[[Belle Édition 400 pages. En vente à La Librairie Sociale, 9, rue Louis-Blanc. Paris (10e). Franco recommandé : 8 fr. 50]]
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Le livre si impatiemment attendu de notre ami et collaborateur Sébastien Faure, vient de paraître.
Nous pensons qu’il provoquera une profonde impression dans tous les milieux qu’intéresse la question religieuse et sa lecture sera extrêmement profitable à tous nos camarades.
La Revue Anarchiste qui a déjà publié plusieurs fragments de cet important ouvrage, en publie ci-dessous quelques passages.
Au cours des 400 pages qui composent son œuvre, Sébastien Faure, établit que l’Église, assoiffée de domination, a constamment mis tout en œuvre pour s’emparer de la direction spirituelle et temporelle des peuples : Assistance et Enseignement, d’abord ; Magistrature et Armée, ensuite ; Richesse, enfin. Elle a mis a contribution tous les moyens.
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L’Église , la Magistrature et l’Armée
L’Assistance et l’Enseignement d’abord et au-dessus de tout : « emparons-nous-en à tout prix ! » C’est à cette double conquête que l’Église a voué ses forces principales. Mais de quoi lui eût-il servi de régner sut l’Enseignement et l’Assistance, si elle avait laissé hors du cycle de ses entreprises les institutions de violence qui sont nécessaires au salut des États et à la sauvegarde des privilèges dont ils sont les représentants et dont ils doivent être les gardiens vigilants ?
L’Enseignement prépare et forme les individus au respect des autorités et des croyances établies ; il les incline à la soumission et les entraîne à l’obéissance. L’Assistance émousse et, à la longue, tue l’instinct de révolte des affamés ; elle pousse à la résignation ceux qui souffrent des maux qu’engendre la misère ; à travers le prisme menteur de la charité, le riche, bourreau du pauvre, se transforme en bienfaiteur.
Néanmoins, la révolte gronde sourdement et parfois éclate dans les tempéraments fougueux et les cœurs inapaisés. Il faut que l’Autorité se prémunisse contre ces actes de révolte. S’agit-il d’un geste individuel ? La Police et la Magistrature sont là. S’agit-il d’une révolte collective ? C’est le rôle de l’Armée de la réprimer et de mater les insurgés.
Dans cet ordre d’idées et de faits, on peut dire que l’Assistance et l’Enseignement sont des préventifs, la Magistrature et l’Armée des répressifs. Les uns et les autres tendent à l’asservissement des foules opprimées et exploitées.
Trop avisée pour ne pas discerner l’importance de ces institutions de violence, l’Église n’a pas commis la faute de s’en désintéresser. Magistrature, police, armée, sont, par essence des institutions d’État et l’Église ne pouvait décemment tenter de les absorber ouvertement. Mais l’action judiciaire, policière et militaire se conforme au souffle qui l’anime et se modèle sur l’esprit des magistrats, des policiers et des soldats qui la dirigent. En conséquence, il s’agit, pour l’Église, de peupler les prétoires et les casernes de créatures qui lui soient dévouées. Il s’agit surtout d’installer ses hommes de confiance aux postes les plus élevés.
C’est ce que fit l’Église, c’est ce qu’elle fait encore.
Avant la Révolution, les hauts Magistrats et Policiers se recrutaient dans la noblesse, ainsi du reste que les Chefs des Armées : Noblesse de robe et noblesse d’épée.
Or, nous savons que la noblesse était tout acquise à l’Église et celle-ci ne manqua jamais de pousser aux charges les plus importantes les hommes qui lui appartenaient corps et âme. Lorsque, d’aventure, un grand personnage ayant rang parmi les chefs de l’Armée ou de la Magistrature, ne lui offrait pas de suffisantes garanties, elle mettait en mouvement son crédit, usait de son influence sur le roi, faisait agir contre le suspect ses relations et, peu scrupuleuse sur le choix des moyens, arrivait à le déloger du poste qu’il occupait et à l’y remplacer par un homme à sa discrétion.
