La Presse Anarchiste

Ce que l’on peut faire

« Les anar­chistes, ne savent que cri­ti­quer. Ils sont inca­pables de rien faire de pra­tique » ! dis­aient d’eux quelques indi­vidus fatigués, arrivés au stade où l’on éprou­ve le besoin de « révis­er » ses idées.

Avoir su for­muler les cri­tiques que l’on peut faire con­tre l’état actuel, à voir su rassem­bler en un for­mi­da­ble réquisi­toire tous les torts de l’autorité, les méfaits de l’exploitation cap­i­tal­iste et de l’individualisme bour­geois, n’auraient-ils su faire que cela, le tra­vail des anar­chistes serait énorme, et jus­ti­fierait leur existence.

Sans doute, cette cri­tique avait été faite avant eux. La plainte suit le mal. Le mérite des anar­chistes fut d’avoir su remon­ter au mal, d’avoir démon­tré l’inanité des replâ­trages et des faux remèdes.

Ceci dit, il faut bien recon­naître que le reproche était en par­tie fondé. Mais ce n’était pas la faute ni des anar­chistes, ni des idées anar­chistes. La réal­ité est qu’ils furent tou­jours en trop petit nom­bre pour réalis­er quelque entre­prise durable. Le mir­a­cle est que, si peu nombreux·qu’ils étaient, ils aient pu influ­encer le mou­ve­ment d’idées de leur époque de la façon intense qu’ils y ont réussi.

C’était plutôt la faute des con­di­tions dans lesquelles s’était dévelop­pé le mou­ve­ment lui-même plutôt que celle des anar­chistes, mais faute c’était, et cela explique leur désar­roi devant la cat­a­stro­phe d’Août 1914.

Et aujourd’hui, plus divisés, plus désem­parés que jamais, n’étant même plus la pous­sière d’aspirations qu’ils étaient avant la crise, il sem­blerait que leur inca­pac­ité « à faire quelque chose » soit plus grande que jamais.

Et c’est ain­si qu’ont raison­né beau­coup d’entre nous, les uns pour se retir­er dans leur tour d’ivoire, les autres pour pass­er, armes et bagages, dans les par­tis d’à‑côté.

Si nous avions raison­né comme cela, la douzaine de cama­rades que nous étions, lorsque « demi-quar­teron » nous n’aurions jamais com­mencé la lutte.

Il y a tou­jours à faire lorsqu’on veut faire. Si les évène­ments nous ont démon­tré que, pour quelques-uns d’entre eux, nous n’avions pas tou­jours su les envis­ager dans leur com­plex­ité, ils n’ont pas moins démon­tré que l’ensemble de nos idées était juste, que nous avions rai­son dans toutes nos critiques.

Or, si nos idées sont justes, notre action est toute indiquée : pren­dre, la pro­pa­gande au point où les évène­ments de 1914 nous for­cèrent à la laiss­er. En nous inspi­rant, bien enten­du, de la leçon des évène­ments pour ne pas retomber dans les fautes commises.

La vague de j’menfoutisme et d’individualisme qui nous sub­merge en ce moment ne dur­era pas. Nous payons les cinq années de souf­frances et de ten­sion intense que nous avons vécues. L’effort passé, la bête humaine reprend ses droits. Elle se rue à la jouis­sance, au rigodon après la peine. Cela s’est vu à toutes les péri­odes où l’individu se sur­me­nait. Cela passera, comme ça a passé aux autres épo­ques. Il fau­dra bien que la vie nor­male reprenne son cours. Ce sera alors notre moment de parler.

Ce que nous pou­vons faire pour le moment, c’est de repren­dre notre rôle de cri­tiques, de dénon­cer les tripotages, de démon­tr­er que c’est pour enrichir quelques mil­liers de trafi­quants qu’on nous vend les pro­duits au poids de l’or ; que c’est pour servir les intérêts de quelques financiers véreux ou autres que l’on con­tin­ue la guerre dans des entre­pris­es loin­taines, alors qu’il était bien con­venu que l’effort demandé con­tre l’Allemagne mil­i­tariste était pour empêch­er le retour de toute guerre.

Bon dieu ! la besogne ne manque pas, puisque tous les abus aux­quels nous avons fait la guerre exis­tent plus que jamais.

Nous avons eu le tort de rester dis­séminés, sans rap­ports les uns avec les autres. Com­mençons donc à nous grouper, dans chaque local­ité et ses envi­rons ; ensuite cher­chons à cor­re­spon­dre avec d’autres groupes, jusqu’à ce que nous ayons trou­vé un mode de fédéra­tion où serait respec­tée l’autonomie des groupes et des individus.

Mais, ce que je veux démon­tr­er aujourd’hui c’est que, si dimin­ués que nous soyons, nous pou­vons encore faire de la pro­pa­gande, et de la pro­pa­gande qui porte.

Par exem­ple, avant tout, il faut avoir l’opinion publique avec soi. C’est à elle qu’il faut s’adresser, au lieu de rester en de petites par­lottes, entre soi.

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Seule­ment, voilà ! l’opinion publique, tout le monde s’en réclame, chaque par­ti poli­tique pré­tend être son cham­pi­on, son porte-parole ; mais, en réal­ité, cha­cun s’en fout ; ne voy­ant que son pro­pre objectif.

