La Presse Anarchiste

À celui qui va passer officier

Ain­si tu vas avoir la ficelle dorée
Sur tes bras de drap fin étroi­te­ment serrée
Et pas­ser du trou­peau ano­nyme des serfs
Dans le groupe des chefs.
Puisque nous fûmes camarades,
Laisse-moi, au moment où tu fran­chis le seuil
Du nou­veau monde de ce grade,
Te dire quelques mots : Sois sans orgueil,
Sois tou­jours simple comme nous,
Sois modeste, sois bon, sois doux,
Sou­viens-toi que tu n’es pas meilleur que les autres,
Que ta chance est d’être vivant,
Et que d’autres sont morts qui te valaient vraiment.
Ne renie pas ton frère oublié dans le rang,
N’oublie pas que tes pen­sées furent les nôtres.
Ne te crois pas d’une autre essence
D’être auréo­lé de garance,
Ne sois pas dur, ne sois pas fier ;
Sinon le geste bref d’une main qu’on élève
Ne sera pas l’affectueux bon­jour de tes élèves
Mais le salut sans âme au cha­peau de Gessler.
Ce n’est pas de bom­ber le clair azur du torse
Sous les filles aux yeux moqueurs,
Ton rôle. — Il faut le cher­cher dans ton cœur.
Aie la patience et la force,
Sois indul­gent à tes copains d’hier,
Et si tu veux être aimé, aime.
Ton rôle est dur, ton devoir est sou­vent amer.
Si tu veux être un chef selon l’âme et la lettre,
Sois dif­fi­cile envers toi-même,
Apprends chaque jour à mieux te connaître,
Et parce que tu vas avoir quelque bien-être.
La liber­té de vivre en dehors des corons,
Qu’en toi les igno­rants incarnent tout le front,
Et laissent à l’écart notre troupe vulgaire,
Ne deviens pas le domes­tique de la guerre,
Ne lèche pas ses pieds écla­bous­sés de sang,
Ne dis pas qu’elle est belle aux hommes de l’arrière,
Ne dis pas qu’elle est sainte aux peuples innocents,
Hais-la, comme nous, de toute ta colère,
Notre tâche est pareille, et donne-nous la main
À lui tordre son cœur gon­flé de sang humain
Enfin, quoiqu’un fos­sé trop réel nous sépare
Que nos morts et les tiens, hélas ! n’ont pas comblé,
Que quatre ans en com­mun ne nous ont révélé
Qu’une fra­ter­ni­té de com­mande ou trop rare,
Sou­viens-toi que, là-haut, sous la mort qui t’effraie,
Tu ne seras qu’un homme ébran­lé dans sa chair,
Mais qu’il fau­dra gagner ton auto­ri­té vraie
Par l’exemple en avant de ton cou­rage offert.

[/​Hen­ry-Jacques.

La Sym­pho­nie héroïque (Allegro)./]

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