La Presse Anarchiste

Chronique des services dits secrets

L’é­tran­ge­té des choses veut que cette rubrique soit pla­cée éga­le­ment, aujourd’­hui, sous le signe de Gal­tier-Bois­sière. La valse qu’on nous pro­met pour bien­tôt dans les téné­breuses offi­cines du « ren­sei­gne­ment » ne consti­tue, en effet, rien de moins qu’un nou­veau cha­pitre de cette Farce des ser­vices secrets, que le Cra­pouillot nous don­na à la fin de 1951.

Il y avait eu déjà beau­coup de remue-ménage à l’é­poque, consé­cu­ti­ve­ment à l’af­faire dite des « géné­raux » (les géné­raux Mast et Revers s’é­tant lais­sé com­pro­mettre par un agent du S.D.E.C.E., un nom­mé Pey­ré, sorte de Lopez du temps, mais qui, plus heu­reux que celui-ci, avait pu, avant le plein de la tor­nade, s’ex­por­ter en Ama­zo­nie !), et la boue des « ser­vices » était en grande par­tie mon­tée à la surface.

Pey­ré, imma­tri­cu­lé sous l’in­di­ca­tif A.P. 475, était alors « mani­pu­lé » par un capi­taine Girar­dot, et théo­ri­que­ment « axé » sur la mis­sion mili­taire you­go­slave ! Acces­soi­re­ment ou plu­tôt essen­tiel­le­ment, il s’oc­cu­pait aus­si de la sur­veillance du géné­ral Revers, chef d’é­tat-major, pour le compte du « ser­vice », tout en jouant auprès de lui les offi­cieux et les « hon­nêtes » cour­tiers (entre­mises et affaires en tout genre).

Lopez lui, figu­re­rait sur les contrôles, s’il faut en croire cer­tains jour­naux, sous des appel­la­tions infi­ni­ment plus pit­to­resques que celle qui dégui­sait Pey­ré, puis­qu’il serait indif­fé­rem­ment Don Pedro, Toto la Valoche (allu­sion ouverte, si l’on ose dire, aux besognes qu’il rem­plis­sait à Orly en four­ra­geant dans les bagages des « sus­pects ») et encore la Savon­nette.

Encore ce der­nier nom lui vien­drait-il du « milieu », où l’on a plus de lettres qu’il ne sem­ble­rait, car la Savon­nette en ques­tion doit plu­tôt être enten­due comme dans l’ex­pres­sion « savon­nette à vilains » que dans l’ac­cep­tion Cadum ou Pal­mo­live ! Là est pro­ba­ble­ment le vrai dans ses rela­tions avec Sou­chon et Vol­ter. Ceux-ci devaient bien quel­que­fois en échange des indi­ca­tions appor­tées par Lopez faire droit à quelques « indul­gences » récla­mées pour soi ou les amis.

Vieux prin­cipe du prê­té ren­du, rare­ment trans­gres­sé entre pou­lets et « infor­ma­teurs », et que les pré­ten­dus truands connaissent bien, et auquel ils furent tou­jours dis­po­sés, d’ailleurs, à s’abonner.

Mais reve­nons au grand œuvre annon­cé. M. Léon Noël, que le régime pré­po­sa tou­jours aux les­si­vages de tout genre, a reçu mis­sion de réfor­mer nos ser­vices de police et de renseignement.

Pério­di­que­ment ce noble des­sein enflamme quelque homme d’É­tat. Ain­si, après les sanies et insa­ni­tés de l’Af­faire Drey­fus, Gal­lif­fet lui-même, l’é­hon­té mas­sa­creur, en était venu à s’ex­cla­mer pudi­que­ment, du haut de la tri­bune de la Chambre, où il inter­ve­nait en tant que ministre de la Guerre de Wal­deck-Rous­seau, qu’il ne fal­lait plus que des offi­ciers des ser­vices secrets conti­nuent « par excès d’ar­deur à fré­quen­ter dans les cafés borgnes et les mai­sons louches pour y ren­con­trer des gens qui devaient leur four­nir des ren­sei­gne­ments utiles » parce que c’é­tait com­mettre « ain­si leur qua­li­té et leur uni­forme dans des rela­tions et des com­pro­mis­sions déplo­rables », Jour­nal offi­ciel du 29 mai 1900 (p. 1307, col. 3).

Pro­pos d’ailleurs qui n’a­vait fait que suivre un décret de Wal­deck (août 1899), décret qui inven­tait en quelque sorte la Sur­veillance du Ter­ri­toire (en tout cas la chose sinon le mot, et sans les pro­li­fé­ra­tions qu’elle a connues depuis) !

Wal­deck avait pré­ten­du par là pré­ser­ver les émou­lus de Saint-Cyr ou de Poly­tech­nique du contact jugé avi­lis­sant des agents de bas étage. Désor­mais, seuls les poli­ciers de la Sûre­té, dont la « pure­té » pou­vait être expo­sée à moindres frais, auraient à « mani­pu­ler », comme on ne disait pas encore, toute la lie subal­terne du « renseignement ».

De plus, les gens du Bureau des Ren­sei­gne­ments, dési­gné aus­si du nom, qui était encore un de ces camou­flages vains dont ces mes­sieurs sont cou­tu­miers, de Sec­tion de Sta­tis­tique, per­daient leur auto­no­mie de fait au sein de l’é­tat-major, et étaient mis dans la dépen­dance du 2e Bureau !

C’est pro­ba­ble­ment d’ailleurs depuis ce temps-là, que par synec­doque inévi­table, les feuille­to­nistes ont com­men­cé, pre­nant le tout pour la par­tie, de par­ler de 2e Bureau quand il ne s’a­gis­sait que de S.R. !

Confu­sion déjà regret­table mais qui n’é­tait qu’a­no­dine, auprès de toutes celles qu’on est dans le cas de com­mettre avec tous les orga­nismes qui nous vinrent — legs effroyable — de la der­nière guerre, et que nous ten­te­rons de déla­by­rin­ther une pro­chaine fois.

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