Le dénigrement. — Les Causeries populaires après mon départ.
La fureur de L… devint incroyable. Du jour au lendemain, mon travail, préconisé comme le seul bon, fut déclaré détestable. L… se mit à me dénigrer ouvertement (on me le rapportait de tous côtés). Les plus grossiers mensonges furent débités en ce qui me concerne. Ceux qui parlaient en ma faveur furent molestés et écartés. On ne conserva que des fanatisés et, ne faisant plus aucun travail utile, on leur persuada petit à petit
[|L’estampage d’un camarade|]
Ce genre de travail présente moins de dangers que l’estampage d’un bourgeois, étant donné toutes les chances d’impunité possibles.
L’absurdité des soi-disant libres-penseurs.
Les lecteurs de L’Anarchie demandaient toujours mes ouvrages et L… ne pouvait leur offrir que l’Absurdité des soi-disant libres-penseurs, brochure éditée par lui, d’accord avec moi, sur laquelle il ne m’a jamais rien donné, ni en espèces, ni en exemplaires, et dont j’ai toujours payé les exemplaires que j’ai achetés par centaines.
L’absurdité de la politique.
Le camarade D… de « L’Éducation Libre », à la suite de souscriptions et d’accord avec moi, fit une « édition à distribuer » de cette brochure. L… se rendit à l’imprimerie de Puteaux où étaient les clichés et fit faire, à mon insu, se prétendant autorisé par moi, un tirage de 40.000 exemplaires qu’il annonça sournoisement dans son journal comme des « retrouvés ». Certes je n’aurais pas eu d’objection à ce tirage (beaucoup de mes ouvrages ont été reproduits et traduits par des camarades sans que rien m’ait été offert, sauf pour les éditions espagnoles), mais j’aurais désiré corriger le texte et, dans cette occasion, j’ai été choqué de la fourberie de L…
Erreur profitable.
Il fallait cependant des livres de Paraf-Javal pour les correspondants qui insistaient. On en acheta à plusieurs reprises de petites quantités. Un jour, il y eut une erreur de paiement à notre détriment et, notre camarade J. L… ayant réclamé par écrit, L… lui répondit que nous n’avions qu’à ne pas nous laisser estamper.
Soustraction.
Une autre fois, un individu des Causeries populaires, vint prendre 100 exemplaires de « Libre Examen » brocohés et les paya. Plusieurs jours après, un autre, H. M…, dit H. J…, les rapporta, demandant en échange l’édition « à distribuer » moins coûteuse. Notre camarade J. L… sortit son porte-monnaie pour payer la différence, puis eut la curiosité de compter les exemplaires rendus. Comme il en manquait 30, H. J…, 1 à qui la remarque en fut faite, se saisit du porte-monnaie et d’une paire de ciseaux et se sauva.
Discussion avec L…
Entre temps, mon attitude vis-à-vis de L’Anarchie avait encore aggravé les choses. Cette feuille m’a tellement répugné que j’y ai à peine collaboré et je ne cachais pas mon opinion qu’elle était, stupide et sans intérêt.
De plus, quand j’y ai écrit, je n’ai jamais pu obtenir que mon texte fut respecté et j’ai eu, à ce sujet, avec L… et ses amis, des altercations violentes et des batailles.
[|Tentatives d’assassinat de camarades|]
Comme pour l’estampage de camarades, ce genre de travail présente moins de dangers que les tentatives d’assassinats de bourgeois, étant donné toutes les chances d’impunité possibles et le plaisir que peut avoir l’autorité à assister à un pareil spectacle.
Réunion du 12 décembre.
Nous avions été prévenus depuis un certain temps que des tentatives seraient faites par les Causeries populaires pour s’emparer, à nos réunions, de la caisse et de brochures et nous résolûmes de ne pas tolérer à côté de nous leurs vendeurs, d’autant que leurs brochures sont, pour la plupart, absolument stupides.
Le 12 décembre, avant la réunion, derrière le public, ou fond de la salle pleine, je fis plier bagage à ces vendeurs, dont le principal, D…, garçon énergique, brute fanatisée, se jeta sur moi d’une façon si sauvage et si menaçante que, n’eut été la crainte de voir la salle se vider et le coup projeté exécuté, j’aurais largement fait le nécessaire.
Pourtant il me déplaît, dans la société actuelle, où la liberté n’est pas exagérée, de perdre encore ce peu de liberté et d’aller en prison. Pouvant être placé dans l’alternative d’être assommé ou de détruire les assommeurs, il me plut, après examen, de faire acte de sécurité. D… criait
Réunion du 7 février.
Avant la réunion du 7 février dernier, nous avons été prévenus qu’il y aurait contre nous un véritable guet-apens et qu’on tenterait d’assommer trois d’entre nous, B…, J. L… et moi. B… fut averti que, s’il essayait de me protéger on tuerait son bébé. Il dut le mettre en sécurité, ainsi que sa compagne. Nous prîmes des précautions très sérieuses. Mais il se passa un fait que nous n’avions pas prévu. Les indicateurs habituels, la police et les agents firent cause commune avec les Causeries populaires, qui avaient fait donner tout le monde. Ils étaient là, armés de bagues à pointes, de couteaux, de coups de poing américains et de revolvers. C’est sur moi qu’on se jeta d’abord. Je fus légèrement blessé à la tête d’un coup de poing américain, mais le camarade à la caisse reçut 14 blessures et fut transporté à l’hôpital Bichat. Nous avons son paletot sur lequel le sang a ruisselé et le certificat médical.
Quant à L…, il avait un alibi. Il était en province, sous prétexte d’un travail que nous nous contenterons de qualifier de maladroit et qui a été immédiatement suivi de la condamnation d’un camarade.
La police.
