsch… C’est-à-dire qu’un groupe de con­jurés, dix, vingt, cent au max­i­mum, à une heure et à un jour con­venus ten­taient de s’emparer de quelques vil­lages, attaquaient les forces de police ou l’armée, et une fois tri­om­phants, lançaient un man­i­feste invi­tant la pop­u­la­tion à se join­dre à ce mouvement » 

[/(Rama, idem, page 70)./]

En général, ces ten­ta­tives n’eurent pas d’écho dans la population.

Le Par­ti Libéral reçoit alors l’aide de la IWW des USA (Indus­tri­al Word Work­ers : Ouvri­ers Indus­triels du Monde ; syn­di­cat anar­chiste d’action directe). Mais la FAT (Fédéra­tion Améri­caine des Tra­vailleurs) n’appuya jamais pra­tique­ment le Par­ti Libéral, ni non plus aucune des ten­dances de la révo­lu­tion mexicaine.

Débuts de la Révolution : rôle du Parti Libéral

En 1910, Madero forme une oppo­si­tion, le Par­ti Libéral ne s’allie pas avec lui. En effet, ils divergeaient trop : le Par­ti Libéral (PL) soute­nait que pour être libre poli­tique­ment, il faut être libre économique­ment. Quand Madero com­mence la lutte con­tre Diaz, Ricar­do Flo­res Magon écrit dans “ Regen­era­cion ” : « Le change­ment de maître n’est pas une source de lib­erté ni de bien-être ».

Flo­res Magon fut con­scient que lui et ses amis déclen­chaient une révo­lu­tion et non une sim­ple insur­rec­tion. En 1907 il procla­mait déjà :

« Il (Diaz) n’est pas en présence d’un mou­ve­ment dirigé par des aven­turi­ers qui veu­lent les charges publiques pour se livr­er au vol et à l’assassinat des dirigeants actuels, mais bien d’un mou­ve­ment qui a ses racines dans les besoins du peu­ple, et donc, tant que ces besoins ne seront pas sat­is­faits, la Révo­lu­tion ne mour­ra pas, même si tous ses chefs mour­raient, si tous les otages de la république se peu­plaient jusqu’à cra­quer et si on assas­si­nait par mil­liers les citoyens du gouvernement » 

[/(Rama, idem, page 72)./]

Les groupes libéraux agis­sent ; en décem­bre 1910 Praxide Guer­rero meurt à Chi­huahua ; en jan­vi­er 1911, les Libéraux lut­tent dans la Sono­ra, à Tlancala, Chi­huahua, Ver­acruz, Oax­a­ca, More­les, Duran­go. Ricar­do Flo­res Magon dénonce Madero comme faux révo­lu­tion­naire ; mais « mal­heureuse­ment “Regen­era­cion” cir­cu­lait avec dif­fi­culté au Mex­ique et le tra­vail d’orientation de Ricar­do Flo­res Magon est ren­du dif­fi­cile et est très sou­vent com­plète­ment ignoré sur le champ de bataille » (San­til­lan, page 72).

Mais ce qui jusqu’à aujourd’hui reste la gloire du PL, est l’invasion de la Basse-Cal­i­fornie (qui se trou­ve dans une languette de terre presque déserte, sur la côte du Pacifique).

« Le nord de la Basse-Cal­i­fornie est au pou­voir de Cud­ahy Otis, et autres mul­ti-mil­lion­naires nord-améri­cains. Toute la côte occi­den­tale appar­tient à une puis­sante com­pag­nie de per­les anglaise, et la région où est située San­ta Ros­alia, appar­tient à une riche com­pag­nie française ».

« Que pos­sè­dent les Mex­i­cains de la Basse-Cal­i­fornie ? Rien ! Que don­nera le PL aux Mex­i­cains ? Tout ! 

[/(Ricardo Flo­res Magon, 16 juin 1911,

Vida y Obra, Mex­i­co, 1923 – I – 168)./]

Un groupe de mag­o­nistes, une cen­taine, mex­i­cains et nord-améri­cains de la IWW, occu­pa la Basse-Cal­i­fornie de jan­vi­er à mai 1911, mais ils furent vain­cus. L’objectif de Ricar­do Flo­res Magon était de con­stituer une république social­iste selon les principes de l’anarchisme. C’est alors qu’ont été divul­guées des calom­nies ten­dant à prou­ver que les mag­o­nistes étaient payés pour annex­er ce ter­ri­toire aux USA, répan­dues par les nation­al­istes mexicains.

