La Presse Anarchiste

La Russie contemporaine

I

C’est avec un sou­pir de sou­la­ge­ment que je suis des­cen­du du train qui m’avait rame­né à Mos­cou après une absence de neuf mois à l’étranger. Enfin — fut ma pre­mière pen­sée — on pour­ra se mettre au tra­vail et faire de la bonne besogne…

La Rus­sie est un pays mys­té­rieux. Elle vous attire et vous tient cap­tive  ; elle vous ensor­cèle : vous vou­lez la revoir à peine vous la quit­tez ; vous deve­nez invo­lon­tai­re­ment un patriote de la Rus­sie ; vous per­dez de vue les imper­fec­tions — disons plus, les hor­reurs — poli­tiques, éco­no­miques et autres, et vous ne voyez que le peuple… et vous avez hâte de vous retrou­ver avec lui.

Mos­cou a cer­tai­ne­ment chan­gé durant ces quelques mois qui ont mar­qué l’expansion, le déploie­ment de la fameuse Nou­velle Poli­tique Éco­no­mique qui devait sau­ver la Rus­sie de tous les maux qui l’entourent. Au lieu des vitrine sales, cou­vertes de pous­sière et vides — la marque de fabrique du mono­pole gou­ver­ne­men­tal — der­rière les­quelles des rats géants cou­raient en pleine liber­té à la grande joie et au grand amu­se­ment des gosses, j’ai trou­vé ces maga­sins modernes rem­plis de toutes les déli­ca­tesses que tout gour­met aime — les fro­mages étran­gers, le caviar, les pâtis­se­ries à la crème pure et natu­relle, toutes sortes de viande conser­vées, des sar­dines… en un mot, tout ce qu’un porte-mon­naie bien gar­ni pou­vait dési­rer. Les rues se repa­vaient autour des car­re­fours impor­tants de la ville, et le quar­tier « chic » de Mos­cou — autour de la Tvers­kaya — est deve­nu de nou­veau le ren­dez-vous de la nou­velle aris­to­cra­tie. Les cafés et les caba­rets sur­gissent comme des cham­pi­gnons après la pluie, et avec eux appa­raissent et se déve­loppent les vices inévi­tables de la pros­ti­tu­tion. Mos­cou devient ain­si une capi­tale euro­péenne pro­pre­ment dite avec tous les défauts inhé­rents à ces villes. Aux entrées lar­ge­ment illu­mi­nées des « mai­sons de plai­sir » il y a des « gar­çons » en cos­tume de soi­rée de rigueur qui retirent obsé­quieu­se­ment la four­rure des arri­vants… Mais pour­quoi décrire davan­tage ces phé­no­mènes bien connus ? Tant que l’on déci­de­ra d’introduire le bour­geois dans le sys­tème éco­no­mique, il insis­te­ra pour avoir ses amu­se­ments pré­fé­rés, pour mener son mode de vie. Il n’y a, par consé­quent, rien de si extra­or­di­naire dans le fait que Mos­cou rede­vient soi-même. Toutes ces ins­ti­tu­tions ne démo­ra­li­se­ront cer­tai­ne­ment pas le bour­geois qui a vu des scènes bien plus belles dans sa vie ; mais il n’y a aucun doute qu’elles intro­duisent le poi­son de la dés­in­té­gra­tion dans les rangs ouvriers. La bureau­cra­tie sovié­tique a ame­né à la sur­face de la Rus­sie contem­po­raine une pha­lange d’administrateurs, de com­mis­saires, de gérants qui sont sor­tis de la classe ouvrière et qui, tout récem­ment encore, étaient à l’atelier, au tour, aux champs. C’est de cette pha­lange qu’est née la nou­velle bour­geoi­sie com­mu­niste qui, empor­tée par le tour­billon de la Nou­velle Poli­tique Éco­no­mique, s’exerce à qui mieux mieux à écha­fau­der de nou­velles entre­prises, de nou­veaux trusts, de nou­veaux plans gou­ver­ne­men­taux, de nou­veaux pro­jets finan­ciers… et tout ça, autour de la table de café ou de caba­ret, dégus­tant les fines liqueurs et com­men­çant à vivre d’une façon qu’ils n’ont même pas rêvée quand ils étaient dans l’usine… Et bien loin­tain semble le pas­sé de labeur, si éloi­gnées sont ces années de peine et de fatigue, — et si appé­tis­sants sont ces mets épa­tants ser­vis à votre table par les gar­çons gen­tils et char­mants… des pro­lé­taires eux aus­si, des « camarades » !

Ces hommes — et leur nombre est légion — sont à jamais per­dus pour le socia­lisme, pour la révo­lu­tion, et aident à bâtir la nou­velle couche inter­mé­diaire qui, de cette façon, se déve­loppe en la nou­velle bour­geoi­sie « rouge » et « pro­lé­ta­rienne » de l’État communiste-capitaliste.

Mais est-ce que toutes ces richesses signi­fient que la quan­ti­té de vivres s’est aug­men­tée sur le mar­ché ? Cer­tai­ne­ment oui. Dès le pre­mier jour quand la liber­té de vente et d’achat fut décré­tée, il était déjà pos­sible d’obtenir les néces­si­tés ordi­naires de la vie qu’un jour aupa­ra­vant le gou­ver­ne­ment, avec tout son appa­reil énorme, était abso­lu­ment inca­pable de don­ner. Disons, pour­tant, tout de suite que l’augmentation de vivres sur le mar­ché ne signi­fiait pas tou­jours une aug­men­ta­tion des réserves sur la table de l’ouvrier. Grâce à la crois­sance rapide de petites bou­tiques deve­nant tota­le­ment dis­pro­por­tion­née à la quan­ti­té ini­tiale de vivres que le pay­san pou­vait mettre à la dis­po­si­tion de la ville, le coût de la vie mon­tait par des bonds gigan­tesques tota­le­ment dis­pro­por­tion­nés avec l’augmentation des salaires. De cette façon les spé­cu­la­teurs, les orga­ni­sa­teurs de trusts, les affai­ristes, les conces­sion­naires et leurs sem­blables avaient la pos­si­bi­li­té de satis­faire tous leurs dési­rs, tan­dis que l’ouvrier rêvait encore d’un mor­ceau de pain blanc dont il voyait main­te­nant de larges quan­ti­tés s’étaler der­rière les vitrines des bou­lan­ge­ries et des pâtis­se­ries récem­ment ouvertes. D’un autre côté, ceux des habi­tants, dans les larges centres de la popu­la­tion, qui avaient le bon­heur de pos­sé­der des amis ou des parents à l’étranger avaient les moyens de rece­voir les fameux paquets de vivres de l’Ara… qu’ils ven­daient aux portes mêmes des bureaux de l’Ara de façon à pou­voir ache­ter un peu plus de farine de seigle à la place de la farine blanche que ces paquets contenaient.

Les mar­chés sont rem­plis des boîtes de lait conden­sé de l’Ara, de la farine de l’Ara, du riz de l’Ara. Cela est dû, en par­tie, sans aucun doute, aux vols gigan­tesques de mar­chan­dises de l’Ara dans les dépôts de che­min de fer où les trains de l’Ara sont gar­dés. Les vols sur les lignes des che­mins de fer — au milieu d’une aug­men­ta­tion géné­rale de la rapine et du bri­gan­dage — ont reçu une ampli­tude inouïe : des trains entiers de mar­chan­dises dis­pa­raissent comme par une baguette magique ; l’administration entière des che­mins de fer — de l’employé supé­rieur de la gare jusqu’au der­nier signa­li­seur — par­ti­cipe à cette occu­pa­tion lucra­tive ; et tout cela parce que les salaires sont bien trop bas pour pou­voir vivre même médio­cre­ment, et parce que le pays ne pro­duit rien.

