La Presse Anarchiste

La chanson des filles

De l’amour flotte. Il est minuit. Ohé ! la fille
fais nous jaillir la volup­té du blanc trottoir.
La Ville est comme une épou­sée, le désir suit son voile d’or.
Va ! trime, la fille,
Et sois gentille !
Tes rêves tu les fleuriras
Avec les roses de tes bras.

Dis donc, Lucy, dis donc, Lucette,
de quels joyaux pareils étin­cellent vos yeux ?
Vos lèvres sont l’iris d’un même coquillage dont les valves sont désunies.
Va ! trime, la fiille.
Et sois gentille !
Tes vices tu les nourriras
Avec l’effluve de tes bras.

Hé ! la petite, as-tu soupe ? C’est l’heure grise
où les vins pétillants giclent sur les seins nus.
Défais ta lourde chevelure,
pense à ta mère : il est minuit !
Va ! trime, la fille,
Et sois gentille !
Ta mère tu la nourriras
Avec la sueur de tes bras.

Les blancs, les noirs, les bruns, les jaunes,
les vieux effé­mi­nés et les jeunes gâteux
couche-les dans ton lit pêle-mêle et prépare
la revanche des opprimés.
Va ! trime, la fille.
Et sois gentille !
Les riches tu les serviras
Avec les ruses de tes bras.

Pétris du même orgueil et de la même fange,
ils se tue­raient pour asser­vir ta liberté ;
repus, ils s’en iront ensemble :
éga­li­té, fraternité !
Mais ils te lais­se­ront un peu de leur puissance,
un rayon d’astre à son déclin,
car ils auront vidé leurs cer­veaux et leurs poches
dans les abimes de ta chair.
Va ! trime, la fille,
Et sois gentille !
Les riches tu les serviras
Avec les ruses de les bras.

Ils reviennent : c’est la fortune !
Prends les noirs et les blancs, les jaunes et les bruns,
fais-en des morts, et jette leurs cadavres
à l’ossuaire des vaincus.
Va ! trime, la fille,
Et sois gentille !
Les loups tu les étrangleras
Avec le car­can de tes bras.

Le toc­sin ! la guerre civile !
Amène au peuple armé ses pires exploiteurs.
Ohé ! patrons et moralistes,
à la lan­terne ! À nous de vivre et d’oublier.
Va ! trime, la fille.
Et sois gentille !
Les loups tu les étrangleras
Avec le car­can de tes bras.

Alors, dans les champs d’hécatombe,
tu sème­ras l’universel espoir,
ta lèvre effa­ce­ra la marque des blessures
au cœur meur­tri du bien-aimé.
Alors, tu seras libre et pure, ô Madeleine !
Alors tu ne men­ti­ras plus,
tu feras des heu­reux qui chan­te­ront la gloire
de ton immor­telle beauté.
Va ! va ! trime, la fille,
Et sois gentille !
Pour notre bon­heur ici-bas
Ouvre tes bras !

[/​G. Caran­tec./​]

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