La Presse Anarchiste

Journaux et journalistes dans les “Mémoires” de Galtier

Gal­tier avait connu très tôt qu’on ne peut cas­ser les car­reaux en toute quié­tude que chez soi. Aus­si ses ten­ta­tives hors de son Cra­pouillot natal furent-elles peu nom­breuses et le plus sou­vent sui­vies de décon­ve­nues ! Et le cha­pitre qu’il nous donne au tome deux des Mémoires d’un Pari­sien sur ses « débuts ratés dans le jour­na­lisme quo­ti­dien » n’est pas un des moins allègres !

C’é­tait au Pays, un vieux titre rené de ses cendres que l’a­ven­ture s’é­tait pla­cée, et déjà dans l’a­près-guerre puis­qu’on était en 1919.

Feuille illus­trée autre­fois par les Cas­sa­gnac et puis tom­bée en déshé­rence, c’est Albert Dubar­ry qui en 1917 avait repê­ché l’en­seigne au cime­tière des titres défunts.

C’é­tait presque une gageure. Dubar­ry pas­sait, en effet, pour être l’homme lige de Caillaux, et la pré­ten­tion d’a­bri­ter une poli­tique de paix sous la vieille rai­son sociale bona­par­tiste pou­vait pas­ser pour audacieuse.

Tous les aboyeurs du patrio­tisme immar­ces­cible, de Maur­ras à Gus­tave Her­vé, s’é­taient d’ailleurs promp­te­ment ligués, pour deman­der d’où venait l’argent et pour décré­ter que Dubar­ry ne pou­vait être que l’ins­tru­ment de noirs desseins.

Et l’illustre Albert avait dû se démettre après quelques semaines de direc­tion, lais­sant la place à un per­son­nage que l’Ar­mée avait lâché depuis peu sur le Bou­le­vard, un capi­taine Gas­ton Vidal, auquel Gal­tier-Bois­sière, chro­ni­queur tout neuf, aura pré­ci­sé­ment affaire.

Gaston Vidal

Gas­ton Vidal, cou­vert de fer­blan­te­rie du gros orteil au sin­ci­put et ayant enfin connu la « bonne bles­sure » avait sur­gi dans la vie pari­sienne pour y tenir l’emploi de héros professionnel.

Un emploi dans lequel il ne devait pas être le seul à se pro­duire, quelques autres, tels Mar­cel Bucard ou Joseph Dar­nand y brille­ront après ou dans le même temps que lui jus­qu’aux infor­tunes que l’on sait. Pour Gas­ton Vidal tou­te­fois, il dis­pa­raî­tra avant le temps des Capon­nières, bor­nant sa dis­grâce à une com­pa­ru­tion en Haute Cour pour simple tra­fic d’in­fluence et cor­rup­tion de fonctionnaire. 

Mais au rebours de Bucard et de Dar­nand, tou­jours cata­lo­gués hommes de droite, Gas­ton Vidal, en 1917, avait été éri­gé ou s’é­tait éri­gé en homme de gauche.

Un pavillon idéal donc, pour cou­vrir une mar­chan­dise qu’on disait fre­la­tée — le Pays pas­sait, en effet, pour être la suite du Bon­net rouge — et qui ne l’é­tait même pas. M. Prou­vost, de Paris-Match, fait même dire chez l’his­to­rien de Livois, que la noir­ceur du Pays était telle, que Cle­men­ceau le fit pres­sen­tir pour qu’il s’in­gé­rât de ses deniers dans l’af­faire, pour la sabor­der ou la rendre au droit che­min. Répé­tons : l’a­nec­dote est écrite dans la récente His­toire de la Presse que l’on sait mais dont il n’est pas une ligne qui ne demande caution.

Gal­tier-Bois­sière assu­mait donc pour le denier coquet de 20 francs, un papier quo­ti­dien. Col­la­bo­ra­tion sans his­toire, quand un jour, Vidal pré­ten­dit le lan­cer dans une affaire oblique contre Jacques Bou­len­ger. Vidal pré­ten­dait à on ne sait quelle pré­séance sur celui-ci au nom de l’ancien com­bat­tan­tisme et Gal­tier avait été char­gé d’at­ta­cher le gre­lot. Or le len­de­main, Vidal fai­sait déjà machine arrière et désa­vouait pla­te­ment le jeune impétueux. 

Il en résul­tait le hour­va­ri qu’on peut croire. Un télé­gramme d’in­vec­tives, man­dé de Bar­bi­zon, noti­fiait au héros de l’in­fan­te­rie, qui encais­sait sans mot dire, qu’il eût à se pas­ser doré­na­vant des ser­vices du jeune Galtier.

Vidal en avait vu et en ver­rait d’autres et pour les « encais­se­ments » de toute nature devien­drait bien­tôt un des spé­cia­listes les plus cotés de Paris. Peu de temps d’ailleurs après son alga­rade avec Gal­tier, il deve­nait dépu­té de l’Al­lier, où il bat­tait Pierre Bri­zon, le direc­teur de la Vague, ancien pèle­rin de Kienthal.