Cette absurde con­cep­tion a été com­plète­ment rejetée dans les derniers con­grès d’histoire de la Basse-Cal­i­fornie en 1956 et en 1962, aux­quels ont par­ticipé des his­to­riens sym­pa­thisants de la Fédéra­tion Anar­chiste du Mex­ique (notons au pas­sage que la sit­u­a­tion économique de la Basse-Cal­i­fornie n’a pra­tique­ment pas changé jusqu’à nos jours. Le Monde du 7/03/1963 sig­nale qu’en Basse-Cal­i­fornie une pro­prié­taire de 10 155 hectares veut expulser 150 000 habi­tants de la ville de Tij­vani sous pré­texte que celle-ci se trou­ve sur ses terres !).

Déclin du parti libéral

En sep­tem­bre 1911, le PL lance un man­i­feste signé par Enrique et Ricar­do Flo­res Magon, Libra­do Rivera, Ansel­mo L. Figueroa, les trois derniers mous­que­taires du PL. Ils se déclar­ent con­tre la pro­priété privée, « con­tre le cap­i­tal, l’Autorité et le Clergé, le Par­ti Libéral Mex­i­cain a dressé le dra­peau rouge… pour une réforme agraire et la pro­priété col­lec­tive des biens. Terre et Liberté ! ”.

« Ces idées influ­encèrent de petits révo­lu­tion­naires alors, et beau­coup plus tard » (Sil­va Her­zog, page 121).

On remar­que la dif­férence de ton avec le pro­gramme de 1906 des­tiné somme toute, à la bour­geoisie. En 1911 les libéraux ne cachent plus leur anarchisme.

En fait, le PL n’était plus que l’ombre de lui-même, ses mil­i­tants étaient morts en prison, ou passés à d’autres ten­dances. Le PL sub­sis­tera nom­i­nale­ment, en la per­son­ne de Ricar­do Flo­res Magon, assas­s­iné le 21 novem­bre 1922 au péni­tenci­er de Leav­en­worth (Kansas).

Le PL a eu une grande influ­ence théorique, idéologique et mil­i­taire (avec les soulève­ments de 1906 et 1908) sur toute la révo­lu­tion mex­i­caine. Mais il avait trop peu de mil­i­tants, sur­veil­lés par la police et les espi­ons des États-Unis et ils ne purent ou peut-être ne surent pas avoir des groupes organ­isés par­mi les ouvri­ers et les paysans. Ils furent tou­jours une minorité dont l’idéalisme, dont l’extraordinaire courage et les qual­ités humaines entraînèrent la masse, mais sans s’y inscrire, sauf dans quelques foy­ers. La per­son­ne de Ricar­do Flo­res Magon a forgé le PL, c’était un apôtre, un être unique, « un des hommes les plus purs du mou­ve­ment ouvri­er mex­i­cain » (Octavio Paz, Le labyrinthe de la soli­tude, page 168). Le lende­main de sa mort (il avait 48 ans, 13 en prison) la Cham­bre des Députés décré­ta un jour de deuil nation­al, mais les amis, les mil­i­tants anar­chistes refusèrent les funérailles nationales.

Autres aspects anarchistes ou anarchisants

Le zap­atisme dirigé par Emil­iano Zap­a­ta est, à l’origine, un mou­ve­ment local et paysan au sud du pays, dans une région de cli­mat trop­i­cal où l’on cul­tive la canne à sucre. S’opposant aux grands pro­prié­taires, les par­ti­sans de Zap­a­ta partagèrent les ter­res, les divisèrent entre eux, les tra­vail­lèrent et les défendirent. L’armée était typ­ique­ment paysanne, elle ne sor­tait presque pas de sa zone de combat.

« Zap­a­ta même, refusa d’avoir une armée per­ma­nente, car il dis­ait que cela serait chang­er le méti­er des gens, et que, s’il deve­naient sol­dats, ils allaient oubli­er d’être paysans. L’armée était, à tour de rôle, les armes à la main ou à tra­vailler la terre » 

[/(Rama, idem, page 71)./]

Les anciens mil­i­tants allèrent surtout avec Zap­a­ta qui était très influ­encé par le PL. Mais il y avait des « diver­gences pro­fondes » à cause des « ten­dances étatistes » de Zap­a­ta, bien « qu’aucun par­ti poli­tique… n’ait atteint une solu­tion aus­si rad­i­cale du prob­lème agraire » (San­til­lan, page 98).

