Mais dites-moi, qui n’a pas modernisé en temps utile ? On a eu le temps en un siècle.
Larbins du capital, je vais vous le dire : je suis de la vallée de la Moselle, avec un grand-père fondeur, douze heures par jour, qui n’a connu ni dimanche ni jour de fête parce que les hauts fourneaux ça ne doit pas s’éteindre. Quand il est mort, on l’a enterré dans une boîte en sapin, 52 ans aux forges. Mon père, lui, 54 ans à ces mêmes forges, mouleur, médaille du travail, tout heureux quand ces De Wendel la lui avaient offerte ainsi qu’aux autres médaillés de plus de cinquante années de servitude. On lui a versé 100 F par mois pendant quatre ans, c’est-à-dire jusqu’à sa mort ; lui, il a eu une boîte en chêne. Et votre serviteur, à 14 ans à la forge, en 1934, « la bonne période », 5,20 F par jour en commençant la journée à 4 h du matin. Il a fallu 1936 pour que je gagne 18 F.
Vous n’avez pas connu le ghetto des cités ouvrières qui se confondent avec les bâtiments d’usine, vous n’avez pas connu les poches de 10 tonnes de fonte en fusion tombant sur le dos des travailleurs de la halle. J’ai vu avant-guerre des coulées d’une centaine de kilos refroidies contre un mur avec une marque rouge dessus : c’étaient des chargeurs aux hauts fourneaux qui pris par l’oxyde de carbone étaient tombés dans le « gueulard ». J’ai vu aussi les immigrés polonais que l’on parquait dans le camp d’Ecrouves avant de les répartir dans les usines de la vallée. De ce camp, on a maintenant fait un pénitencier…
Tout était à De Wendel, même l’église disait-on ; en tout cas, il fallait y être vu pour conserver le droit d’être exploité. C’est quatre, voire cinq générations qui ont été pressurées, brisées et volées avec la complicité de tous les gouvernants qui se sont succédé depuis un siècle.
Qu’en dites-vous, M. le ministre Schumann, qui, à la radio de Londres, donniez si fort de la voix pour promettre le châtiment aux De Wendel, Cavalier et consorts, qui s’en donnaient à cœur joie avec les nazis ? Maintenant votre collègue, ministre du Travail, tente d’expliquer sur les ondes que tout le monde sera reclassé, qu’il n’y a rien à craindre, etc., volant ainsi au secours des maîtres de forges qui ont peur que la pilule passe mal.
Eux et leurs actionnaires, en ont-ils réalisé des bénéfices et des profits avec leurs vieilles installations à faire crever à la peine les travailleurs depuis un siècle. Et maintenant il faudrait que ce soient les travailleurs qui paient la note de leur âpreté au gain !
Mais moi, je sais que ces générations d’exploités ont engendré des révoltés, qu’on ne pourra pas duper aussi facilement que leurs pères, même avec des médailles d’or.
Cette crise économique qui s’annonce dans ce secteur, comme dans celui de l’automobile, du textile et d’ailleurs, c’est la crise du capitalisme. Vous avez beau tenter d’y aller en douceur, il vous faudra partir à votre tour.
[/Roger