La Presse Anarchiste

Évolution d’un groupe sous une influence mauvaise, Les causeries populaires et le journal « l’anarchie » sous l’influence de L… (2)

causeries.pngLe déni­gre­ment. — Les Cau­se­ries popu­laires après mon départ.

La fureur de L… devint incroyable. Du jour au len­de­main, mon tra­vail, pré­co­ni­sé comme le seul bon, fut décla­ré détes­table. L… se mit à me déni­grer ouver­te­ment (on me le rap­por­tait de tous côtés). Les plus gros­siers men­songes furent débi­tés en ce qui me concerne. Ceux qui par­laient en ma faveur furent moles­tés et écar­tés. On ne conser­va que des fana­ti­sés et, ne fai­sant plus aucun tra­vail utile, on leur per­sua­da petit à petit l’inutilité de savoir et la haine de ceux qui pré­co­ni­saient la méthode scien­ti­fique. Tout indi­vi­du qui n’allait pas crier dans la rue « Ba-oua-oua » n’était pas sérieux. Les leçons scien­ti­fiques qui, de règle, étaient déjà deve­nues, pour ain­si dire, inexis­tantes, furent rem­pla­cées par des dis­cus­sions sans méthode. La sot­tise pré­ten­tieuse de L…, y alter­nait par­fois avec les notes sur­ai­guës d’une per­sonne qu’il a été l’un des plus vio­lents à me signa­ler comme sus­pecte et qu’il a cepen­dant tou­jours encou­ra­gé près de lui, lui deman­dant des confé­rences. On s’appropriait mes théo­ries après défor­ma­tion et démar­quage gros­siers (théo­rie des gestes inutiles, paro­die ridi­cule de mon clas­se­ment métho­dique des mou­ve­ments utiles et inutiles). On s’amusait à me prê­ter des idées stu­pides, contraires aux miennes, pour les réfu­ter (insa­ni­tés débi­tées sur les pro­gres­sions géo­mé­triques). Mes confé­rences ne furent plus annon­cées, comme si les mêmes argu­ments, excel­lents à entendre de l’ami de la veille, deve­naient faux parce qu’ils sor­taient d’une bouche haïe le len­de­main. Mes livres, ven­dus presque à l’exclusion de tous autres, pré­co­ni­sés comme les meilleurs, furent peu à peu rayés des annonces du jour­nal L’Anarchie, qui avait été fon­dé entre temps. Il n’est bien­tôt plus res­té en stock que ceux qu’il a été pos­sible d’avoir sans payer.

[|L’estampage d’un cama­rade|]

Ce genre de tra­vail pré­sente moins de dan­gers que l’estampage d’un bour­geois, étant don­né toutes les chances d’impunité possibles.

L’absurdité des soi-disant libres-penseurs.

Les lec­teurs de L’Anarchie deman­daient tou­jours mes ouvrages et L… ne pou­vait leur offrir que l’Absurdité des soi-disant libres-pen­seurs, bro­chure édi­tée par lui, d’accord avec moi, sur laquelle il ne m’a jamais rien don­né, ni en espèces, ni en exem­plaires, et dont j’ai tou­jours payé les exem­plaires que j’ai ache­tés par centaines.

L’absurdité de la politique.

Le cama­rade D… de « L’Éducation Libre », à la suite de sous­crip­tions et d’accord avec moi, fit une « édi­tion à dis­tri­buer » de cette bro­chure. L… se ren­dit à l’imprimerie de Puteaux où étaient les cli­chés et fit faire, à mon insu, se pré­ten­dant auto­ri­sé par moi, un tirage de 40.000 exem­plaires qu’il annon­ça sour­noi­se­ment dans son jour­nal comme des « retrou­vés ». Certes je n’aurais pas eu d’objection à ce tirage (beau­coup de mes ouvrages ont été repro­duits et tra­duits par des cama­rades sans que rien m’ait été offert, sauf pour les édi­tions espa­gnoles), mais j’aurais dési­ré cor­ri­ger le texte et, dans cette occa­sion, j’ai été cho­qué de la four­be­rie de L…

Erreur pro­fi­table.