En 1918, Zap­a­ta écrivait, à pro­pos de la révo­lu­tion russe d’intéressantes idées, toutes imprégnées de saveur anarchiste :

« Nous gag­ne­r­i­ons beau­coup, et la jus­tice humaine y gag­n­erait beau­coup, si tous les peu­ples de notre Amérique et de tous les pays de la vieille Europe com­pre­naient que la cause du Mex­ique révo­lu­tion­naire et la cause de la Russie irré­dente sont et représen­tent la cause de l’humanité, l’intérêt suprême de tous les opprimés… Il n’est pas éton­nant que, de même que le pro­lé­tari­at mon­di­al applau­dit et admire la Révo­lu­tion russe, de même il accordera toute son adhé­sion et sa sym­pa­thie et son appui à cette Révo­lu­tion mex­i­caine, lorsqu’il se ren­dra compte de sa final­ité. Il faut surtout ne pas oubli­er que… l’émancipation de l’ouvrier ne peut s’effectuer si on ne réalise pas à la fois la libéra­tion des paysans. S’il en allait autrement, la bour­geoisie pour­rait met­tre ces deux forces l’une en face de l’autre et prof­iter de l’ignorance des paysans pour com­bat­tre et réfrén­er les impul­sions des tra­vailleurs des villes de la même façon que si l’occasion se présente, elle pour­ra utilis­er les ouvri­ers peu con­scients et les lancer con­tre leurs frères des champs » 

[/(Rama, idem, page 73)./]

Zap­a­ta ne par­lait pas dans le vide. En 1912, des anar­cho-syn­di­cal­istes, en majorité d’origine espag­nole et igno­rants de la sit­u­a­tion mex­i­caine, avaient fondé « la Mai­son de l’Ouvrier Mon­di­al ». Ce syn­di­cat groupait les tra­vailleurs des grandes villes. Quand le gou­verne­ment de Car­ran­za fut men­acé par les armées paysannes du Nord – Pan­cho Vil­la – et du Sud – Emil­iano Zap­a­ta – il signa un accord avec la « Mai­son de l’Ouvrier Mon­di­al », pour créer une force armée ouvrière. L’accord con­sis­tait en deux arti­cles, pre­mière­ment le gou­verne­ment s’engage « à amélior­er, au moyen de lois adéquates, la con­di­tion des tra­vailleurs » ; deux­ième­ment, « les ouvri­ers de la Mai­son de l’Ouvrier Mon­di­al… font con­naître la déci­sion qu’ils ont prise de col­la­bor­er de manière effec­tive et pra­tique pour le tri­om­phe de la Révo­lu­tion, soit en prenant les armes pour pro­téger les villes qui sont au pou­voir du gou­verne­ment con­sti­tu­tion­nel, soit pour com­bat­tre la réaction ».

« Les batail­lons rouges » furent ain­si for­més et ils per­mirent à Car­ran­za de repouss­er Zap­a­ta et Vil­la, ce qui don­nait ain­si un exem­ple écla­tant de divi­sion des class­es exploitées.

Le Parti Libéral et les anarchistes

On l’accuse de ne pas être anar­chiste, de ne pas être révo­lu­tion­naire, de rester à des cen­taines de kilo­mètres de la bataille. Ces accu­sa­tions furent faites par Jean Grave dans les « Temps Nou­veaux », lors d’une polémique avec « Regen­era­cion ». Kropo­tine l’apaisa un peu avec ces paroles : 

« Mal­heureuse­ment les 9/10 (peut-être 99 %) des anar­chistes, ne conçoivent pas la Révo­lu­tion autrement que sous la forme de com­bats sur des bar­ri­cades ou d’expéditions tri­om­phantes à la Garibal­di » (27/04/1912).

Importance du Parti Libéral pour notre expérience

Il ne s’agit pas pour nous de faire une analyse exhaus­tive, mais de soulign­er les aspects les plus importants.

