La Presse Anarchiste

Revue des journaux

Repopulez.

Faites des goss­es, chante, mais com­bi­en faux, le chœur des bour­geois effrayés de la crise des nais­sances et de la pénurie de con­scrits qui pour­rait en résul­ter. Après avoir con­staté, dans le Jour­nal que « les pau­vres gens dans leurs gale­tas font plus d’enfants que les bour­geois rich­es ou aisés dans leurs beaux apparte­ments » ce qui prou­ve qu’ils ont encore besoin pour la plu­part d’une sérieuse édu­ca­tion, Clé­ment Vau­tel ajoute :

Nous avons peur de l’avenir pour nous-mêmes et pour ceux que nous pour­rions créer. Nous sommes devenus d’une pru­dence extrême devant les risques de la vie et comme on ne nous a pas enseigné la con­fi­ance, comme on nous a affir­mé, au con­traire, que rien ne compte que le présent, nous haus­sons les épaules en enten­dant ces vers aux­quels il faut cepen­dant croire pour faire des enfants autrement que par hasard :

Aux petits des oiseaux, Dieu donne la pâture,
Et sa bon­té s’étend sur toute la nature.

— Aux petits des oiseaux, dis­ons-nous, c’est pos­si­ble, mais aux nôtres ?

Aux nôtres, quand ils arrivent à leur vingtième année, un beau fusil avec des balles, pour tir­er sur leurs frères de mis­ère, ou un trou dans la terre boulever­sée des charniers patri­o­tiques pour y pour­rir au nom du droit et de la civilisation.

Et l’on com­prend que devant cette per­spec­tive, et comme aux élec­tions, l’abstention soit de rigueur.

Bourriques supplémentaires.

Sous ce titre, Vic­tor Méric a écrit dans l’Égal­ité, sur les méth­odes d’Action française, un arti­cle mordant :

Le dernier inter­roga­toire de Ger­maine Berton nous per­met, en effet, de dis­cern­er les procédés des cham­pi­ons de la Fleur de Lys, Déjà, l’attention avait été attirée par une note de la feuille à douair­ières procla­mant que Mar­ius Plateau jouait à l’Action Française « un rôle impor­tant, mais dis­cret ». Et nous apprenons, main­tenant, que le même Mar­ius Plateau était le chef du ser­vice des ren­seigne­ments de l’équipe roy­al­iste. Il col­lec­tion­nait les fich­es, com­mandait à une troupe de mouchards, con­sti­tu­ait des dossiers. Comme Ger­maine Berton venait de pronon­cer un nom, il fit apporter le dossier con­cer­nant la per­son­nal­ité désignée. Et il avouait, cynique­ment, entretenir des indi­ca­teurs et des infor­ma­teurs dans les milieux révolutionnaires.

Eh bien ! ces méth­odes de basse police qui n’étaient, jusqu’ici, que l’incident, ont abouti à une vaste et forte organ­i­sa­tion. Les roy­al­istes, aban­don­nant toute pru­dence et toute pudeur, ne daig­nent plus dis­simuler. Nous avons, en face de nous, tout un lot de bour­riques supplémentaires.

La con­clu­sion s’impose. D’abord, nos amis sont prévenus. Les camelots du Roy se van­tent d’entretenir chez nous des agents, des mouchards, des provo­ca­teurs. Méfions-nous. N’accueillons pas, sans pré­cau­tions, des gens dont nous ne savons rien, dont nous ignorons la pro­fes­sion, les moyens d’existence, le passé. Ouvrons l’œil, et le bon.

Ouvrons l’œil, évidem­ment, mais surtout fer­mons la bouche, refrénons nos dis­po­si­tions naturelles au bavardage et les bour­riques de Daudet et les autres en seront bien marries.

Le Roman continue.

