La Presse Anarchiste

Le Congrès des Cheminots

Le Congrès natio­nal extra­or­di­naire des Che­mi­nots, qui s’est tenu du 7 au 9 cou­rant, rue de la Grange-aux-Belles, ne pré­sen­tait que peu d’intérêt en soi. La ques­tion des res­pon­sa­bi­li­tés de l’échec de la grande grève de mai a été agi­tée tant de fois, notam­ment au cours des Congrès de réseaux, que l’on n’attendait pas du Congrès de Paris grand’ chose de neuf à ce sujet. L’importance, pour les mili­tants, était plu­tôt dans l’attitude des deux ten­dances dites majo­ri­taires et mino­ri­taire, à l’approche du Congrès confé­dé­ral d’Orléans. La Fédé­ra­tion des Che­mi­nots est peut-être celle où les deux ten­dances se heurtent le plus vio­lem­ment. Les « majo­ri­taires » y sont très réfor­mistes, et les « mino­ri­taires » par­ti­cu­liè­re­ment extré­mistes. À ce point de vue, on ne pou­vait pas s’attendre à un apaisement.

L’échec du mou­ve­ment de mai, et les 25.000 révo­ca­tions qui l’ont sanc­tion­né ont, au contraire, ren­for­cé les anta­go­nismes, en rem­plis­sant les cours d’amertume. De ce fait, pas d’examen de conscience. De part et d’autre a domi­né le sou­ci de se défendre contre les attaques de l’adversaire. Aus­si, nul pro­mo­teur de la grande grève n’est venu recon­naître que ses amis et lui avaient été vic­times — et avec eux l’organisation et toute la C.G.T. — d’un embal­le­ment ; qu’ils avaient, dans leur pas­sion, — com­mis une erreur d’optique, et qu’ils étaient res­tés les pri­son­niers de leur amour-propre et de la cam­pagne qu’ils avaient déclen­chée contre l’inaction de leurs pré­dé­ces­seurs. Cha­cun avait ren­con­tré trop de vile­nies pour ne pas jeter sa ran­cœur dans le débat, sans plus. Au milieu des cla­meurs, pour­tant, quelques atti­tudes phi­lo­so­phi­que­ment dés­in­té­res­sées. C’est, par exemple, Daly, un révo­qué de Nan­cy, qui émet ce juge­ment : « On se serait tres­sé des cou­ronnes de lau­riers dans la vic­toire ; on s’offre la cou­ronne d’épines après la défaite, et cha­cun vou­drait s’attribuer la palme du martyre. »

Ce qui aggrave la res­pon­sa­bi­li­té de cer­tains extré­mistes, c’est d’avoir enta­mé le mou­ve­ment non dans un but dés­in­té­res­sé d’action, mais afin de pro­vo­quer la chute de l’actuelle direc­tion de la C.G.T., au grand pro­fit de nos poli­ti­ciens et des dic­ta­teurs bol­che­vistes. Que la conni­vence existe dans bien des cas, cela ne paraît pas dou­teux. On aurait cepen­dant tort de croire que les­dits extré­mistes sont tous embri­ga­dés dans une conju­ra­tion et obéissent avec ensemble à des ordres venus de Mos­cou. Il en est qui se pro­clament liber­taires et se refusent à être confon­dus avec les poli­ti­ciens ; ils ne s’en déclarent pas moins « prêts à col­la­bo­rer avec tous ceux qui veulent appli­quer des méthodes révo­lu­tion­naires » (Sirolle). « C’est pour cette rai­son, ajoute Sirolle, que notre sym­pa­thie va tout entière à la Révo­lu­tion russe, et bien que nous soyons peut-être plus oppo­sés que vous à la « dic­ta­ture du pro­lé­ta­riat ». Mal­gré les réserves faites, la soli­da­ri­té existe donc bien avec les poli­ti­ciens bol­che­vi­sants pour la main­mise de ceux-ci sur la C.G.T. Pour le moment, toute la ques­tion est là.

Par­mi les per­son­na­li­tés autour des­quelles ont tour­né les que­relles du Congrès, il faut signa­ler celle de Dumou­lin. Son rôle de repré­sen­tant de la C.G.T. auprès des Che­mi­nots a été âpre­ment dis­cu­té. Quel sens fal­lait-il accor­der à telle ou telle de ses paroles ? etc. Il semble, en réa­li­té, qu’il ait quelque peu gaf­fé. Cela lui arrive d’ailleurs à l’occasion.

Ce n’est guère le moment de gaf­fer. Et on recon­naî­tra que le rôle de secré­taire d’une grande orga­ni­sa­tion exige plus que jamais du doig­té. À côté des périls exté­rieurs dont la C.G.T. est actuel­le­ment mena­cée, il faut faire face aux dif­fi­cul­tés inté­rieures de l’organisation. Non seule­ment le syn­di­qué ne sait pas s’administrer — du moins pas encore — comme le fait remar­quer Pier­rot par ailleurs, mais ne veut plus se lais­ser admi­nis­trer, comme c’est encore le cas dans des pays moins évo­lués. Cet état d’esprit tran­si­toire ne contri­bue pas à éclair­cir la crise que tra­versent les syn­di­cats et qui ne se tra­duit pas seule­ment par une dépres­sion morale par­ti­cu­liè­re­ment grave, mais aus­si par la situa­tion périlleuse des effec­tifs de la plu­part des orga­ni­sa­tions, même de celles qui n’ont pas par­ti­ci­pé à la bataille de mai. Aux mili­tants s’impose un labeur per­pé­tuel, ingrat, sans cesse à reprendre. Toutes nos cri­tiques ne nous empêchent pas de tenir compte de ces difficultés. 

[/​Jacques Reclus./​]

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