[[Cette brochure a été écrite il y a deux ans, mais elle n’a pas perdu son actualité, au contraire. – N.D.L.R.]]
[|I|]
Les événements mondiaux actuels appelés « guerre », n’ont d’une guerre que l’apparence. En réalité, le monde humain est en train de traverser la période destructive d’un immense bouleversement social, dont la guerre proprement dite n’est qu’une introduction : effet de la pourriture des bases de notre société moderne et, en même temps, levier des transformations imminentes.
[|II|]
Au cours de ce processus destructif, toutes les bases de la société actuelle : bases économique, politique, sociale, morale seront démolies de fond en comble et balayées. Car, dépassées par l’état présent de l’évolution humaine, elles ne peuvent plus « tenir ».
[|III|]
Inévitablement, ce processus destructif aboutira à un éclatement violent – une « Révolution » – qui parachèvera la destruction et ouvrira le chemin à la période constructive. Et, la destruction ayant embrasé tous les pays, la Révolution et la construction d’une société sur des bases nouvelles seront, elles aussi, mondiales.
[|IV|]
Aussitôt que – dans un pays quelconque – la Révolution aura été déclenchée et surtout l’aura emporté, trois sortes de courants se manifesteront dans son sein :
- Courants politiques. – Ils seront représentés par des hommes, des groupes et surtout par des « partis politiques » aspirant au « pouvoir » afin de pouvoir « gouverner » la société transformée.
- courant populaire. – Il se formera spontanément dans les profondeurs du peuple. Intuitivement, entraînant dans son prodigieux essor des millions d’êtres humains, il s’élancera vers la conquête de la plus grande liberté possible, vers la suppression de toute contrainte, vers l’émancipation réelle de l’homme, de son travail, de son activité.
Comme tel, ce courant ne se préoccupera pas du problème du « pouvoir » : sur le domaine d’organisation sociale, sous l’impulsion des éléments avancés et conscients, il se vouera à la création de divers organismes purement populaires et apolitiques, tels que : comités d’usines et autres syndicats, conseils de travailleurs (« soviets »), coopératives, etc., etc… - divers courants purement idéologiques. – Nous entendons par là une activité spécifique de certains hommes, isolés ou groupés, qui, dévoués à la Révolution et porteurs d’idées présumées fécondes et utiles, s’intéresseront, non point au « pouvoir », mais à la vaste diffusion, à la franche discussion et, éventuellement, à l’application de ces idées par les masses populaires, avec l’aide des éléments avancés. De tels groupements surgissent en grand nombre au début de toutes les révolutions : phénomène naturel et très important, car, en matière sociale, le libre échange d’idées et un instrument indispensable à la recherche des solutions justes. Intuitivement, le peuple en révolution se rend compte de cette importance : il s’intéresse à l’activité de ces groupements, il fréquente leurs réunions, il écoute les orateurs, il lit leur presse et discute leurs thèses.
De nos jours, le type classique de ces organismes est donné par les groupements de propagande d’idées libertaires. Il est certain que, dans la révolution qui vient, l’activité de ces groupes sera intense.
[|V|]
C’est ici qu’intervient notre « avertissement ». Le courant populaire se manifestera par une action immédiate des masses et de leurs organismes sociaux : action qui cherchera à résoudre les problèmes de la Révolution d’une façon directe, concrète, pratique.
Les courants idéologiques chercheront à appuyer, à aider, à éclairer cette activité spontanée des masses, en l’orientant vers des horizons toujours plus vastes et plus élevés, sans attenter à sa liberté.
Ainsi, ces deux sortes de courants évolueront la main dans la main ; ils seront solidaires, se complétant mutuellement et, parfois, se confondant de façon naturelle.
Quant aux courants politiques, ils agiront sur un tout autre plan. Leurs hommes aspireront à gouverner, c’est-à-dire : mettre la main sur l’activité populaire, abolir son indépendance, la soumettre, l’enrêner, l’uniformiser. Ils chercheront à embrigader la masse du peuple, à lui imposer leurs « ordres » et leurs « lois », à la guider par en haut. Naturellement, chaque courant politique voudra la plénitude d’autorité pour lui. Sur ce terrain, il combattra ses rivaux. D’autre part, il voudra accaparer et monopoliser l’activité idéologique, en éliminant et, au besoin, en étouffant toute idéologie contraire à la sienne : ses ordres et ses lois ne devront être ni critiqués ni, à plus forte raison, contrecarrés.