En atten­dant l’érection de la stat­ue du « Decius Français » chef des bour­riques roy­al­istes dont « la mort ne précé­da que de sept semaines » celle d’un chef de gare en ter­ri­toire occupé (com­ment nier main­tenant que la main de l’Allemagne n’ait trem­pé dans le meurtre du regret­té Plateau?) stat­ue qui nous le représen­tera vraisem­blable­ment matraque en mains et chevauchant un de ces braves (aus­si brave que lui) quadrupèdes à longues oreilles, le bre­lan de louftingues qui dirige la France et l’Action Française con­tin­ue avec le plus grand sérieux à se foutre du monde.

Le pro­cureur du roy se sub­stitue au juge d’instruction et sort sur Har­mant, Téry, le Gre­nier de Gringoire, « la Bernain », Cail­laux et Malvy, naturelle­ment, les plus extrav­a­gantes calem­bredaines. Le meurtre de Plateau est devenu un crime policier.

Que la police dans la per­son­ne de ses prin­ci­paux fonc­tion­naires soit mise sur la sel­l­ette, cela ne serait pas pour nous déplaire, mais devons-nous laiss­er écrire comme le fait Mau­r­ras, des phras­es comme celle-ci : « Ces policiers qui manœu­vraient leurs anar­chistes étaient manœu­vres par Berlin. »

Que Guichard Xavier, le glo­rieux vain­queur de Nogent-sur-Marne, que les autres flics soient manœu­vrés par Berlin, cela on s’en fout, mais je crois que c’est aller un peu fort que de pré­ten­dre qu’Harmant, que Ger­maine Berton, que les anar­chistes sont leurs instru­ments. Il fau­dra sans doute trou­ver autre chose.

En Dictature rouge.

Le cama­rade Cha­zoff qui a été dernière­ment en Russie ne s’est pas con­tenté comme d’autres délégués de vis­iter les palais des anciens tsars et d’écraser ses fess­es pro­lé­tari­ennes sur les divans où s’étaient promenés tant d’augustes der­rières ; il a voulu, quelle impru­dence, se ren­dre compte et ce qu’il a vu ne l’a guère ent­hou­si­as­mé. Il a pub­lié dans le Jour­nal du Peu­ple une par­tie de ses impressions :

Et j’en suis à me deman­der aujourd’hui si tous ces cama­rades, qui, comme cer­tains d’entre nous, avaient la pos­si­bil­ité de se ren­dre compte de la sit­u­a­tion du pro­lé­tari­at russe, sont des fana­tiques ou des crétins.

Quant à moi, je crois avoir rap­porté de Moscou non pas des impres­sions, mais des faits.

Il est faux, n’est-ce pas ? que le peu­ple russe crève de faim et que les mag­a­sins regor­gent de vivres ; il n’est pas vrai que le pain coûte un mil­lion 200.000 rou­bles la livre, que cer­taines femmes gag­nent 30 mil­lions de rou­bles par mois et que le salaire moyen soit de 150 à 250 mil­lions de rou­bles ? C’est un men­songe de dire qu’il y a dans chaque méti­er dix-sept caté­gories de salaires, allant de 100 mil­lions à un mil­liard de rou­bles par mois, mais qu’il y a 45 % chômeurs, que, dans les rues, une armée de men­di­ants s’accroche à vos pas, mais que les cafés de nuit sont pleins de mer­can­tis et d’officiers RUSSES qui paient 35 mil­lions de rou­bles une demi-bouteille de vin, c’est-à-dire le salaire d’une semaine de prolétaire ?

Mis­ère, pros­ti­tu­tion, luxe qui s’étale insul­tant, le tableau est com­plet. Au point de vue poli­tique, c’est « le bagne pour ceux qui ne veu­lent pas se courber ».

