La Presse Anarchiste

Revue des revues

Une aubaine ce mois-ci : le numé­ro spé­cial des Cahiers d’Aujourd’hui consa­cré à Léon Werth (en vente chez Crès, 21, rue Haute-feuille, Pairis‑6e). J’imagine que tous les lec­teurs de Cla­vel, d’Yvonne et Pijal­let, des Amants invi­sibles, des Voya­geurs avec ma pipe, de Dix-neuf ans, j’imagine que tous ceux-là vou­dront pos­sé­der ce superbe cahier. 

D’abord, mal­gré son prix modique (cinq francs) c’est un chef‑d’œuvre typo­gra­phique : tiré sur beau papier, avec des carac­tères de choix, deux por­traits hors-texte, par l’Imprimerie Ste Cathe­rine de Bruges, laquelle est depuis long­temps renom­mée pour son tra­vail soigné. 

Et sur­tout le conte­nu est digne du conte­nant. Lucie Cous­tu­rier craint au début de, ses propres lignes la mono­to­nie de ces articles consa­crés à un même écri­vain : « Célé­brer Werth en groupe, dit-elle, cela ne for­me­ra pas un concert mais un unis­son, un cri ». Non pour­tant. Cha­cun des articles inté­resse le lec­teur. Évi­dem­ment, ils ont des points com­muns. Ain­si voyez comme cette phrase de René Arcos se rap­proche de celles de Romain Rol­land que je cite­rai plus loin : Livre amer, dit Arcos, mais qui ne trompe pas. Livre le plus pes­si­miste qui soit, et qui pour­tant nous apporte un espoir à l’insu sans doute de Léon Werth. Alors que toute conscience humaine sem­blait abo­lie, il y avait quelque part un Cla­vel, un sol­dat de deuxième classe, qui n’était pas dupe et conti­nuait à voir clair. Nous savons aujourd’hui qu’il y en avait même plu­sieurs. Aus­si désa­bu­sés, aus­si écra­sés qu’ils étaient, ils por­taient en eux l’espoir du monde. »

Mais à côté de cela quelle diver­si­té ! Quel ensemble d’anecdotes nar­rées par les meilleurs copains de Werth, et qui nous le dépeignent bien comme nous l’imaginions d’après ses livres. Il faut lire les articles de Lucie Cous­tu­rier, de Valé­ry Lar­baud, de Pon­cet­ton, de Gignoux, de Béraud, de Sal­mon, de Mer­millon et de Georges Besson. 

Puis Arcos fait aimer en lui l’auteur de Cla­vel qui res­te­ra, comme dit Séve­rine, « un maître livre ». Elle ajoute : « La cen­sure ne s’y est pas trom­pée qui a retar­dé tant qu’elle a pu la paru­tion de ce bou­quin ven­geur. Mais son cal­cul (comme tout ce qui peut éma­ner d’elle!) a été imbé­cile. Bar­busse, Duha­mel, en nous bou­le­ver­sant d’émotion, avaient, en quelque sorte épui­sé notre sen­si­bi­li­té, frayé la voie à des réflexions plus sar­cas­tiques et plus âpres C’est ce com­plé­ment qu’a appor­té Werth, tout ce que l’ironie, dou­lou­reuse et mécon­nue du vul­gaire, recèle de tonique et de vivi­fiant. »

Luc Dur­tain et Hen­ri Duver­nois mettent en relief, la véri­té, la sin­cé­ri­té de l’œuvre de Werth (son carac­tère essen­tiel). Jean Royère, Mar­cel Ray, André Sal­mon le montrent cri­tique pic­tu­ral fort avi­sé. Et Vil­drac insiste fort heu­reu­se­ment sur le poète, ou mieux, car Werth n’aime guère ce mot trop gal­vau­dé, sur l’homme.

J’ai gar­dé pour la fin l’opinion de Romain Rol­land que je veux repro­duire in-extenso : 

« Léon Werth est un grand artiste et un homme libre. Il m’est donc deux fois cher. 

J’aime à voir en ce fier écri­vain l’héritier de Mir­beau. Il en a l’ironie ven­ge­resse, le mépris puis­sant, la saine misan­thro­pie et cette flamme de l’art dont la splen­deur illu­mine le néant. 