L’absence de pro­duc­tion est hor­ri­fiante. Les organes offi­ciels du gou­ver­ne­ment ou du par­ti au pou­voir publient quo­ti­dien­ne­ment des chiffres sur les pro­duits expor­tés, des plans sur de nou­velles uni­tés de pro­duc­tion, des sys­tèmes nou­veaux et amé­lio­rés de la tay­lo­ri­sa­tion du tra­vail, des plans per­fec­tion­nés pour le tra­fic fer­ro­viaire — et, mal­gré cela, tout le monde se demande où tous ces chiffres vont et d’où ils viennent. La vie éco­no­mique et indus­trielle du pays, à l’heure actuelle, est arrê­tée ; ici et là quelque ate­lier pro­duit en un mois ce qu’il avait, aupa­ra­vant, pro­duit en un jour. Et comme cela a été offi­ciel­le­ment décla­ré au der­nier Congrès des Conseil d’Économie Natio­nale, « nous venons d’atteindre le niveau de pro­duc­tion que nous avions à l’époque d’avant Pierre-le-Grand ! »

Avant l’introduction de la Nou­velle Poli­tique Éco­no­mique — dans l’ère pré-NKP-ienne — il n’y avait ni pro­duc­tion ni consom­ma­tion. Depuis l’introduction de la Nep nous conti­nuons à ne pas avoir de pro­duc­tion, mais la consom­ma­tion a aug­men­té. Le pay­san apporte ses pro­duits au mar­ché. Le Nep-man, comme on appelle actuel­le­ment le com­mer­çant et le spé­cu­la­teur russe — cette nou­velle classe dont j’ai par­lé plus haut — spé­cule sur les vivres et vit aus­si confor­ta­ble­ment que pos­sible, pen­dant que le pays devient de plus en plus pauvre.

La seule pro­duc­tion qui aug­mente presque à chaque heure c’est celle du papier-mon­naie. Les méta­mor­phoses kaléi­do­sco­piques des dif­fé­rentes sortes de « bank-notes », d’» obli­ga­tions de l’État », de « signes moné­taires », etc. sont lit­té­ra­le­ment éba­his­santes. Les chiffres astro­no­miques — car tout petit men­diant des rues est un mul­ti-mil­lion­naire — excitent l’imagination, mais sont loin d’être capables d’améliorer les condi­tions de la vie. Le rébus mathé­ma­tique qu’un rouble n’est pas un rouble, mais bien dix mille, et que 100 roubles de l’émission 1922 (qui étaient équi­va­lents à un mil­lion de roubles d’avant 1922) égalent seule­ment un rouble de l’émission1923… donnent une idée de la débâcle com­plète du sys­tème finan­cier et de l’imbroglio éco­no­mique déses­pé­ré dans lequel le pays se trouve comme résul­tat direct de l’absence de production.

II

La Nou­velle Poli­tique Éco­no­mique a trans­for­mé la Rus­sie en une nation, de bou­ti­quiers — le sobri­quet qui, jusqu’ici, n’était adju­gé qu’à l’Angleterre. Les indus­tries n’existent pas, les indus­triels brillent par leur absence. Mais il y a bon nombre de bou­tiques et de bou­ti­quiers. Tout le monde, de la dac­ty­lo­graphe au pro­fes­seur, de l’ouvrier de l’usine au chef de dépar­te­ment d’un minis­tère, tous achètent et vendent : tel vend ses habits, ses sou­liers ou ses vieux crayons ; tel achète de la farine, du lait pour l’enfant, du beurre et ain­si de suite. Les néces­si­tés pri­maires de la vie changent inces­sam­ment de mains ; les uns se débar­rassent de leurs der­niers habits pour cal­mer un peu la faim ; les autres entre­prennent une diète de famine pour pou­voir s’acheter quoi que ce soit pour se cou­vrir le corps. Les mar­chés de Mos­cou pul­lulent de mar­chands ambu­lants — hommes et femmes — qui appar­tiennent au monde intel­lec­tuel, à l’aristocratie, aux classes ouvrières ; les voi­là tous ali­gnés der­rière les mon­ti­cules de boue en train de vendre leurs bre­loques, ou plu­tôt de les échan­ger avec des mar­chands sem­blables pour quelque objet plus urgent. La Nou­velle Poli­tique Éco­no­mique a com­mer­cia­li­sé la nation sans aug­men­ter le moins du monde sa pro­duc­ti­vi­té. Il y a à Petro­grad tout juste l’usine Bal­tique qui tra­vaille encore — et presque exclu­si­ve­ment sur les bri­seurs de glace néces­saires pour gar­der le port de Petro­grad ouvert durant 1’hiver. Dans la pro­vince de Mos­cou, il y a une fabrique de répa­ra­tions de loco­mo­tives à Podolsk — à une dis­tance d’environ 60 verstes de Mos­cou — qui tra­vaille bien. Il est inté­res­sant de noter, à cet effet, que cette fabrique est la  « fabrique d’exposition » de la Rus­sie. Qui­conque arrive de l’étranger est immé­dia­te­ment trans­por­té à Podolsk comme preuve que le haut niveau de pro­duc­tion en Rus­sie n’est pas un mythe… Son direc­teur et celui qui a fait mar­cher la fabrique a été durant toutes ces années, un de nos cama­rades, un anar­cho-syn­di­ca­liste. Nous pou­vons, ain­si, être fiers que la seule preuve de la pro­duc­tion exis­tante en Rus­sie est bien due aux efforts d’un anarcho-syndicaliste.

Mais alors quelles ont été les amé­lio­ra­tions qui sui­virent l’introduction de ce nou­veau régime éco­no­mique, et ont-elles appor­té des amé­lio­ra­tions effec­tives non seule­ment dans les condi­tions mêmes de la classe ouvrière, mais aus­si au point de vue poli­tique et social ?

Les trans­for­ma­tions pro­duites dans le camp éco­no­mique par la volte-face de la poli­tique des bol­che­vistes a intro­duit une amé­lio­ra­tion maté­rielle super­fi­cielle dans les condi­tions de cette frac­tion de la classe ouvrière qui tra­vaillait dans les quelques entre­prises indus­trielles encore vivantes et qui, grâce à l’introduction du tra­vail par pièce, avait la pos­si­bi­li­té d’augmenter son bud­get presque jusqu’à un niveau de vie nor­male. La grande masse des tra­vailleurs ne sent pas ces amé­lio­ra­tions ; même s’ils ont l’air, aujourd’hui, plus satis­faits qu’ils ne l’étaient il y a un an ou deux — quand le com­mu­nisme d’État était en pleine vigueur — cela est sim­ple­ment dû au fait qu’ils peuvent, main­te­nant, ache­ter tout ce qu’ils veulent pour­vu que l’argent suf­fise : ce qu’il leur était impos­sible de faire sous le régime stric­te­ment « com­mu­niste » — sans suc­cé­da­nés. Le sys­tème du tra­vail aux pièces est à pré­sent à l’ordre du jour ; il a intro­duit à sa suite les heures sup­plé­men­taires, de façon que la grande « réforme sociale », intro­duite le pre­mier jour de la Révo­lu­tion de novembre — notam­ment la jour­née de huit heures — existe tou­jours comme décret, mais n’est plus pra­ti­quée. Sou­vent ce sont les ouvriers eux-mêmes, pous­sés par la pénu­rie, qui demandent une jour­née plus longue afin de pou­voir gagner davantage.

