La Presse Anarchiste

Un livre à lire : Bakounine par Brupbacher

Les Édi­tions du Cercle et de la Tête de Feuille viennent de réédi­ter une étude de Fritz Brup­ba­cher sur la vie de Bakou­nine. Cet ouvrage est inté­res­sant à plus d’un titre. En effet, outre l’expose des concep­tions de Bakou­nine fait par Brup­ba­cher, l’éditeur a inclus des notes et com­men­taires de notre cama­rade Bar­rué. C’est un livre-débat, et là confron­ta­tion des deux auteurs éclaire d’un jour nou­veau les théo­ries sociales et révo­lu­tion­naires de Bakounine.

Écrite en 1929 – Brup­ba­cher était encore membre de l’Internationale Com­mu­niste qu’il devait quit­ter en 1932 –, l’étude révèle l’ambiguïté pro­fonde de l’opinion de Brup­ba­cher, qui se défi­nis­sait lui-même comme social-démo­crate et anar­chiste ; ce qu’il admire et sou­ligne, c’est avant tout la volon­té révo­lu­tion­naire de Bakou­nine. Son choix ration­nel le porte plu­tôt vers le mar­xisme, et sur­tout le mar­xisme-léni­nisme. Et c’est sur ce point pré­cis que porte la cri­tique de Bar­rué. Celui-ci remet clai­re­ment les choses en place. Bakou­nine est « un syn­di­ca­liste révo­lu­tion­naire » (page 96). Pour lui, la révo­lu­tion sociale néces­saire jailli­ra des orga­ni­sa­tions de classe – à base éco­no­mique, syn­di­cale dirions-nous aujourd’hui – dans les­quelles les tra­vailleurs déve­loppent, voire acquièrent, la conscience de classe puis la volon­té révo­lu­tion­naire, la seconde nais­sant de la pre­mière : « … Une fois cette soli­da­ri­té éco­no­mique sérieu­se­ment accep­tée et bien éta­blie, elle pro­duit tout le reste – tous les prin­cipes les plus sublimes et les plus sub­ver­sifs de l’Internationale, les plus des­truc­tifs de la reli­gion, du droit juri­dique et de l’État, de l’autorité tant divine qu’humaine, les plus révo­lu­tion­naires en un mot, au point de vue socia­liste, n’étant rien que les déve­lop­pe­ments natu­rels, néces­saires, de cette soli­da­ri­té éco­no­mique » (Pro­tes­ta­tions de l’Alliance, cité page 112).

Brup­ba­cher évite d’ailleurs le débat ; nulle part, il ne com­pare ce qui fait la démarche mili­tante essen­tielle du syn­di­ca­lisme révo­lu­tion­naire et de l’anarcho-syndicalisme – la volon­té révo­lu­tion­naire des tra­vailleurs jaillis­sant de la lutte quo­ti­dienne contre le capi­ta­lisme et l’État, ou ne nais­sant pas, par un chan­ge­ment de la quan­ti­té en qua­li­té – à la théo­rie fon­da­men­tale du léni­nisme qui consi­dère que la conscience révo­lu­tion­naire doit être impor­tée de l’extérieur du pro­lé­ta­riat et de ses luttes par des intel­lec­tuels déten­teurs de la science.

Sur le sujet très impor­tant de l’organisation, Brup­ba­cher se range du côté du cen­tra­lisme. Cette forme orga­ni­sa­tion­nelle séduit son esprit sys­té­ma­tique, et il ignore les ensei­gne­ments de l’histoire, à savoir que les Inter­na­tio­nales ouvrières n’ont été viables que sous une forme fédé­ra­tive ; aus­si­tôt qu’une ten­ta­tive de cen­tra­lisme fut ten­tée – avec ses excès et ses déci­sions igno­rant les condi­tions par­ti­cu­lières de chaque contrée du monde –, l’Internationale écla­ta, ce qui est même vrai pour la fan­to­ma­tique IVe Inter­na­tio­nale trots­kyste, cou­pée en au moins trois tron­çons. Au contraire, les formes d’organisations fédé­ra­tives de Bakou­nine qui main­tiennent la sou­plesse néces­saire des sec­tions natio­nales et la coor­di­na­tion au niveau mon­dial sont la syn­thèse entre effi­ca­ci­té et démocratie.

Disons à la décharge de Brup­ba­cher qu’il pou­vait encore croire en 1929 avec beau­coup de bonne volon­té – à la réus­site révo­lu­tion­naire de la IIIe Internationale.

On voit que la confron­ta­tion Brup­ba­cher-Bar­rué sur la vie de Bakou­nine cerne ce qui est tou­jours le débat théo­rique et pra­tique du mou­ve­ment révo­lu­tion­naire. En ces temps de renou­veau du mou­ve­ment révo­lu­tion­naire, tous les cama­rades, et sur­tout les jeunes mili­tants, liront avec pro­fit cet ouvrage.

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