Discours
Il ne s’écoule guère de semaine sans que la presse n’ait à enregistrer et à propager, hélas, les paroles de mensonge qui tombent de la bouche de l’un des ministres que les peuples supportent avec la plus lamentable résignation. C’est ainsi que Poincaré ne néglige aucune occasion pour essayer de justifier sa politique d’aventure et de mort. Il professe sur lui-même une opinion qui vaut la peine d’être connue. — Écoutez-le :
Vous ne m’avez pas vu davantage passer d’un parti à un autre, évoluer à travers les groupes, troquer un drapeau rouge contre un drapeau tricolore ou réciproquement. Vous ne m’avez pas vu corriger peu à peu mon programme politique, comme ces artistes qui améliorent ou gâtent leur œuvre primitive par des retouches ou des repentirs. Je me flatte d’avoir suivi, sous vos yeux, un chemin droit et découvert.
Nous savons trop où conduit ce fameux chemin « droit et découvert » !… Des millions de jeunes gens s’y sont engagés à sa suite et n’en sont point revenus.
Variation sur le même air
Le même jour, les feuilles publiques commentaient, chacune suivant les vues particulières de leurs bailleurs de fonds, un autre discours prononcé justement par un de ceux qui ne peuvent se vanter « de n’avoir pas troqué un drapeau rouge pour un drapeau tricolore. » Comme titre à son compte rendu dithyrambique, l’Œuvre s’écrie : « Enfin une voix s’élève pour défendre la République ».
Et voici un couplet :
— Ce serait une chose horrible et incompréhensible qu’un pays victime d’une agression inqualifiable, après avoir été violenté, après avoir vu ses meilleurs territoires incendiés, après avoir vu détruire sauvagement, bêtement, inutilement ses richesses dans un moment où la civilisation s’honorait d’être dans tout son éclat, il serait inouï que de tels ravages ne fussent pas réparés par ceux-là même qui les ont commis.
Ce qui est incompréhensible, c’est qu’il y ait encore des imbéciles pour se gargariser avec de pareils boniments et attacher un intérêt quelconque a la forme républicaine du régime. Tous les politiciens se valent.
Front unique
À l’occasion de ce premier mai, la question du front unique s’est posée plus que jamais.
Des offres fermes ont été faites dans ce sens par le P.C. au parti S.F.I.O et par la C.G.T.U. à la C.G.T. Mais les dirigeants des organisations « réformistes » ne semblent pas pressés de s’aboucher avec les dirigeants « révolutionnaires » Bertreint avait pourtant, dans l’Humanité, essayé de prouver que ce front unique était possible :
C’est au point de vue de l’intérêt de classe qu’il faut se placer.
Toujours plus durement menacés par la bourgeoisie, les ouvriers, eux, comprennent que rien de sérieux ne s’oppose à la lutte en commun.
Pour eux comme pour les communistes, le front unique est moralement possible parce qu’il est nécessaire au prolétariat.
« Pour eux, comme pour les communistes », tiens, tiens !…
Mais puisque tout ce qui est nécessaire est possible, d’après Bertreint, je crois que les ouvriers feraient bien de renvoyer à leurs petites combinaisons les marchands de sornettes qui les empoisonnent. C’est la première condition pour que le fameux front unique devienne une réalité.
C. I. P. F.
Bienheureux ouvriers, votre sort préoccupe au plus haut point toute une pléiade de personnes. Rien d’étonnant que vous vous en désintéressiez vous-mêmes. MM. Georges Valois et Pierre Dumas ont entrepris, eux aussi, de vous « rassembler » pour faire votre bonheur et le leur sans doute — par ricochet.
Cette « entreprise » s’appelle la C.I.P.F. L’Action Française en assure la publicité.
D’abord, quelques considérations.
Présentement, il y a, dans les classes ouvrières, un grand désarroi : l’espérance socialiste est morte : l’expérience communiste est déjà corrompue ; nul ne se sent de goût pour le travail forcé à la mode moscovite sous la surveillance des Chinois, ni pour le régime du hareng saur. Devant l’échec de toutes les formes du socialisme, qui ont ruiné plusieurs pays, les ouvriers qui avaient été séduits par le socialisme connaissent aujourd’hui un profond découragement. Les syndicats révolutionnaires se vident. Mais l’ouvrier rentre à l’usine la tête basse avec le sentiment qu’il a été vaincu par le capitalisme.
Devant ce spectacle, il y a de pauvres patrons, à la tête légère, qui se frottent les mains.
La C.I.P.F. va leur prouver à ces malheureux combien ils ont tort. Mais il leur faudra, eux aussi, donner leurs adhésions et leurs cotisations, bien entendu. M. Pierre Dumas sait par expérience dans quel gouffre viennent se jeter ces petits ruisseaux.
Et pour l’Action, ça va chauffer :
Car la C.I.P.F. inaugure une méthode nouvelle : qu’il s’agisse d’une difficulté ouvrière ou patronale, les délégations qui interviennent sont mixtes ou même tripartites. Patrons, techniciens, ouvriers agissent de concert pour défendre l’ouvrier, ou le technicien, ou le patron qui ont été touchés. C’est le signe visible de la solidarité des intérêts qui est à la base de la doctrine.