Le PL était par­ti­san de l’action directe, organ­isée mil­i­taire­ment. Il était dirigé par les anar­chistes et refu­sait les alliances avec les hommes poli­tiques (Madero) ; mais il accep­tait de militer avec les mil­i­tants de base (mou­ve­ment de Zapata).

Il était engagé pro­fondé­ment dans l’action, mal­gré les sab­o­tages des enne­mis, et des pseu­do par­ti­sans de la révo­lu­tion. Il est curieux de con­stater que les cri­tiques adressées par les anar­chistes non mex­i­cains ont été répétées aujourd’hui. Ces cri­tiques con­sis­tent à reprocher à des anar­chistes de ne pas se déclar­er tels dans l’action, et à leur reprocher d’agir en les trai­tant de phi­lo-com­mu­nistes ou d’étatistes.

À Cuba, il a été reproché tour à tour aux anar­chistes d’appuyer Cas­tro (c’est-à-dire un non-lib­er­taire) et de le com­bat­tre (c’est-à-dire, selon ces cri­tiques, d’être avec les USA).

Pour l’Algérie, il a été reproché à des cama­rades d’aider le FLN (mou­ve­ment nation­al­iste, donc anti-anar­chiste) et de ne pas aider le ***(mou­ve­ment de libéra­tion, donc pro-anarchiste).

Pour l’Espagne, il a été et il est tou­jours reproché à des cama­rades d’agir en dehors de la CNT (Sabater, Mou­ve­ment Pop­u­laire de Résis­tance) parce que leur action est anti-fas­ciste, mais pas nom­mé­ment libertaire.

Nous voyons donc, que depuis 1912, nous, les anar­chistes, nous avons été inca­pables d’avoir une posi­tion nette sur l’action vio­lente et organ­isée con­tre l’État. Nous con­fon­dons la par­tic­i­pa­tion et la non-par­tic­i­pa­tion, le comble étant atteint par la CNT, avec sa par­tic­i­pa­tion au gou­verne­ment pen­dant la guerre d’Espagne, erreur dont il est per­mis de se deman­der si elle est bien com­prise aujourd’hui.

Deux choses devraient nous guider en dehors du fait que l’absolu, la pureté anar­chiste sont impos­si­bles dans un milieu non anar­chiste. Ces deux choses sont l’intérêt du peu­ple et la prop­a­ga­tion des idées anar­chistes. Là encore, nous devons insis­ter sur une évi­dence : nous n’avons pas le priv­ilège, le mono­pole des idées anar­chistes. Cer­tains cama­rades, pour ne pas dire la majorité, se scan­dalisent presque quand quelqu’un, non lib­er­taire, émet des idées lib­er­taires, ils y voient un petit bour­geois, ou un dém­a­gogue… un espi­on, même. On croirait qu’ils ont le sen­ti­ment de la pro­priété des idées… mais si l’anarchisme sub­siste et a même des pos­si­bil­ités dans l’avenir, c’est qu’il est servi et désiré par la masse.

Cette atti­tude de tour d’ivoire, de sec­tarisme de cer­tains anar­chistes con­damne automa­tique­ment tout ce qui peut sem­bler lib­er­taire. Cette atti­tude est en réal­ité de la lâcheté con­sciente et avouée.

Quand un anar­chiste s’engage dans une lutte à Cuba, pour l’Algérie, ou pour l’Espagne, il est con­scient à la fois qu’il lutte con­tre un État, une dic­tature, et que si l’organisation pour qui il milite tri­om­phe, elle ne décrétera jamais le com­mu­nisme lib­er­taire. Mais c’est là qu’il se mon­tr­era vrai­ment anar­chiste en essayant par tous les moyens d’impulser les idées et les réal­i­sa­tions anar­chistes. Chose com­plète­ment impos­si­ble s’il n’avait pas par­ticipé à la lutte.

Ces déduc­tions ont été égale­ment for­mulées par Archi­nov, dans l’Histoire du Mou­ve­ment Makhno­viste (nos cita­tions sont tirées de l’édition ital­i­enne de 1954).

« On pou­vait penser que les anar­chistes qui avaient tant par­lé d’un mou­ve­ment révo­lu­tion­naire de masse et l’avaient atten­du pen­dant des années comme on attend un messie, se seraient empress­er d’entrer dans ce mou­ve­ment, à s’y fon­dre, à se don­ner com­plète­ment. En réal­ité cela n’arriva pas.