La Chambre bleu-hori­zon, comme on disait alors, élue le 16 novembre, n’a­vait pu qu’ou­vrir toutes grandes ses portes au « héros », que Poin­ca­ré embar­quait promp­te­ment sur sa galère minis­té­rielle, avec un vague sous-secré­ta­riat aux Sports. Vidal émar­gea désor­mais par­tout où on pou­vait émar­ger. Il glou­ton­ne­ra dans tous les bud­gets de silence ou de publi­ci­té jus­qu’au jour de la décon­fi­ture d’Ous­tric, où s’a­chè­ve­ra sa car­rière de ruf­fian de l’hé­roïsme prétendu !

Pour Gal­tier, il tire­ra de sa mésa­ven­ture avec le direc­teur du Pays, une déter­mi­na­tion de ne plus écrire nulle part que dans son Cra­pouillot, et à laquelle il se tien­dra pen­dant quinze ans.

Eugène Merle

Un autre appa­ru dans ses che­mins, ce fut Eugène Merle, duquel il brosse d’ailleurs un por­trait qui est peut-être une des meilleures pages des Mémoires !

Merle, son ami depuis 1920, ne l’eut pour­tant jamais par­mi ses col­la­bo­ra­teurs. Gau­tier n’a­vait été ni du Merle blanc, ni de Paris-soir, ni de Paris mati­nal, pré­vu d’a­bord pour être Paris-matin, mais qu’un fron­ce­ment de sour­cil de Bru­nau-Varilla avait contraint à une muta­tion brusque, ni non plus d’au­cun des suc­cé­da­nés du Merle blanc (Cour­rier lit­té­raire, Merle tout court, etc.).

Gal­tier était dans sa phase de retraite abso­lue de la presse pari­sienne, quand Merle attei­gnit au zénith. Et il fau­dra 1939, pour que son nom paraisse dans une publi­ca­tion née des entre­prises tumul­tueuses d’Eu­gène, mais le Merle auquel il col­la­bo­re­ra ne sera plus que celui de Mme Merle, le fon­da­teur de la mai­son ayant pris congé depuis 1937 !

Oui, le por­trait de l’an­cien lieu­te­nant de Gus­tave Her­vé et du plus proche des com­pa­gnons d’Al­me­rey­da mérite d’être relu et relu dans les Mémoires d’un Pari­sien. Per­sonne n’au­ra ren­du avec autant de bon­heur que Gal­tier tout l’ar­souille et tout le gran­diose du Ras­ti­gnac-Vau­trin que fut tout à la fois le lan­ceur de Paris-soir et de vingt autres entre­prises qui pros­pé­rèrent dans d’autres mains que les siennes mais que celles-ci n’au­raient pas osé mettre sur le chantier !

Georges-Anque­til tra­verse aus­si les sou­ve­nirs de Gal­tier mais de manière plus fur­tive, et pour autre chose que de cor­diaux aban­dons, comme c’est le cas pour Merle.

Ici, Gal­tier avait eu maille à par­tir, sinon pour des pro­pos directs de l’au­teur de Satan conduit le bal, mais pour des insi­nua­tions déso­bli­geantes parues dans sa feuille, la Rumeur et signées de Mar­cel Arnac.

La trique haute, il s’é­tait ren­du bou­le­vard Ber­thier où la Rumeur tenait bureau, pour s’en­qué­rir du patron mais n’a­vait eu affaire qu’à Albert Livet, vieille rela­tion du Pays, et qui met­tait alors une science incon­tes­table du marbre et de la mise en pages, au ser­vice des entre­prises d’Anquetil.

L’af­faire s’é­tait réso­lue à l’a­miable. Le len­de­main, la Rumeur avait rec­ti­fié dans le sens deman­dé. Anque­til qui avait déjà été bâton­né pour des outrages anté­rieurs avait mon­tré une consi­dé­ra­tion immé­diate pour les cor­nouillers dont s’é­taient munis Gal­tier et Ober­lé, car celui-ci avait eu aus­si sa part des rumeurs de la Rumeur !

Il fau­dra les évé­ne­ments de 1934 pour que Gal­tier sorte de sa tour d’i­voire de la Sor­bonne, et ce sera à l’ap­pel de Mau­rice Maré­chal, le direc­teur du Canard enchaî­né. L’é­pi­sode est plus connu et on sera plus suc­cinct que pour les pré­cé­dents. La Four­cha­dière, qui s’é­tait pris d’un béguin tar­dif pour le pré­fet Chiappe, qui avait bien vou­lu se dépê­cher à son domi­cile pour lui appor­ter de plates excuses, au len­de­main d’un jour où des flics subal­ternes l’a­vaient moles­té, avait pré­ten­du rendre la poli­tesse, quand le pré­fet avait été débar­qué par Dala­dier et son ministre de l’In­té­rieur Frot, au début de février 1934.

Galtier au « Canard enchaîné »

Un mari­vau­dage sur le thème refu­sé d’a­bord à l’Œuvre puis non agréé au Canard avait ame­né la rup­ture de La Fouch’ avec Maré­chal, dont il était pour­tant alors le plus ancien collaborateur.