Mais sa voix n’a point les sono­ri­tés de trom­pette jubi­lante, dont Mir­beau son­nait la chute des vieilles murailles fétides d’une socié­té pour­rie. Mir­beau croyait aux hommes mal­gré tout. Mir­beau croyait à la vic­toire. Et dans le ton­nerre de ses invec­tives, j’entends sou­vent rou­ler le rire triom­phant. Mir­beau vivait encore au temps des grandes illu­sions. — Werth n’en a gar­dé aucune. 

J’en conserve quelques-unes. Je crois encore à des hommes. Il en existe. 

Celui-là même qui, dépouillé de toutes les illu­sions, sou­te­nu par la seule vigueur de son ardente vie, che­mine au bord de l’abime, avec une joie intré­pide qui dédaigne l’espoir, — celui-là est un homme. 

Celui-là est Léon Werth. » 

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Le mou­ve­ment socia­liste-chré­tien n’eut jamais dans les pays latins l’importance qu’il a tou­jours eu dans les pays du Nord. Je crois d’ailleurs qu’il ne l’aura jamais. Dans nos pays, la foi reli­gieuse s’accompagne plus volon­tiers de sec­ta­risme outran­cier et d’étroitesse d’esprit que de large humanité. 

Par ailleurs, ce mou­ve­ment a fai­bli devant la bou­che­rie de 1914 tout comme le socia­lisme mar­xiste. Je me sou­viens d’avoir lu dans l’Espoir du Monde de Paul Pas­sy, durant la guerre, quelques res­pec­tables âneries. 

C’est eu réac­tion contre ce patrio­tisme-chré­tien (Voies Nou­velles. Je me rap­pelle fort bien y avoir lu de très inté­res­sants articles. 

Mais ces essais dis­per­sés n’avaient qu’une influence fort minime. Aus­si les Voies Nou­velles viennent-elles de refu­sion­ner avec l’Espoir du Monde, de Paul Pas­sy, en s’adjoignant les Feuilles belges, organe des socia­listes chré­tiens de Bel­gique. Cet organe glo­bal s’appellera Le Socia­liste chré­tien. Mais, comme je l’ai dit plus haut, je doute que ce mou­ve­ment ait jamais un vif suc­cès dans nos pays. 

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Dans le Thyrse (104, ave­nue Mont­joie, Uccle-Bruxelles) Renée Dunan traite le pro­blème de la morale et de la por­no­gra­phie en lit­té­ra­ture. Elle conclut très jus­te­ment : « N’est vicieux que le livre mis aux mains du vicieux. Le vice est anté­rieur à la lit­té­ra­ture. »

Mais à pro­pos de la Gar­çonne de Paul Mar­gue­rite, elle remarque que « quelques sots et des igno­rants, accom­pa­gnés de pêcheurs en eau trouble, ont pu faire en sorte que ce livre soit qua­si-inter­dit, que nombre de libraires refusent de le vendre…» Il y a bien là quelque exa­gé­ra­tion. Je crois au contraire que tout le bat­tage fait autour de la Gar­çonne a rap­por­té pour le moins quelques sup­plé­men­taires billets de mille à l’auteur pré­voyant. Et sur­tout, je ne connais guère de libraires qui refusent de le vendre, ouver­te­ment, sauf peut-être quelques boites saint-sul­pi­cières. Mais dans les librai­ries de toutes les gares, une bande verte obsé­dante annonce le chiffre du der­nier tirage. Et le moindre mar­chand de jour­naux du moindre pate­lin pos­sède quelque exem­plaire mis en vitrine entre le Denain-Jour­nal et l’Humour. Quant aux « ama­teurs » qui n’ont même pas un mar­chand de jour­naux, ne vous faites pas de bile pour eux. Ils trou­ve­ront bien le moyen d’acheter le volume : je suis tran­quille à ce sujet depuis qu’un mien col­lègue me van­ta ses visites men­suelles aux bocards du chef-lieu d’arrondissement.

Et Mon­sieur Vic­tor Mar­gue­ritte peut se frot­ter les mains : le com­merce va bien ! 