La plu­part des anar­chistes russ­es qui avaient suivi l’école de l’anarchisme théorique, restèrent isolés dans leurs cer­cles, qui alors n’étaient utiles à per­son­ne, tous dis­per­sés, dis­cu­tant sur ce que serait la nature de ce mou­ve­ment, et quels rap­ports entretenir avec lui, sans rien faire, cher­chant à apais­er leur con­science en déclarant que le mou­ve­ment n’était pas authen­tique­ment anarchiste.

Et pour­tant… La masse avait un urgent besoin de col­lab­o­ra­teurs qui sachent for­muler et dévelop­per ses idées, les intro­duire dans la vaste con­créti­sa­tion de la vie réelle, et éla­bor­er de nou­velles formes, ouvrir de nou­velles voies au mou­ve­ment (page 244).

… Retenons que ce fait douloureux n’est point arrivé par hasard, mais qu’il avait des caus­es pré­cis­es et déter­minées, voyons-les. S’occupant plus que les autres de théories anar­chistes, ils se sont peu à peu con­va­in­cus qu’ils étaient les guides du monde anar­chiste et se sont crus cer­tains que le mou­ve­ment anar­chiste en per­son­ne aurait pris son essor grâce à eux, ou du moins avec leur par­tic­i­pa­tion immé­di­ate. Au lieu de cela, le mou­ve­ment com­mença loin des théoriciens, presque à la périphérie et pour­tant au plus pro­fond de la société contemporaine.

Naturelle­ment, ce fait ne dit rien con­tre le makhno­visme ni con­tre l’anarchisme, mais seule­ment con­tre ces anar­chistes et ces organ­i­sa­tions anar­chistes qui en présence d’un mou­ve­ment social ouvri­er et paysan de portée his­torique, se mon­trèrent presque pas­sifs et d’esprit si étroit, qu’ils ne surent ou ne voulurent pas venir à son aide (…) quand en chair et en os, ce mou­ve­ment a appelé à lui tous ceux pour qui sont chers la lib­erté des tra­vailleurs et les buts de l’anarchisme (page 245)

L’anarchisme est la vérité et la jus­tice pour les mass­es. Par son héroïsme, par sa force de volon­té, c’est actuelle­ment la seule doc­trine sociale sur laque­lle les mass­es peu­vent s’appuyer avec con­fi­ance, dans le cours de leur lutte. Mais pour jus­ti­fi­er cette con­fi­ance, l’anarchisme ne doit pas être seule­ment une grande idée et les anar­chistes ses pla­toniques défenseurs. Il faut que les anar­chistes par­ticipent con­stam­ment au mou­ve­ment des mass­es, que les tra­vailleurs du mou­ve­ment révo­lu­tion­naire des mass­es y soient : c’est comme cela seule­ment que le mou­ve­ment respir­era pleine­ment l’atmosphère des idéaux anar­chistes. On n’obtient rien sans rien : chaque tâche exige des efforts et des sac­ri­fices con­ti­nus. L’anarchisme doit trou­ver l’unité de volon­té et d’action, doit se plac­er devant une représen­ta­tion pré­cise de ses objec­tifs his­toriques. L’anarchisme doit entr­er dans les mass­es et s’y con­fon­dre » (page 247, 248).

L’expérience de la Révo­lu­tion mex­i­caine nous intéresse à dou­ble titre. Ce fut une révo­lu­tion paysanne, dans un pays sous-dévelop­pé. Ce fut une révo­lu­tion forte­ment mar­quée par les anarchistes.

Comme à Cuba, on voit que l’élément révo­lu­tion­naire est la classe paysanne, et que l’élément ouvri­er, quand il est minorité priv­ilégiée, fait cause com­mune avec les puis­sances oppressives.

Ce car­ac­tère est nor­mal dans le mou­ve­ment ouvri­er, on con­naît des exem­ples « d’avant-garde » où les ouvri­ers s’abstiennent de tout mou­ve­ment d’opposition.

Il nous sem­ble que les théories anar­chistes, surtout bak­ounini­ennes, s’appliquent bien aux pays du « tiers-monde », alors que d’un point de vue marx­isme PC, ces pays sont con­damnés à atten­dre l’initiative révo­lu­tion­naire du pro­lé­tari­at (quand il existe).

[/Israël Ren­ov/]


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