La Presse Anarchiste

Revue des Journaux

1er Mai.

Le 1er Mai, à Paris, se serait pas­sé dans le calme le plus plat, sans le guet-apens poli­cier, au cours duquel l’ouvrier Béré­dia trou­va la mort.

Dégoû­tée de la sale cui­sine des poli­ti­ciens et des com­pé­ti­tions per­son­nelles des mani­tous syn­di­caux, la classe ouvrière n’avait répon­du que fai­ble­ment à l’appel des organisations.

Mal­gré cela l’Humanité est satisfaite :

Le Pre­mier Mai 1923 — ce trente-qua­trième Pre­mier Mai — n’a pas déçu les espé­rances que les révo­lu­tion­naires met­taient en lui Le réveil de la classe ouvrière — après trois ans bien­tôt d’un som­meil lourd de mau­vais rêves — s’y est affir­mé avec une viva­ci­té sin­gu­liè­re­ment annonciatrice.

Pous­sés vers un point où ils seraient plus faci­le­ment assom­més, les assis­tants des deux mee­tings durent subir le cou­ra­geux assaut des flics qui, sabres et matraques en main mas­sa­crèrent tout ce qui se trou­vait devant eux. Vaillant-Cou­tu­rier écrit à ce sujet :

Nous étions là des anciens com­bat­tants, ser­rant les poings, nos poings vides.

Ah ! nos heures de tran­chées per­dues, nos balles gas­pillées sur de pauvres bougres d’ouvriers alle­mands… frères de ceux que char­geaient hier, à la même heure, les hommes de la police verte.

…………………………

Ce n’était pas de l’indignation qui était en nous. C’était une farouche réso­lu­tion qui mon­tait. Car nous son­gions qu’avec la masse d’hommes qui nous sui­vait, il aurait suf­fi de si peu de choses…

Mais c’est avec ces choses-là qu’on ren­verse et qu’on bâtit les États.

Ren­ver­ser l’État bour­geois pour bâtir l’État pro­lé­ta­rien, rem­pla­cer un escla­vage par un autre, mer­ci bien, citoyen ; nous vou­lons sup­pri­mer l’esclavage.

Com­men­taires bourgeois.

Natu­rel­le­ment, les jour­naux bour­geois ont triom­phé et pro­cla­mé avec ensemble ce qu’ils appellent « le fias­co de la Révolution ».

Dans le numé­ro spé­cial de l’Action Fran­çaise, l’ignoble Dau­det bave :

Il est tout natu­rel que « le pre­mier mai » fiche le camp, en France, comme toutes les mani­fes­ta­tions socia­listes et révo­lu­tion­naires en géné­ral. De même qu’il n’y a plus que les poli­ciers, ou les « mou­tonnes », pour pré­pa­rer et exé­cu­ter des atten­tats « anarchistes ».

Le même reprend le lendemain :

L’extinction de cette blague, crue socia­liste, et qui n’a jamais été que poli­cière — il n’y a pas plus de révo­lu­tion que de crime anar­chiste ; il y a tout bon­ne­ment la Tché­ka — l’extinction piteuse du « pre­mier mai » est un coup dur pour tous les Respu­bli­quains, pour tous les émules de Briand-des-Fonds-secrets et de Louis Lépine des Inven­taires. En effet, c’était sur le « pre­mier mai », la peur des « bour­geois », et la pseu­do-répres­sion qu’était fon­dée, je le répète, la for­tune poli­tique — et l’autre — des pas­sion­nés respu­bli­quains d’alors. La pro­me­nade du dra­peau rouge et la reprise bru­tale dudit dra­peau leur étaient éga­le­ment fruc­tueuses. Que deve­nir, à une époque où le pro­lé­ta­riat, désa­bu­sé — et il y a de quoi ! — se refuse à faire le jeu de ses meneurs et de ceux qui mènent au poste ses meneurs, en atten­dant de leur lécher les pieds, comme pré­si­dents du Conseil ?

Quant aux bru­ta­li­tés poli­cières, ce sont natu­rel­le­ment les mani­fes­tants qui ont com­men­cé et ce n’est que bien mal­gré eux gue les braves agents ont assom­mé des femmes et des enfants, pié­ti­né et frap­pé des vieillards sans défense et son­né à coups de sabre des gens désarmés.

Bons à tuer.

La presse a signa­lé « l’entrée triom­phale du Maré­chal Foch en Pologne ». On lit dans le Petit Pari­sien :

Le maré­chal Foch pré­sente les offi­ciers de sa suite et salue les géné­raux polo­nais La musique joue l’hymne polo­nais. Le peuple acclame Foch, qui passe en revue les troupes. « Ce sont des troupes de fron­tières, de beaux hommes », dit-il.

De beaux hommes, c’est-à-dire, bons à tuer.