Il fal­lait cepen­dant des livres de Paraf-Javal pour les cor­res­pon­dants qui insis­taient. On en ache­ta à plu­sieurs reprises de petites quan­ti­tés. Un jour, il y eut une erreur de paie­ment à notre détri­ment et, notre cama­rade J. L… ayant récla­mé par écrit, L… lui répon­dit que nous n’avions qu’à ne pas nous lais­ser estamper.

Sous­trac­tion.

Une autre fois, un indi­vi­du des Cau­se­ries popu­laires, vint prendre 100 exem­plaires de « Libre Exa­men » bro­co­hés et les paya. Plu­sieurs jours après, un autre, H. M…, dit H. J…, les rap­por­ta, deman­dant en échange l’édition « à dis­tri­buer » moins coû­teuse. Notre cama­rade J. L… sor­tit son porte-mon­naie pour payer la dif­fé­rence, puis eut la curio­si­té de comp­ter les exem­plaires ren­dus. Comme il en man­quait 30, H. J…, 1 à qui la remarque en fut faite, se sai­sit du porte-mon­naie et d’une paire de ciseaux et se sauva.

Dis­cus­sion avec L…

Entre temps, mon atti­tude vis-à-vis de L’Anarchie avait encore aggra­vé les choses. Cette feuille m’a tel­le­ment répu­gné que j’y ai à peine col­la­bo­ré et je ne cachais pas mon opi­nion qu’elle était, stu­pide et sans intérêt.

De plus, quand j’y ai écrit, je n’ai jamais pu obte­nir que mon texte fut res­pec­té et j’ai eu, à ce sujet, avec L… et ses amis, des alter­ca­tions vio­lentes et des batailles.

[|Ten­ta­tives d’assassinat de cama­rades|]

Comme pour l’estampage de cama­rades, ce genre de tra­vail pré­sente moins de dan­gers que les ten­ta­tives d’assassinats de bour­geois, étant don­né toutes les chances d’impunité pos­sibles et le plai­sir que peut avoir l’autorité à assis­ter à un pareil spectacle.

Réunion du 12 décembre.

Nous avions été pré­ve­nus depuis un cer­tain temps que des ten­ta­tives seraient faites par les Cau­se­ries popu­laires pour s’emparer, à nos réunions, de la caisse et de bro­chures et nous réso­lûmes de ne pas tolé­rer à côté de nous leurs ven­deurs, d’autant que leurs bro­chures sont, pour la plu­part, abso­lu­ment stupides.

Le 12 décembre, avant la réunion, der­rière le public, ou fond de la salle pleine, je fis plier bagage à ces ven­deurs, dont le prin­ci­pal, D…, gar­çon éner­gique, brute fana­ti­sée, se jeta sur moi d’une façon si sau­vage et si mena­çante que, n’eut été la crainte de voir la salle se vider et le coup pro­je­té exé­cu­té, j’aurais lar­ge­ment fait le nécessaire.

Pour­tant il me déplaît, dans la socié­té actuelle, où la liber­té n’est pas exa­gé­rée, de perdre encore ce peu de liber­té et d’aller en pri­son. Pou­vant être pla­cé dans l’alternative d’être assom­mé ou de détruire les assom­meurs, il me plut, après exa­men, de faire acte de sécu­ri­té. D… criait qu’il me crè­ve­rait, nous l’avons emme­né au poste et fait consta­ter cette inten­tion par la décla­ra­tion d’un agent témoin auri­cu­laire. Nous avons fait faire, en d’autres cir­cons­tances, bien d’autres consta­ta­tions et sommes main­te­nant en état de légi­time défense recon­nue.

Réunion du 7 février.

Avant la réunion du 7 février der­nier, nous avons été pré­ve­nus qu’il y aurait contre nous un véri­table guet-apens et qu’on ten­te­rait d’assommer trois d’entre nous, B…, J. L… et moi. B… fut aver­ti que, s’il essayait de me pro­té­ger on tue­rait son bébé. Il dut le mettre en sécu­ri­té, ain­si que sa com­pagne. Nous prîmes des pré­cau­tions très sérieuses. Mais il se pas­sa un fait que nous n’avions pas pré­vu. Les indi­ca­teurs habi­tuels, la police et les agents firent cause com­mune avec les Cau­se­ries popu­laires, qui avaient fait don­ner tout le monde. Ils étaient là, armés de bagues à pointes, de cou­teaux, de coups de poing amé­ri­cains et de revol­vers. C’est sur moi qu’on se jeta d’abord. Je fus légè­re­ment bles­sé à la tête d’un coup de poing amé­ri­cain, mais le cama­rade à la caisse reçut 14 bles­sures et fut trans­por­té à l’hôpital Bichat. Nous avons son pale­tot sur lequel le sang a ruis­se­lé et le cer­ti­fi­cat médical.

