La Presse Anarchiste

L’affaire de l’Ouenza (3)

[[Voir nos 9 et 10.]]

[|Deux bandes de finan­ciers|]

Le 19 février 1896, M. Rigou­tier et Mmme Cas­sard obte­naient du pré­fet de Constan­tine, un per­mis d’opérer des recherches dans le can­ton du Djebel-Ouenza.

D’après les us, et cou­tumes d’Algérie, le pos­ses­seur d’un per­mis de ce genre, est pré­su­mé avoir décou­vert toute mine qui se trouve dans l’espace indi­qué par le per­mis, et il a le droit d’en obte­nir la concession.

Ces pre­miers pos­ses­seurs ven­dirent leur droit de pro­prié­té à MM. Dargent et Pascal.

Par la suite, M. Dargent se sépa­ra de M. Pas­cal, et ce der­nier qui res­ta seul pro­prié­taire du per­mis de recherches conclut en juin 1900 un contrat avec MM. Louis Rol­land-Che­villon, avo­cat à Mar­seille, et Joseph Rou­baud, ban­quier. Il consti­tua avec eux la Socié­té Afri­caine des Mines.

MM. Rol­land-Che­villon et Joseph Rou­baud appor­taient les fonds néces­saires ; tan­dis que M. Pas­cal confiait à M. Amé­dée Vérane, son direc­teur, la conduite des tra­vaux d’une mine déjà exploi­tée, celle de Mes­lou­la-Ouas­ta et des recherches sur l’Ouenza.

En juillet 1900, M. Pas­cal adres­sait à l’administration algé­rienne une demande de conces­sion qui lui était accor­dée le 20 mai 1901. Le décret de conces­sion por­tait sur « les mines de cuivre, fer et autres métaux connexes du Djebel-Ouenza ».

Un mois après, en juin 1901, M. Car­bo­nel, ingé­nieur de la Socié­té des gorges du Chi­li [[La Socié­té des Forges du Chi­li est une filiale du Creu­sot.]], visi­tait la conces­sion. Il recon­nut immé­dia­te­ment la richesse de ces mines et fit des pro­po­si­tions au groupe Pas­cal. C’était bien recon­naître par là le droit de pro­prié­té de M. Pas­cal. Et le 15 sep­tembre 1901, une conven­tion inter­ve­nait, conven­tion aux termes de laquelle la Socié­té Afri­caine des Mines était assu­rée d’une rede­vance de 8 mil­lions de francs, lors même que la mine ne serait jamais exploi­tée. De plus, M. Car­bo­nel avait un délai de six mois expi­rant le 1er avril 1902, pour consti­tuer un Socié­té d’exploitation.

[|Pré­fet de Constan­tine et Gou­ver­neur de l’Algérie aux ordres du Creu­sot.|]

Sous l’impression de la richesse du gise­ment, M. Car­bo­nel n’avait pas hési­té à signer la conven­tion pré­ci­tée. Mais, par la suite, il s’aperçut qu’il pou­vait deve­nir à lui seul le maître de l’affaire. En ergo­tant un peu, il était pos­sible de contes­ter à M. Pas­cal ses droits sur les minières.

Flai­rant le piège, M. Pas­cal adres­sait, le 21 jan­vier 1902, au pré­fet de Constan­tine une demande d’amodiation de tout ce qui pou­vait étre consi­dé­ré comme minière au Djebel-Ouenza.

L’auteur de la demande, M. Vérane, direc­teur des tra­vaux de M. Pas­cal et par­tant son fon­dé de pou­voirs, offrait : « … de payer comme rede­vance tout ce qui sera com­pa­tible avec une exploi­ta­tion fruc­tueuse, d’après l’appréciation qui en sera faite à dire d’experts. » C’était net.

Le pré­fet de Constan­tine ne répon­dit pas à cette demande.

Le 28 mars 1902, deux jours avant l’expiration du délai de six mois qui lui avait été accor­dé, M. Car­bo­nel signi­fiait à MM. Rol­land et Rou­baud qu’il avait consti­tué la Socié­té pré­vue par la conven­tion du 15 sep­tembre 1901 et qu’il se consi­dé­rait comme défi­ni­ti­ve­ment pro­prié­taire de la conces­sion de l’Ouenza.

M. Pas­cal, qui se voyait joué par M. Car­bo­nel, grâce à la com­pli­ci­té de MM. Rol­land-Che­villon et Rou­baud, répon­dait immé­dia­te­ment qu’il repre­nait sa liber­té car aucune des condi­tions sti­pu­lées au contrat d’option n’avait été tenue par M. Carbonel.

Et, ici, les dates prennent une élo­quence carac­té­ris­tique en fai­sant res­sor­tir net­te­ment la déloyau­té et la com­pli­ci­té des auto­ri­tés algériennes.

M. Pas­cal, pro­prié­taire de la conces­sion des mines, demande l’amodiation de tout ce qui pou­vait être consi­dé­ré comme minière sur sa conces­sion du Dje­bel-Ouen­za, le 21 jan­vier 1902 [[« Nor­ma­le­ment, on concède tou­jours la mine de fer en même temps que la sur­face, c’est-à-dire la minière, sauf à indem­ni­ser le pro­prié­taire du sol. C’est la loi. » Fran­cis Laur, Infor­ma­tion, 2 fév. 1910.]]

Alors que cette amo­dia­tion lui reve­nait léga­le­ment, puisque pro­prié­taire de mine, on ne lui répond pas.