Depuis que les titres de rente ont succédé aux titres de noblesse dans la gestion des affaires publiques, depuis que l’aristocratie bourgeoise a pris la place de l’aristocratie nobiliaire, l’Église s’est servie des barons de la finance, du commerce, de l’industrie et de la grande propriété terrienne, comme elle avait domestiqué leurs prédécesseurs.
De nos jours encore, la Magistrature et l’Armée sont infestées d’étoiles et d’hermines dont les porteurs ne croient guère aux âneries catholiques, mais qui, par le monde qu’ils fréquentent, par leurs femmes et leurs filles, par l’avancement qui les lie, par les protections qu’ils utilisent, par la crainte que leur inspirent le parti-prêtre et la presse catholique, se croient tenus de servir les intérêts de l’Église, d’accepter ses vues et de subir son impulsion.
Au demeurant, l’Église, la Magistrature et l’Armée sont comme trois rivières distinctes dont les eaux se rejoignent au confluent, s’y fusionnent et se confondent. L’État est leur point de jonction.
J’ai fait une observation qui a sa place ici et qu’il ne me paraît pas inutile de consigner : j’ai remarqué, que, de nos jours, l’État manque de sollicitude envers ceux à la formation desquels il a présidé et qui sont aptes à le servir.
Voici un jeune homme qui sort d’une famille où l’esprit libéral et démocratique est de tradition. Il a fait toutes ses études au lycée. Il étudie la médecine, le droit, les lettres, les sciences ou les arts. Il devient avocat, médecin, magistrat, professeur, officier, artiste ou bien commerçant, industriel, ingénieur. Il possède les plus précieuses qualités d’intelligence, de travail, d’initiative, de persévérance. Le voilà livré à lui-même ; qu’il se débrouille comme il pourra ! C’est à lui de se tailler une situation enviable et de parvenir, par son seul effort et son propre mérite, aux positions brillantes qu’il convoite. S’il réussit, tant mieux ; s’il végète, tant pis.
En voici un autre : sa famille est pieuse, il est élevé religieusement ; il fait ses études chez les Jésuites ; comme le précédent, il acquiert des connaissances spéciales et devient avocat, médecin, magistrat, professeur, officier, artiste ou bien commerçant, industriel, ingénieur. Quelle que soit la profession qu’il exerce ou la carrière qu’il embrasse, ses éducateurs l’escortent dans la vie, le soutiennent, le poussent, le recommandent, le font apprécier, vantent ses mérites, célèbrent ses qualités, s’intéressent à son avancement, favorisent ses succès, excusent ses fautes, exaltent ses vertus, l’aident à traverser les crises passagères ; ils ne lui marchandent pas les appuis qui lui sont nécessaires ; démarches, recommandations, concours et encouragements de toute nature, ils ne lui refusent rien.
Faut-il s’étonner ensuite si les meilleures places, les situations les plus brillantes, les postes les plus élevés, les traitements les plus avantageux et les combinaisons les plus lucratives sont accaparés par ceux que le populaire appelle « les échappés de Jésuitières » ? Et n’est-il pas naturel que l’Église récolte en considération, en influence et en dévouement ce qu’elle sème en attentions, en sollicitudes, en concours, en services rendus ?
J’estime que de la protection dont elle accompagne, leur vie durant, ceux qui lui sont fidèles, l’Église tire une de ses forces principales.
l’Église et la Richesse
Le trait qui, selon moi, doit porter au plus haut point l’étonnement chez quiconque étudie sérieusement l’histoire de l’Église, c’est l’énormité de sa richesse Les trésors accumulés par l’Église, malgré les dépenses considérables qu’elle a constamment faites, sont véritablement immenses et je ne crois pas qu’il y ait au monde une personne ou une association qui possède une aussi colossale fortune.