Et c’est comme cela que Gal­tier avait été prié de prendre le relais. Ce dont il s’é­tait d’a­bord fait scru­pule, pour toutes sortes de rai­sons, dont celle-ci qu’il était impru­dent de chaus­ser les godasses du Bouif, tant la suc­ces­sion parais­sait dif­fi­cile à soutenir.

En véri­té, Gal­tier avait mon­tré là une timi­di­té et une déli­ca­tesse exces­sives. Ce qu’il fit alors au Canard peut lui être comp­té par­mi ce qu’il fit de meilleur. Hélas ! des heurts vinrent, que le temps a assou­pis et nous n’y revien­drons pas. Les pro­cès de Mos­cou, les évé­ne­ments d’Es­pagne avaient mis les gens dans un état d’es­prit assez com­pa­rables à celui de l’Af­faire Drey­fus, et des hommes encore proches la veille se héris­saient subi­te­ment les uns contre les autres. Gal­tier dut s’en aller à la Flèche de Ber­ge­ry, où dans la même veine qu’au Canard, il se pro­dui­sit encore quelques années, à peu près jus­qu’à la fin de 1938, après quoi il se replia défi­ni­ti­ve­ment der­rière son cré­neau de la place de la Sorbonne.

Une autre mésa­ven­ture, adve­nue avec le Petit Jour­nal de Pate­nôtre, l’a­vait encore dégoû­té davan­tage, s’il était pos­sible, du jour­na­lisme quotidien.

Sol­li­ci­té, en effet, de mener une cam­pagne contre les Mar­chands de canons, Gal­tier s’é­tait exé­cu­té qua­si ingé­nu­ment, appor­tant une copie irré­pro­chable, nour­rie aux fortes sources du Crapouillot !

Pas de clerc véri­table, car on n’a­vait jamais eu chez Pate­nôtre d’autre des­sein que d’ef­frayer les de Wen­del avec les­quels on se trou­vait en conflit dans les régions obs­cures du Big Busi­ness.

Aucun des articles deman­dés ne devait jamais paraître, Pate­nôtre s’of­frant néan­moins à tous les dédom­ma­ge­ments qu’on vou­drait, pro­cé­dé qui aurait eu son plein effet avec Georges-Anque­til mais que Gal­tier avait repous­sé du pied !

Galtier-Boissière et l’« obèse mondain »

Après cette affaire, Gal­tier-Bois­sière ne revien­dra plus au « quo­ti­dien » que pour les quelques articles qu’il fera, par ami­tié pour Jean­son, dans le fameux Aujourd’­hui de Capgras.

Il y aura encore, mais après la guerre, sa grande série de l’In­tran­si­geant, sur « les scan­dales de l’é­pu­ra­tion » et qui mal­heu­reu­se­ment n’a pas été recueillie.

Gal­tier avait su alors trou­ver la manière des plus grands, écri­vant notam­ment des lignes inou­bliables, pour Béraud, un Béraud à terre et déser­té de tous les anciens affi­dés de la « bonne époque », celle où il était le roi de Grin­goire et des Halles, à cause de ses adjec­tifs et de ses franches lippées !

Lignes qui n’en­ta­maient en rien celles, non moins inou­bliables, qu’il avait écrites contre le même dans un article fameux du Canard inti­tu­lé l’O­bèse mon­dain lors de l’af­faire Salen­gro, et qui fut pro­ba­ble­ment le plus bel échan­tillon polé­mique jamais tom­bé de sa plume !

Les apai­se­ments sur­ve­nus dans l’in­ter­valle ont pu faire que cet article n’ait plus jamais été évo­qué nulle part, mais nous ne nous embar­ras­sons pas ici de telles retenues !

[/​A. C./]

Galtier Brisson

Le Figa­ro dans la nécro­lo­gie qu’il consacre au fon­da­teur du Cra­pouillot insiste, comme il est de bonne guerre, sur les démê­lés qui oppo­sèrent Bris­son et Gal­tier, mais n’est-ce pas exa­gé­ré­ment dire qu’il pour­sui­vit d’une par­ti­cu­lière ani­mo­si­té le Figaro !

En véri­té, Gal­tier-Bois­sière et Pierre Bris­son avaient long­temps frayé de bonne amitié.

Tout conspi­rait d’ailleurs à les rap­pro­cher. Même com­mune ori­gine bour­geoise et de la même stratification.

Gal­tier pou­vait en effet allé­guer les Ménard, plus par­ti­cu­liè­re­ment l’illustre Louis, l’au­teur du Pro­logue d’une révo­lu­tion que Prou­dhon avait publié dans l’une de ses feuilles après les jour­nées de juin 1848, et celui-là seul aurait suf­fi à sou­te­nir la com­pa­rai­son avec les plus flat­teurs des Fran­cisque ou des Adolphe dénom­brés dans les Sar­cey ou les Brisson.

Ce Louis Ménard était d’ailleurs un des grands orgueils de Gal­tier, au point même que voi­ci quelques années, il avait réédi­té le fameux Pro­logue avec les bois de notre ami Ger­main Delatousche !

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