La Presse Anarchiste

Gulaï-Polé

On a beau­coup dit sur le mou­ve­ment anar­cho-makh­no­viste et sur Makh­no. Désor­mais, les com­pa­gnons sont bien infor­més et presque tous sont soli­daires de ces pay­sans anar­chistes qui vou­laient orga­ni­ser la com­mune libre et qui, avec tant de cou­rage, com­bat­tirent durant quatre années contre l’État sur­gi des cendres de la Révo­lu­tion russe. 

Dans cet article, je veux pré­sen­ter à nos cama­rades le centre de l’insurrection anar­cho-makh­no­viste : Gulaï-Polé. 

Je suis convain­cu que tous ceux qui se sont inté­res­sés à ce mou­ve­ment liront avec plai­sir la petite des­crip­tion du vil­lage rebelle que les bol­che­vistes iro­ni­que­ment appe­lèrent « Makh­no­grad » — c’est-à-dire la ville de Makhno. 

Gulaï-Polé se trouve située non loin de la mer Noire, près de la Cri­mée, dans la pro­vince d’Alexandrowski.

Gulaï-Polé est à la fois une petite ville et un gros vil­lage. Il serait exa­gé­ré de l’appeler ville ; il serait injuste de la dési­gner seule­ment sous le nom de vil­lage. Le centre de Gulaï Polé res­semble à une ville, sa péri­phé­rie est un vil­lage. Tra­ver­sée par une petite rivière, Gulaï-Polé, sillon­née de très longues rues, compte envi­ron 25.000 habi­tants. Les mai­sons des pay­sans y sont grandes, hautes, spa­cieuses, avec des toits de paille, de petites fenêtres ; elles sont toutes envi­ron­nées de jar­dins frui­tiers, pré­cé­dées de vastes cours, entou­rées de murs bas, construites en grosses briques com­po­sées de gua­no che­va­lin et de boue. Les mai­sons sont construites aus­si en briques de même matière. On est frap­pé par l’ordre exem­plaire et la pro­pre­té qui y règne partout. 

J’ai été à Gulai-Polé pen­dant l’hiver. La cam­pagne et le vil­lage étaient recou­verte d’une abon­dante couche de neige. Dans chaque cour sta­tion­nait la fameuse voi­ture « tats­cian­ki» ; c’était l’indice que chaque mai­son hos­pi­ta­li­sait des insur­gés makhnovistes.

Gulaï-Polé res­semble à tous les grands vil­lages ukrai­niens qui ont une phy­sio­no­mie ana­logue à celle des vil­lages de Mol­da­vie et de Bessarabie.

En entrant dans le vil­lage, je fus frap­pé par la vue des tran­chées aban­don­nées qui entou­raient Gulaï-Polé. Quand je péné­trai dans le centre, je fus impres­sion­né par l’horreur de la guerre qui a pas­sé sur ces lieux, lais­sant de pro­fondes traces de son pas­sage. Les meilleures mai­sons étaient détruites, d’autres en très grand nombre, étaient à moi­tié démo­lies. Dans une de celles-ci je trou­vai le siège de l’Union pro­fes­sion­nelle fies Tra­vailleurs de Gulaï-Polé. Les murs montrent de noires fis­sures et des trous. Par­tout on y voit les traces lies pro­jec­tiles et du feu.

Si tu vas à Gou­laï-Polé, les enfants te condui­ront à l’endroit où les Autri­chiens brû­lèrent la petite mai­son de bois, dans laquelle naquit Nes­tor Makh­no et où habi­tait sa pauvre vieille maman, quand les troupes autri­chiennes péné­trèrent à Goulaï-Polè.

Ils te mon­tre­ront aus­si d’autres mai­sons brû­lées par les blancs ou par les rouges : les mai­sons des insur­gés anarcho-makhnovistes.

L’église ortho­doxe située dans le centre était entou­rée d’une grande espla­nade dont une pal­lie est occu­pée par le marché.

Quelques hautes che­mi­nées fumantes indi­quaient que dans les usines, le tra­vail conti­nuait. Quelques usines étaient com­plè­te­ment en ruines.

Les fau­bourgs du vil­lage étaient pit­to­res­que­ment ornés de mou­lins à vent, dont les ailes tour­nant len­te­ment sous le vent léger, don­naient un air de vie à Gulaï-Polé ense­ve­li sous la neige.

Dans une des rues prin­ci­pales flot­tait au vent le dra­peau noir sur lequel on lisait : « État Major de l’Armée des insur­gés makh­no­vistes de l’Ukraine. »

Gulaï-Polé est divi­sée en 9 ou 10 cen­tu­ries. Dans les temps antiques, une cen­tu­rie était com­po­sée de cent familles ou mai­sons, mais aujourd’hui, une cen­tu­rie repré­sente un quar­tier au vil­lage. Elle a ses délé­gués, son école et sou­vent sa petite église.

Les écoles sont construites en briques rouges ; ce sont des édi­fices bas et larges, entou­rés de jar­dins. Tout à côté se trouve une petite et gra­cieuse mai­son : celle de l’instituteur qui, durant la révo­lu­tion, vivait de ses propres pro­duits, semant lui-même et recueillant son blé, culti­vant lui-même son jardin.

Il y a, à Gulai-Polé, deux écoles supé­rieures dont une de filles. Une troi­sième est fer­mée manque de pro­fes­seurs. Le monu­ment est tom­bé en ruines.

À Gulaï-Polé il y a un fort pour­cen­tage de Juifs. Je vous par­le­rai une autre­fois de la vie des habi­tants et du sort des insurgés.

Par les rues de Gulaï-Polé je vis sou­vent pas­ser, au galop, des cava­liers, des voi­tures pleines de mitrailleuses, des bataillons entiers d’insurgés et quel­que­fois l’artillerie makh­no­viste qui tra­ver­sait avec fra­cas le vil­lage pour se rendre en manœuvres dans la steppe.

À pre­mière vue, il ne sem­blait même pas que ce grand bourg à phy­sio­no­mie aus­si paci­fique fût la for­te­resse de la liber­té, et que là vivait le peuple en armes.

La rumeur stri­dente des mitrailleuses rom­pait la quié­tude de la vie. C’étaient les mitrailleurs noirs qui s’exerçaient et habi­tuaient de jeunes che­vaux au bruit des mitrailleuses.

Les enfants jouaient à la gué­rilla par les rues. Ces gamins n’oublieront pas de sitôt l’esprit liber­taire qui ani­mait leurs jeux quand ils s’entraînaient à la lutte contre les « rouges. »

Gulaï-Polé est vain­cue — mais non domptée !

Vive Gulaï-Polé.

[/​Casimir Tes­lar./​]

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