Si l’Église était une entreprise commerciale, industrielle, agricole ou financière, si ces opérations étaient de négoce ou de banque, cet entassement de milliards pourrait s’expliquer. Héritage constamment accru et fidèlement transmis, ressources grossissant sans cesse, doublant, triplant, de siècle en siècle, avoir faisant boule de neige par l’extension régulière du champ d’opérations, capital s’enflant dans la mesure où les moyens de production, de transport et d’échange se multiplient et se perfectionnent, chiffre d’affaires en rapport avec l’importance et le nombre toujours croissant des marchés ouverts ; tout cela constituerait un concours de circonstances surprenant mais non impossible.
Ce qui bouleverse toutes les notions acquises sur l’origine et le développement de la richesse, ce qui chambarde toutes les lois de l’économie politique, c’est que l’Église, n’étant ni un comptoir commercial, ni un établissement financier, la fortune colossale qu’elle possède n’est due à aucune des opérations auxquelles s’alimentent ces entreprises.
J’entrevois bien une autre explication : l’Église aurait formé, depuis des siècles, une vaste, une gigantesque association de travailleurs. Mettant en commun le produit de leur travail et réduisant à l’extrême leurs besoins, ces producteurs auraient ainsi réalisé, par l’écart entre leurs salaires et leurs dépenses, des économies qui, régulièrement additionnées, auraient, automatiquement, par le simple cumul de ces épargnes quotidiennes, atteint cette incalculable richesse.
Mais tout le monde sait que cette explication est de pure imagination et qu’elle repose sur une hypothèse que contredit la vérité. Nul n’ignore que, du pape au plus modeste clerc, en passant par la kyrielle des cardinaux, évêques, chanoines, curés, vicaires, moines et nonnes qui portent robes et soutanes, tous vivent de l’autel. Ils consomment mais ne produisent rien ; leur unique travail est de moudre des oremus, et ce travail ne fait pas pousser une lentille.
Et pourtant la fabuleuse richesse de l’Église n’est pas de pure imagination ; ce n’est ni une hypothèse, ni une légende. C’est tout ce qu’il y a de plus positif et certain.
Pour avoir une évaluation approximative de ce que peut être cette fortune, il suffit de consulter les documents qui furent rendus publics lors de la confiscation des biens du clergé, sous la Révolution Française.
Voici quelques chiffres :
Les bâtiments des couvents de Paris valaient 150 millions ; l’argenterie des églises était estimée à 200 millions. Ces trésors n’étaient rien à côté des propriétés foncières : terres, bois, prairies, maisons, etc., qui, suivant le rapport de Dupont de Nemours, au Comité ecclésiastique de la Constituante, rapportaient annuellement 190 millions.
Dans son discours à la Constituante (24 septembre 1789), Treilhard évalue ces biens fonciers à quatre milliards. Condorcet affirmait que le clergé jouissait d’un cinquième de la fortune nationale.
Il y avait des fortunes ecclésiastiques considérables : Loménie de Brienne, cardinal et ministre des finances sous Louis XVI possédait 678.000 livres de revenus personnels. Le cardinal de Rohan, archevêque de Strasbourg, avait plus d’un million de livres de rentes annuelles. Les 399 Prémontrés touchaient annuellement plus d’un million ; les 298 Bénédictinq de Cluny : 1.800.000 livres ; ceux de Saint-Maur, au nombre de 1.672 : 8 millions de livres, sans compter une « somme à peu près équivalente qui revenait aux Abbés et aux Prieurs. Les Archevêques et les Évêques, au nombre de 140, touchaient, en moyenne, chacun 1000.000 livres par an.
Si l’on tient compte que ces chiffres ne s’appliquent qu’à l’Église de France et à ses propriétés foncières et que ces sommes doivent être à peu près multipliées par cinq pour les appliquer à notre époque, n’ai-je pas raison de qualifier de fabuleuses les richesses de l’Église dans le monde entier ?
