La Presse Anarchiste

Revue des Revues

Clar­té s’aiguillait déjà sérieu­se­ment vers le com­mu­nisme inté­gral, mal­gré les déné­ga­tions de ses mana­gers. Je crois que la crise récente du Par­ti com­mu­niste pré­ci­pi­te­ra cette évo­lu­tion. Il est bien évident qu’un « pur » comme Bar­busse ou Vaillant-Cou­tu­rier, ne peut plus col­la­bo­rer aux côtés d’un infâme « résis­tant » comme Pioch ou Noël Gar­nier. Donc, à la porte, tous les « bour­geois » et lais­sez Clar­té aux seuls Rrr­ré­vo­lu­tion­naires ! ! Cela ne laisse pas pré­voir que la Revue sera plus inté­res­sante, bien loin de là.

Il y a donc là une place à prendre, celle que Clar­té sem­blait devoir occu­per après la guerre et que le sec­ta­risme, la basse poli­ti­caille­rie, les ques­tions de bou­tiques et de per­sonnes, le vieil esprit d’autoritarisme des­po­tique, lui ont fait aban­don­ner. Il y a place pour une revue lit­té­raire (alors que Clar­té devient de plus en plus exclu­si­ve­ment poli­tique) inter­na­tio­nale (et non pas seule­ment com­mu­niste ou russe) d’esprit libre enfin (et non pas sou­mise aux mots d’ordre impé­rieux de par­tis politiques).

Il semble bien que cette revue soit parue. J’ai vou­lu attendre le second numé­ro pour ne pas trop m’illusionner et ne vous en par­ler qu’à coup sûr. Je crois bien main­te­nant que je puis y aller. Donc, depuis le 15 février der­nier, paraît Europe, revue men­suelle, sous la direc­tion de Paul Colin et de René Arcos. René Arcos est un paci­fiste de guerre, l’un de ceux qui, en Suisse, avec Rol­land, Guil­beaux, Jouve, Le Maguet, Mase­reel, sau­vèrent l’honneur de la lit­té­ra­ture fran­çaise. Paul Colin fit paraître à Bruxelles, sitôt l’armistice, une cou­ra­geuse revue l’Art libre où il résis­ta de son mieux au cou­rant de chau­vi­nisme idiot qui défer­lait sur le royaume « héroïque ». Il fon­da même en Bel­gique une sec­tion de Clar­té puis aban­don­na la tâche quand il se vit obli­gé de ser­vir un nou­veau militarisme.

Ces deux hommes ont trou­vé un édi­teur intel­li­gent : c’est la mai­son Rie­der et Cie (7, place Saint-Sul­pice, Paris, 7e). La réclame est tout à fait gra­tuite, croyez-le, cama­rades. Per­son­nel­le­ment, j’ai plu­tôt sujet de me plaindre de la mai­son Rie­der qui res­treint ridi­cu­le­ment les ser­vices de presse de ses édi­tions. Je n’en suis que plus à l’aise pour signa­ler le bel effort qu’elle fait ici. L’abonnement à Europe est rem­bour­sable en volumes (deman­der le pros­pec­tus avant le 31 mai). Et pas seule­ment des ros­si­gnols démo­dés comme c’est sou­vent l’usage : mais de forts beaux livres.

Que dire main­te­nant des deux cahiers parus ?

Dans le pre­mier, j’ai sur­tout aimé les inimi­tables pages de Léon Werth : La vie sen­ti­men­tale de Pierre Mas­son, des poèmes de Vil­drac qu’il fau­drait citer en entier (mais la place !) et une chro­nique de Georges Duha­mel : Mis­sion du Poète, dont je veux repro­duire quelques lignes :

« Connais­sez-vous le nom du vice-roi des Indes ? Que non ! Et à quoi bon ! Le vrai maître de l’Inde, c’est Tagore. Tel est le roi qu’un monde atten­tif et stu­dieux recon­naît et vénère. Aux yeux de ce monde fervent, l’Inde moderne a le visage même de Tagore, le noble visage du poète.

La gran­deur de l’Amérique ? Ah ! Bar­na­bé, vous par­lez comme les maga­zines. Vous addi­tion­nez des étages d’immeubles, des boîtes de conserves et les armées de cochons immo­lées à Chi­ca­go. Pro­non­cez seule­ment ces mots radieux : Emer­son, Whit­mann, Tho­reau. Comme l’Amérique est grande !