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Le Verbe (46, rue de Riche­lieu, Paris) publie dans son der­nier numé­ro, des vers, beau­coup de vers. Du moins appelle-t-on ain­si dans le monde lit­té­raire des lignes se ter­mi­nant par des sons iden­tiques. Voi­ci un échan­tillon de Ces… vers : 

En tran­chée, il est des moments
Où notre cœur, dans sa misère.
Nous décerne secrètement
D’idéales croix de guerre…

L’auteur est M. Jean-Charles Rey­naud. Espé­rons qu’à la pro­chaine der­nière guerre, il décro­che­ra une croix de guerre, pour de vrai, et qui sait, peut-être le poste envié de Poi­lu incon­nu !

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Paris-Revue (3, rue Ros­si­ni, Paris) informe ses col­la­bo­ra­teurs que « Les manus­crits doivent por­ter le numé­ro d’inscription de l’abonnement. » Et au moins, de cette manière franche, on est fixé. 

Il y a là-dedans des jeunes poé­tesses qui com­mencent à déses­pé­rer. Ain­si Mar­gue­rite Fleu­ry qui se lamente : 

Ami tu reviens, je serai ton automne.
Car le temps est pas­sé sans que tu sois venu ! 

(Com­ment diable fera-t-il bien alors pour reve­nir, s’il n’est pas venu?) 

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Dans le der­nier Pla­gaire (53, rue Druge, Vienne) Fon­ta­nieu pro­teste, car on l’a, parait-il, appe­lé « anar­chiste ». Et il a bou­gre­ment rai­son car voi­ci sa pro­fes­sion de foi :

« L’autorité?… Je la com­bats lorsqu’elle me nuit ou lorsqu’elle me menace ; je la laisse tran­quille lorsqu’elle me tolère ; et je la sou­tiens lorsqu’elle me protège ».

Ça n’est pas compliqué. 

Ni bien original. 

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M. Hen­ri Dutheil conti­nue la publi­ca­tion de ses sou­ve­nirs de guerre dans la Mouette (20, rue du Per­rey, Le Havre) cahier de mars. Et cette fois il a été tel­le­ment fort que la rédac­tion de la revue n’a pu faire autre­ment que sup­pri­mer quatre lignes de ses élucubrations. 

Ce qui reste est déjà assez savou­reux : Voi­ci le récit de l’attaque du 9 mai : « Les boches assom­més à coups de crosse, on pilait sur les boches… il y en avait des tas, par­tout ! ah ! nom de Dieu ! c’était beau ! c’était beau ! (sic. Sans blague, mon vieux Guille­mard qui publiez ça dans votre revue : si joli que çà?) (Les offi­ciers enne­mis, pour avoir quar­tier, lan­çaient aux types leurs bijoux, montres, bagues, bourses, tout l’argent qu’ils avaient sur eux en criant : Par­don ! On les tuait et on pre­nait leurs beaux casques ».

N’est-ce pas que c’est beau et que l’un se sent fier d’être Français ! 

M. Dutheil s’est plaint par ailleurs que je lui aie attri­bué une âme de bureau­crate. Je recon­nais mon erreur. J’aurais dû dire : une âme de brute.

Il pré­fère, dit-il encore, un homme d’action comme Man­gin à un bavard comme Georges Pioch. Je n’ai jamais eu de véné­ra­tion insen­sée pour Pioch. Mais en fait d’hommes d’action, je pré­fère Cot­tin, Ger­maine Ber­ton, voire Rava­chol ou Bon­not au Man­gin- Gueule-de-Bou­cher qu’adore M. Dutheil. Pour­quoi ? Parce que les bougres que je pré­fère font leur bou­lot eux-mêmes, pardi !

Et qu’ils n’envoient pas les autres se faire las­ser la gueule à leur place. 

[|* * * *|]

J’ai déjà cité ici même Les Cahiers de la Ligue des Droits de l’Homme (10, rue de l’Université, Paris‑7e). Organe de docu­men­ta­tion sur­tout, où l’on trouve par exemple quan­ti­té de « tuyaux » sur les innom­brables crimes des Conseils de guerre (fran­çais, ô mes bons patriotes).