C’est tout ce qu’il y a à dire sur les « amé­lio­ra­tions » éco­no­miques ; le trans­fert des pauvres dans les mai­sons des riches — un truc de pro­pa­gande, qui, même en sa période la plus sym­pa­thique, a été si gros­siè­re­ment pra­ti­qué que les ouvriers pré­fé­raient res­ter dans leurs caves — fut immé­dia­te­ment arrê­té. Pour un ouvrier il était abso­lu­ment impos­sible de trou­ver une ou deux chambres pour y loger sa famille : cela coû­tait au moins 1 mil­liard 12 (été 1922), c’est-à-dire presque 100 dol­lars ! — pour obte­nir le droit à la clef de la chambre, sans par­ler du loyer… Car tout doit être payé main­te­nant, et payé chè­re­ment, car les cal­culs sont faits non sur la base du salaire moyen de l’ouvrier, mais pro­por­tion­nel­le­ment à l’agiotage de la Bourse.

C’est que nous avons main­te­nant cette ins­ti­tu­tion euro­péenne — la Bourse ! Les actions et les bank-notes étran­gères sont quot­tées quo­ti­dien­ne­ment ; les mar­chés sont décla­rés calmes ou vifs, les jour­naux publient tous les jours les « notes de la Bourse », des bul­le­tins spé­ciaux sont publiés par dif­fé­rentes bourses, et l’organe offi­ciel du Conseil du Tra­vail et de la Défense — la « Eko­no­mit­ches­kaya Zhizn » — se plaint que toutes les Bourses pro­vin­ciales ne publient pas ces bulletins !

Nous avons deux Bourses en Rus­sie : la Bourse offi­cielle et la Bourse « noire » ou pri­vée. La « tchor­naya birz­ha », comme cette der­nière se dénomme en Rus­sie, contrôle la Bourse avec une majus­cule : car l’agiotage prin­ci­pal est fait dans la rue bien plus qu’à la Bourse offi­cielle dans laquelle per­sonne n’a confiance. Le taux d’échange est bien plus éle­vé sur la bourse « noire » que sur celle du gou­ver­ne­ment, et cette der­nière est obli­gée de s’approcher du taux pri­vé si elle ne veut pas que tout l’or et toutes les valeurs dis­pa­raissent entiè­re­ment dans les mains pri­vées des spé­cu­la­teurs. La Bourse offi­cielle est dans la rue « Ilyin­ka », là où se trou­vait l’institution du même nom sous l’ancien régime ; la bourse « noire » est tout à côté, dans un parc, avec le ciel comme seule voûte, et une foule hou­leuse est constam­ment en mou­ve­ment ache­tant et ven­dant des notes, de l’or, de l’argent, etc., etc… Grâce à cette concur­rence, le rouble tombe encore plus que si l’absence de pro­duc­tion avait été le seul fac­teur de spé­cu­la­tion. La demande extra­or­di­naire pour la « valu­ta » étran­gère est si grande, que le dol­lar avait atteint — en décembre 1922 — l’équivalent de cin­quante mil­lions de roubles !

Avec cette chute abra­ca­da­brante du rouble nous avons, cela va sans dire, la hausse folle des prix sur des vivres tan­dis que, comme nous l’avons déjà dit, l’augmentation des salaires est loin de pou­voir com­pen­ser l’augmentation conti­nue des prix.

Pre­nons les prix qui ont régné à Mos­cou vers la fin d’octobre 1922 [[Le dol­lar équi­va­lait alors envi­ron 20 mil­lions de roubles.]] :

  • Le pain de seigle a coû­té de 250.000 à 500.000 roubles la livre ;
  • Le pain blanc a coû­té de 12 mil­lion à un mil­lion de roubles la livre ;
  • La viande a coû­té de 1 mil­lion à 1 mil­lion 12 de roubles la livre ;
  • Le beurre a coû­té de 4 à 10 mil­lions de roubles la livre ;
  • Le sucre a coû­té de 6 à 9 mil­lions de roubles la livre ; les pommes de terre 750.000 roubles la livre ;
  • Le lait a coû­té 250.000 roubles le demi-litre ;
  • Un cos­tume ordi­naire avait coû­té 200 mil­lions de roubles ; une paire de sou­liers, pas moins de 100 mil­lions ; ain­si de suite.

Quel a été le salaire moyen durant cette même période ? Je demeu­rais dans une petite mai­son­nette : il y avait là une télé­pho­niste qui gagnait 50 mil­lions de roubles par mois ; un employé dans un dépar­te­ment du Soviet de Mos­cou gagnait envi­ron 100 mil­lions par mois ; un ouvrier dans une fabrique d’automobiles gagnait (tra­vail par pièce et heures sup­plé­men­taires com­pris) envi­ron de 160 à 170 mil­lions par mois. Ceci était déjà consi­dé­ré comme un salaire assez éle­vé pour un ouvrier. Pre­nant en consi­dé­ra­tion qu’une famille d’ouvrier est com­po­sée, en moyenne, de lui-même, de sa femme et de deux enfants, il est clair que le bud­get de la famille ne pou­vait conten­ter les besoins les plus pri­mi­tifs que par un sup­plé­ment obte­nu par la femme et les enfants en allant tro­quer et mar­chan­der. C’est ain­si que toute la popu­la­tion fut obli­gée de s’adonner au com­merce et d’employer toute son éner­gie à la lutte pour obte­nir les néces­si­tés les plus indis­pen­sables de la vie et devint, à la suite, de plus en plus apa­thique à tout ce qui l’entourait — à la Révo­lu­tion de même qu’à la contre-révo­lu­tion, au bol­che­visme ou à tout autre chose en « isme ». 

Peut-être, nous dira-t-on, ces dif­fi­cul­tés éco­no­miques ne furent pas toutes le résul­tat de la mau­vaise admi­nis­tra­tion bol­che­viste et le par­ti com­mu­niste russe — comme com­pen­sa­tion pour les imper­fec­tions éco­no­miques dues à la force majeure — avait tout au moins ten­té d’élargir les bases des amé­lio­ra­tions poli­tiques et de don­ner au peuple la pos­si­bi­li­té de res­pi­rer l’air plus libre­ment qu’il ne le pou­vait auparavant ?

Exa­mi­nons alors quels furent les effets de la Nou­velle Poli­tique Éco­no­mique sur la vie poli­tique et intel­lec­tuelle du pays.

III

Avant tout, nous devons par­ler — quand il s’agit de chan­ge­ments « poli­tiques » inau­gu­rés grâce à la Nou­velle Poli­tique Éco­no­mique — de la soi-disant réforme de la Tché­ka. Nous savons bien, nous tous, que l’horrible Tché­ka n’existe plus. Au lieu de cette ins­ti­tu­tion nous pos­sé­dons main­te­nant le Dépar­te­ment Poli­tique d’État du Com­mis­sa­riat du Peuple pour l’Intérieur, une espèce de dépar­te­ment poli­tique « du peuple » !

Cette nou­velle ins­ti­tu­tion a les mêmes pou­voirs d’arrestation et de déten­tion que pos­sé­dait la feue Tché­ka ; il faut pour­tant admettre que deux inno­va­tions ont cer­tai­ne­ment été intro­duites. Ces deux « léga­li­tés » sont : 1° que l’accusation doit être pré­sen­tée au pri­son­nier pas plus tard que deux semaines après l’arrestation ; 2° que la condam­na­tion doit être pro­non­cée dans l’intervalle de deux mois du jour de l’arrestation.