La Nor­vège pos­sède-t-elle une armée ? Je n’en sais rien. Ne me dites pas que c’est un petit pays. C’est un immense et puis­sant pays : il a conquis le monde. Son géné­ral s’appelle Ibsen.

…………………………

Qu’un poète élève la voix, qu’un musi­cien sai­sisse son vio­lon, qu’un peintre ou qu’un sculp­teur sur­prenne et fixe les rai­sons de la vie, qu’un véri­table créa­teur sur­gisse en quelque endroit du globe, et je dis que ma patrie est là même où cet homme res­pire, je dis que ma patrie est en tout lieu que je peux connaître et ché­rir à tra­vers l’âme d’un poète. »

Dans le second numé­ro, Romain Rol­land publie le com­men­ce­ment d’une fort atta­chante étude sur Mahat­ma Gand­hi. Étude qui nous révèle un mou­ve­ment for­mi­dable et le plus sou­vent incon­nu ou mal connu en Europe. Que de contre-véri­tés, d’erreurs, voire même de colos­sales âne­ries n’a‑t-on pas énon­cé sur le mou­ve­ment gand­histe. Notons ce carac­tère essen­tiel sur lequel insiste Rolland :

« Le terme de Satya­gra­ha [[Éty­mo­lo­gi­que­ment : Satya : juste, droit ; Agra­ha, essai, ten­ta­tive. Essai juste. On l’appliqua spé­cia­le­ment à la non-accep­ta­tion de l’injustice.]] a été inven­ta par Gand­hi, en Sud-Afrique, pour dis­tin­guer son action de la résis­tance pas­sive. Il faut insis­ter avec la plus grande force sur cette dis­tinc­tion : car c’est pré­ci­sé­ment par la résis­tance pas­sive (ou par la non-résis­tance) que les Euro­péens défi­nissent le mou­ve­ment de Gand­hi. Rien n’est plus faux ; nul homme au monde n’a plus d’aversion pour la pas­si­vi­té que ce lut­teur inlas­sable qui est un des types les plus héroïques du Résis­tant. L’âme de son mou­ve­ment est la Résis­tance active par l’énergie enflam­mée de l’amour, de la foi et du sacri­fice. Et cette triple éner­gie s’exprime dans le mot de Satyagraha. »

Il y a encore des Images de Rus­sie inédites de Maxime Gor­ki, des Poèmes de Hen­ry Dal­by et des Gens de Pierre Hamp dont il fau­drait citer des pages entières. Voi­ci quelques lignes au hasard :

« Ce pay­san d’Auvergne appor­tait dans cette ombre puante d’un res­tau­rant de Paris, l’avarice enso­leillée du labou­reur qui ne veut pas perdre le pro­fit d’un cen­ti­mètre de sa terre. Il lavait son linge dans la plonge, il rac­com­mo­dait ses chaus­sures et ses habits ; aucun tra­vail gros­sier ou déli­cat ne le rebu­tait. Il emprun­tait aux hommes des four­neaux, de l’argent pour le mettre à son livret de caisse d’épargne et le leur rem­bour­sait sur son salaire du mois sui­vant. Des ouvriers en avance de dépenses atten­daient la paie pour régler leurs achats, lui se tenait en avance d’économies. »

Et ailleurs : « Les recom­man­da­tions, disait l’ingénieur en chef de la Com­pa­gnie, garan­tissent la valeur morale de l’agent, comme l’examen médi­cal garan­tit sa valeur phy­sique. Quand on a véri­fié qu’un homme n’est pas débile, qui prouve qu’il n’est pas anarchiste ?

Son pro­tec­teur. Il faut que le recru­te­ment du per­son­nel des Che­mins de fer inté­resse les notables. Décou­ra­ger les pro­tec­tions, c’est atten­ter à la sécu­ri­té du réseau. La Com­pa­gnie parait rendre ser­vice en accep­tant les can­di­dats Les plus recom­man­dés et c’est elle que l’on oblige en lui don­nant de bons esprits.

Cette théo­rie fit que M. Lei­gnel, bache­lier ès-lettres, fut reçu comme expé­di­tion­naire grâce à deux lettres du dépu­té, un billet de pré­sident d’œuvre de bien­fai­sance et le cer­ti­fi­cat du curé de sa paroisse…

Mais il faut m’arrêter car je m’aperçois que je consa­cre­rais à Europe toute ma chronique.