Quant à L…, il avait un ali­bi. Il était en pro­vince, sous pré­texte d’un tra­vail que nous nous conten­te­rons de qua­li­fier de mal­adroit et qui a été immé­dia­te­ment sui­vi de la condam­na­tion d’un camarade.

La police.

Chose inté­res­sante à signa­ler, tout cela s’est pas­sé sous la pro­tec­tion des agents et des indi­ca­teurs. Les noms et les adresses des prin­ci­paux agres­seurs sont connus et notés. Aucun n’a été arrê­té, ni même inquié­té.

Nous avons tous remar­qué, à la réunion du 7 février, que les indi­ca­teurs et poli­ciers étaient au grand com­plet et des détails pré­cis nous ont conduits à faire une enquête dont nous nous réser­vons, les cama­rades et moi, quand nous l’aurons com­plé­tée, de publier, s’il y a lieu, les résultats.

Elle réser­ve­ra sûre­ment des sur­prises à la haute police dont se moque et que trompe la basse. La pre­mière y ver­ra com­ment les subal­ternes se paient sa tête et quelle est leur étrange besogne et leurs com­pro­mis­sions et aus­si com­ment un indi­vi­du sim­ple­ment signa­lé peut être à la mer­ci d’êtres louches qui ont la pos­si­bi­li­té de tout dire dans l’ombre et de for­ger des dos­siers men­son­gers sans contrôle. Elle y ver­ra sur­tout com­ment les seuls qui trouvent grâce devant la basse police sont ceux qui ne la traitent pas avec mépris, qui en accep­tant la pro­mis­cui­té dégra­dante et dan­ge­reuse pour les cama­rades et nous rap­por­te­rons des faits pré­cis sur les­quels le lec­teur conclura.

Je m’empresse de dire, en ce qui me concerne, que, les indi­ca­teurs et les poli­ciers se conten­taient de faire la besogne pour laquelle ils sont payés, ils ne me gêne­raient nul­le­ment. J’ai même inté­rêt à ce que mes paroles soient notées et répé­tées le plus pos­sible, à condi­tion qu’elles le soient cor­rec­te­ment. Ce qui me gêne, c’est de voir la basse police épou­ser les haines d’individus comme L… et com­bi­ner avec lui des guet-apens contre nous. À l’avenir nous pro­fi­te­rons de l’expérience acquise à ce sujet.

[|Résu­mé et conclu­sion|]

Notre tra­vail consiste à faire com­prendre à tous que les connais­sances scien­ti­fiques suf­fisent pour l’établissement d’une orga­ni­sa­tion sociale rai­son­nable, qu’il y a lieu de reje­ter et la poli­tique et la révo­lu­tion incons­ciente, que, seule, une révo­lu­tion consciente suc­ces­sive d’une évo­lu­tion men­tale, peut ame­ner dans un ave­nir très proche ou plus éloi­gné, une socié­té fra­ter­nelle, que les par­ti­sans de ces idées ont inté­rêt actuel­le­ment à se grou­per et à les pra­ti­quer. Cet ensemble d’idées a son point de départ dans l’explication patiente de la science (connais­sance) en dehors de toute métaphysique.

Il importe de faire sor­tir les indi­vi­dus de leur igno­rance et de leur sale­té, de leur apprendre à rai­son­ner et à contrô­ler leurs réflexes afin de deve­nir sains et inté­res­sants pour eux-mêmes et pour autrui.