Exa­mi­nons main­te­nant com­ment ces mesures « démo­cra­tiques » sont, en fait, appli­quées aux pri­son­niers « poli­tiques », dans un pays ou règne la dic­ta­ture : La pre­mière de ces for­ma­li­tés est une simple comé­die. Tout pri­son­nier est sim­ple­ment accu­sé de contre-révo­lu­tion ou d’agitation illé­gale ou de tout ce qui peut entrer dans la tête du juge d’instruction ; ou bien, si même ces accu­sa­tions ne vont pas, vous êtes tout bon­ne­ment accu­sé « par ana­lo­gie » de tel ou tel crime poli­tique. Le nou­veau Code pénal de la Répu­blique sovié­tique — l’orgueil des avo­cats « rouges » — a pré­vu toutes ces pos­si­bi­li­tés et dans l’intervalle des 14 jours pres­crits par la loi, on vous informe sur un bout de papier que vous êtes accu­sé, disons… d’agitation anti-sovié­tiste, d’après tel ou tel para­graphe du Code pénal.
Plu­sieurs de ces para­graphes sont très amu­sants. À com­men­cer par la défi­ni­tion de « crime » qui est très instructive :

« § 6. — Un crime est consi­dé­ré être toute action ou inac­tion publi­que­ment dan­ge­reuse mena­çant les fon­de­ments du sys­tème sovié­tique et de l’ordre public tel qu’ils sont éta­blis par le pou­voir des ouvriers et des pay­sans durant la période tran­si­toire à l’ordre communiste. »

Il faut noter que le Code ne nomme jamais les socia­listes comme pou­vant être des cri­mi­nels ; néan­moins tous les para­graphes concer­nant la contre-révo­lu­tion, visent direc­te­ment les socia­listes de toutes nuances. Voi­ci plu­sieurs de ces paragraphes :

« § 61. — Par­ti­ci­pa­tion ou aide à une orga­ni­sa­tion qui agit dans la direc­tion d’un appui à la bour­geoi­sie inter­na­tio­nale est punie de la peine de mort.

« § 62. — Par­ti­ci­pa­tion dans une orga­ni­sa­tion… qui amè­ne­rait vers un affai­blis­se­ment évident de la dic­ta­ture de la classe ouvrière et de la révo­lu­tion pro­lé­ta­rienne, même si l’insurrection armée ou l’invasion armée n’est pas le but immé­diat des acti­vi­tés de cette orga­ni­sa­tion, est punie de la peine de mort.

« § 64. — Par­ti­ci­pa­tion à la réa­li­sa­tion, pour des buts contre-révo­lu­tion­naires, d’actes ter­ro­ristes diri­gés contre les repré­sen­tants du pou­voir des Soviets ou contre les chefs des orga­ni­sa­tions révo­lu­tion­naires des ouvriers et pay­sans, même si les com­plices d’un tel acte n’appartiennent pas à une orga­ni­sa­tion contre-révo­lu­tion­naire, est punie de la peine de mort.

« § 70. — La pro­pa­gande et l’agitation des­ti­nées à aider la bour­geoi­sie inter­na­tio­nale est punie de l’expulsion des confins de la Répu­blique des Soviets ou de la pri­va­tion de la liber­té pour un terme mini­mum de trois ans.

« § 72. — La pro­pa­gande et le recel, pour des buts de dis­tri­bu­tion, de la lit­té­ra­ture de pro­pa­gande à carac­tère contre-révo­lu­tion­naire, est punie de la pri­va­tion de la liber­té pour une durée mini­mum d’un an. »

Voi­ci une perle qui concerne, entre autres, nos dépor­tés anar­chistes et anarcho-syndicalistes :

« § 71. — Le retour non auto­ri­sé dans les confins de la Répu­blique des Soviets en cas d’expulsion est puni de la peine de mort. »

Quant aux anar­chistes — tous les cama­rades le savent déjà — il est par­lé d’eux au cha­pitre du ban­di­tisme. Le voici :

« 76. — L’organisation de bandes armées, et la par­ti­ci­pa­tion à ces bandes et… aux attaques contre les ins­ti­tu­tions sovié­tiques et pri­vées… est punie de la peine de mort. » [[Les mots exacts du Code sont : « la plus grande mesure de puni­tion » — autre­ment dit la mort.]]

Deux autres perles, pour en finir avec ce Code humoristique :
« § 87. — L’insulte, par le manque de res­pect à la Répu­blique des Soviets, expri­mé par les injures aux insignes de l’État, au dra­peau et aux monu­ments de la Révo­lu­tion, est punie de la pri­va­tion de la liber­té pour une durée mini­mum de six mois.

« § 88. — L’insulte publique d’un repré­sen­tant de l’État dans l’exécution de ses fonc­tions offi­cielles est punie de la pri­va­tion de la liber­té pour une durée d’au moins six mois. »

Et si, par hasard, il est dif­fi­cile, ou peut-être gênant, d’accuser un ouvrier ou un socia­liste dont l’arrestation est inévi­table, selon une des clauses du Code, alors ce der­nier montre toute son ingé­nui­té et pos­sède cette clause « par analogie » :

« § 10. — En cas de manque d’indication dans le Code pénal d’un para­graphe direct pour des cas spé­ci­fiques de crimes ou de puni­tions ou de mesures de défense sociale, ceux des para­graphes du Code doivent être mis en action qui pré­voient les crimes les plus ana­logues en matière d’importance et de caractère… »

Voi­ci donc com­ment l’opération se fait : Un indi­vi­du est pris, et si son arres­ta­tion est due uni­que­ment à des rai­sons « poli­tiques », on lui pré­sente durant la quin­zaine légale un des para­graphes du Code, et la for­ma­li­té est bâclée et donne aux auto­ri­tés le droit légal de le gar­der pen­dant au moins deux mois. Car cette seconde « réforme » déci­dant du sort du pri­son­nier dans les deux pre­miers mois est un mythe. Il y a une addi­tion à cette réforme qui dit que dans les cas où le Dépar­te­ment poli­tique le trouve néces­saire pour la sau­ve­garde de la « patrie socia­liste » — ou si l’on n’a pas eu le temps d’examiner son dos­sier — appli­ca­tion est faite au Comi­té Exé­cu­tif Cen­tral des Soviets — l’autorité suprême du pays — pour un pro­lon­ge­ment du terme de deux mois… J’ai ren­con­tré nombre de pri­son­niers poli­tiques qui avaient accu­mu­lé plu­sieurs de ces périodes de deux mois au pro­fit du Dépar­te­ment Poli­tique… et de la tran­quilli­té « com­mu­niste » probablement.

En un mot, même s’il existe à pré­sent le signe exté­rieur de la léga­li­té sous l’aspect du Code Pénal — et cette appa­rence for­melle semble suf­fire pour amor­cer la bour­geoi­sie mon­diale — il n’y a, de fait, aucune pos­si­bi­li­té de recon­naître la dif­fé­rence entre le Dépar­te­ment Poli­tique d’État et la Tché­ka. Le trai­te­ment — ou plu­tôt le mal­trai­te­ment — est tou­jours le même ; les méthodes de pro­vo­ca­tion et de menaces chez le juge d’instruction sont les mêmes ; le jésui­tisme est le même, et les anciens « okh­ran­ni­kis » [[Agents de la police secrète sous le tza­risme.]] sont les mêmes… Mais, il y a eu der­niè­re­ment un membre nou­veau dans la famille : le fameux — disons plu­tôt l’infâme — Slacht­choff, le pen­deur de la Cri­mée qui, comme un des aides-de-camp les plus proches de Wran­gel, exé­cu­ta les pay­sans par dizaines et, reçu par la Répu­blique Com­mu­niste de la Rus­sie (la Cri­mée com­prise) avec les hon­neurs mili­taires, fut pro­mu, en Rus­sie Sovié­tique déjà, à des postes mili­taires impor­tants (l’un d’eux consis­tait à sub­ju­guer la révolte pay­sanne de la Karé­lie) — cette brute à face humaine fait main­te­nant des heures sup­plé­men­taires au Dépar­te­ment Poli­tique où il dénonce, sûre­ment, et vend ses anciens camarades.