Le 28 mars 1902 M. Car­bo­nel signi­fiait à M. Pas­cal la consti­tu­tion de sa socié­té et le 17 avril 1902 — dix-neuf jours après — sol­li­ci­tait du gou­ver­neur géné­ral de l’Algérie, en faveur de la Socié­té d’études de l’Ouenza, l’autorisation de faire les recherches néces­saires en vue d’obtenir l’amodiation des minières com­prises sur le Djebel-Ouenza.

Alors que le gou­ver­neur géné­ral, M. Revoil, n’avait pas répon­du à la demande Pas­cal, datée du 21 jan­vier 1902, il accor­dait à M. Car­bo­nel le droit de faire des recherches sur les conces­sions appar­te­nant à M. Pascal.

Que conclure de ce rap­pro­che­ment des dates ?

Que conclure, sinon que le pré­fet de Constan­tine et le gou­ver­neur géné­ral de l’Algérie ont volon­tai­re­ment négli­gé de répondre, en temps utile, à la demande d’amodiation faite par le groupe Pascal ?

Leur silence n’avait qu’un but : don­ner au groupe Car­bo­nel le temps néces­saire de consti­tuer son Consor­tium auquel allait être remis « le droit de faire des recherches de minières sur la conces­sion des mines du groupe Pas­cal », en vue d’obtenir l’amodiation de ces minières.

Et voi­là ! Ce n’est pas plus dif­fi­cile que cela pour le Creu­sot, car le Creu­sot c’est une force dans notre Répu­blique, une force telle qu’on a pu dire que le minis­tère de la Marine y avait son siège.

Natu­rel­le­ment, on a essayé de jus­ti­fier la pré­fé­rence don­née au groupe Car­bo­nel. On a pro­duit une lettre du pré­fet de Constan­tine répon­dant à M. Pas­cal, le 1er décembre 1902 — soit dix mois après qu’il avait dépo­sé sa demande, alors qu’il n’avait été mis que deux mois pour répondre à M. Car­bo­nel — une lettre fai­sant obser­ver que : « le pro­prié­taire du sol (en l’espèce, l’Algérie) conserve, dans l’intérieur d’une conces­sion, tous ses droits sur les sub­stances non dési­gnées à l’acte de conces­sion. Les mine­rais de fer de minières n’étant pas concé­dés, l’Algérie avait donc le droit d’accorder à M. Car­bo­nel un per­mis de recherches de ces minerais ».

Le rai­son­ne­ment eut été exact si le per­mis accor­dé à M. Car­bo­nel ne lui avait pas don­né le droit de recher­cher les minières sur les conces­sions de M. Pas­cal, conces­sions accor­dées à ce der­nier le 20 mai 1901 pour l’exploitation des « mines de cuivre, fer et autres métaux connexes du Djebel-Ouenza ».

Le fait maté­riel est à ce point évident qu’il est recon­nu par les ingé­nieurs des Mines eux-mêmes. C’est ain­si que l’ingénieur en chef des mines d’Alger, M. Jacob, écri­vait à l’ingénieur en chef du corps des mines, à Paris, M. Lecornu

« Bien enten­du, la conces­sion ne por­tait pas sur la minière, et c’est par une gaffe que l’acte de conces­sion a par­lé du fer. »

C’est une gaffe et voi­la tout !

Mais une « gaffe » qui éta­blit le droit de pro­prié­té du groupe Pas­cal sur le Djebel-Ouenza.

Le Consor­tium Krupp-Schnei­der, pour défendre son droit de pro­prié­té, fait encore état d’un juge­ment, confir­mé par la cour d’Appel d’Aix. Or, ce juge­ment n’a aucune valeur démonstrative.

Que deman­daient les juges ? Ils deman­daient tout sim­ple­ment les preuves de pro­prié­té des minières du Dje­bel-Ouen­za. Or, ces preuves M. Pas­cal ne pou­vait les appor­ter, le pré­fet et le gou­ver­neur géné­ral de l’Algérie ne lui ayant pas don­né acte de sa demande, et pour cause !

M. Car­bo­nel, au contraire, grâce à la com­pli­ci­té des auto­ri­tés algé­riennes, pos­sé­dait ces appa­rentes preuves.

[|Devant le Conseil d’État.

Le Conseil des Mines aux ordres du Creu­sot.
|]

M. Pas­cal porte le dif­fé­rend devant le Conseil d’État, pré­ten­dant qu’il n’est pas pos­sible d’extraire sépa­ré­ment le fer et le cuivre et par consé­quent qu’il n’y a pas lieu de recon­naître l’existence d’une minière à côté de la mine.

Il s’appuie sur divers rap­ports d’ingénieurs, entre autres sur un rap­port de M. Lecor­nu, ingé­nieur en chef des mines, du 30 mars 1902 :

Il est cer­tain, qu’à la sur­face, le filon cui­vreux est englo­bé dans une masse énorme d’hématite (mine­rai de fer), Cette héma­tite affleure fré­quem­ment à décou­vert ; dans d’autres cas, elle est mas­quée par un man­teau cal­caire plus ou moins épais. Nulle part, l’on ne voit le filon cui­vreux en contact direct avec de calcaire.

Le 9 juin 1903, l’ingénieur ordi­naire des mines, de Constan­tine, M. Jacob, confirme d’un nou­veau rap­port les consta­ta­tions de l’ingénieur en chef des mines de Paris. Il déclare :

Il y a, à l’Ouenza, un gise­ment de fer et de cuivre et, il faut le recon­naître, le cuivre se trouve mélan­gé au fer sur toute la hau­teur du gise­ment, aus­si bien en super­fi­cie qu’en profondeur.

