La Presse Anarchiste

Les affaires de Hongrie

Extrait d’un article de M. Auguste Gau­vain, paru dans les Débats du 7 février : :

Le scan­dale de la fal­si­fi­ca­tion des billets – de la Banque de France ne montre qu’un des aspects de la situa­tion géné­rale en Hon­grie. Plus on avance dans l’instruction de cette répu­gnante affaire, plus on constate les com­pli­ci­tés gou­ver­ne­men­tales. La décou­verte, avant-hier soir, à l’Institut car­to­gra­phique, par des ins­pec­teurs fran­çais, de la machine à fabri­quer les faux billets, apporte une nou­velle preuve des efforts des auto­ri­tés locales pour détour­ner les recherches sur de fausses pistes. Il a fal­lu l’insistance de notre ministre à Pest pour obli­ger le comte Beth­len à lais­ser se pour­suivre les inves­ti­ga­tions sérieuses d’agents hon­nêtes. Depuis un mois, c’est mor­ceau par mor­ceau que nous devons arra­cher la vérité.

En fai­sant arrê­ter le prince Win­dis­graetz, le comte Beth­len avait espé­ré don­ner une preuve écla­tante de sa loyau­té et concen­trer l’attention publique sur ce per­son­nage rocam­bo­lesque. Au dire de son entou­rage, il se flat­tait même de sor­tir « gran­di » de cette aven­ture. En effet, il réus­sit à duper quelques diplo­mates et quelques Anglais ayant en Hon­grie des inté­rêts par­ti­cu­liers. Il se fit pro­cla­mer par eux héros poli­tique, défen­seur de l’ordre, rem­part de la civi­li­sa­tion contre le bol­che­visme. Mais il appa­raît de plus en plus qu’il était au cou­rant, sinon de tout, du moins de l’essentiel. Sa lettre du 27 novembre 1925 au baron Per­enyi, dont on pos­sède aujourd’hui le texte authen­tique, prouve qu’il était aver­ti dès ce moment de l’émission des faux billets par l’Association natio­nale. Au lieu de faire arrê­ter les cou­pables, il les fit prier « de ne pas s’engager dans une affaire de ce genre », et il char­gea son secré­taire d’État, le baron Pro­nay, de pré­ve­nir le pré­fet de police Nados­sy, co-auteur du crime. Les faus­saires apprirent ain­si que le comte Beth­len connais­sait leurs opé­ra­tions, et, comme ils ne se croyaient pas inquié­tés, ils conti­nuèrent tran­quille­ment ces opé­ra­tions avec la col­la­bo­ra­tion du pré­fet de police, des direc­teurs de l’Institut car­to­gra­phique et de Gom­boès, le chef des racistes. Le colo­nel Jan­ko­vitch par­tit pour la Hol­lande seule­ment le 10 jan­vier, avec un pas­se­port de cour­rier diplo­ma­tique, et des valises pleines de faux billets revê­tues de sceaux du minis­tère des affaires étran­gères. Si l’on exa­mine d’un peu près les agis­se­ments simul­ta­nés de cer­taines per­sonnes de l’entourage le plus proche du comte Beth­len et du régent Hor­thy, si l’on rap­proche ces faits de cer­taines indi­ca­tions du jour­nal de Jan­ko­vitch sai­si à La Haye, on ne peut dou­ter soit de la com­pli­ci­té de très hauts per­son­nages, soit de leur volon­té d’étouffer l’affaire. Aus­si s’étonne-t-on qu’un jour­nal comme le Times croie devoir, en de pareilles cir­cons­tances, incri­mi­ner la France et la Petite Entente, cou­pables à ses yeux de vou­loir pri­ver la Hon­grie et l’Europe d’un homme d’État providentiel.

Le Times est mal infor­mé et mal ins­pi­ré. Le régime Beth­len consti­tue non pas une garan­tie du repos de l’Europe, mais un dan­ger pour la paix du monde. Il est l’œuvre des offi­ciers de l’ancien état-major impé­rial et royal qui ont acca­pa­ré non seule­ment les postes mili­taires, mais de nom­breuses fonc­tions admi­nis­tra­tives. Ces offi­ciers, en rap­ports avec des cama­rades alle­mands et des élé­ments troubles d’Autriche, méditent et pré­parent le retour des anciennes dynas­ties et le réta­blis­se­ment du mili­ta­risme. Ils ont orga­ni­sé des asso­cia­tions mili­taires pour­vues de tous les organes propres à faci­li­ter une prompte mobi­li­sa­tion. Avec le concours de hobe­reaux ambi­tieux et d’hommes à tout faire, ils tiennent de pays sous une domi­na­tion tyran­nique. Une loi votée subrep­ti­ce­ment en 1921 per­met aux ministres de punir de l’emprisonnement, de la confis­ca­tion des biens, et même de la peine de mort les atteintes « à l’estime due à la nation ». L’estime due à la nation, c’est l’estime due au régent Hor­thy, au comte Beth­len, aux direc­teurs de l’Institut car­to­gra­phique, au pré­fet de police Nados­sy, à Mgr Zadra­vetz, au colo­nel Jan­ko­vitch et, aux anciens offi­ciers du ser­vice des ren­sei­gne­ments dont de comte Beth­len fut pen­dant la guerre le cama­rade ou le subor­don­né. Un homme qui tient dans un res­tau­rant ou dans un café un lan­gage répu­bli­cain est expo­sé à être arrê­té et cof­fré par les agents de police de la Répu­blique royale de Hongrie.

Un pareil régime ne se main­tient que par la force. Afin d’en assu­rer la durée, le comte Beth­len a fait élire au scru­tin public, sous la sur­veillance des anciens offi­ciers de l’état-major, une Chambre asservie…

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