Et Cha­zoff con­clut très justement :

Il fau­dra bien, tout de même, en finir un jour avec cette illu­sion de pré­ten­dre le gou­verne­ment des Sovi­ets un gou­verne­ment pro­lé­tarien et de nous don­ner la Russie en exem­ple ! Il ne faut pas détourn­er le pro­lé­tari­at de son but et, con­sciem­ment ou incon­sciem­ment, le faire servir une cause qui n’est pas la sienne. On nous reproche de cri­ti­quer le gou­verne­ment russe. Que d’autres ne le défend­ent pas au nom de la Révo­lu­tion, et nous le lais­serons pour ce qu’il est : un gou­verne­ment au ser­vice de la bourgeoisie.

Qui a publié ça ?

Le jour­nal offi­ciel en France du Gou­verne­ment russe n’est pas sat­is­fait des attaques on des sim­ples con­stata­tions sur la douceur de vivre au pays où la Révo­lu­tion est faite!… Et il exhale sa mau­vaise humeur en détachant une phrase d’un arti­cle et en la soumet­tant au juge­ment de ses lecteurs. Et c’est ain­si que la Vic­toire suc­cède au Lib­er­taire, le Peu­ple à l’Intran­sigeant ou au Rate­lier, ou à l’Action Française, etc…

Ayant ain­si repro­duit un pas­sage de l’article de Cha­zoff, l’Human­ité écrivait le lendemain :

La petite ordure que nous avons repro­duite hier a été prise dans la poubelle qui a nom Jour­nal du Peu­ple.

Hier, elle était égale­ment reprise par le Peu­ple qui, lui, en fai­sait des gorges chaudes.

C’est là quelque chose qui devrait bien faire réfléchir les sincères anti-bolchevistes « de gauche » anar­chistes et syn­di­cal­istes « purs ».

Ont-ils remar­qué comme leurs argu­ments étaient sem­blables à ceux des anti-bolchevistes « de droite » ? Ne com­pren­dront-ils pas la leçon qui se dégage du rap­proche­ment que nous avons fait et qui est bien attristant ?

Il aurait été mieux de prou­ver, que la « petite ordure » en était une réelle­ment. Quant à la leçon, l’exemple de la révo­lu­tion russe et de son étouf­fe­ment par un par­ti poli­tique, nous en donne une, et une bonne!…

Dans la Ruhr.

L’entreprise poin­car­iste con­tin­ue. L’occupation s’est éten­due. Il y a eu du sang ver­sé, la folie nation­al­iste est à son parox­ysme dans les jour­naux du Bloc Nation­al et même dans cer­tains autres qui dés­ap­prou­vent tout en approu­vant, cher­chant à con­tenter leurs lecteurs et aus­si le gou­verne­ment qui les soudoie.

Il y en a même qui se félici­tent de la tour­nure des événe­ments, ce qui prou­ve qu’il faut savoir en poli­tique ou se con­tenter de peu ou bour­rer les crânes et faire croire que tout va bien quand c’est tout le con­traire ; tel J. Bainville dans La Lib­erté.

L’expérience tourne aus­si bien que pos­si­ble. Plus tard, l’histoire la retien­dra comme une des choses éton­nantes qu’auront faites des Français de la race de ceux pour qui l’impossible n’existe pas.

Pour Paul Fau­re, dans le Pop­u­laire, l’entreprise de la Rhur est « une sot­tise et un crime ».

Le Petit Bleu et Hervé, naturelle­ment, trou­vent que les méth­odes employées ne sont pas assez énergiques. L’Human­ité se fait pour­suiv­re dans la per­son­ne de son gérant, pour injures à l’armée et pro­pa­gande anar­chiste!… Mag­inot s’amuse!…

Ceux qui s’amusent moins sont les sol­dats de la classe 21 qui, main­tenus, par­tent dans la Ruhr. « Qu’ils se con­so­lent, écrit Hervé, en pen­sant que leurs aînés ont tiré cinq ans ». Mais ni lui, ni Bar­rés, ni Daudet n’ont pas encore demandé à s’engager. C’est tou­jours avec la peau des autres qu’ils se bat­tent et les vic­times s’obstinent à ne pas vouloir comprendre.

Les Élections.