De telles consta­ta­tions — il n’y a pas à s’y trom­per — sont la recon­nais­sance offi­cielle du droit de pro­prié­té de M. Pas­cal sur tout ce qu’il peut y avoir mine­rai de fer au Dje­bel-Ouen­za. Elles sont la condam­na­tion des agis­se­ments du pré­fet de Constan­tine et du gou­ver­neur de l’Algérie.

Le Conseil d’État s’en rend si bien compte qu’il se décharge de l’affaire et la ren­voie au Conseil Géné­ral des Mines.

Celui-ci, gêné par la maté­ria­li­té des faits, la repasse à son tour à une Com­mis­sion spéciale.

Oh ! oui, ce fut une « Com­mis­sion spé­ciale » et « spé­cia­le­ment com­po­sée », car on le pense bien, il ne fal­lait pas cas­ser la déci­sion des auto­ri­tés algé­riennes et reti­rer son os, au Creusot.

Aus­si, cette « Com­mis­sion spé­ciale » com­pre­nait-elle, comme par hasard, un M. Dreux, chef du 1er Bureau (Mines, Conces­sions et Exploi­ta­tions minières et Car­rières) au minis­tère des Tra­vaux Publics.

Ce M. Dreux n’est-il pas parent de deux autres MM. Dreux ?

L’un, E. Dreux, atta­ché à la direc­tion de la Socié­té des Acié­ries de Longwy, et admi­nis­tra­teur des Mines de Valleroy.

L’autre, A. Dreux, direc­teur des Acié­ries de Longwy ; du Comi­té des Forges et des Mines de fer de Meurthe-et-Moselle ; du Comp­toir des Pou­trelles ; pré­sident du Comp­toir d’Exportation des Pro­duits Métal­lur­giques ; vice-pré­sident de la Caisse de retraites et de celle d’assurances contre les acci­dents du tra­vail du Comi­té des Forges de France, admi­nis­tra­teur, avec MM. Louis, Hen­ri et Robert Rochling — les grands métal­lur­gistes alle­mands — de la Socié­té des Mines de Val­le­roy ; enfin, avec M. Eug. Schnei­der, vice-pré­sident du Comi­té de Direc­tion des Forges de France.

Faut-il s’étonner que, gui­dée par les lumières de ce membre de la famille Dreux, la fameuse com­mis­sion spé­ciale ait conclu à l’existence d’une minière au Dje­bel-Ouen­za, mal­gré les rap­ports des ingé­nieurs Lecor­nu et Jacob ? Non, n’est-ce pas ?

Après cette conclu­sion de la Com­mis­sion compétente (

De ce fait, toute la ques­tion est remise en dis­cus­sion. Mais M. Pas­cal n’est plus seul. Il a consti­tué, le 30 avril 1903, avec M. Por­ta­lis, une Socié­té conces­sion­naire du Dje­bel-Ouen­za.

M. Por­ta­lis agis­sait en repré­sen­tant de la mai­son Mul­ler [[La mai­son Mul­ler est un gros com­mis­sion­naire des mine­rais de fer, ayant son siège à Rot­ter­dam.]]. Il est pro­bable qu’il igno­rait, à cette date du 20 avril, l’acte de conces­sion en faveur du groupe Car­bo­nel, car c’est seule­ment à la date du 18 mai, que son groupe fut offi­ciel­le­ment avi­sé de la déci­sion des auto­ri­tés algé­riennes. Mais à par­tir de ce moment, ce n’était plus contre un simple par­ti­cu­lier qu’allait avoir à lut­ter le Consor­tium, mais contre une socié­té puis­sante, diri­gée par des hommes experts en légis­la­tion minière.

La nou­velle socié­té enga­geait aus­si­tôt la lutte. Son pre­mier acte consis­tait à assi­gner le groupe Car­bo­nel devant le tri­bu­nal de Guel­ma, en « déguer­pis­se­ment », le mena­çant de dom­mages-inté­rêts au cas de refus.

La par­tie deve­nait ser­rée. Pour résis­ter au groupe Por­ta­lis, il fal­lait un autre homme comme gou­ver­neur géné­ral de l’Algérie que M. Revoil. Il fal­lait quelqu’un d’importance et doué de poigne. Le Comi­té des Forges n’est jamais a court. Nous voyons appa­raître alors M. Jonnart.

[|La per­son­na­li­té de M. Jon­nart.|]

M. Jon­nart est dépu­té de la 2e cir­cons­crip­tion de Saint-Omer, en même temps que gou­ver­neur géné­ral de l’Algérie. Il est encore le gendre de son beau-père.

Et ce beau-père, c’est le dépu­té, c’est le ban­quier, c’est le métal­lur­giste Aynard.

M. Aynard est dépu­té de Lyon ; régent de la Banque de France ; admi­nis­tra­teur de la Socié­té Lyon­naise de dépôts et comptes cou­rants et de cré­dits indus­triel ; pré­sident du Conseil d’administration de la Com­pa­gnie des Fon­de­ries, Forges et Acié­ries de Saint-Étienne (fabrique d’obus, canons, blin­dages, etc., pour la guerre et la marine), socié­té qui appar­tient au Comi­té des Forges.

Les inté­rêts du Comi­té des gorges et de la mai­son Schnei­der vont être bien défen­dus. Avec M. Jon­nart, les choses ne traînent pas. De suite, le 14 mars 1903, il trans­forme en contrat défi­ni­tif le contrat pro­vi­soire du groupe Carbonel.

