[/Extrait d’un long poème où l’auteur évoque
tous les Monstres d’Autorité avec lesquels l’individu
doit se battre sur le chemin de la vie./]
…………………………
À mes yeux hagards
Un troisième Monstre surgit.
Le corps énorme d’un cochon
Tout rond,
Faisant craquer de lard sa peau obscène,
Et vautrant sa rose bedaine
Dans la boue et dans le sang.
Devant,
Quatre gueules de chacals
Aux yeux crevés.
Hurlant
Férocement à la Haine.
Et derrière, héroïquement,
Sur son cul de porc s’élevait
La queue en panache de gloire
Historique du grand cheval
De bataille à travers l’Histoire.
— Et tout cela, ma Nuit d’Été,
Peut-on le croire,
Je le voyais dans ta Clarté ! —
Les gueules de Chacals faisaient
Une assourdissante clameur
Discordante
De rauques hurles d’épouvante.
L’une disait :
« À la guerre ! À la guerre !
« Mon brave soldat féodal.
« Ton prince est le meilleur des princes,
« Car il est ton prince natal.
« C’est pour lui que mourut ton père,
« Et de ses pères tes aïeux
« Furent esclaves bienheureux.
« Allez, enfants de la province,
« Mourir pour la gloire du Prince. »
Et chaque hurle accompagnait
Un coup de croc dans les charognes.
Pendant ce temps, l’autre clamait :
« À la guerre ! À la guerre !
« Bons Patriotes, aux frontières !
« Écoutez la bonne Nouvelle !
« Votre grand Empereur conquérant
« A besoin de votre sang
« Pour écrire au livre d’histoire
« Sa plus belle page de gloire.
« Laissez mères, femmes, enfants
« Et partez. La Mort vous appelle
« Au Champ d’Honneur.
« Héroïque foule immortelle,
« Sacrifiez-vous pour l’Empereur ! »
Et, à chaque coup de sa gueule,
Du sang ruisselait sous la Lune.
La troisième encore plus fort
Hurlait sa chanson de Mort.
Et j’entendais :
« À la guerre ! À la guerre !
Citoyens de la République…
Fils fortunés d’un libre Peuple
Aux traditions démocratiques.
Vos ancêtres ont su se battre
Et mourir au son du canon
Pour faire inscrire en lettres d’or
Sur tous les murs de vos Cités,
Ceux des prisons.
Ceux du Palais présidentiel.
Sur ceux des Asiles nocturnes
Et sur les murs de vos théâtres
Partout, cette unique formule
Providentielle :
Liberté, Égalité. Fraternité.
« Divin principe ! Précieux bien
Pour les cœurs de républicains !
« Ô Citoyens,
Vous êtes tous égaux et frères.
Alors, qu’importe la misère
Ou le pouvoir ou la fortune.
Quand on est Peuple Souverain,
Tous égaux en droit devant l’Urne
Magique,
La Sacrée Urne Électorale
Où, comme par enchantement.
Tous les rêves et toutes les faims.
Toutes les souffrances d’hier
Et tous les espoirs de Demain
Et toutes les révoltes fières.
Passant par les ardentes braises
Du feu social.
Aux sons de la « Marseillaise »
Se fondent en un seul métal
De bon airain patriotique
Pour les mitrailles héroïques
De la Défense Nationale.
« Dansez la Carmagnole,
Vive le son, vive le son !
Dansez la Carmagnole,
Vive le son du Canon !
« Vous êtes dans la tradition,
La tradition républicaine,
La pure tradition de vos frères
Aux temps de la Révolution,
La tradition de vieille haine.
« Allez ! enfants de la Nation.
Formez vos bataillons.
Sus à ces hordes ennemies
Défendez la belle Patrie
Pour laquelle moururent vos pères.
Frappez, tuez, le goût du sang
Est un des biens héréditaires
Que la Patrie mit dans les veines
De vos ancêtres, mes enfants.
Aux temps de la Sainte Terreur
Et des guerres républicaines.
« Abreuvez de sang les sillons
Éventrés des immenses plaines.
Votre patrie a soif de sang.
C’est la guerre. Profitez-en
Pour assouvir cette passion
De meurtre qui brille vos veines.
Ô Soldats de la République,
Assassinez sans haut le cœur ;
Goûtez le plaisir ineffable
De pouvoir tuer son semblable
Au nom des lois, impunément.
Soyez des soldats héroïques.
« À la baïonnette ! En avant !
Assassinez pour la Patrie.
Plongez vos armes dans les chairs
Palpitantes de jeune vie.
« Fauchez les corps vigoureux ! Faites
Ample moisson de regards clairs ;
Piétinez la vendange humaine ;
Abreuvez les sillons de sang.
« Et puis, ayant atteint ces faîtes
De l’héroïsme militaire,
Mourez à votre tour, laissant
Vos charognes nourrir les plaines
Immenses de votre patrie.
« La République vous appelle.
Sachant vaincre, sachez périr.
Un Français doit vivre pour elle.
Pour elle un Français doit mourir. »
Ainsi,
L’Aboyeur sinistre hoquetait
Comme un homme ivre
Ses stupides paroles
De Mort,
En vomissements d’un sang lourd
Puant l’alcool
Et la pourriture immonde
Des héréditaires véroles.
Et cependant
C’était ton temps.
Minuit d’Amour,
O cœur voluptueux du Monde
Battant au rythme de l’Été
La Joie de Vivre!…
La quatrième Gueule de Chacal,
À son tour.
Entonnait son refrain de Mort :
« À la guerre ! À la guerre !
Défenseurs de l’Humanité !
« Au chant de 1’« Internationale »
Formez vos nouveaux bataillons !
Vous êtes les soldats du Droit
Et de la Civilisation !
Dressez, contre la Barbarie
Des jeunes peuples réfractaires
À votre Loi,
Vos canons lançant leur furie
De bonne Mort humanitaire !
« Mitraillez la race maudite
De ces Barbares au poil roux
Négateurs de vos beaux principes.
Mitraillez ces brutes, ces fous
Qui clament que la Force est tout
Et que le Bon Droit est un mythe.
« Exterminez ! Pas de pitié !
Vous pouvez massacrer sans crainte.
Au nom de l’Humanité
L’œuvre d’assassinat est sainte.
« Au bon carnage ! Tous en chœur !
Taïaut ! Taïaut ! Chiens de Bonté,
Braves chiens de toutes les chasses
D’universelle charité. Catholiques et socialistes,
Ô Pacifistes,
Au nom de l’Humanité,
À la guerre ! À la guerre !
« Hommes de cœur,
Taïaut ! Taïaut ! Traquez la race
Qui ne veut pas subir la Loi
Commune de votre bon Droit.
Sus à la Bête meurtrière.
Et pas de grâce !
Pour cette fois.
Vous pouvez tuer sans pitié.
Ce n’est pas une guerre ordinaire.
L’œuvre de Mort est salutaire. »
Ô la quatrième Gueule,
Le monstre s’en réjouissait
Bien plus que de toutes les autres,
Car ses mâchoires déchiraient,
Au rythme de son discours
De bon apôtre.
Les plus beaux corps
Du jeune Amour.
Ses mâchoires étaient la meule
Où se venait broyer le grain
Des épis d or
De la pensée en Messidor.
Et le cochon, vautrant
Sa panse grasse
Dans le sang,
Digérait la blancheur du Pam
Béatement.
Oh ! ce Monstre sur mon chemin…
Où fuirai-je les cris de Mort
De ses quatre gueules voraces
Et la vision d’horreur obscène de son corps ?
Un vol traînant de vieux corbeaux dans le
[ciel passe…
[/André