On ne pour­rait se figu­rer une dégra­da­tion plus abjecte du pseu­do-com­mu­nisme que celle d’avoir comme com­plice l’homme qui s’est bai­gné dans le sang des ouvriers et pay­sans de la Cri­mée. Et les révo­lu­tion­naires qui ont lut­té pour la Révo­lu­tion, plus encore, pour les bol­che­viks — ceux-là on les fusille comme contre-révolutionnaires…

Mais depuis la publi­ca­tion du Code pénal la res­sem­blance entre le Dépar­te­ment Poli­tique et la Tché­ka est deve­nue encore plus frap­pante et seuls les aveugles volon­taires pour­raient encore per­ce­voir une cer­taine dif­fé­rence. D’après la posi­tion actuelle de la loi en Rus­sie, le Dépar­te­ment Poli­tique a le droit — sans pro­cès ni exa­men pré­li­mi­naire — d’exiger par ordre admi­nis­tra­tif, tout pri­son­nier à son choix pour une période maxi­ma de trois ans. C’était au point de vue de temps et de méthode de puni­tion, le maxi­mum qui pou­vait être infli­gé comme puni­tion. C’était déjà en soi-même une grande réforme, sur­tout quand on se rap­pe­lait les années d’emprisonnements et les condam­na­tions à mort qui sévis­saient sous la Tché­ka — sans pro­cès, sans accu­sa­tions. On com­men­çait à espé­rer que le règne de la ter­reur et de l’arbitraire tou­chait à sa fin. Tant que le pri­son­nier poli­tique avait le droit d’être jugé, d’être repré­sen­té par un avo­cat et de se défendre, les choses avaient cer­tai­ne­ment l’air « démocratique ».

En Sep­tembre der­nier un décret sup­plé­men­taire fut publié don­nant au Dépar­te­ment Poli­tique le droit, par ordre admi­nis­tra­tif : 1° De gar­der dans les camps de concen­tra­tion les per­sonnes exi­lées par lui durant la période de leur exil ; 2° de fusiller tous ceux pris en fla­grant délit, c’est-à-dire oppo­sant une résis­tance armée, ou dans des actes de ban­di­tisme, et dans tous les cas où un indi­vi­du est pris en pos­ses­sion d’armes.

Nous avons ain­si la légis­la­tion de la peine de mort par ordre admi­nis­tra­tif, c’est-à-dire l’exécution d’un homme sans même lui don­ner la chance de dire quoi que ce soit.

Cette nou­velle clause sera, évi­dem­ment, mise en pra­tique pour se débar­ras­ser tran­quille­ment des anarchistes.

La Tché­ka — comme nous allons doré­na­vant appe­ler le Dépar­te­ment Poli­tique d’État du Com­mis­sa­riat du Peuple pour l’Intérieur — pos­sède donc un appa­reil mer­veilleu­se­ment per­fec­tion­né. Elle pos­sède un Dépar­te­ment des Opé­ra­tions Secrètes qui contrôle tous les cas poli­tiques. Ce dépar­te­ment est sub­di­vi­sé en sec­tions — cha­cune d’elles s’occupant des cas poli­tiques d’une ten­dance déter­mi­née. Ain­si la sec­tion n° 1 traite des anar­chistes ; la sec­tion n° 2 des men­ché­viks, et ain­si de suite. Il y a des sec­tions spé­ciales pour les socia­listes-révo­lu­tion­naires de droite, pour ceux de gauche, pour les sio­nistes, pour les clé­ri­caux, pour les contre-révo­lu­tion­naires, etc. Les chefs de ces sec­tions sont géné­ra­le­ment choi­sis par­mi les rené­gats du par­ti que la sec­tion pour­suit et per­sé­cute. Ain­si l’ancien chef de la sec­tion anar­chiste, l’ex-anarchiste Sam­so­noff, a fait de si grands pro­grès qu’il est à pré­sent le chef de tout le Dépar­te­ment des Opé­ra­tions Secrètes. Par ce sys­tème jésui­tique de nomi­na­tions tous les pri­son­niers poli­tiques ont l’honneur dou­teux d’être exa­mi­nés par des ex-cama­rades, tan­dis que ces der­niers consi­dèrent de leur devoir de faire autant de zèle que pos­sible, afin de pou­voir prou­ver leur loyau­té à leur nou­velle reli­gion et de ne pas être accu­sés de mollesse.

La Tché­ka est tou­jours la ter­reur de la popu­la­tion, elle a les mêmes pou­voirs illi­mi­tés qu’auparavant et est haïe autant que jadis. Elle était, dans les temps pas­sés, sous la pré­si­dence de Dzerz­hins­ky et ne répon­dait de ses actes qu’au Conseil des Com­mis­saires du Peuple direc­te­ment. Ce pri­vi­lège « exclu­sif » était consi­dé­ré comme une des causes prin­ci­pales de sa bru­ta­li­té sans contrôle et irres­pon­sable. Il fut donc déci­dé d’abolir ce pri­vi­lège. La Tché­ka est, main­te­nant, res­pon­sable devant le Com­mis­sa­riat pour l’Intérieur qui, à son tour, répond devant le Conseil des Ministres. Mais… le Com­mis­saire du Peuple pour l’Intérieur est jus­te­ment Dzerz­hins­ky ! Les com­men­taires sont, certes, superflus.

Le truc de la « réforme » poli­tique de la Tché­ka n’était nul­le­ment mis en mou­ve­ment pour la paci­fi­ca­tion de la popu­la­tion !. Son but prin­ci­pal était d’amorcer la bour­geoi­sie, et plus cette der­nière refuse de se lais­ser amor­cer, plus la Tché­ka retourne à ses anciennes amours — à la ter­reur et à la pro­vo­ca­tion — avec son seul but de dés­in­té­grer com­plè­te­ment et de démo­ra­li­ser la Révolution.

Mais le réfor­misme poli­tique du Par­ti Com­mu­niste Russe ne s’exhiba pas seule­ment dans les « amé­lio­ra­tions » faites dans la Tché­ka. Il méta­mor­pho­sa aus­si les autres branches d’activité en Rus­sie. Nous avons main­te­nant, tou­jours comme résul­tat de la Nou­velle Poli­tique Éco­no­mique, un nou­veau Code du Tra­vail qui a pris la place de celui qui fut solen­nel­le­ment pro­cla­mé tam­bours bat­tants en 1918 comme un acte de signi­fi­ca­tion inter­na­tio­nale pour la classe ouvrière. Voyons donc si ce Code au moins amé­liore les condi­tions du pays — ce que l’ancien Code n’a certes pas pu arri­ver à faire.

IV

J’ai devant moi une copie du pro­jet du nou­veau Code du Tra­vail tel qu’il a été pré­sen­té à la qua­trième ses­sion du Comi­té Exé­cu­tif Pan­russe des Soviets en octobre 1922 et accep­té en prin­cipe par ce der­nier, lais­sant les petits chan­ge­ments de forme à une Com­mis­sion spéciale.

