Il m’arrive des fois de lire les journaux. Ce n’est pas que cela m’amuse, ni que ce soit d’un intérêt puissant, c’est même le plus souvent d’une ineptie incommensurable, mais enfin de temps en temps, tous les six ou sept mois, j’y découvre une idée originale.
Celle que M. Maurice de Valeffe exprimait l’autre jour dans « L’Œuvre », mérite ce qualificatif.
« Ohé ! les Pacifistes ! s’écriait, d’une plume énergique ce patriote flamand-naturalisé » [[Je prie le typo de respecter l’orthographe rigoureusement et de ne pas mettre par exemple
Et sous ce titre alléchant, M. Maurice de Valeffe déclarait que le peuple allemand était une tribu d’anthropophages et qu’il fallait leur envoyer des missionnaires pour lui enseigner les vertus du végétarisme.
« Qu’est-ce que le Deutschland über alles ? écrit-il ; le cri de guerre d’une bande de sauvages naïvement persuadés que le problème de la vie ne comporte que deux solutions : manger les tribus voisines ou périr de faim. L’idée qu’on pourrait s’entendre côte à côte pour manger des légumes ne leur vient pas. J’ai donc proposé de leur envoyer des missionnaires comme on en expédie à n’importe quelle tribu d’anthropophages. »
Je vous avouerai, sans honte, que cette lecture m’a fait frémir. J’avais bien entendu dire que les Allemands tuaient les hommes, les femmes et les enfants, mais je n’avais jamais pensé qu’ils les mangeaient. Je m’explique maintenant pourquoi, malgré le blocus et le manque de victuailles conséquent, les soldats du Kaiser sont encore vigoureux : ils ont dévoré le million de Russes, et les trois ou quatre cent mille Français qu’ils ont fait prisonniers.
Ces choses-là me donnent la chair de poule. Il urge, en effet, de leur enseigner à manger des légumes. Seulement les missionnaires risqueront d’être servis au Kaiser rôtis à la broche, ou accommodés en daube.
M. de Valeffe ne le cèle pas : « LA cause est assez belle, dit-il, pour avoir ses martyrs » Oh ! végétariens !… Oh ! pacifistes !… « Vous étiez ridicules et nuisibles en France. Vous serez sublimes, et vous êtes nécessaires en Allemagne. » Je ne saisis pas très bien comment le végétarisme peut être à la fois ridicule en France et sublime en Allemagne, mais dans ces choses profondes, il vaut mieux peut-être mieux ne pas chercher à comprendre.
Ce que je saisis moins encore, c’est que M. Maurice de Valeffe demande à M. d’Estournelles à Constant et aux autres pacifistes, de partir en Allemagne faire ce métier-là. J’aurai plutôt admiré qu’il commençât lui-même cet apostolat. Quand on a un nom qu’il s’apparente à Kartoffel, ce qui, si je ne m’abuse, signifie : pomme de terre, on est tout à fait prédestiné à prêcher le végétarisme chez les anthropophages.
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