Mais la jus­tice peut n’avoir pas dit son der­nier mot. Le Conseil d’État sera certes ame­né par l’organe de la « Com­mis­sion spé­ciale » à conclure à l’existence de la minière. Mais il res­te­ra à savoir à qui l’attribuer. Au groupe Car­bo­nel ou au groupe Portalis ?

La déci­sion des auto­ri­tés algé­riennes n’est pas inat­ta­quable. Le Conseil d’État pour­rait bien, sur ce deuxième point, être obli­gé d’appliquer la loi de 1810 et de débou­ter le groupe Carbonel.

M. Jon­nart n’a pas une confiance exa­gé­rée dans le bon droit des gens pour qui il agit. Mais il a été mis là pour rem­por­ter la vic­toire ; coûte que coûte, il y arrivera.

En bon tac­ti­cien, il déplace le ter­rain du com­bat. Le ter­rain judi­ciaire, avec un adver­saire retors comme M. Por­ta­lis, n’offre plus assez de chances. On s’en va sur le ter­rain par­le­men­taire ; là doivent s’exercer plus effi­ca­ce­ment les influences dont dis­pose le Comi­té des Forges et par lui le Consor­tium. Com­ment faire ? C’est bien simple.

[|On invente le che­min de fer.|]

La minière étant pro­prié­té de l’Algérie, celle-ci avait le droit de la concé­der sans pas­ser par le Par­le­ment. Mais en lui adjoi­gnant un che­min de fer, le Par­le­ment était appe­lé à se pro­non­cer ; on enle­vait ain­si l’affaire au Conseil d’État.

Telle fut la rai­son pour laquelle appa­rut sou­dain la néces­si­té d’un che­min de fer qui, par­tant du Dje­bel-Ouen­za, semble, pour le pro­fane, sim­ple­ment des­ti­né à rejoindre Bône. En réa­li­té, cette voie fer­rée trans­por­tait l’affaire de l’Ouenza tout droit au Parlement.

Le 26 juin 1905, M. Jon­nart signait avec le Consor­tium Car­bo­nel-Schnei­der-Krupp et Cie, les conven­tions par les­quelles il cédait à bail, pour une durée de 60 ans, la jouis­sance du can­ton de Dje­bel-Ouen­za, de la forêt doma­niale de l’Ouled-Sidi-Aia ben Taleb, d’une super­fi­cie de 6,659 hec­tares [[Dans notre pre­mière par­tie nous avions don­né 3.079 hec­tares. Il n’y a pas contra­dic­tion avec le chiffre d’aujourd’hui. Nous nous sommes tenus, au début, à l’étendue de la conces­sion Pas­cal, L’habileté de M. Jon­nart avait été d’agrandir la super­fi­cie, afin d’encercler la conces­sion accor­dée à M. Pas­cal.]] avec la facul­té d’exploiter les minières de fer qui s’y trouvent.

Le coup de génie du Consor­tium et de M. Jon­nart avait été de réunir les deux ordres de conces­sions : Minières et Che­min de fer en une seule conven­tion, afin de faire sanc­tion­ner le tout par le Par­le­ment. Le vote de ce der­nier cou­vrait ain­si toutes les res­pon­sa­bi­li­tés enga­gées dans l’affaire.

Mais, pata­tras ! la Com­mis­sion des Tra­vaux publics (pré­sident : M. Guyot-Des­saigne) avi­sait, le 11 décembre, le gou­ver­ne­ment que ces conven­tions com­pre­naient deux points d’ordre dif­fé­rent, réunis à tort en un pro­jet de loi.

Était-ce l’échec de la géniale manœuvre de M. Jon­nart ? Pas encore.

[|Un dépu­té socia­liste se porte au secours du Consor­tium.|]

Il fal­lait tout d’abord lais­ser pas­ser quelques mois. Le temps aide à faire bien des choses. Mais on tenait tou­jours à jouer la par­tie devant le Par­le­ment où le Comi­té des Forges se vante « d’avoir dans la main », trois cent cin­quante dépu­tés, une majorité.

En 1906, le Conseil géné­ral de Constan­tine accorde, en prin­cipe, moyen­nant le ver­se­ment d’un cau­tion­ne­ment – ver­se­ment qui fut effec­tué — la conces­sion de la mine au groupe Por­ta­lis-Mul­ler. Puis, au début de novembre 1907, le même Conseil géné­ral revient sur son vote, rejette le pro­jet, approu­vé l’année aupa­ra­vant, en arguant de son « incompétence »…

À ce pro­pos, L’information (27 nov. 1907) fait ces remarques :

En résu­mé, la minière a, très visi­ble­ment, pour elle l’appui du ser­vice des Mines et du gou­ver­ne­ment de l’Algérie. La mine a eu pour elle l’appui de la Chambre des Dépu­tés qui, en 1905, repous­sa les accords inter­ve­nus entre la minière et le gou­ver­ne­ment de l’Algérie…

La ques­tion n’avance pas. L’embarras est grand. M. Jon­nart passe la Médi­ter­ra­née pour venir pous­ser à la roue. Les 16 et 22 octobre 1907, il y a consul­ta­tion au Conseil des ministres. Cet embar­ras, l’Agence Four­nier, dans une note du 23 octobre, la tra­duit ingénument :

« On vou­drait, dit-elle, évi­ter un débat public. »

Quel moyen hypo­crite a‑t-on inven­té, cette fois, pour esca­mo­ter un vote du Par­le­ment ? La pétition !

Et qui donc a‑t-on recru­té comme rap­por­teur — au nom de la Com­mis­sion des péti­tions — du pro­jet de conces­sion des mines de l’Ouenza ?

Qui donc ? Sans doute un dépu­té oppor­tu­niste ou radi­cal ? Allons donc !