Pour celles-là, aucune évaluation, tant soit peu précise, n’est possible. Impossible de dresser l’inventaire des milliers, et des milliers d’églises où se célèbre le culte, des milliers et des milliers de couvents où vit un nombre considérable de religieux et de religieuses, des milliers et des milliers d’hospices, d’hôpitaux, d’orphelinats, d’asiles, de refuges et de maisons de retraite, affectés, aux enfants, aux vieillards et aux malades qui y sont reçus, soignés, hospitalisés ; des milliers et des milliers d’écoles, collèges, pensionnats, séminaires destinés à l’enseignement.
Impossible — et plus encore — de traduire en chiffres la valeur des trésors, œuvres d’art, joyaux, bijoux, ornements, métaux précieux, vitraux, qui foisonnent dans les églises monumentales, les cathédrales magnifiques et les opulentes basiliques.
On reproche amèrement à l’Église de trop aimer l’argent ; on accuse les prêtres de cupidité. À les voir disputer âprement le prix de certaines cérémonies, à les entendre quémander sans cesse pour les besoins de la paroisse et les œuvres de charité, à constater le commerce scandaleux qu’ils pratiquent sur les âmes du purgatoire et la propagation de la foi, on est porté à trouver cette accusation justifiée.
Il y a, en effet des prêtres qui, pour la rapacité, s’égalent aux doigts les plus crochus. Ce sont des hommes ; sur eux, comme sur les laïcs souffle le vent violent des puissions humaines ; prêtres, ils n’en restent pas moins exposés à toutes les faiblesses. Ce n’est pas le procès de ces prêtres que je fais. Je ne juge pas l’Église sur les membres de son clergé dont la conduite est un démenti permanent aux pieuses exhortations qu’ils prodiguent. Ce sont là petites et banales impostures, imputables à la fragilité humaine et qui ne sont que peccadilles auprès de l’odieuse et grande imposture dont j’accuse l’Église tout entière.
Nombreux sont les ecclésiastiques pour qui le sacerdoce est un métier.
Le recrutement du clergé ne s’opère pas sans difficulté, ni mécompte. Ils sont rares, à notre époque, les jeunes hommes qui ne sont poussés vers la prêtrise que par une vocation vierge de toute considération qui lui serait étrangère. Le mariage de ces jeunes gens avec l’Église est souvent de raison plus que d’inclination. Il faut prévoir que de tels ecclésiastiques rechercheront avant tout les profits et avantages matériels que peut leur rapporter la profession qu’ils ont choisie et, s’il est permis d’estimer scandaleuse l’avidité avec laquelle ils poursuivent ces bénéfices matériels et l’usage qu’ils en font, il n’y a pas lieu d’en être autrement surpris.
Par contre, j’ai connu des religieux et des prêtres, humbles, pauvres, désintéressés, vivant de peu, jeûnant, se mortifiant. Ceux-là prennent leur apostolat au sérieux ; pleins d’indulgence pour les fautes d’autrui, ils sont d’une farouche sévérité pour eux-mêmes. Ils vivent de peu et, se refusant tout confortable, ils limitent leurs besoins au strict nécessaire. Eh bien ! Fait invraisemblable et pourtant scrupuleusement exact : je n’ai pas connu d’ecclésiastiques faisant à l’argent une chasse plus férocement acharnée que ces saints-là.
L’excès même de leur dévotion les porte à accomplir des prodiges d’adresse et de zèle pour faire rentrer dans le trésor de l’Église le plus d’or possible. Rien ne leur paraît trop riche pour la parure des saints autels ; rien ne leur semble trop luxueux pour le tabernacle et le ciboire où repose l’hostie consacrée.
Ils ne feraient pas une démarche, en vue d’un gain personnel et ils en feront cent pour la réparation ou l’édification d’une église ; ils ne solliciteraient pas cent sous pour eux-mêmes et ils s’épuiseront à réunir des milliers de francs pour une œuvre pie ; ils se feraient scrupule de porter leurs propres dépenses au-delà de l’indispensable et ils n’hésiteront pas à recourir à l’intimidation et même au chantage pour enrichir l’Église ; ils rougiraient de se faire payer un service par un fidèle reconnaissant et ils se feront un devoir d’extorquer au même fidèle la forte somme au profit de la paroisse ou d’une œuvre de charité religieuse.