Ainsi, tout en suivant, en apparence, le même sillage, les courants révolutionnaires politiques seront, en réalité, opposés, et au courant populaire, et aux courants idéologiques. Si, un jour, l’un de ces organismes politiques réussit à s’emparer du pouvoir, il deviendra rapidement l’ennemi n°1 de tous les autres courants : car il combattra à outrance leur liberté d’idées et d’action.
[|VI|]
Malheureusement, les masses populaires ne comprennent pas encore le péril du principe politique et autoritaire. Il est à présumer que dans la Révolution qui vient, de même que dans toutes celles qui l’ont précédée, les travailleurs, tout en exerçant, au début, leur activité propre et indépendante, permettront à un parti politique – vraisemblablement, en dernier lieu, au parti communiste – de s’emparer solidement du pouvoir. (Ils l’aideront même à s’y installer).
Laissant de côté la Russie dont la situation est spéciale – elle a fait l’expérience du pouvoir politique communiste – et qui peut nous réserver de fortes surprises, la prise du pouvoir par le parti communiste doit être sérieusement envisagée en France, en Allemagne et ailleurs.
C’est à cette éventualité que se rapporte notre « avertissement ».
[|VII|]
Au moment de la Révolution et à ses débuts, la parole, l’organisation et l’action des masses deviendront libres, spontanément. Dans les premiers jours de ce magnifique élan, personne ne pourra, ni n’osera attenter à cette liberté.
Mais – on le verra, et nous y insistons – de même que dans les révolutions précédentes, et pour des raisons qu’il serait trop long d’analyser ici à fond, l’un des premiers soucis du nouveau « pouvoir révolutionnaire » sera de restreindre d’abord et de supprimer finalement cette liberté d’échange d’idées (« de parole »), d’organisation et d’action des masses.
Pas à pas, méthodiquement, par la ruse et par la violence, le nouveau gouvernement « révolutionnaire » cherchera à monopoliser les moyens de diffusion d’idées ainsi que le droit d’organisation et d’action. Il commencera à accaparer la presse et la radio, à mettre la main sur les imprimeries et les salles publiques, à interdire les manifestations, les mouvements de protestation, etc., etc…
En étudiant de près les anciennes révolutions, nous pouvons « toucher du doigt » le moment précis où le nouveau pouvoir portait des coups décisifs à la liberté du peuple et à toute activité idéologique. Dernièrement, en Russie, le parti bolchéviste (communiste) mit exactement six mois à tuer l’une et l’autre. « La liberté de parole est un préjugé bourgeois », proclame Lénine, arrivé au pouvoir. (Et l’on confisque partout les écrits bolchéviste d’avant-Révolution où l’on promettait au peuple les libertés). Les bolchéviks prennent le pouvoir en octobre 1917. Ils organisent fébrilement leur armée et leur police. Et, en avril 1918 ; ils portent les premiers coups décisifs à toutes les libertés, par décrets et, à au besoin, par les armes.
Qui veut, vraiment, gouverner – et le parti communiste le veut plus que tout autre – doit supprimer les libertés populaires et idéologiques trop gênantes pour les dictateurs infaillibles qui « ont toujours raison » et pour les chefs qui « seuls savent où et comment il faut aller ».
De nos temps, où les moyens de propagande, d’organisation et d’action sont tous les jours plus nombreux, plus rapides et plus puissants, l’influence et l’importance de ces trois facteurs de la vie sociale deviennent énorme. Rien d’étonnant que tout gouvernement « moderne » dictatorial, du fasciste au communiste, soit à cheval sur de tels moyens et ne tienne pas à les partager avec qui que ce soit. Pour « gouverner », il se voit de plus en plus obligé de les monopoliser d’une façon absolue, « totalitaire ». C’est lui seul qui doit parler, imprimer, organiser, ordonner, agir. Les masses n’ont qu’à écouter, lire, admirer, obéir et exécuter. Et quant aux divers « idéologues », s’ils sont en désaccord avec le gouvernement infaillible, ils n’ont qu’à se taire.
[|VIII|]
Or, nous l’avons dit, et nous y insistons aussi, en matière sociale la libre circulation d’idées, la franche discussion, la liberté d’organisation et d’action des masses sont les seules garanties du vrai succès, les conditions indispensables de la réussite totale de la véritable révolution émancipatrice, les éléments essentiels de la vraie solution de ses problèmes.