C’est le citoyen Devèze, dépu­té socia­liste uni­fié [[Devèze se fit volon­tai­re­ment radier quelque temps après du groupe par­le­men­taire, non pour son rap­port, mais pour refus de payer ses coti­sa­tions.]], qui dépo­sait, le 22 novembre 1907, ce rap­port et qui concluait en faveur du groupe Carbonel-Krupp-Schneider.

Dans ce rap­port, Devèze appor­tait cette monu­men­tale affirmation :

L’insistance des corps élus de l’Algérie et du gou­ver­neur suf­fi­rait à elle seule pour réduire à leur juste valeur les agis­se­ments qu’un exa­men sérieux du dos­sier suf­fit pour per­cer à jour et qui semblent méri­ter les paroles très vives [[M. Jon­nart avait décla­ré à cette séance : « L’affaire se fera avec le groupe Schnei­der ou ne se fera pas. »]] de M. Jon­nart à la séance du conseil supé­rieur de l’Algérie le 4 juin de cette année [[Offi­ciel, séance du 22 novembre 1907.]]

Plus loin, il indi­quait que le gou­ver­neur géné­ral aurait pu « pro­non­cer sans appel » en « modi­fiant quelque peu la conven­tion », réduite à dix-huit ans, et en signant avec la Socié­té d’études (Car­bo­nel) un contrat alié­nant les mine­rais de la minière jusqu’à com­plet épuisement.

Après avoir cité deux arrêts de la Cour de cas­sa­tion (11 jan­vier 1843 et 28 jan­vier 1857), il ajou­tait que : « La conven­tion d’amodiation pour­rait très bien se pas­ser du décret du Conseil d’État. » Il suf­fi­rait de la modi­fier et de la divi­ser en deux parties :

  1. Auto­ri­sa­tion d’extraire le mine­rai de la minière (contrat) jusqu’à com­plet épuisement.
  2. Bail pour dix-huit ans, avec auto­ri­sa­tion d’occuper et de faire les tra­vaux néces­saires à l’extraction des mine­rais de la pro­prié­té doma­niale du Dje­bel-Ouen­za et de la forêt des Ouled-Sidi-Yahia­ben-Taleb [[Offi­ciel, 2e séance du 22 novembre 1907, p. 2446.]]

C’est non seule­ment, on le voit, toute la thèse du Consor­tium que repre­nait Devèze, mais encore la même tac­tique : échap­per à l’examen juri­dique du Conseil d’État.

Aus­si conclut-il en disant :

« … Que l’amodiation de la « Minière » peut se faire soit par un décret ren­du en Conseil d’État, soit par un arrê­té du gou­ver­neur géné­ral de l’Algérie », et il invite le gou­ver­ne­ment à employer la pro­cé­dure la plus rapide.

Devèze, membre du groupe socia­liste uni­fié, concluant contre les pro­prié­taires de la mine, au pro­fit de Krupp-Schnei­der, sou­te­nus par M. Jon­nart, gou­ver­neur de l’Algérie, com­ment cela pou­vait-il se faire ?

Com­ment ? Parce que Devèze est dépu­té d’Alais (Gard), qu’il a dans sa cir­cons­crip­tion la Socié­té des Mines, Forges et Fon­de­ries d’Alais, dont le baron Reille est le pré­sident, en même temps que per­son­nage influent du Comi­té des Forges. Parce qu’en agis­sant ain­si, il s’assure une tran­quilli­té rela­tive, une réélec­tion cer­taine et, peut-être, le reste.

Mais le groupe socia­liste par­le­men­taire va-t-il lais­ser l’un de ses membres faire la besogne par­le­men­taire du Comi­té des Forges ?

Il sait à ce moment-là, je l’affirme, que la ques­tion de l’Ouenza est le plus grand scan­dale, l’affaire la plus mal­propre qu’on ait vue depuis le Pana­ma. Va-t-il essayer de la tirer au clair et de s’en ser­vir comme d’un levier pour modi­fier, dans un sens favo­rable au pro­lé­ta­riat minier la loi de 1810 sur les Mines ?

Je t’en fiche ! Voi­ci ce qu’il trouve à répondre dans sa séance du 6 décembre :

« Le groupe dis­cute la ques­tion sou­le­vée par le rap­port de Devèze sur les mines de l’Ouenza. Après une dis­cus­sion à laquelle prennent part les cama­rades Devèze, Grous­sier, Sem­bat, Pou­lain, Willm, Four­nier, Allard, Varenne, Delo­ry, Constans, Fié­vet, le groupe vote l’ordre du jour suivant :

« Le groupe socia­liste du Par­le­ment, main­te­nant les déci­sions du Par­ti en matière de natio­na­li­sa­tion des mines, après avoir enten­du le citoyen Devèze, déclare lui lais­ser la res­pon­sa­bi­li­té du rap­port sur les minières de l’« Ouen­za » dépo­sé par lui au nom de la Com­mis­sion des péti­tions. [[Huma­ni­té du 7 déc. 1907.]]. »

Le groupe laisse à Devèze la res­pon­sa­bi­li­té de son rap­port et rap­pelle les déci­sions du Par­ti en faveur de la natio­na­li­sa­tion. Et il croit s’être suf­fi­sam­ment dégagé !

Pas un mot de blâme. Un simple geste, celui de Ponce-Pilate se lavant les mains.

Bien mieux. On consta­tait, quelques mois après, que le citoyen Willm défen­dait Devèze dans un pro­cès contre M. Ledru, direc­teur du Tra­vailleur libre du Gard.