Les prêtres qui ne se refusent rien : bonne table, bon gîte et le reste, exploitent l’Église et ne lui rapportent rien, alors que ceux qui se refusent tout et mènent une vie de pauvreté n’exploitent pas l’Église et lui rapportent tout. On peut dire que, seuls, ces derniers l’enrichissent. En sorte que — cette conclusion est paradoxale mais juste — ce n’est pas par la cupidité de ses prêtres, mais bien par leur désintéressement que l’Église est devenue riche.
Et pourtant ceux qui reprochent à l’Église ses immenses richesses ne se trompent pas en l’accusant de cupidité.
Oui, l’Église est cupide, elle l’est collectivement ; elle l’est, en tant qu’institution qui se proclame de fondation divine, ayant reçu la mission de faire régner Dieu sur la terre, de conquérir à Dieu l’humanité. Elle l’est, parce que dans les moyens quelle emploie pour accroître sans cesse son trésor, elle témoigne d’une absence de scrupules et d’une avidité inqualifiables. J’ai déjà énuméré la plupart de ces moyens ; ils sont d’ailleurs connus. Je n’y reviendrai donc pas, car elle n’aime pas l’argent pour lui-même ; si elle désire en avoir et toujours davantage, ce n’est pas qu’elle se complaise, tel l’avare, à entasser et à contempler ses trésors et ce n’est pas sans des motifs impérieux qu’elle a désiré être riche, très riche, colossalement riche.
Mais voulant conquérir et dominer le monde, elle a reconnu que c’est la richesse qui assure la conquête et la domination ; elle a compris que la facilité de cette conquête et la force durable de cette domination sont à la mesure de la fortune des conquérants et des dominateurs ; elle a observé que tout s’incline devant la puissance de l’argent et que pour ouvrir toutes les portes, il suffit que la clef soit en or. Elle a constaté que les privilégiés de la fortune ont toujours formé et, plus qu’en aucun temps, forment aujourd’hui, une classe dont tous les membres sont unis et solidarisés par les intérêts qui leur sont communs et fortement ligués contre l’autre classe.
Elle n’a pas eu, dès l’origine, la vision nette de cet état de choses ; elle l’a acquise lentement. C’est pourquoi, pauvre, très pauvre au début, elle se mêla insensiblement à la classe riche ; elle entreprit de la gagner à sa cause ou, pour le moins, de l’y intéresser. L’incessant spectacle des seigneurs et des rois gouvernant les hommes par l’argent, puisant à pleines mains dans les coffres alimentés par les redevances et les impôts, se créant, à la faveur de leur situation et de leur richesses, des ressources sans cesse plus énormes, incita le clergé à en faire autant. Il était fatal que, engagée dans cette voie, l’Église cherchât à recruter dans la classe riche ses évêques et ses prieurs, ses cardinaux et ses papes. Il était fatal qu’elle s’éloignât graduellement de cet esprit de pauvreté qui, aux premiers siècles de la chrétienté, avait animé la foi et engendré les martyrs.
Progressivement, l’Église se détacha des biens du Ciel et s’attachant de plus en plus aux biens d’ici bas, participant toujours davantage à la direction morale des États, elle se rendit compte que l’État n’est, somme toute, que l’expression politique de la puissance économique.
Cette vérité pénétra le clergé : que le Gouvernement n’est que l’installation au pouvoir des forces d’argent et que, si le pouvoir domine le peuple, la richesse domine le pouvoir.
Alors, l’Église forma et réalisa le projet de se constituer un patrimoine qui lui permit de rivaliser avec celui des plus opulents, de traiter d’égale à égale avec la classe au pouvoir et de partager avec elle l’administration de la chose publique.
De plus, pour prendre et conserver l’Assistance et l’Enseignement, pour envahir la Magistrature et l’Armée, pour élargir son champ de domination et sa zone d’influence, il fallait à l’Église de l’argent, encore de l’argent, et toujours de l’argent. Le problème des ressources financières à se procurer, d’un budget constamment plus lourd à équilibrer, imposait à l’Église devenant une puissance de plus en plus temporelle et de moins en moins spirituelle, l’obligation de se créer des ressources toujours plus considérables.