Tout d’abord on note que le prin­cipe du tra­vail obli­ga­toire sur lequel était basé le sys­tème de lois ouvrières sous le « com­mu­nisme » n’a pas dis­pa­ru. Il est expres­sé­ment dit dans le nou­veau Code que chaque fois que la main‑d’œuvre est néces­saire pour la mise en exé­cu­tion d’une entre­prise d’État tous les citoyens de la Répu­blique Sovié­tique peuvent être ame­nés, par un sys­tème de com­pul­sion, à faire tel ou tel tra­vail. Il est clair, par consé­quent, que l’ouvrier, mal­gré le droit qu’il a obte­nu, grâce à la Nou­velle Poli­tique Éco­no­mique, de choi­sir sa propre occu­pa­tion, ne se trouve nul­le­ment libé­ré de l’obligation de tra­vailler pour l’État, si ce der­nier le trouve nécessaire.

L’expérience nous a déjà suf­fi­sam­ment démon­tré, durant ces der­nières années, que le tra­vail obli­ga­toire n’a jamais conduit vers l’augmentation de la pro­duc­tion : au contraire, plus le tra­vail était obli­ga­toire et for­cé, moins visibles étaient les résul­tats posi­tifs. Le mar­xisme, pour­tant, refuie de lâcher faci­le­ment sa proie.

Quand il est ques­tion de contrats col­lec­tifs entre ouvriers et patrons — contrats entre Tra­vail et Capi­tal, fut-il pri­vé ou d’État, sont aus­si obli­ga­toires en Rus­sie — c’est bien le côté poin­tu du pieu capi­ta­liste bour­geois qui est intro­duit avec beau­coup d’adresse dans l’économie socia­liste d’État. Nous savons tous la valeur de la grève comme ins­tru­ment de lutte dans les mains de la classe ouvrière. Nous savons le dan­ger que court une grève annon­cée autant de jours ou semaines d’avance au patron qui a, ain­si, assez de temps à sa dis­po­si­tion pour s’y pré­pa­rer. Nous savons tous com­bien nous devions lut­ter contre les contrats écrits avec les patrons et agi­ter pour la grève sou­daine sans devoir en pré­ve­nir l’exploiteur.

Nous allons voir com­ment le gou­ver­ne­ment sovié­tique se com­porte à l’égard des grèves contre les capi­ta­listes pri­vés. D’un côté inca­pable de décla­rer ouver­te­ment l’illégalité de la grève, il intro­duit la noti­fi­ca­tion obli­ga­toire de toute déro­ga­tion au contrat.

Si, par exemple, un contrat est signé entre le patron (ou l’État) et le syn­di­cat, toute ten­ta­tive de « révi­ser » ce contrat doit être noti­fiée deux semaines aupa­ra­vant (§ 24 du Code). Dans les cas d’un contrat indi­vi­duel (entre plu­sieurs ouvriers et un patron), — ces contrats, contrai­re­ment aux contrats col­lec­tifs sont rédi­gés en dehors de l’influence des syn­di­cats et les ouvriers doivent noti­fier au patron trois jours avant la rup­ture du contrat, tan­dis que les employés doivent en envoyer la noti­fi­ca­tion deux semaines avant.

Il est bon de noter qu’aucune noti­fi­ca­tion ne doit être faite d’avance par le patron (ou l’État). Tout ce que ce der­nier doit faire est de don­ner une des rai­sons énu­mé­rées dans le Code, l’une d’elles étant « le cas de dimi­nu­tion de la production. »

Il est clair, ain­si, que les ouvriers russes ne sont pas libres de bri­ser un contrat qui leur a été impo­sé par les syn­di­cats entiè­re­ment dépen­dants de la bonne volon­té du gou­ver­ne­ment, tan­dis que le patron, ou ce même gou­ver­ne­ment, n’a qu’à trou­ver un pré­texte de « dimi­nu­tion de pro­duc­tion » — ce qui advient bien sou­vent — pour expul­ser tout ouvrier qui pour une rai­son ou une autre déplaît au patron ou à l’État.

Pour ce qui est de la fameuse jour­née de huit heures — la gloire et l’orgueil de la Rus­sie des Soviets — elle est déter­mi­née par le para­graphe 96 du Code du Tra­vail, et est pra­ti­que­ment détruite par le para­graphe 106 de ce même Code qui déclare que les heures sup­plé­men­taires peuvent être admises « en cas d’exécution de tra­vaux néces­saires pour la défense de la Répu­blique et pour échap­per à des dan­gers et cata­clysmes sociaux ; en cas d’exécution de tra­vaux de carac­tère public, tels l’éclairage, la cana­li­sa­tion, l’assainissement, les trans­ports, les ser­vices des P. T. T.… ; dans le cas où il est néces­saire de conclure un tra­vail com­men­cé, mais qui n’a pu être ter­mi­né à temps pour des rai­sons de manque de maté­riel ; en cas d’exécution de tra­vaux tem­po­raires, tels les répa­ra­tions et la res­tau­ra­tion de méca­nismes et de struc­tures quand leur aban­don mène­rait à une ces­sa­tion de tra­vail pour un grand nombre d’ouvriers. » Il va sans dire que les heures sup­plé­men­taires en Rus­sie ne sont pas l’exception mais bien la règle géné­rale dans presque toutes les usines et dans tous les ateliers

D’un côté la Nou­velle Poli­tique Éco­no­mique a « libé­ré » les syn­di­cats dans le sens que l’ouvrier n’est pas obli­gé, à pré­sent, comme avant, d’être membre d’un syn­di­cat ; d’un autre côté, pour­tant, cette éman­ci­pa­tion est, comme le reste, nomi­nale et sur le papier seule­ment. La créa­tion de syn­di­cats autres que les syn­di­cats offi­ciels est main­te­nant pos­sible ! Mais le para­graphe 155 nous dit que toute orga­ni­sa­tion éco­no­mique qui m’est pas enre­gis­trée au Conseil (local) des Syn­di­cats « n’a pas le droit de s’intituler syn­di­cat pro­fes­sion­nel ou indus­triel et ne peut pas s’approprier les droits de ce dernier. »

Ici encore, les bol­che­vistes ont leur bouche pleine de la « liber­té des syn­di­cats » — ce qui signi­fie bien qu’ils n’étaient pas libres durant les quatre années de régime com­mu­niste — mais en fait aucun groupe d’ouvriers ne peut orga­ni­ser un syn­di­cat s’il n’est enre­gis­tré quelque part… et ce « quelque part » est, évi­dem­ment, la queue de l’engrenage bolcheviste.

Les syn­di­cats ne sont pas libres en Rus­sie : cela est encore plus clai­re­ment démon­tré dans le para­graphe 160 où sont défi­nies les fonc­tions du Comi­té d’Usine qui, comme tou­jours, n’est pas un orga­nisme indé­pen­dant mais bien « la cel­lule de base du syn­di­cat dans l’entreprise ». Le Comi­té d’Usine doit coopé­rer « au déve­lop­pe­ment nor­mal de la pro­duc­tion dans les entre­prises d’État et par­ti­ci­per par l’intermédiaire des syn­di­cats cor­res­pon­dants dans la régle­men­ta­tion et l’organisation de l’économie nationale. »

Il est donc de nou­veau clair que les syn­di­cats sont obli­gés par l’État de coopé­rer avec lui dans l’organisation de l’industrie… même si ce déve­lop­pe­ment de l’industrie était diri­gé contre les inté­rêts de la classe ouvrière.

Mais cette « liber­té » dis­pa­raît tout à fait et se trans­forme en ser­vice obli­ga­toire d’État quand nous lisons le para­graphe 175 qui dit que les déci­sions de la Cour d’Arbitrage, si elles ne sont pas exé­cu­tées par l’une des par­ties contrac­tantes (c’est-à-dire, par les ouvriers, par exemple), sont trans­mises aux Tri­bu­naux Civils : les déci­sions finales de ces Tri­bu­naux doivent être obli­ga­toi­re­ment mises en exé­cu­tion.

