La Presse Anarchiste

Sur la vertu des agents immobiliers

La cham­bre syn­di­cale des agents immo­biliers de Paris et de l’Île-de-France a adressé à tous les élus de la région parisi­enne une let­tre ouverte où elle « dénonce » les scan­dales immo­biliers. Il y est dit en particulier :

« Il y a un scan­dale dans un cas : lorsqu’il y a spécu­la­tion. Com­ment peut-il y avoir spécu­la­tion ? Unique­ment sur un marché dif­fi­cile, lorsque manque la matière pre­mière qui dans l’immobilier se trou­ve être le loge­ment… Il y a certes nom­bre de loge­ments neufs inoc­cupés, mais de quelle util­ité sont-ils à des can­di­dats au loge­ment qui n’ont pas l’argent néces­saire pour les acquérir et qui, du fait des restric­tions d’un crédit par ailleurs très cher, n’ont même pas la ressource d’emprunter (…). Il ne peut qu’être dit et répété que toute poli­tique cohérente et effi­cace du loge­ment passe par le crédit.

On se trou­ve ain­si blo­qué dans un cer­cle sans fin : pas de loge­ments pour ceux qui en ont besoin, pas d’argent pour les acquérir, pas de pos­si­bil­ité d’emprunt et… spécu­la­tion de cer­tains (…) naturelle­ment généra­trice de scan­dales. Pour (les) faire cess­er, il faudrait qu’une véri­ta­ble poli­tique cohérente et ordon­née soit une bonne fois pour toutes définie en matière d’habitat (…). Il con­viendrait de desser­rer de nom­breux freins admin­is­trat­ifs et économiques. » ?

Ce texte pour­rait se pass­er de com­men­taires. Il se résume à cela : la quan­tité extra­or­di­naire de loge­ments neufs inoc­cupés ne sont pas des­tinés à ceux qui n’ont pas les moyens de se les offrir. Tra­vailleurs, fer­mez donc vos gueules !

Si nos vertueux agents immo­biliers sem­blent toute­fois se préoc­cu­per des « can­di­dats au loge­ment qui n’ont pas l’argent néces­saire pour les acquérir », et récla­ment une poli­tique de crédit qui per­me­t­trait aux sans loge­ments d’en acquérir, ce n’est bien enten­du pas dans l’intérêt de ces derniers : si les « freins admin­is­trat­ifs et économiques » à une « bonne » poli­tique du crédit étaient sup­primés, nos agents immo­biliers vendraient ou loueraient plus… Les auteurs de la let­tre ouverte citée ci-dessus ne font par con­séquent que spéculer à leur tour sur cette poli­tique de crédit.

Pour nous tra­vailleurs, le scan­dale, ce n’est pas la spécu­la­tion, c’est le cap­i­tal­isme. Le scan­dale, c’est les cham­bres de bonne avec eau sur le palier louées 250 ou 300 F, c’est les stu­dios loués 700 F, c’est les prof­its exor­bi­tants que se font les pro­prié­taires des cages à lap­ins où dor­ment les tra­vailleurs, après que ces derniers ont tra­vail­lé huit ou neuf heures pour le plus grand prof­it d’autres pro­prié­taires (ou par­fois les mêmes) : ceux des usines.

Que les agents immo­biliers puis­sent eux aus­si se syn­di­quer, ça me rend malade. On fout le syn­di­cal­isme à vrai­ment toutes les sauces.

Mais il y a mieux.

Le 23 sep­tem­bre, doit pass­er à la pre­mière Cham­bre du tri­bunal civ­il de Paris une affaire qui devra scan­dalis­er les vertueux mem­bres de la cham­bre « syn­di­cale » déjà nommée.

Une femme avait acheté, en 1970, 58.000 F un deux-pièces cui­sine dans le 14e arrondissement.

La société qui avait fait la vente avait elle-même acheté le deux pièces quelques mois plus tôt pour… 14.000 F : sub­stantiel bénéfice.

L’ennui, c’est que l’immeuble fig­ure sur un plan de réno­va­tion du quarti­er. Deux doc­u­ments (dont un cer­ti­fi­cat d’urbanisme daté de 1969) pro­duits par le vendeur, une société du Faubourg-Pois­son­nière, affir­maient que l’immeuble n’allait pas être détruit.

Or, la nou­velle pro­prié­taire eut vent que l’immeuble allait prob­a­ble­ment être démoli avant 1975… Les bureaux d’urbanisme de la ville de Paris con­fir­mèrent le soupçon.

Légale­ment, le vendeur doit pro­duire un cer­ti­fi­cat d’urbanisme datant de moins de six mois. Au moment de la vente, ça fai­sait six mois et cinq jours…

Le notaire ayant demandé, après la vente, un cer­ti­fi­cat plus récent, le trou­ble de l’affaire apparut plus claire­ment encore quand ce cer­ti­fi­cat, qui indi­quait bien que l’immeuble était men­acé, présen­tait une date curieuse­ment sur­chargée… Comme si on avait voulu le rajeunir.

Encore une affaire qui va sans doute faire pleur­er d’indignation les vertueux auteurs de la let­tre ouverte, offusqués devant des méth­odes qui déshon­orent la belle pro­fes­sion d’agent immobilier.

Entre le cap­i­tal­isme sauvage, qui se fout ouverte­ment de la gueule du tra­vailleur, et le cap­i­tal­isme dit « libéral », qui veut l’exploiter en douceur, il n’y a qu’une ques­tion de degré. La solu­tion n’est pas dans le replâ­trage du sys­tème. Une rus­tine ne répare pas une cham­bre à air pourrie. 


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