Ayant des intérêts moraux et matériels à faire prédominer ou à défendre dans tous les pays, le Saint-Siège fut placé dans la nécessité d’avoir des ambassadeurs partout, d’organiser des services d’informations diplomatiques, de posséder des représentants dans tous les Parlements, de s’appuyer sur un parti catholique dans chaque nation et de fonder une presse ayant la force de peser sur l’opinion.
Dans une Société, où la richesse est le nerf de toutes les guerres, où l’état de guerre est permanent et sur tous les terrains, où tout s’achète parce que tout est à vendre, où sa Majesté l’Argent gouverne souverainement, la richesse est un atout indispensable à quiconque prend part à la partie engagée. Qui n’a pas cet atout a perdu d’avance, quels que soient le sang-froid ou l’adresse qu’il apporte au jeu.
L’Église a engagé une partie dont l’enjeu n’est ni plus ni moins que la conquête du monde. Son adresse et son sang-froid sont incontestables. Cela n’est pas suffisant. Pour gagner la partie, il faut qu’elle dispose d’énormes capitaux ; sinon elle sera battue. L’Église sait cela et c’est parce qu’elle le sait que, tout en prêchant, pour sauver les apparences, le mépris des richesses, elle pratique la plus violente cupidité.
À cette imposture : « l’Église est la plus haute puissance morale du Monde », j’oppose cette vérité : « l’Église est la plus formidable entreprise d’escroquerie du Monde ! »
J’entends répéter à l’envi que « l’Église est la plus haute puissance morale du monde ». Cette affirmation, qu’ânonnent jusqu’à des adversaires de l’Église, est tout simplement absurde.
Aux siècles de fanatisme religieux, l’Église fut, en effet, la plus haute puissance morale du monde et j’ajoute qu’il était logique qu’elle le fût.
Mais, à notre époque ? — Quelle plaisanterie ! Si l’Église était pauvre, si elle ne possédait pas un peu partout des intérêts considérables, si le monde ecclésiastique n’avait pas ses grandes et ses petites entrées dans les châteaux et les palais, dans les salons huppés et les boudoirs élégants, s’il n’y avait pas une banque, un négoce, une industrie, une propriété catholiques, s’il n’y avait pas dans les grandes administrations publiques et privées : ministères et préfectures, établissements de crédit, compagnies d’assurances et de chemins de fer, sociétés houillères et métallurgiques, grands magasins et vastes usines, une nuée de directeurs, chefs de bureaux et de services, ingénieurs et techniciens, qui doivent leur situation à des protections, influences et recommandations catholiques, si les conseils d’administration des grandes entreprises financières et industrielles n’étaient pas, en majeure partie, composés de capitalistes catholiques ou dévoués à l’Église, même quand ils sont juifs, protestants ou libre-penseurs, si le capitalisme catholique n’était pas une puissante organisation ayant ses chargés d’affaires : chefs d’État, ministres, diplomates, généraux, académiciens, parlementaires, journalistes, magistrats, policiers, fonctionnaires de toutes catégories, etc. etc… Si en un mot, l’Église, au lieu d’être immensément riche était pauvre et ne pouvait reconnaître les bons offices de personne ; si sa seule force se trouvait dans ses dogmes, ses préceptes et ses enseignements ; bref, si elle n’était qu’une puissance morale, on aurait tôt fait d’apercevoir sa profonde débilité ; on verrait ce château de cartes s’effondrer au moindre vent.
À cette imposture : « L’Église est la plus haute puissance morale du monde », j’oppose cette vérité : « L’Église est la plus formidable entreprise d’escroquerie du monde ».
Autant la première affirmation est fausse, autant la seconde est exacte. Autant il est difficile de justifier la première, autant il est aisé de justifier la seconde.
