Il n’y a pas longtemps, l’Allemagne fêtait avec éclat le 60e anniversaire de la naissance du poète Gérard Hauptmann ; du poète, qui, jusqu’à la débâcle de l’ancien gouvernement, de l’avis de personnes autorisées, aurait du être en prison, et qui dans l’intervalle d’un jour, devint le poète officiel de la République allemande.
Qui veut comprendre Hauptmann, doit se représenter l’époque pendant laquelle il a vécu. Né, en 1862, en un village des montagnes de Haute-Silésie, fils d’aubergiste, il connut certainement très jeune la dure misère de la lutte pour la vie, des habitants de la montagne, et beaucoup d’images tristes depuis lors l’ont obsédé ; cependant il n’a pas souffert des misères extérieures et quand il put suivre ses études et ses goûts, ceux-ci le conduisirent dans diverses universités et pendant peu de temps à travers l’Italie.
La création de son premier drame « Avant l’aurore » eut lieu en 1889. C’était en Allemagne, au temps des persécutions légales contre le mouvement socialiste ouvrier ; époque où les idées sociales se cristallisaient dans les créations du naturalisme.
« Avant l’aurore » fut l’apparition d’un art nouveau joyeusement salué de tous ceux qui avaient pressenti ce que le jour radieux allait apporter.
Après trois autres drames, vint on 1892 le chef‑d’œuvre de l’auteur : « Les Tisserands ». L’ouvrier, l’insurrection, furent mis à la scène à Berlin et Guillaume II en abandonna sa loge.
Vainement les critiques de la Cour (La Faculté) s’évertuèrent à tuer l’œuvre par leurs attaques. D’après eux, le fond était vieillot, il y manquait le héros, l’intrigue ; en résumé les règles fondamentales de l’art dramatique étaient méconnues. Mais les compagnons de souffrance des « Tisserands » comprirent l’œuvre différemment.
Ils y sentirent : la chair de leur chair, l’esprit de leur esprit et « Les Tisserands » devinrent la propriété spirituelle des prolétaires du monde entier.
Sous beaucoup de rapports, on peut considérer : « Florian Geyer » la tragédie des paysans allemands en 1526 comme une suite aux « Tisserands ». Ici l’auteur montre comment la division et l’apathie étranglent, dès le début, la bataille libératrice de la classe opprimée.
La première représentation causa de douloureuses désillusions à l’auteur. Mais maintenant que cette guerre de paysans s’est effectivement réalisée pendant les insurrections de 1919 – 1921 « Florian Geyer » est devenu la tragédie de la révolution allemande.
Après « Les Tisserands » vinrent : « L’Assomption de Hannelle », « Florian Geyer », déjà nommé, « La Cloche engloutie », « Schluck et Pan », « Et Pippa danse », « Rose Bernd », « Emmanuel Quint ». Ils jalonnent la voie suivie par Gérard Hauptmann pendant la décade qui suivit.
Mais si l’auteur des « Tisserands » s’est montré pour ainsi dire le pionnier de l’idée révolutionnaire, il avait déjà montré dans la pièce suivante : « L’Assomption de Hannele » qu’il n’était nullement enclin à devenir un guide pour les opprimés.
Ses goûts l’entraînent vers les rêves des nuits d’été et les perspectives ensoleillées, comme il l’a écrit à un de ses amis. Et quand il accéda, à un rang social plus élevé, il fréquenta l’aristocratie, se fit construire un château dans ses montagnes natales, et abandonna toutes tendances sociales.
Après s’être approché du parti des Travailleurs, avec « Les Tisserands », il en vint à considérer la société en esthète. « Et Pippa danse » et les drames suivants accusent efficacement ce changement.
Cependant, il ne fut jamais le citoyen de la vieille Allemagne. Il le prouva bien dans l’à‑propos qu’il composa à l’occasion du centenaire du soulèvement de 1813 et dans lequel il invoquait l’action pour la paix et non l’action pour la guerre quoique l’idée de la fête visât peut-être à commémorer l’écrasement de l’armée impériale en retraite.
La position de Gérard Hauptmann était d’autant plus incompréhensible que dix mois après l’explosion guerrière, nous le retrouvons dans la bande de tous ceux qui, par leurs écrits, excitaient la haine des combattants. Puis il s’arrêta. Il se tut.
S’effraya-t-il en contemplant à distance la grimace diabolique de la guerre. Nous n’en savons rien.
Quand après le bouleversement, nous entendîmes de nouveau sa voix, des accents tout différents nous parvinrent. Dans l’intervalle « L’hérétique de Soana » et « Anna » se succédèrent pleins de joie de vivre. « Indipohdi » nous adresse ces mots en un dernier adieu : « Supprimez le monde et donnez le néant qui me convient. » — Sommes-nous devant une nouvelle période de la vie de cet auteur ?
Gérard Hauptmann fut un appui pour les pauvres pendant toute sa vie, sans être un socialiste matérialiste. Nous savons que l’esprit de 1914 a affolé aussi d’autres hommes. N’oublions pas cependant que ce fut lui qui souleva un coin du voile et montra au monde plus clairement que tout autre, la vie des exploités, et qu’il nous a sans cesse prodigué des richesses puisées à la source prolétarienne, qui certainement ont déjà enrichi notre vie, comme elles l’enrichiront encore.
[/H. K.
Traduit du n° 36 de Sennacieca Revuo,
organe des Espérantistes révolutionnaires./]