On y parle aus­si des livres reçus et le der­nier cahier publie ces lignes… curieuses, au sujet de Chez les loups d’André Lorulot :

« M. Loru­lot n’est pas tendre pour les anar­chistes dont il peint l’esprit et les actes sous les cou­leurs les, plus fâcheuses. Ce qu’il y a de grave, c’est qu’il les connaît bien. Mais il a soin de mettre à l’abri de ses coups « les idéa­listes sin­cères et les apôtres convain­cus » qui sont nom­breux, dit-il. Le mal­heur est que des livres comme celui-là aident le gros public, qui ne demande pas mieux, à confondre les bons et les mau­vais dans la même répro­ba­tion glo­bale, ce que n’a pas vou­lu le cama­rade Lorulot ». 

[|* * * *|]

Quelques lignes émues dans les Libres Pro­pos (rue Émile-Jamais, à Nîmes) sur Émile Mas­son, l’auteur d’Yves Madec, de l’Uto­pie des Îles bien­heu­reuses, du Livre des Hommes et de leurs Paroles inouïes, qui vient de mourir.

« Ce qui, plus que tout, oblige au res­pect, c’est qu’en lui habi­ta la liber­té. Elle fut l’âme de son âme. Libre en sa pro­vince, en son métier, en sa famille, en ses amis, en son par­ti, libre à tra­vers la guerre, libre dans l’action même ».

Et des extraits de lettres de Mas­son où nous notons cette remarque : 

« J’avais fon­dé des espé­rances sur la Vie Ouvrière qui, avant la guerre, m’avait fait des ouver­tures. Mais au lieu de s’élargir et de s’approfondir, je crains qu’elle n’aille en se dur­cis­sant, en s’effilant en pointe de baïonnette » … 

[|* * * *|]

Signa­lons une revue ori­gi­nale : Hier, Aujourd’hui, Demain (3, rue de Riche­lieu, Paris) anec­do­tique. his­to­rique, littéraire. 

Une pré­sen­ta­tion fort simple : pas de cou­ver­ture, mais à l’intérieur toutes les res­sources de la typo­gra­phie sont usitées. 

Et il y a les articles fort inté­res­sants de Paul Reboux, Grillot de Givry, Albin Michel, Pierre Mac-Orlan, Saint-Sor­lin, etc. 

Bref, une gazette bi-men­suelle, ori­gi­nale et intéressante. 

[|* * * *|]

Du der­nier cahier des Humbles (un franc à la Librai­rie Sociale) je ne veux déta­cher que ces vers de mon ami Mar­cel Millet : 

[|Croire|]

Détails de la vie, — et des visages
où l’on apprend mieux que dans des livres. 

Des cama­rades, et aus­si cette jeune femme
qui a souf­fert et qui garde, de la guerre,
une vivante haine, à trans­mettre aux petits. 

Pas de reli­gions ni d’obtus catéchismes,
mais un grave idéal, et la sincérité,
pas de super­sti­tions, de châ­ti­ments, de « crimes »,
mais notre amour et sa lucidité. 

Et les paroles sont de bons grains que l’on sème
chaque heure, chaque jour, fidèle à son devoir.
et les actes de nos vrais maîtres
consti­tuent la plus belle his­toire du monde 

Il n’y a pas de gestes inutiles,
pas de leçons anonnées,
mais notre foi comme un évangile,
mais notre amour et sa simplicité. 

…………………………

Notre force est d’avoir nos chères certitudes :
savoir haïr, savoir aimer, et cou­per, rude,
à de pré­ten­dues « contingences ». 

La terre est là sur laquelle on se penche,
les fleurs, les fruits, la vie des plantes,
une exis­tence de pay­sans, oublieuse
des réclames et des arrivismes.
La paix heureuse. 

et pour la main­te­nir, le grand amour des hommes,
non pas un creux pacifisme.
mais au delà de toutes les frontières,
l’appel, la foi, — allons, la crosse en l’air !

Les hommes de demain comprendront.
Et si les temps ne sont pas venus,
du moins notre devoir sur l’humble coin de terre,
notre devoir qui, de sa voix têtue,
redit : les temps vien­dront ! les temps viendront ! 

Millet est un des fidèles col­la­bo­ra­teurs des Humbles : j’espère qu’il le sera bien­tôt aus­si de la Revue Anar­chiste et que vous aime­rez ces poèmes où ne sub­siste aucune littérature. 

[/​Maurice Wul­lens./​]

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