C’est donc bien clair. Comme jusqu’ici, le mou­ve­ment ouvrier russe est for­te­ment enchaî­né dans les anneaux habi­le­ment entor­tillés du sys­tème obli­ga­toire d’État et cou­verts à peine d’un ou deux para­graphes-feuille-de-vigne sur la liber­té des syndicats.

La liber­té du com­merce n’a pas intro­duit la liber­té du tra­vail, et la Nou­velle Poli­tique Éco­no­mique, tout en intro­dui­sant les méthodes bour­geoises et l’idéologie bour­geoise, a sui­vi aus­si très atten­ti­ve­ment le prin­cipe capi­ta­liste — déployé sur l’échelle éta­tique — de tenir l’ouvrier dans son étreinte, d’empêcher le déve­lop­pe­ment de son ini­tia­tive et de son aspi­ra­tion vers la liber­té d’action et vers la liber­té d’organisation.

V

Il nous reste à dire quelques mots sur les dif­fé­rentes « liber­tés » dont les démo­cra­ties occi­den­tales aiment à s’affubler : liber­té de la parole, liber­té de la presse, liber­té de la pen­sée. Certes, nous savons tous très bien que ces liber­tés sont, tout au plus, des fal­si­fi­ca­tions démo­cra­tiques : ce sont tou­jours des liber­tés com­pa­ra­tives. Nous sommes bien plus déter­mi­nés en Rus­sie : nous nous sommes débar­ras­sés, dans ce pays, de ces com­pro­mis, de ces demi-mesures, de ces réformes… il n’y a pas de trace de liber­té de parole, de liber­té de la presse et de liber­té de pen­sée en Russie.

Le sys­tème du mono­pole d’État a englo­bé non seule­ment la pro­duc­tion et la dis­tri­bu­tion des matières pre­mières néces­saires pour la vie, mais aus­si la pro­duc­tion et la dis­tri­bu­tion des néces­si­tés intel­lec­tuelles et spi­ri­tuelles de la vie. Tan­dis que la Nou­velle Poli­tique Éco­no­mique a intro­duit un cer­tain allè­ge­ment par le relâ­che­ment de l’étreinte étouf­fante du mono­pole d’État sur les néces­si­tés maté­rielles de la vie — une étreinte qui a failli étran­gler la popu­la­tion — cette nou­velle Poli­tique ne s’est cer­tai­ne­ment pas répan­due sur les besoins intel­lec­tuels et spi­ri­tuels de la vie, excep­té par l’introduction d’une série de suc­cé­da­nés illusoires.

La liber­té de la parole, par exemple. Il est impos­sible, jusqu’à ce jour, pour un grou­pe­ment quel­conque de révo­lu­tion­naires, qu’ils soient anar­chistes, syn­di­ca­listes ou de toute autre ten­dance socia­liste, de louer une salle pour une confé­rence ; toutes les salles sont sous le contrôle du Soviet muni­ci­pal et aus­si­tôt que vous rem­plis­sez le for­mu­laire néces­saire pour l’obtention de la salle, vous pou­vez être sûrs d’un refus catégorique.

D’un autre côté, le suc­cé­da­né inno­cent de liber­té sous la forme de confé­rences sur l’art, sur la phi­lo­so­phie abs­traite, sur les pro­blèmes sexuels, etc., fleu­rissent et donnent l’impression d’une liber­té com­plète d’expression qui est admi­rée par les visi­teurs com­mu­nistes venant de l’étranger. Tous ceux qui viennent à Mos­cou pour un court laps de temps, s’en retournent enthou­sias­més par les larges liber­tés de parole qu’ils avaient consta­té durant leur visite. Mais ils étaient cer­tai­ne­ment inca­pables de trou­ver une confé­rence ou une réunion orga­ni­sée par des révo­lu­tion­naires. Il y avait encore pos­si­bi­li­té, aupa­ra­vant, de par­ler et de dis­cu­ter dans les quelques clubs anar­chistes qui exis­taient alors. Mais depuis la des­truc­tion com­plète des acti­vi­tés anar­chistes et anar­cho-syn­di­ca­listes, des­truc­tion qui se répan­dit, natu­rel­le­ment, jusqu’aux clubs eux-mêmes, il n’y a abso­lu­ment aucune pos­si­bi­li­té de se faire entendre.

Dans les réunions convo­quées par les syn­di­cats ou par le par­ti diri­geant les défen­seurs même les plus paci­fiques et les plus bien­veillants de l’anarchisme ne reçoivent pas le droit de par­ti­ci­per aux débats, et si, par acci­dent, un cama­rade obtient l’occasion de dire quelques mots, il est bien vite dénon­cé aux auto­ri­tés par les mille et un fonc­tion­naires qui pul­lulent à ces réunions et qui, à leurs fonc­tions offi­cielles ajoutent celles, bien plus lucra­tives, d’agents secrets de la Tchéka.

La « liber­té » de la presse est dans un état encore plus lamen­table. Pen­dant que le suc­cé­da­né de liber­té de parole existe sous la forme de confé­rences cubistes et de débats phi­lo­so­phiques inno­cents, les règle­ments sévères sévis­sant pour la presse rendent ces sortes de suc­cé­da­nés pour la presse hors de ques­tion. Très sou­vent des publi­ca­tions offi­cielles, issues des bureaux du gou­ver­ne­ment, et por­tant le visa offi­ciel de la cen­sure, sont sub­sé­quem­ment confis­quées comme « héré­tiques » et « subversives ».

Pour ce qui concerne la pro­pa­gande révo­lu­tion­naire par le livre ou la bro­chure, ses pos­si­bi­li­tés sont tom­bées à un mini­mum imper­cep­tible. L’histoire du « Golos Tru­da » est rem­plie de ces dif­fi­cul­tés. L’His­toire des Bourses du Tra­vail de Pel­lou­tier a été inter­dite ; de même L’Étatisme et l’Anarchie de Bakou­nine ; de même la bro­chure d’Oerter sur le Syn­di­ca­lisme parce que « elle pour­rait être faci­le­ment ache­tée par les ouvriers » ; le livre de notre cama­rade Boro­voy sur Dos­toïevs­ky a été décou­pé par le Cen­seur qui y voyait à chaque ligne des fan­tômes anti-bol­ché­vistes pour la seule rai­son, pro­ba­ble­ment, que l’auteur du livre est anar­chiste. Une ten­ta­tive de publier un petit bul­le­tin biblio­gra­phique a été empê­chée par la Cen­sure. La Cen­sure doit sanc­tion­ner non seule­ment la publi­ca­tion de livres, mais aus­si celle de revues, de jour­naux, de mani­festes, de pla­cards, d’annonces… en un mot de tout ce qui est imprimable.

La seule presse per­mise est celle qui a la sanc­tion offi­cielle de l’État. Que ce soit la méde­cine ou la phi­lo­so­phie, la lit­té­ra­ture ou les beaux-arts, la poli­tique ou la science, la béné­dic­tion du Dépar­te­ment inté­res­sé de l’État est indis­pen­sable avant que l’œuvre soit publiée. Puis alors vient le Grand Inqui­si­teur — le Cen­seur — qui avec son crayon bleu en main, sou­vent passe outre même la sainte béné­dic­tion de ces Dépar­te­ments d’État et biffe de droite et de gauche, sans rime ni rai­son, sans logique et sans le sens commun.

