Ce cri connut toujours la même vogue dans tous les temps et dans tous les pays. Il, résume, en effet, des aspirations infinies vers des réalités innombrables qui touchent à la fois au corps et à l’esprit. Et ce fut toujours un signe éblouissant de promesses auquel se ralliaient tous les misérables et aussi, ceux, plus rares, qui souffraient de la détresse d’autrui.
Liberté !
Ce mot claque à tous les souffles humains bien mieux qu’un drapeau au vent. Et puis, un drapeau comporte des couleurs et même le drapeau noir a la sienne. Un drapeau, c’est encore un programme…, on le discute,
La liberté n’a pas de programme.
C’est pourquoi la liberté ne doit point avoir de drapeau.
Et pourtant, à chaque fois qu’une poignée d’hommes (issus d’une révolution qui avait proclamé la liberté) accèdent au Pouvoir, la première chose qu’ils font c’est de fabriquer un mannequin qu’ils exhibent devant le peuple, en lui criant :
« La voici votre liberté que nous vous avons promise ! C’est elle ! Regardez-la bien ! Et quiconque lui manquera de respect sera passible de nos lois et connaîtra nos juges, nos prisons et nos bourreaux !
Et la foule, abrutie après tant d’efforts, salue chaque fois le mannequin avec idolâtrie.
Et quand au bout d’un certain temps le mannequin ne répond plus à ses supplications, la foule se range docilement autour de ceux qui lui fabriquent un autre mannequin.
Après cinq mille ans d’expériences successives, la masse opprimée espère encore dans un nouveau mannequin. Et cette masse est aussi bien composée de manœuvres, que « d’intellectuels ».
Oui, j’insiste là-dessus. On a trop tendance, démagogiquement, à plaindre ceux qui ne souffrent que de l’estomac. Et, par habitude, les âmes charitables ne s’apitoient que sur les meurt-de-faim, sans culottes, ni logis.
Mais il n’y a pas qu’eux. Il y a aussi des « intellectuels » dans le même cas et qui, en outre, souffrent, quotidiennement, de cet inaltérable besoin de proclamer leurs pensées de par le monde, aussi subversives qu’elles soient.
Je sais bien que beaucoup de gens hausseraient les épaules en entendant ce propos.
— Alors, me diraient-ils, ce besoin impérieux que vous avez de dire ou d’écrire ce que vous pensez, vous l’assimilez à un besoin physique ?
— Mais oui !
— Vous prétendez avoir autant droit à la satisfaction de votre esprit qu’à celle de votre estomac ?
— Mais parfaitement !
— Je ne vous comprends pas.
* * * *
Et voilà le drame.
Les masses en réclamant la liberté ne savent pas au juste ce qu’elles veulent.
Les dictateurs qui les mènent depuis des millénaires l’ont fort bien compris.
Et même un « pacifiste » de la classe de Giraudoux ne semblait pas savoir très bien ce que c’est que la liberté, ou, sans doute, l’avait-il oublié, ou sans doute encore voulait-il la taire quand il nous menaçait en 1939 de nous supprimer nos appareils de T.S.F. si nous écoutions la radio allemande.
Tout comme les autres dans la suite. La guerre de Troie n’aura pas lieu. Mais quand elle a lieu, on supprime le peu de liberté dont on jouissait.
On supprime la liberté au nom de la liberté, de même qu’on part en guerre au nom de la paix.
Et on tente de faire oublier aux générations nouvelles les quelques libertés acquises par les générations qui les ont précédées.
J’en ai eu trop souvent la preuve. J’ai été trop souvent stupéfait de l’étonnement que je lisais sur de jeunes visages quand j’exposais brièvement les petites libertés dont nous jouissions avant 1914. Quand j’affirmais qu’à cette époque on pouvait prendre un billet pour Londres, Bruxelles, Cologne, Rome, Madrid, Berne, etc., sans passeport, sans carte d’identité.
On logeait où on voulait, à la nuit, à la semaine, au mois, dans la quiétude absolue du sommeil ou de l’amour satisfait.
Il n’y avait pas d’inquisitions fiscales.
Et le Théâtre Antoine faisait honnir les horreurs de Biribi, tandis que « Le Grand soir » était acclamé au Théâtre des Arts.
Les perquisitions étaient exceptionnelles.
Le régime politique existait encore dans les prisons.
Et nombreuses étaient celles qui étaient dépeuplées ; il y avait des geôliers sans travail et des directeurs de maisons de force sans emploi.
Mais ça ne suffisait pas aux passionnés de la Liberté. Ils en voulaient d’autres, ils les voulaient toutes ; et ils avaient bien raison. Car il n’y aura jamais assez de libertés dans le monde.
Et le seul fait de vouloir les conquérir dans le domaine matériel, comme sur le plan spirituel, cette seule tension de l’individu vers un idéal d’émancipation absolue, tout cela lui confère un titre de noblesse immarcescible qui laissé loin derrière soi les hochets puérils des honneurs accordés aux vertus civiques officiellement accréditées.
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