Qu’entend-on par escroquerie ? Le Petit Larousse illustré donne de l’escroquerie cette définition qui a le mérite d’être précise et limpide : « L’action d’obtenir le bien d’autrui par des manœuvres frauduleuses ».
Or, il est prouvé que l’Église ne doit pas ses biens « à son propre travail », qu’elle ne les doit pas davantage à des opérations de commerce, d’industrie, d’agriculture ou de banque. Il convient donc de chercher ailleurs la source des biens fabuleux qu’elle possède.
Il est notoire qu’ils lui viennent d’autrui, qu’elle les a obtenus et continu à les obtenir d’autrui, que les biens qu’elle possède ont passé des mains d’autrui en ses mains. Comment cette opération a‑t-elle eu lieu ? Pour obtenir le bien d’autrui, quels moyens l’Église a‑t-elle employés ou emploie-t-elle ? Ces moyens constituent-ils des manœuvres frauduleuses ? À ces diverses questions qui s’imposent, la réponse est facile ; elle est claire et catégorique : pour obtenir les biens d’autrui, l’Église a eu et a recours au mensonge, à la ruse, à la fourberie, au chantage, à un crédit imaginaire, à de fausse promesses ; tous moyens, dont le caractère frauduleux ne peut être mis en doute.
Elle s’est dite et se dit chargée par Jésus-Christ lui-même du mandat de poursuivre sur la terre son œuvre de vérité, de justice et d’amour. Et tous les chrétiens qui sont épris de vérité, de justice et d’amour ont soutenu et soutiennent de leurs deniers l’accomplissement de cette œuvre.
Or, aujourd’hui, autant et plus qu’il y a dix-neuf cents ans, le mensonge et l’hypocrisie règnent sur la terre d’où la vérité devait les chasser. Et non seulement l’Église n’a rien fait et ne fait rien pour combattre le mensonge, mais encore elle étouffe la vérité et, quand elle ne peut pas l’étouffer, la traque avec fureur ; elle discrédite les porteurs de flambeaux et, si elle se borne, aujourd’hui, à poursuivre de ses calomnies et de sa haine ceux qui clament la vérité, c’est qu’il ne lui est plus possible de les emprisonner et de les torturer.
De nos jours, autant et plus encore qu’au temps du Christ, la Justice est bannie et l’iniquité triomphe : la loi consacre et la force sanctionne l’iniquité fondamentale, celle sur laquelle repose toute la société : la spoliation de la classe productrice pair la classe parasitaire. Mises au service de cette classe et de cette législation de vol et de meurtre, la Magistrature, la Police et l’Armée aggravent cette iniquité fondamentale en se montrant actuellement ce qu’elles furent toujours : douces et bienveillantes aux riches, dures et implacables aux pauvres. Et non seulement l’Église n’a rien fait, ne fait rien pour l’abolition de cette législation qui est un monument de scélératesse, mais encore elle approuve, en toutes circonstances, l’application sauvagement inique qui en est faite par l’Armée, la Police et la Magistrature.
Jamais, peut-être, on ne s’est détesté autant qu’à notre époque, jamais les polémiques n’ont été plus perfides, jamais les luttes n’ont été aussi violentes, jamais les déchirements n’ont été plus profonds, jamais les rivalités n’ont été plus ardentes, jamais les guerres n’ont été aussi sanglantes, jamais les haines n’ont été aussi acharnées.
L’Église qu’a‑t-elle fait de ce message de fraternité et d’amour que son Dieu, sur la croix, avait apporté aux hommes ? Qu’est devenue, entre ses mains cette promesse de réconciliation et de paix que son Dieu avait signée de son sang et qui se renouvelle, chaque jour, sur l’autel, par le miracle de l’Eucharistie ? Non seulement l’Église n’a pas fait cesser une seule cause de conflit, mais encore elle a ajouté à celles qui existaient déjà et, lorsqu’éclate une monstrueuse guerre qui dresse des millions d’hommes les uns contre les autres, l’Église ne se jette pas entre les combattants pour les séparer, mais au contraire elle excite leur fureur de tuerie et y participe.