S’il y avait des degrés dans la bêtise et la mal­fai­sance du par­lemen­tarisme, on pour­rait dire que la Cham­bre des députés qui va bien­tôt mourir, pour être rem­placée, hélas!… était com­posée de la plus belle col­lec­tion de nouilles et de cra­pules que l’on puisse imag­in­er. De Léon Daudet à Loucheur, de Man­del à l’altesse Murât, c’est un vrai jeu de mas­sacre ; ce fut pour­tant, écrit l’Action Française, « une des meilleures qu’ait con­nues le régime
 ».

Et naturelle­ment, ces sim­ples imbé­ciles ne voient pas sans appréhen­sion arriv­er le terme de leur mandat.

« L’indifférence royale de l’électeur » comme dit le min­istre Mau­noury, n’est pas non plus pour les ras­sur­er. Aus­si, dis­cu­tent-ils à en per­dre le souf­fle sur la meilleure façon de se servir de la R.P. De cela, dit, mais en d’autres ter­mes, l’Avenir, le pop­u­lo s’en fout ; la ques­tion ne l’intéresse pas.

Et il est prob­a­ble qu’il s’en dés­in­téressera de plus en plus.

Les anar­chistes se char­gent aux prochaines élec­tions de mon­tr­er le rôle qui est joué par tous les pan­tins du par­lemen­tarisme et s’efforceront de faire des mou­tons des loups, des esclaves des révoltés.

Contre l’Autorité.

Sous ce titre : « Con­tre toute autorité », Han Ryn­er a écrit un remar­quable arti­cle dont j’extrais ce passag
e.

Ce que je con­damne dans la pro­priété, c’est son âme d’autorité et de vio­lence ; c’est d’écraser, sous un esclavage masqué, le non-pro­prié­taire. Vais-je donc approu­ver la tyran­nie directe et l’esclavage qui ne se cache point ? Les gou­ver­nants russ­es imposent directe­ment le tra­vail pen­dant plus d’heures que n’en exigeait le pro­prié­taire. Ils me sont plus pesants et je me con­sole mal à admir­er la beauté de leurs inten­tions réelles ou proclamées. Peut-être ils furent sincères. L’exercice de l’autorité les a déjà gâtés et ils usent de l’ouvrier, ces esclavagistes, comme d’une propriété.

Est-ce faute indi­vidu­elle, crime de cir­con­stances par­ti­c­ulières, fatal­ité d’une fois ? Hélas ! non. L’autorité ne peut se détru­ire elle-même et devenir libéra­tion. Quand elle brise mes vieux fers, c’est qu’elle m’a chargé déjà de chaînes plus solides. Dans la fameuse guerre de Séces­sion, Tol­stoï remar­que que les États du Nord sup­pri­maient l’esclavage clas­sique parce qu’ils avaient déjà forgé, plus pro­duc­tif, l’esclavage économique. Les États du Sud, en retard dans cette évo­lu­tion, ne voulaient pas renon­cer encore à la vieille forme d’exploitation. Les lois, l’autorité, la force, ne com­bat­tent jamais, mal­gré les apparences, que pour le main­tien de la force, de l’autorité, des lois, pour l’envahissement des lois, de la force de l’autorité. Com­bat­tre pour le choix des tyrans, c’est com­bat­tre pour la tyrannie.

Après une con­damna­tion de toute vio­lence à laque­lle je ne puis souscrire, car notre vio­lence à nous, anar­chistes, est pure­ment défen­sive, réac­tive des vio­lences oppres­sives, néces­saire, Han Ryn­er con­clut sagement :

Ne nous livrons pas à l’autorité dès qu’elle a l’audace de se proclamer libéra­trice. Sachons voir ce qui ricane sous le masque de promesse. Ce n’est pas la pre­mière fois qu’un men­songe de lib­erté entraine les hommes vers de pires servitudes.

Sor­tie qui n’est pas pour faire plaisir aux aspi­rants dic­ta­teurs du prolétariat.

[/Pierre Mualdès./]


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