Dans le cours d’un pareil tra­vail et sur notre che­min, un indi­vi­du s’est trou­vé, qui, d’abord, a paru un cama­rade mais qui, méga­lo­mane, n’a pas com­pris qu’il n’a aucune qua­li­té pour ensei­gner, lui qui ne sait rien et ne fait aucun effort pour savoir, qu’il n’a aucune qua­li­té pour expli­quer com­ment on peut être propre et sain, lui qui ne l’est pas et ne fait aucun effort pour l’être, lui qui mène une vie patho­lo­gique et méprise la physiologie.

Ce qui devait arri­ver est arri­vé. Le jour ou, entraî­né par son orgueil injus­ti­fié, il a vou­lu expo­ser des idées à lui, son manque de connais­sances lui a fait d’abord défor­mer celles qu’il avait enten­dues. Puis, vou­lant tout de même trou­ver à dire des choses per­son­nelles, dési­reux d’en impo­ser aux autres, trop veule et trop vani­teux pour apprendre modes­te­ment, il n’a pu logi­que­ment ensei­gner que 

[|L’INUTILITÉ DE SAVOIR|]

Comme, dans les milieux d’ignorants, la paresse est aisée et l’acquisition des connais­sances pénible, il s’est trou­vé des humains pour accueillir avec joie cette idée monstrueuse.

Et c’est ain­si que l’on parle de tout à tort et à tra­vers, que l’on cause de n’importe quoi, n’importe où et n’importe com­ment et que l’on arrive à éri­ger en doc­trine la haine de ceux qui savent. Hur­ler suf­fit. L’homme qui explique patiem­ment le trans­for­misme uni­ver­sel est gêneur. Point besoin de connais­sances pour chan­ger la socié­té. Que faut-il alors ?

Ces igno­rants sales, achar­nés à vou­loir être réfor­ma­teurs, ne pou­vant faire la seule besogne utile, à savoir énu­mé­rer les connais­sances phy­siques et en tirer cor­rec­te­ment les consé­quences, s’excitent les uns les autres en des décla­ma­tions vaines. Et, dans cette fan­tai­sie, en dépit de leurs pré­ten­dus prin­cipes, l’âpre recherche de l’argent les obsède dans la ter­rible concur­rence actuelle. Ils en tirent sur­tout des cama­rades, poires plus faciles et plus proches. Peut-être perd-on la notion exacte de la cama­ra­de­rie en vou­lant vivre de la pro­pa­gande ? Et cette notion une fois per­due, bien des com­pro­mis­sions louches s’expliquent.

Mais tout est incom­pris aux Cau­se­ries popu­laires. Les saines satis­fac­tions des sens sont rem­pla­cées par d’immondes et de révol­tantes pri­vau­tés. Ces gens ne sont anar­chistes en rien. L’ignorance des phé­no­mènes natu­rels leur fait rem­pla­cer l’assouvissement nor­mal des besoins par la culture de per­ver­sions dégradantes.

Et nous recon­nais­sons que tout ce qui pré­cède est logique et que nous n’avons rien à leur repro­cher. Ils sont les pro­duits des dévia­tions inhé­rentes à la socié­té moderne. Et cette consta­ta­tion ne nous décou­rage pas. Les der­niers évé­ne­ments nous comblent, au contraire, de joie, car ils seront le point de départ d’une sélec­tion intense.

Si nos rai­son­ne­ments sont cor­rects (et ils n’ont pas été réfu­tés) les vrais cama­rades nous com­pren­dront et, ce jour-là, L…, aban­don­né inévi­ta­ble­ment, sera exa­mi­né par eux et par nous comme cas patho­lo­gique. On le soi­gne­ra, si pos­sible. S’il était intel­li­gent, il recon­naî­trait immé­dia­te­ment ses torts. D’autres, D…, par exemple, qui paraît éner­gique et sain, mais qui agit en fana­tique d’idées fausses, dan­ge­reux pour lui-même et pour autrui, com­pren­dra peut-être un jour l’erreur dans laquelle il a été entraî­né et devien­dra camarade.

Et, si nous ne le gagnons pas, nous en gagne­rons d’autres. Autour de tout tra­vail, il faut que le déchet s’élimine. N’ayant confiance que dans la rai­son, nous sommes tran­quilles et nous répé­tons encore aujourd’hui :

[|L’a­ve­nir est à nous|]

[/​Paraf-Javal

Février 1908.

(À suivre)/]

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