Ledru était pour­sui­vi, le 7 mai 1908, devant les assises du Gard, pour avoir accu­sé Devèze d’avoir tou­ché 5.000 francs comme rému­né­ra­tion du dépôt de son rap­port, concluant à don­ner la conces­sion, avec pro­messe de 50.000 francs de parts et d’actions si son rap­port était adopté.

Quand on porte de pareilles et si pré­cises accu­sa­tions, il faut avoir, non des pré­somp­tions morales, mais des preuves irré­fu­tables. Or, des preuves, dans ces sortes d’affaires, sont dif­fi­ciles à trou­ver, on le pense, même quand elles existent.

Par consé­quent, le pro­cès en lui-même et la condam­na­tion qui s’en est sui­vie, étaient inévi­tables et ne prouvent rien en faveur de Devèze.

Mais la sur­prise de ce pro­cès fut de voir le citoyen Willm, avo­cat, dépu­té socia­liste, membre du groupe par­le­men­taire, accep­ter de défendre Devèze dans cette affaire.

La stu­pé­fac­tion des mili­tants fut géné­rale. Le pas­sé de Willm leur per­met­tait de croire qu’il se refu­se­rait à faire pareille besogne. Tout le lui com­man­dait car, même pour un avo­cat, à plus forte rai­son pour un avo­cat-dépu­té, il est des besognes qui res­semblent à des com­pli­ci­tés. C’est le cas pour l’affaire de l’Ouenza.

Mais le groupe par­le­men­taire allait-il se réha­bi­li­ter en se met­tant au tra­vail et en exa­mi­nant cette grosse ques­tion des conces­sions minières, ques­tion posée alors pour le Pas-de-Calais et pour la Meurthe-et-Moselle ?

Eh bien ! lisez cet extrait du com­mu­ni­qué de la séance du 6 mars du groupe :

Le groupe s’occupe à nou­veau des mines de Meurthe-et-Moselle et du Pas-de-Calais ; il décide que le secré­ta­riat convo­que­ra pour le mar­di 10 mars le citoyen Uhry et les cama­rades du groupe, membres de la Com­mis­sion des mines.

… Le groupe invite les citoyens Alle­mane, Durre, Selle, Mélin, Ghes­quière, Bas­ly, Bou­ve­ri, Thi­vrier, membres de la Com­mis­sion des mines, ain­si que le citoyen Uhry, à se réunir d’urgence, mar­di 10 mars, à deux heures, à la Chambre, pour l’examen des conces­sions minières de Meurthe-et-Moselle [[Huma­ni­té, 9 mars 1908.]]

D’urgence, vous enten­dez ! Au jour dit, Uhry, qui fut can­di­dat en Meurthe-et-Moselle et qui le sera évi­dem­ment encore, s’amène sur le coup de deux heures. Per­sonne n’est là. Il attend. Il attend une heure ; il attend deux heures. Fina­le­ment, il arrive un membre de la fameuse com­mis­sion. Ils étaient un…, comme dans la chanson.

Le 10 juin sui­vant, le ministre Bar­thou signait les décrets accor­dant les conces­sions du Pas-de-Calais. Sin­gu­lier rap­pro­che­ment de dates ! La fameuse Com­mis­sion socia­liste des mines avait-elle craint de faire de la peine à M. Bar­thou et aux deman­deurs de concessions ?

Ain­si, les conces­sions du Pas-de-Calais ont été accor­dées. Celles de Meurthe-et-Moselle ne le sont pas encore. Mais ce n’est pas la faute des par­le­men­taires socialistes.

Aujourd’hui, le groupe socia­liste par­le­men­taire fait mine de vou­loir agir. Mais notre confiance en lui est modé­rée ; il devient de plus en plus un « par­ti gou­ver­ne­men­tal », grâce à Jau­rès, récon­ci­lié avec Briand. Les élec­tions accen­tue­ront cette volte-face nous condui­sant à une col­la­bo­ra­tion entre les socia­listes de gou­ver­ne­ment et la grande indus­trie qui réclame à cor et à cri les conces­sions de Meurthe-et-Moselle. Aus­si nous ne nous illu­sion­nons pas sur les mobiles qui le poussent : le pre­mier, c’est parce qu’il nous sent à côté de lui et qu’il a peur que nous ne lui disions qu’il est non pas impuis­sant, mais complice.

[|Un coup de théâtre.|]

Si le Consor­tium et M. Jon­nart ont déser­té le ter­rain judi­ciaire, le groupe Por­ta­lis, lui, les y ramène.

  1. Il intente un pro­cès, devant le Tri­bu­nal civil de la Seine, à M. Car­bo­nel et aux anciens asso­ciés de M. Pas­cal : MM. Rol­land-Che­villon et Rou­baud. Il leur réclame un mil­lion de francs de dom­mages-inté­rêts, affir­mant, dans sa demande, que M. Car­bo­nel est mal venu de se pré­tendre pro­prié­taire des mines du Dje­bel-Ouen­za, car il n’avait pas igno­ré que MM. Rol­land-Che­villon et Rou­baud avaient outre­pas­sé leurs droits en signant un trai­té d’option :
  2. Il dépose un mémoire au Conseil d’État deman­dant l’annulation de l’acte de conces­sion accor­dé au Consor­tium, en se basant sur les dis­po­si­tions de l’article 70, para­graphe 2, de la loi de 1810, telle que l’a modi­fiée la loi du 27 juillet 1880 et qui dit : « Un décret ren­du en Conseil d’État peut, alors même que les minières sont exploi­tables à ciel ouvert, ou n’ont pas encore été exploi­tées, auto­ri­ser la réunion de la minière à une mine sur la demande du concessionnaire. »
  3. Il adresse, au Conseil géné­ral de Constan­tine, une demande en conces­sion de che­min de fer com­por­tant en oppo­si­tion au tra­cé Ouen­za-Bône, via Aïn-Guet­tar, patron­né par le Consor­tium, le tra­cé Ouen­za-Bône via Medjes-Sfa qui, sur une lon­gueur de soixante-cinq kilo­mètres, emprunte les lignes du che­min de fer Guelma-Bône.