Mais ce n’est pas seule­ment la liber­té de publi­ca­tion qui n’existe pas ; la liber­té de lire n’existe pas non plus. Comme il n’y a d’autre presse en Rus­sie que la presse offi­cielle, nombre de citoyens naïfs se tournent vers l’Europe pour leur nour­ri­ture intel­lec­tuelle. Mais par un décret du gou­ver­ne­ment Sovié­tique, qui­conque désire rece­voir des livres ou des jour­naux de l’étranger doit, d’abord, rece­voir la per­mis­sion d’une com­mis­sion extra­or­di­naire spé­cia­le­ment créée pour ce but, et envoyer son nom et adresse… à la Tché­ka ! Et dans le but de sai­sir la lit­té­ra­ture qui pour­rait se fau­fi­ler illé­ga­le­ment de l’étranger par des­sus la tête de cette com­mis­sion, des cen­seurs spé­ciaux sont atta­chés au bureau de poste de Mos­cou et de Pétro­grad qui, à part leur pra­tique dans l’art d’escamoter les lettres, — ce qui est un phé­no­mène régu­lier en Rus­sie — ont pour devoir de sai­sir tout livre ou jour­nal « contre-révo­lu­tion­naire » qui serait envoyé de l’étranger à une adresse non autorisée.

Ces cen­seurs — la plu­part d’entre eux des fana­tiques illet­trés, et sou­vent lit­té­ra­le­ment des imbé­ciles — abondent dans les dépar­te­ments de l’éducation et de la cen­sure de la Rus­sie des Soviets !…

VI

Il nous reste à cher­cher encore une der­nière liber­té en Rus­sie — c’est celle de la liber­té de pensée !

Les lec­teurs pour­raient croire que j’exagère ou que je fal­si­fie les faits en pei­gnant sous des cou­leurs si sombres la situa­tion actuelle de la Rus­sie. Je ne puis qu’affirmer que mes impres­sions que j’ai tâché de trans­mettre au lec­teur ne sont pas les impres­sions d’un tou­riste, mais se basent sur des faits que j’ai vécus moi-même et sur l’expérience acquise par une par­ti­ci­pa­tion quo­ti­dienne dans la vie du pays dès le pre­mier jour de la Révo­lu­tion. Et si je parle main­te­nant de l’absence de la liber­té de pen­sée, cela signi­fie exac­te­ment que l’on est for­cé en Rus­sie — tout au moins exté­rieu­re­ment — de pen­ser comme pense l’État, ou pour le moins d’agir comme si l’on pen­sait dans la même direc­tion que l’État.

Ain­si, vous êtes obli­gé de pen­ser que vous êtes par­ti­san de la Révo­lu­tion telle que le Par­ti Com­mu­niste se l’imagine ; et s’il n’existe pas encore de méthode scien­ti­fique qui puisse déce­ler la pen­sée de quelqu’un, on vous fait agir comme si vous aviez été dic­té par une telle pen­sée. Accep­tez-vous la Révo­lu­tion et ses déve­lop­pe­ments ? Sous­si­gnez-vous aveu­glé­ment à tout ce qui s’est pas­sé en Rus­sie ? Êtes-vous heu­reux à la pen­sée que cinq ans d’activités révo­lu­tion­naire ont pas­sé depuis le 6 novembre 1917 et que ces années doivent être célé­brées avec enthousiasme ?

Vous pou­vez ne pas être tout à fait d’accord avec cela, mais le gou­ver­ne­ment pren­dra bien ses mesures pour que chaque citoyen, par un signe exté­rieur quel­conque, démontre qu’il sent et pense comme lui.

Voi­ci l’ordre publié par le Soviet de Mos­cou pour les fêtes en l’honneur du Cin­quième Anni­ver­saire de la Révo­lu­tion de Novembre. Je donne la tra­duc­tion fidèle et com­plète du document :


[|Ordre obli­ga­toire du présidium

du soviet des ouvriers et paysans

de Mos­cou
le 19 octobre 1922

(publié dans les Izves­tia du Département

Admi­nis­tra­tif du Soviet de Mos­cou en date

du 27 octobre, 1922, N° 116)
_​Concer­nant le flot­te­ment des drapeaux

de la R. S. F. S. R. durant les fêtes

pro­lé­ta­riennes.|]

1. Toutes les admi­nis­tra­tions des mai­sons sont obli­gées, les jours fixés par le Pou­voir des Soviets pour la célé­bra­tion d’événements révo­lu­tion­naires et ceux de fêtes pro­lé­ta­riennes, de déco­rer leurs mai­sons avec les dra­peaux de la R. S. F. S. R. de cou­leur rouge. La lon­gueur de l’étoffe ne doit pas être moindre de 1½ archines, et celle du bâton pas moins de 2 archines.

2. Les dra­peaux doivent être arbo­rés au-des­sus des portes des mai­sons ou doivent être fixés aux murs exté­rieurs des mai­sons mais de façon à ne pas empê­cher la cir­cu­la­tion des passants.

3. Cet ordre doit être mis en exé­cu­tion par le Dépar­te­ment Admi­nis­tra­tif du Soviet de Moscou.

4. Les repré­sen­tants res­pon­sables des admi­nis­tra­tions des mai­sons, cou­pables d’infraction à cet ordre sont pas­sibles d’une amende n’excédant pas l0.000 roubles [[Émis­sion de 1922, c’est-à-dire 100 mil­lions de roubles d’avant 1922.]] ou du tra­vail obli­ga­toire pour une période n’excédant pas deux semaines.

(Signé) Pré­sident du soviet de Moscou
Secré­taire du soviet de Moscou

Durant les fes­ti­vi­tés qui approchent [[Le cin­quième anni­ver­saire de la Révo­lu­tion de novembre 1917.]](5) les dra­peaux devront être arbo­rés pas plus tard qu’à 6 heures du soir, le 6 Novembre, et sur chaque façade.

J’avais l’honneur excep­tion­nel d’être expul­sé de la Rus­sie ce même jour et à cette même heure — à 6 heures, le 7 novembre 1922 mais je sup­pose que toute la ville — tout le pays — fut régle­men­tai­re­ment pavoi­sé avec des dra­peaux et des bâtons de la lon­gueur offi­cielle… et que bien peu ris­quèrent le tra­vail obli­ga­toire comme com­pen­sa­tion pour oser pen­ser autrement…

Des com­men­taires sont-ils encore néces­saires sur la liber­té de pen­sée en Russie ?

[|* * * *|]

Voi­ci, esquis­sé à la hâte et avec conci­sion, ce que j’ai vu à Mos­cou durant la quin­zaine de jours pen­dant les­quels j’eus « liber­té de mou­ve­ment » à mon retour à Mos­cou, et durant les six jours de grâce que j’obtins de la Tché­ka pour arran­ger mes affaires pri­vées avant de par­tir pour l’exil.

Je pas­sai la fron­tière de la Rus­sie des Soviets le 7 novembre 1922, le grand anni­ver­saire du Grand Jour de 1917 quand tous nos cœurs bat­tirent à l’unisson et accla­mèrent l’avènement de l’Émancipation du Travail !

Mais ce jour n’est pas encore arri­vé pour la Rus­sie. La lutte pour l’Émancipation de la classe ouvrière est encore à entre­prendre. Et au lieu de Nou­velles Poli­tiques éco­no­miques — vieux enne­mis que nous décou­vrons sous des masques qui n’ont guère chan­gé — pré­pa­rons-nous plu­tôt à une Nou­velle Révo­lu­tion Éco­no­mique qui balaye­rait char­la­ta­nisme et fraude poli­tiques, et ins­tal­le­rait le Tra­vail dans ses pleins droits.

[/​A. Scha­pi­ro./​]

La Presse Anarchiste