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Une autre nais­sance : Vers la Véri­té, publi­ca­tion men­suelle spé­ciale aux ori­gines et res­pon­sa­bi­li­tés de la guerre, publiée par Erme­non­vil­lle. Celui-ci a vou­lu créer une revue docu­men­taire sus­cep­tible d’éclairer le public sur les cra­pu­le­ries cyniques ou cachées de nos bons diri­geants. Rude tâche ! Et d’autant plus rude que presque tout le monde s’en fout. Les indignes bate­leurs ont beau jeu à ber­ner un popu­lo qui se laisse doci­le­ment faire. Il ne faut pas s’étonner non plus que maints chefs popu­laires ne tiennent pas essen­tiel­le­ment à ce que l’on fasse trop de lumière sur les des­sous de la Grande Guerre. Leur rôle n’y est pas si relui­sant. Et si les men­songes de 1914 ont pu se faire pas­ser pour véri­tés sans reproches, n’est-ce pas, en grande par­tie, grâce à leur incom­men­su­rable lâche­té, grâce à leur trouille mala­dive, à leur tra­hi­son évidente ?

Quoi qu’il en soit, Erme­non­ville, per­sé­vé­rant et inlas­sable, conti­nue son ingrate tâche. Recon­nais­sons qu’il s’en acquitte fort bien et réus­sit à rendre inté­res­santes des ques­tions fort ardues. Le pre­mier numé­ro de Vers la Véri­té, ras­semble des noms connus, des spé­cia­listes en la matière : leurs articles sont tous savou­reux. Si seule­ment chaque Fran­çais pou­vait lire ces humbles pages où éclate lumi­neu­se­ment l’ignoble pré­pa­ra­tion de la guerre, vou­lue, concer­tée par les Poin­ca­ré, Vivia­ni et consorts, comme par les Guillaume II et autres Nico­las II. (Écrire à Gus­tave Dupin, 200, quai Jem­mapes, Paris).

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Albin conti­nue cou­ra­geu­se­ment à écrire et impri­mer ses Cro­quis brefs (4, rue Chau­mais, Lyon). Le der­nier est consa­cré à Grac­chus Babœuf. Après avoir étu­dié som­mai­re­ment — un peu trop — la vie et l’œuvre du grand révo­lu­tion­naire, il cite une de ses der­nières lettres qui montre son grand cœur et répond à mer­veille aux calom­nies des his­to­riens bourgeois.

« Je suis déses­pé­ré, ma bonne amie, de voir la détresse où je te laisse. Ce moment-ci est ter­rible à pas­ser et tu sais que ce n’est pas ma faute si je ne l’ai pas évi­té. Je suis bien sen­sible aux efforts que tu fais pour moi. Je te ren­voie tes six francs aujourd’hui ; s’il faut que quelqu’un de nous souffre, je dois com­men­cer le premier. »

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Dans les Essais cri­tiques (30, rue de Cli­chy, Paris), M. Jean Azaïs parle de la Liber­té d’écrire, à pro­pos de l’affaire Vic­tor Mar­gue­ritte et d’une enquête ouverte par les Marges. Il rap­pelle fort à pro­pos que M. Mar­gue­ritte, ex-cen­seur du temps de guerre, n’est pas très qua­li­fié pour par­ler de liber­té. Puis il montre comme le citoyen fran­çais est peu libre, comme la caserne, la guerre, et autres bien­faits de la socié­té attentent sans ver­gogne à sa liber­té indi­vi­duelle (mais pense-t-il sérieu­se­ment que sous le règne de Phi­lippe VII nous serions plus libre ? Hum ! j’en doute !) Il conclut donc que la liber­té d’écrire l’intéresse beau­coup moins que les autres liber­tés et il demande une cen­sure. Mais il conclut : « Je m’engage d’ores et déjà à ne pas res­pec­ter la cen­sure démo­cra­tique… elle ne peut être exer­cée que par la canaille. » Nous qui avons en com­mune hor­reur Démo­cra­tie et Royau­té, conclu­rons : Nous ne res­pec­te­rons aucune cen­sure, elle ne peut être exer­cée que par la canaille !