N’est-il pas équitable de dire que l’Église a filouté, escroqué, flibuste, volé, les millions qu’elle a obtenus pour l’accomplissement de l’œuvre de vérité, de justice et d’amour qu’elle s’était engagée à poursuivre ?
L’escroquerie est, ici, patente.
Et les millions qu’elle a ramassés et ramasse encore, pour le soulagement des âmes du purgatoire et grâce au scandaleux trafic sur les cérémonies religieuses, les indulgences, les reliques, les miracles, les dispenses, les missions apostoliques, les pèlerinages, les annulations de mariage, ne les a‑t-elle pas extorqués, en abusant de l’ignorance, de la crédulité ou de la démence de ceux dont elle convoitait les biens ?
Et les millions qu’elle a obtenus, et qu’elle continue à obtenir, au tribunal de la pénitence, grâce au pouvoir, qu’elle s’attribue et qu’elle prétend tenir de Dieu, de lier et de délier au Ciel et sur la terre, ne les doit-elle pas à ce crédit imaginaire et obtenir le bien d’autrui à l’aide d’un crédit imaginaire n’est-ce pas une escroquerie au premier chef ?
Et les millions qu’elle a arrachés et arrache encore aux agonisants que terrorise la peur de l’inconnu, qu’horrifie la crainte de l’enfer, ne les vole-t-elle pas, à l’aide d’un chantage éhonté, sur la faiblesse d’esprit des moribonds ?
Et les millions qu’elle a soutirés et soutire toujours aux naïfs à qui elle vend un fauteuil d’orchestre aux concerts éternels, en leur persuadant qu’alimenter le trésor de l’Église et les œuvres qu’il soutient, c’est être agréable à Dieu, c’est attirer sur soi et les siens les bénédictions du Ciel, c’est intéresser la Providence à la réussite des projets qu’on forme, c’est mériter et gagner le Paradis et faire ainsi un excellent placement ?
C’en est assez. Ces moyens constamment employés par l’Église sont frauduleux ; ils le sont manifestement, indubitablement.
Donc il est vrai que « l’Église est la plus formidable entreprise d’escroquerie que l’Histoire ait enregistrée ! »
Ce sera, pour nos petits neveux, un étonnement dont ils ne reviendront pas, quand ils sauront que les chefs et les bénéficiaires de cette gigantesque flibusterie furent, pendant des siècles, vénérés comme de pieux personnages, considérés comme des êtres d’une probité scrupuleuse et d’une moralité à toute épreuve ! Ils ne reviendront pas de leur ébahissement, quand ils sauront que ces imposteurs occupaient dans le corps social les places les plus en vue et les situations les plus brillantes, quand ils sauront que l’Église, cette association internationale d’escrocs, avait des nonces officiellement accrédités auprès de presque tous les Gouvernements et que presque tous les Gouvernements avaient, en retour, des ambassadeurs officiellement accrédités auprès du chef suprême de cette redoutable association de flibustiers et de maîtres chanteurs.
Il est vrai que lorsque nos petits-enfants sauront ces choses incroyables, ils sauront également que les États n’ont toujours été, eux aussi, et ne peuvent être que de puissantes entreprises de vol et de brigandage. Ils sauront que l’Église et l’État ont toujours été les deux entreprises de flibuste et d’assassinat les plus astucieusement organisées et qu’elles furent conjuguées dans le but de masquer leurs méfaits et de se prêter, en toutes circonstances, un mutuel appui.
Il est cependant une stupéfaction qui l’emportera sur celle que ne manquera pas de produire cette révélation : c’est celle qu’ils éprouveront à savoir que l’humanité du vingtième siècle, qui s’enorgueillit avec raison de ses merveilleuses découvertes, ait eu l’inconcevable stupidité de ne pas apercevoir l’imposture criminelle de ces deux associations de malfaiteurs ou bien, si elle la connaissait, la lâcheté de la tolérer.