Chose intéressante à signaler, tout cela s’est passé sous la protection des agents et des indicateurs. Les noms et les adresses des principaux agresseurs sont connus et notés.
Nous avons tous remarqué, à la réunion du 7 février, que les indicateurs et policiers étaient au grand complet et des détails précis nous ont conduits à faire une enquête dont nous nous réservons, les camarades et moi, quand nous l’aurons complétée, de publier, s’il y a lieu, les résultats.
Elle réservera sûrement des surprises à la haute police dont se moque et que trompe la basse. La première y verra comment les subalternes se paient sa tête et quelle est leur étrange besogne et leurs compromissions et aussi comment un individu simplement signalé peut être à la merci d’êtres louches qui ont la possibilité de tout dire dans l’ombre et de forger des dossiers mensongers sans contrôle. Elle y verra surtout comment les seuls qui trouvent grâce devant la basse police sont ceux qui ne la traitent pas avec mépris, qui en acceptant la promiscuité dégradante et dangereuse pour les camarades et nous rapporterons des faits précis sur lesquels le lecteur conclura.
Je m’empresse de dire, en ce qui me concerne, que, les indicateurs et les policiers se contentaient de faire la besogne pour laquelle ils sont payés, ils ne me gêneraient nullement. J’ai même intérêt à ce que mes paroles soient notées et répétées le plus possible, à condition qu’elles le soient correctement. Ce qui me gêne, c’est de voir la basse police épouser les haines d’individus comme L… et combiner avec lui des guet-apens contre nous. À l’avenir nous profiterons de l’expérience acquise à ce sujet.
[|Résumé et conclusion|]
Notre travail consiste à faire comprendre à tous que les connaissances scientifiques suffisent pour l’établissement d’une organisation sociale raisonnable, qu’il y a lieu de rejeter et la politique et la révolution inconsciente, que, seule, une révolution consciente successive d’une évolution mentale, peut amener dans un avenir très proche ou plus éloigné, une société fraternelle, que les partisans de ces idées ont intérêt actuellement à se grouper et à les pratiquer. Cet ensemble d’idées a son point de départ dans l’explication patiente de la science (connaissance) en dehors de toute métaphysique.
Il importe de faire sortir les individus de leur ignorance et de leur saleté, de leur apprendre à raisonner et à contrôler leurs réflexes afin de devenir sains et intéressants pour eux-mêmes et pour autrui.
Dans le cours d’un pareil travail et sur notre chemin, un individu s’est trouvé, qui, d’abord, a paru un camarade mais qui, mégalomane, n’a pas compris qu’il n’a aucune qualité pour enseigner, lui qui ne sait rien et ne fait aucun effort pour savoir, qu’il n’a aucune qualité pour expliquer comment on peut être propre et sain, lui qui ne l’est pas et ne fait aucun effort pour l’être, lui qui mène une vie pathologique et méprise la physiologie.
Ce qui devait arriver est arrivé. Le jour ou, entraîné par son orgueil injustifié, il a voulu exposer des idées à lui, son manque de connaissances lui a fait d’abord déformer celles qu’il avait entendues. Puis, voulant tout de même trouver à dire des choses personnelles, désireux d’en imposer aux autres, trop veule et trop vaniteux pour apprendre modestement, il n’a pu logiquement enseigner que
[|L’INUTILITÉ DE SAVOIR|]
Comme, dans les milieux d’ignorants, la paresse est aisée et l’acquisition des connaissances pénible, il s’est trouvé des humains pour accueillir avec joie cette idée monstrueuse.
Et c’est ainsi que l’on parle de tout à tort et à travers, que l’on cause de n’importe quoi, n’importe où et n’importe comment et que l’on arrive à ériger en doctrine
Ces ignorants sales, acharnés à vouloir être réformateurs, ne pouvant faire la seule besogne utile, à savoir énumérer les connaissances physiques et en tirer correctement les conséquences, s’excitent les uns les autres en des déclamations vaines. Et, dans cette fantaisie, en dépit de leurs prétendus principes, l’âpre recherche de l’argent les obsède dans la terrible concurrence actuelle. Ils en tirent surtout des camarades, poires plus faciles et plus proches. Peut-être perd-on la notion exacte de la camaraderie en voulant vivre de la propagande ? Et cette notion une fois perdue, bien des compromissions louches s’expliquent.
Mais tout est incompris aux Causeries populaires. Les saines satisfactions des sens sont remplacées par d’immondes et de révoltantes privautés. Ces gens ne sont anarchistes en rien. L’ignorance des phénomènes naturels leur fait remplacer l’assouvissement normal des besoins par la culture de perversions dégradantes.
Et nous reconnaissons que tout ce qui précède est logique et que nous n’avons rien à leur reprocher. Ils sont les produits des déviations inhérentes à la société moderne. Et cette constatation ne nous décourage pas. Les derniers événements nous comblent, au contraire, de joie, car ils seront le point de départ d’une sélection intense.
Si nos raisonnements sont corrects (et ils n’ont pas été réfutés) les vrais camarades nous comprendront et, ce jour-là, L…, abandonné inévitablement, sera examiné par eux et par nous comme cas pathologique. On le soignera, si possible. S’il était intelligent, il reconnaîtrait immédiatement ses torts. D’autres, D…, par exemple, qui paraît énergique et sain, mais qui agit en fanatique d’idées fausses, dangereux pour lui-même et pour autrui, comprendra peut-être un jour l’erreur dans laquelle il a été entraîné et deviendra camarade.
Et, si nous ne le gagnons pas, nous en gagnerons d’autres. Autour de tout travail, il faut que le déchet s’élimine. N’ayant confiance que dans la raison, nous sommes tranquilles et nous répétons encore aujourd’hui :
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Février 1908.
(À suivre)/]