Ce ne sont pas les libertés qui peuvent faire redouter l’échec, le recul et la réaction, comme le prétendent tous les « gouvernements révolutionnaires » dictatoriaux, mais bien au contraire, comme les faits le prouvent, la suppression des libertés et la monopolisation de la Révolution par un parti politique, quel qu’il soit, mènent celle-ci, infailliblement, à l’égarement, à la stagnation et à la faillite.
L’installation au pouvoir d’un homme, d’un groupe ou d’un parti, le monopole et, conséquemment, la suppression des libertés arrêtent la vraie Révolution. Une fois arrêtée, celle-ci, fatalement, commence à reculer. Finalement, elle n’aboutira qu’à une nouvelle forme d’exploitation des masses. Ainsi, elle n’atteint pas son véritable but qui est l’émancipation réelle du Travail.
Toute révolution qui n’atteint pas ce but essentiel, recule tôt ou tard, d’une façon ou d’une autre. C’est ainsi que toutes les révolutions précédentes ont reculé. On entend souvent cette sentence pessimiste : « une révolution ne vaut pas grand-chose : après une montée prodigieuse, toute révolution finit par dégringoler ». Cette formule exige un correctif capital : toute révolution qui n’a pas atteint son but – l’émancipation réelle des masses laborieuses – redescend inévitablement, le sommet ayant été manqué. Telle est la vraie formule.
Or, toute révolution qui aboutit à la suppression des libertés – conséquence inéluctable de l’application du principe politico-gouvernemental – manque le sommet, donc recule.
La première révolution qui aura atteint le sommet – l’émancipation effective du Travail – ne reculera plus : elle trouvera devant elle des horizons magnifiques et infinis vers lesquels elle s’élancera irrésistiblement. Et, rapidement, elle entraînera à sa suite le monde humain.
Mais, pour que cela se réalise, il faut avoir toutes les libertés. Et, pour avoir toutes les libertés, il faut ne pas avoir de pouvoir politique.
[|IX|]
Nous sommes au seuil d’une immense Révolution.
Il est, hélas ! à supposer – nous le répétons – que, cette fois encore, à moins de remous fondamentaux en U.R.S.S. après la guerre et de leur influence immédiate sur d’autres pays, les peuples porteront partout au pouvoir tel ou tel autre parti politique.
Ne pouvant pas l’éviter, nous devons au moins mettre les masses laborieuses en garde contre toute tentative de n’importe quel gouvernement de s’attaquer aux dites libertés : de les restreindre, de les supprimer, de les monopoliser.
Nous disons aux travailleurs de tous les pays : une fois la Révolution commencée, veillez ! Ne permettez à aucun homme, à aucun groupe, à aucun parti, à aucun gouvernement, quel qu’il soit et sous quelque prétexte que ce soit, d’attenter contre la liberté d’échange d’idées, contre l’indépendance de vos organisations, contre votre droit d’action. Ces libertés et ces droits sont les seuls gages efficaces du succès de votre vraie Révolution.
[|X|]
Nous considérons ce point comme capital. Nous dirions même volontiers que, pour l’instant, c’est le seul point qui nous préoccupe.
Si, cette fois, les travailleurs comprennent le danger à temps et ne permettent pas, à qui que ce soit, de leur ravir leurs libertés, la Révolution – la vraie – sera sauvée : elle aura la force de renverser tous les obstacles, de surmonter toutes les difficultés, de résoudre tous les problèmes et d’aboutir à la victoire totale : l’émancipation effective des travailleurs du monde.
Par contre, si, cette fois encore, les masses ne saisissent pas le danger, si elles abandonnent leurs libertés, alors le vrai résultat ne sera pas atteint : la Révolution s’arrêtera, s’amollira, reculera, s’effondrera. Et – tout sera à recommencer.
[|XI|]
La tâche sera dure, sachez-le. Car, tout gouvernement que vous aurez accepté, travailleurs, s’emploiera à combattre vos libertés, leurs effets pouvant démontrer vite son inutilité sinon sa nocivité. Si vous ne lui cédez pas de bonne grâce, il vous assommera, même qu’il s’intitule « gouvernement ouvrier ». Sa résistance sera farouche. Il ne s’arrêtera devant aucun moyen. S’il a assez de forces armées à sa disposition, il les lancera contre vous. Car, pour lui comme pour vous, il s’agira de vie ou de mort.
Oui, la tâche sera dure. Mais, une fois – par malheur ! – le gouvernement accepté, c’est à ce prix – et à ce prix seulement – que la Révolution, la vraie, la vôtre, celle qui mettra fin à l’exploitation de l’homme par l’homme, pourra, par la suite, renverser l’obstacle, avancer et aboutir.