La Presse Anarchiste

Le suicide se vend mal

Le confort intel­lec­tuel, dont nous avons bien dit que nous ne le recher­chons pas, serait ici de crier, comme tout le monde, à l’assassinat !

« Comme tout le monde », car ici l’a­ca­dé­mi­cien est égal à sa femme de ménage et le plus farouche com­mu­niste au plus bor­né réac­tion­naire — ces deux der­nières expres­sions n’é­tant que « cli­chés », n’emportant aucune adhé­sion de notre part.

Per­sonne, tout au moins à par­tir d’un cer­tain stade dans la noto­rié­té, celle-ci fût-elle cri­mi­nelle, ne s’est jamais sui­ci­dé, ne sau­rait jamais se suicider.

C’est à peine même d’ailleurs si la mort natu­relle est une hypo­thèse tolé­rable dans cer­tains cas. Tou­jours il a fal­lu et tou­jours il fau­dra le « mau­vais café » ou le lacet subreptice !

La liste est immense qu’on pour­rait dévi­der, et Figon dans les obi­tuaires futurs des « morts mys­té­rieuses » n’au­ra peut-être qu’une place infime après Félix Faure, Syve­ton, Alme­rey­da, Phi­lippe Dau­det, Prince et tut­ti quan­ti !

Beau­coup d’élé­ments com­plé­men­taires sont là évi­dem­ment pour jus­ti­fier les orgies des « assas­si­nistes » à tout prix !

D’a­bord évi­dem­ment le public asso­ti et béant, mais aus­si les intel­lec­tuels, fussent-ils « car­té­siens » ou agré­gés de mathé­ma­tiques, tous por­tés au fond sur l’op­tique « concierge » des choses. (Voyez les diva­ga­tions de quelques-uns à pro­pos de l’af­faire Oswald).

Et encore et sur­tout les mar­chands de papier, qui savent, eux, que le sui­cide ne se vend pas !

Des gens qui parlent pré­sen­te­ment de l’af­faire Prince à tort et à tra­vers, seraient-ils plus pru­dents, s’ils savaient que quelques-uns des grands fabri­cants de l’o­pi­nion de l’é­poque étaient convain­cus du sui­cide, qui fai­saient pour­tant répandre à cen­taines de mil­liers, voire à mil­lions, d’exem­plaires une ver­sion contraire.

Ain­si M. Prou­vost, qui vou­lait don­ner alors à son Paris-Soir, sinon nais­sant, du moins encore mal affer­mi, toute la pro­pul­sion souhaitable.

Et là-des­sus, il n’y a pas à récu­ser, nous avons un texte de quel­qu’un, et non des moindres, qui l’as­sis­tait dans ce temps-là.

De Pierre Laza­reff, qui nous infor­ma clai­re­ment quand il était réfu­gié aux Amé­riques dans un livre inti­tu­lé : Der­nière édi­tion ! Cela se lit à la page 238.

Le conseiller Prince, comme l’on sait peut-être, avait été trou­vé mort au lieu-dit la Combe-aux-Fées, proche Dijon, sur la voie du che­min de fer et la contro­verse à jamais inépui­sable s’é­tait ouverte : sui­cide ou crime ? Et Paris-Soir avait dépê­ché sur les lieux deux hon­nêtes Bri­tan­niques, retrai­tés de Scot­land Yard ou de l’Intel­li­gence, avec mis­sion d’éclaircir !

Ils étaient reve­nus opi­nant au sui­cide, et mal­gré les argents décu­plés, à eux offerts, pour qu’ils concluent au rebours de leur conscience, s’é­taient obstinés.

Témoin ce pro­pos de Prou­vost qu’a rap­por­té Lazareff :

« Nous ne pou­vons pas, dit-il, abso­lu­ment pas publier un docu­ment pareil. Nous ne pou­vons pas aller contre l’o­pi­nion du public qui croit que c’est un crime. Si nous disons que c’é­tait un sui­cide, nous aurons l’air de prendre par­ti poli­ti­que­ment, ce qui nous fera le plus grand tort dans notre vente. »

Sur cette cita­tion, nous tirons l’échelle !

Nous n’a­vons pas dit pour autant que Figon s’é­tait sui­ci­dé, mais encore moins qu’il avait été « assassiné ».

Nous aurions beau faire d’ailleurs : nous ne pour­rons jamais pré­tendre à une grande vente !

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