Nous ne tar­de­rons cer­tai­ne­ment pas à connaître les résul­tats de la pro­me­nade mili­taire entre­prise par le « glo­rieux vain­queur » au moment même où le gou­ver­ne­ment anglais menace de ses foudres la jeune Répu­blique russe.

L’« Idole de la Foule ».

Le « Bloc des Rouges » le nou­veau jour­nal que vient de lan­cer Pierre Bri­zon, signale en ces termes la « ren­trée » du boxeur Carpentier :

Sou­ve­nez-vous que le dimanche 6 mai 1923 un évé­ne­ment sen­sa­tion­nel a eu lieu. Quoi donc ? — Car­pen­tier le Boxeur a don­né une séance de coups de poing. Il a assom­mé un nom­mé Nilles. Tous les jour­naux en parlent en pre­mière page, même l’Œuvre, même le Popu­laire, même l’Humanité ! Les jour­na­listes pari­siens de Paris sont incorrigibles.

Le Petit Pari­sienidole de la foule »…

La « foule » ça ? ces fai­néants, ces brutes ? Non, une foule seule­ment, une foule pour­rie bien digne du Bloc National ?

Mais je sup­pose que c’est plu­tôt pour les braves élec­teurs socia­listes que l’Humanité a don­né en pre­mière page, accom­pa­gné de pho­to et cro­quis le compte ren­du du « grand match » et signa­lé « la juste ova­tion » qui fut faite aux deux pugi­listes — les moins bêtes de tous dans cette affaire.

On tue.

Vorovs­ky, repré­sen­tant des Soviets à Rome, vient d’être tué à Lau­sanne. Son meur­trier, ancien offi­cier de l’armée blanche, dit qu’il a vou­lu ven­ger ses parents tor­tu­rés par les bolcheviks.

Ce point de vue est rap­por­té avec ensemble par la presse bour­geoise qui, n’osant approu­ver, bien qu’elle en meure d’envie, explique ain­si le meurtre.

La satis­fac­tion perce des com­mu­ni­qués de l’Action Fran­çaise, de l’Éclair, de la Liber­té, etc.

L’Humanité voit là une mani­fes­ta­tion du fas­cisme international.

Le même jour, les fas­cistes fran­çais, la bande à Pla­teau, au nombre d’une soixan­taine se ruaient cou­ra­geu­se­ment sur quatre per­sonnes, par­mi les­quelles l’ancien ministre Caillaux. Une de ces bour­riques sup­plé­men­taires d’autant plus cou­ra­geuse que sûre de l’impunité, avait pu au Palais der­niè­re­ment, cra­va­cher un avo­cat socialiste.

Et voi­ci « nos braves boy-scouts » qui joi­gnant leur cor­tège de chien­lit à la pro­ces­sion des Dau­det et sous-Dau­det en l’honneur de Jeanne d’Arc, sacri­fient à la mode fas­ciste. C’est ce que rap­porte la Liber­té :

C’est, en effet, le bras ten­du, dans un geste que les par­ti­sans de M. Mus­so­li­ni ont popu­la­ri­sé, que les boys-scouts s’inclinèrent hier, devant la sta­tue de Jeanne d’Arc. Et cela, vrai­ment, n’avait rien de ridi­cule, bien au contraire.

La foule, que l’inclémence du temps n’avait pu éloi­gner et qui avait tenu à appor­ter à la mémoire de notre héroïne cet hom­mage de gra­ti­tude, accueillit par des applau­dis­se­ments enthou­siastes nos braves boys-scouts…

C’est un fait, le fas­cisme tente en France, ses pre­miers pas. Gare à nous, si nous le lais­sons prendre force et confiance en lui-même. Il est temps d’aviser.

Notre presse régionale.

Le Flam­beau à Alger, Ger­mi­nal dans la Somme et dans l’Oise, conti­nuent leur bonne besogne de débour­rage et de pro­pa­gande anarchiste.

Deux nou­velles feuilles viennent de faire leur apparition.

C’est, à Saint-Étienne, la Lumière, qui publie une vigou­reuse décla­ra­tion du cama­rade Régis Croze et de très inté­res­sants articles.

Nos cama­rades du Nord et du Pas-de-Calais, viennent de faire repa­raître le Com­bat, qui avait ces­sé de vivre en 1914. Excellent numé­ro de propagande.

Il est inutile d’insister sur l’intérêt que pré­sentent ces ten­ta­tives de presse régio­nale anar­chiste, ni de sou­hai­ter bon cou­rage aux mili­tants qui les entreprennent.

Aidons-les plu­tôt, dans la mesure de nos moyens.

[/​Pierre Mual­dès./​]

[|* * * *|]

À Sanine.

Ce n’est ni par sec­ta­risme, ni par peur — de quoi aurais-je peur ? — que le Réveil de l’Esclave n’a pas été cité dans la Revue du 20 mars-20 avril.

C’est une simple omis­sion, que je signale, pour réta­blir la vérité.

[/​P. M./]

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