Le Conseil géné­ral de Constan­tine émet un avis favo­rable à ce tra­cé. M. Jon­nart télé­gra­phie au pré­fet de Constan­tine que la conces­sion ne peut être accor­dée par le Conseil géné­ral parce que c’est une ligne d’intérêt géné­ral qu’il appar­tient au Par­le­ment de concéder.

Le 4 juin 1907, l’affaire revient devant le Conseil supé­rieur de l’Algérie. Ce jour-là M. Jon­nart déclare :

C’est une dépense de 50 à 60 mil­lions que la Socié­té, pré­si­dée par M. Schnei­der, doit consen­tir pour la construc­tion de son che­min de fer et ses ins­tal­la­tions dans le port de Bône, avant de don­ner le pre­mier coup de pioche dans le gîte de l’Ouenza. Vous voyez si c’est une belle affaire ; c’est la plus belle que l’Algérie ait connue. C’est une trop belle affaire. Elle devait sou­le­ver des com­pé­ti­tions, elle en a soulevé.

Mais l’Algérie n’a qu’une parole : M. P. Revoil a enga­gé sa parole ; nous ne revien­drons pas sur la parole don­née. J’ai la convic­tion abso­lue, en ce qui me concerne, que l’affaire se fera avec le groupe Schnei­der ou ne se fera pas.

La bataille est enga­gée sur toute la ligne. Les deux adver­saires ne négligent rien. Il s’agit d’être bien en cour. C’est à qui aura le bras le plus long.

Le Creu­sot, grand sei­gneur, se paie le frère du Pré­sident du Conseil, comme ingé­nieur-conseil et l’on ne peut dire que M. Georges Cle­men­ceau reste insen­sible aux conseils de son frère Paul [[M. Paul Cle­men­ceau est une grosse per­son­na­li­té de la métal­lur­gie. Il est membre de la Chambre syn­di­cale des Construc­teurs de Navires et de Machines marines, direc­teur de la Socié­té géné­rale Pour la Fabri­ca­tion de la Dyna­mite, pro­cé­dés et bre­vets A. Nobel ; admi­nis­tra­teur de la Socié­té Pour la Fabri­ca­tion des Muni­tions d’Artillerie et de la Socié­té Cen­trale de Dyna­mite, dont le pré­sident est M. Lucien Bor­det, admi­nis­tra­teur de la Com­pa­gnie des Che­mins de fer et Phos­phates de Gaf­sa (Tuni­sie) et de la Com­pa­gnie des Forges de Châ­tillon-Com­men­try et Neuves Mai­sons, qui fait aus­si par­tie du Consor­tium de l’Ouenza.]]. Lui, qui tapait à tour de bras, dans la Jus­tice, sur les gros cui­ras­sés et sur la métal­lur­gie, qui, dans l’Aurore, à pro­pos de l’échouage du Bruix, deman­dait qu’on l’agrandisse et qu’on en fasse un bateau-lavoir pour le linge sale de la marine, se trouve tout subi­te­ment pris d’admiration pour les grosses pièces. Revi­re­ment, renie­ment cer­tai­ne­ment dés­in­té­res­sé. Aus­si dés­in­té­res­sé, cer­tai­ne­ment, que la sym­pa­thie accor­dée au Consor­tium à pro­pos de l’Ouenza, bien qu’il ait été ques­tion de cer­taines parts de fondateur.

Le groupe Por­ta­lis ne reste pas en arrière : le Pré­sident du Conseil a un autre frère, l’avocat Albert Cle­men­ceau. Il l’embauche, le fai­sant suc­cé­der à d’autres lumières du bar­reau et du par­le­ment : MM. Bau­din, dépu­té de l’Ain et ancien ministre des Tra­vaux publics, et Mau­rice Colin, dépu­té d’Alger, pro­fes­seur agré­gé des facul­tés de droit, rédac­teur algé­rien au Jour­nal des Débats.

MM. Rol­land-Che­villon et Rou­baud ripostent en inten­tant un pro­cès à M. Pas­cal. Qui sera l’avocat de ces amis de M. Car­bo­nel ? Cer­tai­ne­ment un homme poli­tique capable de contre­ba­lan­cer l’influence du frère de Cle­men­ceau. Qui ? M. Mil­le­rand, l’actuel ministre des Tra­vaux publics.

Mais que va faire le Conseil d’État ? Mal­gré la puis­sance du Comi­té des Forges, il ne pou­vait plus, après les nou­velles pro­po­si­tions de M. Por­ta­lis, rendre un arrêt en faveur du Consortium.

La seule jus­ti­fi­ca­tion de son arrêt, c’était les pré­ten­dus avan­tages que le Consor­tium appor­tait à l’Algérie et qui consis­taient dans la rede­vance de 0 fr.85 par tonne, le che­min de fer, etc. Or, M. Por­ta­lis offrant les mêmes avan­tages, c’était, en sa faveur, à moins d’une mons­trueuse illé­ga­li­té, que l’arrêt devait être rendu.

