L’enfance ! mot charmant et radieux qui évoque à notre âme, blasée et sceptique par instants, ce moment de la vie où tout est beau, frais, lumineux, ces années fugitives qui laissent à l’esprit des souvenirs enchanteurs.
Que l’homme, ombre qui passe, ait sous le firma-
[ment.
Chacun n’est-il pas un peu poète lorsqu’il raconte son enfance ? Et quel est l’homme, quelle est la femme surtout dont les traits ne s’adoucissent pas à la vue, d’un petit enfant ? Il est faible, il est fragile, il semble que le moindre choc, que la plus petite maladie puisse l’anéantir. Son existence frêle réclame tous nos soins, son esprit qui bientôt s’étonne demande toute notre science, son cœur à besoin de toute notre tendresse. Et parce que nous lui donnons tout, sans en rien recevoir, sinon le plaisir de le voir heureux, parce qu’il nous dit tout, peut-être, nous l’aimons encore davantage.
Lui aussi, cependant, nous donne quelque chose. Sa vue seule est une joie, son innocence et sa naïveté nous charment, son âme confiante « où rien n’est impur » est un délassement. Il est joyeux, et nous aimons à contempler son insouciance et sa gaieté. Lorsque, le cœur épuisé par de nombreuses épreuves, nous jetons un coup d’œil furtif par dessus le jardin merveilleux évoqué par la fantaisie de l’enfant, nous avons l’illusion d’être revenus réellement au temps de l’âge d’or. Nous pouvons dire avec Amiel : « Le peu de paradis que nous apercevons sur la terre est dû à la présence des enfants. »
L’enfant joue, dans la vie humaine, un rôle essentiel, parce qu’il représente l’avenir, un avenir assez proche de nous pour que nous pussions, dans une certaine mesure, avoir sur lui quelque influence. Beaucoup d’hommes et de femmes considèrent leurs enfants comme le but unique de leur vie. Pour ces petits, ils sont capables de sacrifices, de pénibles travaux ; ils deviennent à la fois plus désintéressés (puisque leurs pensées et leurs actes ont désormais un autre but que leur personnalité propre), plus ingénieux et plus inventifs. L’enfant est pour eux un stimulant au progrès, au mieux-être physique et moral. Afin de ne pas fausser sa jeune âme, ils dominent leurs défauts et deviennent meilleurs : et « Les plus tristes fronts, les plus souillés peut-être — Se dérident soudain à voir l’enfant paraître… »
Il est juste d’observer que l’enfant n’est une joie pour les parents et un élément de progrès que s’il n’est pas suivi de nombreux frères. Plus la famille est nombreuse, plus elle est pauvre, et plus elle contraint le travailleur à une existence misérable, tout entière consacrée au travail continuel et abrutissant qui procure le pain quotidien.
Néanmoins, et quelles que soient, pratiques ou désintéressées, les préoccupations de l’être humain, toujours l’enfant tiendra une large place dans sa vie. Tous les éducateurs, religieux ou laïques, ont essayé tour à tour d’influencer, par leurs enseignements, la génération qui venait après eux. Tous les parents, même sans soucis d’éducation, désirent pour leurs enfants une vie plus heureuse que celle qu’ils ont vécue. La femme, particulièrement, fait souvent de la vie de ses enfants le but de sa vie là elle, qui ne lui semble pas remplie si elle n’a pu soigner, élever et gâter les petits êtres nés d’elle.
C’est pourquoi tous, vieux ou jeunes, noue nous intéressons à l’enfant. Nous aimons à suivre dans son jeune cerveau le développement des facultés naissantes, à voir lentement, jour après jour, s’éveiller l’être humain. L’enfant, a‑t-on écrit, est le père de l’homme. Il y a donc une grande importance pratique à connaître l’enfant pour l’instruire et pour l’élever : et les parents sont toujours les premiers éducateurs de leurs enfants, même lorsqu’ils les confient à des « professionnels » de l’instruction.
En outre, l’étude de l’enfance renferme un réel intérêt de curiosité psychologique, et projette, sur l’étude de l’homme, encore si obscure, de vives clartés. « L’enfant, à sa manière, nous raconte l’histoire morale de l’humanité. Les phases successives de sa vie mentale sont comme le bref résumé des étapes les plus importantes parcourues par l’espèce dans sa marche en avant. » Comment ne pas se pencher avec intérêt sur le petit être qui reproduit, en raccourci l’histoire des siècles vécus jadis par ses millions d’ancêtres, depuis la cellule animale jusqu’à l’homme moderne ? L’observation de l’enfance a ce charme particulier qui s’attache aux commencements de toutes choses, et spécialement à l’aurore de la vie, aux premières manifestations de celui que le poète appelle « une frêle espérance d’âme ». Aussi la description de la vie enfantine tient-elle une place importante dans la littérature moderne. Les Confessions, les Mémoires, les « Journaux intimes », les Souvenirs d’enfance ou de jeunesse, sont autant de trésors où l’on découvre, délicieuse et naïve comme celle du Petit Pierre, ondoyante et diverse parfois comme celle de l’homme, l’âme toute neuve de l’enfant.
Toutefois, les autobiographies elles-mêmes ne nous renseignent pas exactement sur l’âme enfantine. Elles nous racontent les confidences d’hommes illustres, toujours un peu exceptionnels, recueillies grâce à la mémoire, et souvent idéalisées ; Renan lui-même l’écrit : « ce qu’on dit de soi est toujours poésie. » Il est donc extrêmement difficile d’étudier l’enfance. Les petits ne savent eux-mêmes ni s’analyser, ni exprimer ce qu’ils sentent, et l’observateur doit faire appel, dans ses recherches, à son intuition plutôt qu’à son raisonnement. L’enfant possède son originalité propre, et sa pensée, loin de la nôtre suit son propre sentier, ou, comme le dit Ruskin « son propre chemin, un chemin oublié par ceux qui ont laissé l’enfance derrière eux. » Il faut, pour comprendre les enfants, d’abord les aimer beaucoup, suivre avec tout son cœur les premières pensées, les premiers sentiments de leur âme. Une imagination ardente, unie à la mémoire de ses souvenirs personnels, une sympathie affectueuse et une patience minutieuse, ces qualités se rencontrent surtout chez la femme, première éducatrice de l’enfant. Elle garde dans son cœur un coin de verdure et de jeunesse, une sensibilité fraîche, un peu semblable à celle de l’enfant, et qui lui permet de le pénétrer mieux que personne. Elle sait, par son intuition merveilleuse, deviner et comprendre ses pensées, ses désirs, et rendre plus douces encore ces heures souriantes de la vie, au souvenir desquelles la plume du poète a tracé ces vers gracieux et symboliques :
Essaie à ce jésus toutes les auréoles
Se préparant ainsi, par les caresses molles,
Les roses, les baisers, le rire frais et prompt
À lui mettre plus tard les épines au front.
[/Une révoltée./]