La Presse Anarchiste

Revue des livres

Fer­nand Planche et Jean Del­phy : Kro­pot­kine (Slim – 210 fr.).

On croi­rait lire un conte du bon Nodier, ce Juif errant de la lit­té­ra­ture, tant est émou­vante la vie de ce des­cen­dant des grands Princes de Smo­lensk, savant illustre qui pré­fé­ra la science au plai­sir et la bon­té à la richesse. Les auteurs ont rai­son de dire que nos modernes para­sites aux dents longues font bien piteuse figure à côté de ce vul­ga­ri­sa­teur de la pen­sée anar­chiste qui pra­ti­qua toute sa vie le dés­in­té­res­se­ment le plus absolu.

Les œuvres de Kro­pot­kine : « Paroles d’un révol­té », « La Conquête du Pain », etc., furent tra­duites dans toutes les langues, même en chi­nois. Ce livre rap­pelle la fin tra­gique du « Kro­pot­ki­nien » Li-Chi-Fou. Rap­pe­lons aus­si que le Japo­nais Den­ji­ro Koto­ku, qui fut exé­cu­té en 1911, tra­dui­sit Kro­pot­kine et expo­sa ses idées dans Hei­min Shim­bum, Nip­pon Hei­min et dans Chien Ye et les Chi­nese Anar­chist News, deux organes qui s’adressaient plus spé­cia­le­ment aux étu­diants chi­nois de l’Université de Tokio.

Albé­ric Varenne : Quand la France occu­pait l’Europe (Le Portulan).

Plus de cinq cents pages de faits, d’anecdotes, de docu­ments pré­sen­tés dans un style agréable, avec une impar­tia­li­té rare. On peut confron­ter avec les évé­ne­ments de notre époque ce déchaî­ne­ment d’instincts et de pas­sions carac­té­ri­sant « l’épopée » napo­léo­nienne qui fut aus­si une habile dupe­rie de l’enthousiasme public.

D.H. Law­rence : Lady Chat­ter­ley (Édi­tions des deux Rives – 315 fr.).
La pre­mière et la meilleure ver­sion d’un roman qui a remué bien des pas­sions, sur­tout en Angle­terre où son auda­cieuse concep­tion de l’équilibre sexuel a vive­ment heur­té l’élément puritain.

Chris­ti­na Stead : Vent d’amour (Édi­tions des Deux Rives – 285 fr.).

Une âpre satire du cœur humain. Ce roman sou­lève la ques­tion de l’amour et du mariage, avec un réa­lisme des plus crus. Tou­te­fois, il est regret­table que, sur­tout dans la pre­mière par­tie, le tra­duc­teur ait cru devoir s’en tenir à une repro­duc­tion un peu trop littérale.

Pierre Navarre : Saint-Pétrole, roman syrien (Édi­tions Self – 300 fr.).

Une intrigue qui se déroule par­mi les pétro­liers de Méso­po­ta­mie, pays qui pour­rait deve­nir l’enjeu d’une pro­chaine guerre mon­diale. Une docu­men­ta­tion pré­cise aide à com­prendre la signi­fi­ca­tion des remous du Proche-Orient, de 1900 à la guerre de Pales­tine. Un style alerte et non dépour­vu d’un cer­tain humour donne un attrait sou­te­nu à ce roman d’une indé­niable actualité.

H.G. Wells : Les Enfants dans la Forêt (Édi­tions des Deux Rives – 285 fr.).

À 72 ans, Wells est res­té le conteur alerte et l’humoriste sou­riant que nous avons connu à tra­vers ses pre­mières œuvres. Dans ce livre, il traite du thème essen­tiel de la des­truc­tion qui guette les hommes qu’il com­pare à des enfants per­dus dans la forêt. Il apporte un point de vue ori­gi­nal sur les évé­ne­ments pas­sés comme sur l’avenir, une nou­velle manière de voir sur la sexua­li­té et il défend une nou­velle psy­cho­lo­gie syn­thé­tique oppo­sée à la psy­cha­na­lyse de Freud.

Cra­pouillot (maga­zine non confor­miste), troi­sième tome de l’histoire de la guerre, par J. Gal­tier-Bois­sière, avec la col­la­bo­ra­tion de Ch. Alexandre. (250 fr.)

L’histoire n’est le plus sou­vent que l’art d’étouffer les véri­tés gênantes, pour l’esprit par­ti­san, sous les lieux com­muns conve­na­ble­ment ajus­tés à la « taille » de l’époque. Ici rien de pareil. Le Cra­pouillot fait cra­quer mali­cieu­se­ment le cor­set de Pro­custe des conven­tions ; son ani­ma­teur esti­mant fort auda­cieu­se­ment que toute véri­té est bonne à dire !

Dans ce troi­sième tome, c’est donc Juvé­nal, décla­ra­tion en moins, qui nous met sous les yeux l’âpre satire d’une époque qui égale en stupre celle du poète d’Aquinum. L’intronisation de Pétain, le panier de crabes lon­do­nien, les cou­lisses de Vichy, les plans de Hit­ler, Mon­toire, l’embrassade Hit­ler-Molo­tov, la guerre rus­so-alle­mande, autant de cha­pitres trai­tés avec une maî­trise qui fera de cet ouvrage un docu­ment impérissable. 

[/​Serge/​]

A pro­pos de livres…

Il nous a été repro­ché de n’avoir insis­té, dans la rubrique des livres du pré­cé­dent numé­ro, sur la per­son­na­li­té trouble de l’auteur de la pla­quette Le Com­mu­nisme et la France.

Nous pen­sons que la cri­tique objec­tive doit s’en tenir à l’examen de l’œuvre et n’implique pas la néces­si­té de situer bio­gra­phi­que­ment l’auteur. Il n’est du reste guère pos­sible de juger l’intérêt des ouvrages en fonc­tion du cli­mat poli­tique et de recher­cher si tel auteur fut col­la­bo­ra­teur ou résis­tant, tel autre mytho­mane, ministre ou tenan­cier de mai­son close…

En ce qui concerne Jules Moch, nous pen­sions, en le taxant impli­ci­te­ment d’incompétence, n’avoir accor­dé que trop d’attention à un per­son­nage qui tra­vaille à des fins qui n’ont rien à voir avec les conclu­sions anti­éta­tiques que nous tirions des nom­breux dis­cours du Palais-Bour­beux. — Serge.

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