Plus loin, il parle du Fas­cisme de façon assez juste. Je cueille­rai dans son expo­sé une remarque curieuse : « Il m’est arri­vé, comme à tout le monde, de par­ler au futur, du fas­cisme fran­çais. Aujourd’hui… j’en par­le­rai au pas­sé. Le fas­cisme fran­çais a eu lieu : il s’appelle le Bloc natio­nal. »

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C’est deve­nu un lieu com­mun de pro­cla­mer que le Mer­cure de France a consi­dé­ra­ble­ment per­du de son indé­pen­dance et de son inté­rêt depuis la guerre. Il a cru devoir ver­ser lui aus­si dans le natio­na­lisme plus ou moins inté­gral : il ne s’en est pas rele­vé. Le Mer­cure avait publié jadis, aux temps héroïques, le Jou­jou patrio­tique de Rémy de Gour­mont : il en est réduit main­te­nant aux Défai­tistes du coco sans génie : Louis Dumur. Triste, triste ! La revue res­tait sur­tout inté­res­sante par ses rubriques. Paul Léau­taud qui tenait celle des Théâtres est par­ti. Voi­ci que Georges Palante qui par­lait depuis 15 ans, du mou­ve­ment phi­lo­so­phique, vient de quit­ter la mai­son. Il avait enta­mé une dis­cus­sion sur le Bova­rysme avec J. de Gaul­tier. M. Valette, direc­teur du Mer­cure de France, après avoir accueilli une longue dia­tribe de J. de Gaul­tier, retour­na la réponse de G. Palante. D’où une der­nière lettre de celui-ci :

« …Vous vou­lez, lais­ser le der­nier mot à M. de Gaul­tier qui a sans doute besoin qu’on bâillonne son adver­saire. La plus élé­men­taire pro­bi­té lit­té­raire vous ferait une loi de pré­ve­nir le public, de l’avertir que l’un des adver­saires est res­té maître du ter­rain par le béné­fice d’un veto direc­to­rial. Il n’est guère pos­sible d’ajouter â une telle vilenie…

Votre pro­cé­dé fera peu d’honneur au Mer­cure. Je suis entré, il y a bien des années, au Mer­cure. C’était un autre Mer­cure, le Mer­cure de Remy de Gour­mont… C’est sans regret que je quitte le Mer­cure d’aujourd’hui… »

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Le sys­tème des exclu­sions devient fort à la mode dans les milieux lit­té­raires comme dans les par­tis poli­tiques. Ici comme là, celui qui veut gar­der son indé­pen­dance, dire ce qu’il pense, se fait promp­te­ment vider.

Après G. Palante mis à la porte du Mer­cure de France, voi­ci Mau­rice Bois­sard (Paul Léau­taud). Il fai­sait autre­fois, de manière fort spi­ri­tuelle la cri­tique théâ­trale au Mer­cure. Puis il pas­sa à la Nou­velle Revue Fran­çaise, mais il ne devait pas tar­der à se faire expul­ser de la bou­tique Gide-Romains. Voi­ci com­ment il conte son aven­ture dans les Nou­velles lit­té­raires :

Il n’est pas tou­jours facile de faire de la cri­tique dra­ma­tique. Je viens d’en faire l’expérience. Je m’étais ris­qué à aller voir une comé­die de M. Jules Romains. J’avais écrit ce que j’en pense. Cela for­mait trois pages de ma der­nière chro­nique à la Nou­velle Revue Fran­çaise. Son direc­teur, M. Jacques Rivière, me les a sup­pri­mées. Si on ne peut pas dire ce qu’on pense, à quoi bon écrire ? J’ai pris mon cha­peau et je suis allé me pro­me­ner. Qu’est-ce qu’elles ont donc de si ter­rible, ces trois pages ? J’écrivais pour un petit nombre. Je par­lais d’un auteur fort peu connu. Je suis fort igno­ré moi-même. Si cela pou­vait inté­res­ser dix per­sonnes, c’était tout. M. Jacques Rivière s’en est pour­tant alar­mé comme un col­lec­tion­neur d’objets rares dont on bous­cule les bibe­lots. Je venais de lui remettre mes épreuves cor­ri­gées que je rece­vais de lui une lettre sans réplique. Ces trois pages étaient « tout à fait impos­sibles ». Il ne pou­vait me per­mettre de « décon­si­dé­rer si com­plè­te­ment un auteur qu’il a, jusqu’ici, pro­po­sé à l’admiration de ses lec­teurs ». Non content de m’en prendre à sa comé­die, « c’était tout son per­son­nage que je ten­tais de démo­lir ». Voi­là un auteur bien peu solide si trois pages de chro­nique peuvent le mettre par terre. M. Jacques Rivière aurait dû mettre un écri­teau : Prière de ne pas tou­cher. Mais c’est sur­tout M. Jules Romains qui s’est mon­tré beau dans cette cir­cons­tance. Ces trois pages le concer­nant, on les lui a mon­trées. Vous croyez qu’il a été content, voyant qu’on par­lait de lui, ce qui, pour­tant, ne lui arrive pas sou­vent ? Pff !… Il paraît que ces trois pages l’ont bou­le­ver­sé et il a fal­lu qu’on l’assure aus­si­tôt qu’elles ne pas­se­raient pas pour qu’il reprenne ses esprits (il est plus facile d’en avoir au plu­riel qu’au sin­gu­lier). N’est-ce pas là un joli per­son­nage pour une comé­die lit­té­raire ? Cet auteur qui ne veut entendre que des éloges sur son compte, qui écrit uni­que­ment pour être admi­ré ? Ce pro­fes­seur de phi­lo­so­phie qui en manque si com­plè­te­ment pour lui-même ? Cet écri­vain que la cri­tique fait s’effondrer ? Et il a choi­si comme pseu­do­nyme ce nom syno­nyme de force, de soli­di­té : Romains ! »