Rien ne trans­pire du Conseil d’État. Seule, L’Information du 29 juillet 1908 nous apprend que : « … mal­gré que la com­pa­gnie conces­sion­naire (Por­ta­lis) offrît les mêmes garan­ties et les mêmes avan­tages, il était clair qu’elle n’aurait pas gain de cause, sur­tout en pré­sence de l’attitude du rap­por­teur au Conseil d’État.

« Elle a donc dû céder dans ces der­niers temps et conclure, contrainte et for­cée un arran­ge­ment avec le Consor­tium Schnei­der-Krupp et consorts ? »

Ren­sei­gne­ment confir­mé par la Revue Poli­tique et Par­le­men­taire du 10 jan­vier 1909, qui écrit que le Conseil d’État mit fin au conflit par une « pres­sion officieuse ».

Ce qui s’est pas­sé, ain­si que le nom du rap­por­teur, on l’ignore. Ni l’une ni l’autre des deux bandes en pré­sence n’a par­lé. La seule chose que l’on constate, c’est que le groupe Por­ta­lis a dû aban­don­ner la par­tie et que c’est le Conseil d’État qui l’y a contraint.

Un arran­ge­ment inter­vint, le 9 avril 1908, entre les deux Socié­tés : la Socié­té d’Études de l’Ouenza (Schnei­der-Krupp) et la Socié­té conces­sion­naire des mines de l’Ouenza (Pas­cal-Mul­ler-Por­ta­lis.

Aux termes de cet « arran­ge­ment » [[Pro­jet de loi n°1743, du 1er juin 1908, page 65.]] le capi­tal de la Socié­té à créer (art. 2) était por­té a cinq mil­lions de francs. Un mil­lion cinq cent mille francs étaient réser­vés au groupe Pas­cal-Por­ta­lis, plus « trente pour cent des parts béné­fi­ciaires » ; plus encore le droit de sous­crire un mil­lion de francs (art. 3) dans l’émission des actions de la Socié­té du che­min de fer à créer.

Le même groupe avait droit â trois mille tonnes de mine­rai « aux mêmes prix, clauses et condi­tions » (art. 4) que le groupe Krupp-Schnei­der ; dix pour cent du sur­plus de la pro­duc­tion (art. 6) lui reve­nait. Le mine­rai de cuivre devait lui être remis « majo­ré d’un béné­fice indus­triel nor­mal » (art. 7).

En échange, le groupe Pas­cal-Por­ta­lis remet­tait à la Socié­té à créer sa « conces­sion de mines de fer, cuivre et métaux connexes de l’Ouenza, pour une durée égal à l’amodiation de la minière » (art. 8).

La guerre des deux bandes de finan­ciers était finie ou à peu près. La vic­toire reve­nait au Consortium.

Mais, cet « arran­ge­ment » ne com­por­tait-il pas la recon­nais­san des droits de M. Pas­cal contes­tés pen­dant dix ans ?

[|La com­po­si­tion du Consor­tium.|]

Entraient dans la Socié­té nou­velle créée par l’« arran­ge­ment » du 9 avril 1908 :

  1. MM. Schnei­der et Cie, 42, rue d’Anjou, à Paris ;
  2. La Com­pa­gnie des Forges de Châ­tillon-Com­men­try-Neuves-Mai­sons, 49, rue de La Roche­fou­cauld, à Paris ;
  3. La Com­pa­gnie des Acié­ries de la Marine et Homé­court, à Paris ;
  4. M. Fired Krupp, à Essen (Prusse Rhénane) ;
  5. La Gewersk­schaft-Deut­scher-Kai­ser, à Bruck­hau­sen (Prusse Rhénane) ;
  6. La Aktien Gesell­schaft-Sha­lâar Gur­ben-und-Hut­ten-Verein, à Gel­sen­kir­chen (Alle­magne) ;
  7. La Socié­té ano­nyme John Coke­ril, à Seraing (Bel­gique) ;
  8. La Guest-Kern et Com­pa­ny-ltd, 66, Can­non Street, à Londres (Angle­terre) ;
  9. La Charles Cam­mell et Com­pa­ny-ltd, a Shef­field (Angle­terre) ;
  10. La Conseil Iron Com­pa­ny-ltd, Bla­ckill-Durham (Angle­terre).

Le capi­tal de ces Socié­tés est éva­lué 700 mil­lions de francs. À elles toutes, elles pos­sèdent 95 hauts-four­neaux [[Presque autant que tous les métal­lur­gistes fran­çais qui avaient « à feu » 108 hauts-four­neaux fin décembre 1909.]] consom­mant annuel­le­ment cinq mil­lions de tonnes de mine­rai de fer.

Ain­si, le Comi­té des Forges a assu­ré au Consor­tium Krupp-Schnei­der la pro­tec­tion du pré­fet de Constan­tine, du gou­ver­neur géné­ral de ]’Algé­rie, du pré­sident du Conseil, du dépu­té socia­liste Devèze, et du Conseil d’État, sans comp­ter bien d’autres choses encore. Et le Consor­tium a triomphé.

Une fois l’accord conclu entre les deux bandes finan­cières, il res­tait à obte­nir la conces­sion du fameux che­min de fer. Mais la cam­pagne menée par nous dans l’Action Directe et dans la Voix du Peuple en faveur des tra­vailleurs qui extrai­ront le mine­rai et qui nous a ame­né à consta­ter, en outre, que l’Algérie était odieu­se­ment volée, cette cam­pagne allait tenir en échec l’Internationale capitaliste.

[/​A. Mer­rheim

(la fin au pro­chain numé­ro.)/​]

La Presse Anarchiste