C’est par ce moyen que nous arriverons à mettre dans le droit chemin les patrons individualistes ou libéraux et les agitateurs révolutionnaires.
Vous le voyez, c’est très simple !…
Nouvel épisode
Le ciné-roman qu’à court d’imagination avaient failli abandonner 1’« honorable » Daudet, et son complice, le presque académicien Maurras, vient de se corser d’un épisode sensationnel. Après avoir réussi à faire inculper d’associations de malfaiteurs, contre tout bon sens, des gens qui ne se connaissaient autant dire pas, voilà que meurt, presque subitement, le policier Dumas qui remplissait, pour le compte du gouvernement, les mêmes fonctions que le regretté Plateau pour le compte d’un roi hypothétique.
Ceux qui, de près ou de loin, ont été mêlés à la préparation du meurtre de Plateau disparaissent d’une manière vraiment opportune. Gohary a été « suicidé », et voici Dumas qui disparaît…
Attendons-nous donc à voir « disparaître » tous ceux, et ils sont nombreux, que cite quotidiennement le fou du roi avec une fantaisie et un culot qui dépasse toute imagination.
Réalistes
L’anarchisme se contentait jusqu’à ces derniers temps, de se diviser en deux courants bien caractérisée : d’une part les communistes, de l’autres les individualistes.
Malgré certaines divergences, les éléments individualistes et communistes de l’anarchie conservaient assez de points communs pour que, en dépit des discussions théoriques, ils se considérassent comme les membres de la même famille anti-autoritaire. Ces temps sont changés. L’individualisme anarchiste a vu, lui aussi, ses rangs se partager.
D’un côté, les autoritaires dont j’ai pu dire dernièrement qu’ils feraient mieux de ne pas chercher à réveiller l’esclave si c’était pour lui affirmer qu’il ne pouvait se passer de chaînes. Nous envoyons parmi ceux-là qui s’intitulent individualistes libertaires réalistes ?… Et leur réalisme consiste à couvrir d’injures non seulement nous autres communistes, mais les autres individualistes chez qui la haine de toute autorité prime tout autre sentiment et sont, sur ce point tout au moins, en communion d’idées avec nous.
Le camarade E. Armand, répond dans l’En Dehors, à l’un de ces « réalistes » qui avait écrit à son intention et à celle de notre ami Colomer : « Où il nous fallait des réalistes, nous avons des poètes » :
Ah ! les vilains mots, les mots déprimants qui me remontant à la mémoire en cette nuit-ci : « Où il nous faudrait des réalistes, nous avons des poètes ».
Des « réalistes »… Mais c’est un mot du « jour », du jour où l’on pleure, où l’on trime, où l’on crève justement pour la plus grande gloire et le plus grand profit des « réalistes » : détacheurs de coupons et encaisseurs de dividendes, détenteurs-accapareurs des moyens de production, manieurs d’argent et brasseurs d’affaires, joueurs et spéculateurs en bourse et en banque. Ah ! certes, « réalistes », ceux-là, et comment ! Réalistes les Monopoleurs et les Privilégiés qui se disputèrent sur le des de millions de victimes insensées les marchés commerciaux du monde exploitable. « Réalistes », bien sûr, les capteurs de sources de pétroles et les Comités des Forges d’en deçà comme d’en delà du Rhin. « Réalistes » les fauteurs du Havre ou de la Ruhr, les chemises noires du pseudo César transalpin, les rouges galonnards de la Moscovie soviétique.
« Réalistes » aussi les copains roublards à la recherche d’une combine impérilleuse — n’importe laquelle — pourvu que ça rapporte — l’argent n’a pas d’odeur — fût-ce celle de solliciter leur inscription sur la liste des émargeurs aux guichets de publicité des emprunts de l’État qui prépare et fomente la guerre, ou de la Haute Banque qui profite de la Barbarie universelle. Ne leur parlez pas des poètes, à ceux-là !
« Où il nous fallait des réalistes, nous avons des poètes ».
« Ô le cuistre qui a écrit cela », termine très justement E. Armand.
Liberté
Dans le Quotidien, A. Aulard s’indigne de propos tenus par Poincaré à l’égard des instituteurs.
On veut faire de l’instituteur un citoyen diminué. M. Poincaré n’hésite pas à déclarer qu’il doit être surveillé, dénoncé, frappé par le préfet. C’est cela qui est inadmissible.
L’instituteur doit être un citoyen complet. Je voudrais qu’il fût un citoyen modèle, discutant franchement avec ses concitoyens, parlant raison, parlant vérité, enseignant la république, la démocratie…
C’est-à-dire bourrant les jeunes crânes suivant les idées particulières de M. Aulard, ce qui n’empêche pas celui-ci de conclure :
Mais pour être un citoyen modèle, il faut être un citoyen libre.
Libre comme l’entendent les politiciens de toutes couleurs, cela ne ressemble guère à ce que nous entendons par ce mot. L’État étouffera toujours toute liberté, c’est pourquoi nous voulons le supprimer.
[/Pierre