Pour finir, je vous entre­tien­drai un peu des Humbles, où on ignore ces ques­tions de haute stratégie.

Leur cahier de février fut consa­cré aux Fables et poèmes de G. Le Révé­rend. Poèmes en vers clas­siques, vers libres si l’on veut, mais à la manière de La Fon­taine. Voi­là qui peut éton­ner au siècle du vers libre ! Je trouve, quant à moi, un cer­tain charme à ces poé­sies dont je veux épin­gler ici deux courts échantillons :

[|Sagesse|] La sagesse est pour l’un ceci : faire ripaille.
Sou­rire à lèvre épaisse, ou rire à plein gosier.
C’est, pour l’autre, dor­mir sur un mol oreiller,
Et, pour tuer l’ennui néces­saire, bâiller.
Chaque aveugle ain­si suit l’instinct qui le tiraille.
Or, la sagesse, quant à moi.
C’est, nar­quois, fier, tran­quille, indif­fé­rent, adroit,
C’est battre le bri­quet près des meules de paille.

[|ex mon vil­lage…|] « En mon vil­lage, Épi­cure prudent.
Je vis heu­reux, sans traces et sans guerres.
N’ayant besoins que des plus nécessaires.
Trou­vant tout bon, lie tout m’accommodant.
À mes côtés, des pauvres et des riches
Disent tou­jours la For­tune trop chiche.
Or, accueillant aux coups mêmes du sort,
Je me sou­ris : « Rien ne compte. La mort.
Des biens, des maux dont ils tiennent registre.
Sans les peser, fait un néant sinistre.
Pleu­rons, rions, tout est pareil devant
L’obscur bon­heur de se sen­tir vivant. »

Le numé­ro de murs (un franc à la Librai­rie sociale) contient des proses et des poèmes divers, par­mi les­quels celui-ci de notre ami Georges Vidal, daté de jan­vier 1923, à la Pri­son de la Petite Roquette :

[|Le silence|] Le silence est la mor­sure des geôles.

Mais non pas le silence doux et frais des matins
[pâles,
Mais non pas le silence du pré sous les saules,
Non : le silence bru­tal et lourd des soirs d’orage…

Car ado­rable est le silence,
le silence léger des choses
qui divi­nise l’aube rose
et rend graves les ambiances.

Mais là, dans les cages de pierre.
quand vient la nuit.
sur les épaules des maudits
le silence s’appesantit
comme un lin­ceul sous une bière.

Et le reclus qui ne dort pas
mal­gré les piqûres de ses yeux las,
le reclus attend,
morne, que d’heure en heure à l’horloge lointaine
quelques gouttes de temps
s’égrènent
sur sa peine…

Pauvre cher ami, qui m’écrivez main­te­nant de la pri­son d’Aix où la ver­mine vous ronge, où les rhu­ma­tismes vous assaillent, nous ne vous oublions pas. Et nous atten­dons avec impa­tience la fin de cette incar­cé­ra­tion, qui est — par­mi tant d’autres ! — la honte suprême d’un régime pour­ris­sant et infect !

Empri­son­ner un jeune poète pour quelques vers ?

Sali­gauds, va ! !

[/​Maurice Wul­lens/​]

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