La Presse Anarchiste

Ma tombe

Enter­rez mon corps sous un cèdre aus­si sombre que la nuit.
Que l’ombre noc­turne rend plus humide encore ;
Les petits vers rouges qui rampent et se traînent
Se nour­ri­ront de ma langue dont les hommes refu­sèrent d’en­tendre les accents.
Sur l’é­corce rouge sang de l’arbre géant
Des siècles d’ad­ver­si­té auront appo­sé leur empreinte ;
Au-des­sous du sol des racines se tor­dront et se cramponneront
À mes osse­ments gla­cés et rigides.
Que per­sonne ne vienne avec des roses écla­tantes insul­ter ma tombe
Ni ver­ser de pleurs, car je joui­rai du repos !
Mais que mes amis les plus fidèles, ceux qui m’ai­maient le plus,
La visitent de temps à autre et, écou­tant les vents de la nuit se déchaîner,
Qu’ils songent à ma vie obs­cure et à mon coeur infortuné,
Et qu’ils soient heu­reux comme l’est le triste flot de la mer.

Dor­mir pour tou­jours dans l’ombre funèbre
Sous les racines des noirs sapins, ou encore
Là où l’if s’en­che­vêtre avec le cyprès,
Et qu’ils répondent au mur­mure du vent lors­qu’il balance
Les arbres solen­nels ou plie les herbes dru poussées !
Ah ! si la mort pou­vait signi­fier que la vie se limite
À ce corps qui se repose mol­le­ment dans le sommeil ;
Et si l’a­mour pou­vait trou­ver le repos, — je ne redou­te­rais pas
Les songes que l’on pour­rait y rêver, ni quelle musique l’on y pour­rait entendre ;
Quelles délices inouïes y rem­pli­raient l’âme de calme
 — de calme iso­lé et par­fait, satis­fait et accompli, —
Sans avoir à craindre l’a­ve­nir, et sans que le pas­sé trouble mon repos,
Sans soli­tude néces­si­tant les conso­la­tions de l’amour ;
Rien que la Paix, entière, sur le sein mûri de la Corruption !

John-Eve­lyn Barlas

(tra­duc­tion E.A.)

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