Cha­cun a son pro­gramme com­plet qu’il veut réalis­er le plus vite pos­si­ble ; que cha­cun, y com­pris l’opinion publique, doit avaler dans son entier.

En temps ordi­naire, sous forme, de con­sul­ta­tion élec­torale, le Pou­voir en exer­ci­ce con­sulte l’opinion publique tous les qua­tre ou six ans – selon qu’il plaît aux « man­dataires du peu­ple » de ral­longer ou de rac­cour­cir la durée de leur mandat.

Mais, là encore, les con­sultés n’ont à choisir qu’entre tel ou tel pro­gramme. Chaque pro­gramme con­tenant « toutes » les réformes que l’électeur est cen­sé vouloir. Ce n’est pas entre les réformes qu’il a à choisir, mais entre des pro­grammes com­plets, sélec­tion­nés pour lui, et où les intérêts de par­tis sont davan­tage con­sultés que la réalité.

Quelques fois, la majorité passe des con­ser­va­teurs à la gauche mod­érée, ou des mod­érés aux rad­i­caux : quelques fois, c’est le-con­traire. Il se fait alors quelques change­ments dans le per­son­nel de cer­tains fonc­tion­naires. On serre, on desserre la vis à répres­sion. À part cela, rien n’est changé dans la vie sociale qui con­tin­ue son petit bon­homme de chemin, avec son cortège de mis­ères et d’injustices. Les par­tis se passent la main de temps à autres, quittes, lorsqu’ils sont passés dans l’opposition, à cri­ti­quer ce qu’ils fai­saient lorsqu’Ils étaient au pou­voir, ou, lorsqu’ils tien­nent la trique à gou­vern­er, à faire ce qu’ils cri­ti­quaient lorsqu’ils fai­saient de l’opposition.

Pen­dant ce temps, les coter­ies et coali­tions d’intérêts privés agis­sent et font leurs pro­pres affaires sous le cou­vert de celles du pays.

L’opinion publique, elle, n’a plus qu’à se taire. N’a‑t-elle pas don­né pleins pou­voirs à ses man­dataires d’agir en son nom !

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Dans une société bien organ­isée, la poli­tique ne devrait pas exis­ter – c’est mon opin­ion. – Il ne devrait y avoir entre les indi­vidus que des rap­ports économiques de pro­duc­tion et d’échanges, pour les besoins de la vie.

Mal­heureuse­ment, nous n’en sommes pas encore à cet état idéal. Il existe une organ­i­sa­tion poli­tique qui s’est emparé du con­trôle de l’activité des indi­vidus. N’ayant pas encore appris à nous en pass­er, force nous est de compter avec elle, Jusqu’au jour où, devenus plus raisonnables, les intéressés la flan­queront par dessus bord.

C’est d’autant plus bête, que cette lutte par­mi les électeurs va se con­tin­uer au Par­lement entre élus, pour aboutir, en fin de compte, à des com­pro­mis qui ne sat­is­font per­son­ne, en des lois que tri­pa­touillera la jurisprudence.

Voilà des siè­cles que l’on pié­tine sur place, piétine­ments coupés, de temps à autres, par des soubre­sauts – ou révo­lu­tions – qui, pour nous sec­ouer plus vio­lem­ment, ne nous font guère avancer, ne lais­sant, der­rière elles, que des change­ments de surface.

Il serait grand temps de chang­er de méthode.

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Cer­tains anar­chistes, – nés malins – vien­nent nous dire : « si nous voulons être capa­bles de faire quelque chose, il nous faut faire abstrac­tion de nos vues per­son­nelles, et nous ral­li­er à un pro­gramme qui per­me­tte l’entente d’une majorité ! »

C’est, à peu de choses près, le raison­nement que se sont tenus ceux des nôtres qui sont passés au social­isme, sous le pré­texte que là, il y avait le nom­bre per­me­t­tant de faire quelque chose.

Ce qui, du reste, est une erreur de leur part puisque, dans le pays, les social­istes ne sont qu’une minorité, et que, tout comme de vul­gaires anar­chistes, tout leur tra­vail au Par­lement se résume à y faire quoi ? – de la critique.

Pourquoi s’arrêter au social­isme ? pourquoi ne pas pouss­er le raison­nement jusque dans les con­clu­sions logiques, pourquoi ne pas s’allier aux rad­i­caux ? Là, et là seule­ment, on y trou­verait de quoi faire une majorité. Il n’y aurait qu’un petit défaut. Oh un tout petit. C’est que, tant que le nou­veau par­ti en resterait à la théorie, s’occupant surtout de se recruter, ça irait par­faite­ment. Il n’y aurait que le jour où on voudrait faire quelque chose que ressor­ti­raient les dif­férences, paralysant toute action, dis­lo­quant tout le tra­vail de concentration.

Vouloir con­cili­er des majorités sur des pro­grammes uniques d’action est une chimère. L’expérience devrait nous l’avoir démon­tré depuis longtemps. Les majorités ne se con­stituent que sur des pro­grammes assez anodins pour n’effaroucher personne.

Ce qui a fait que les idées anar­chistes ont pu, si rapi­de­ment pren­dre la place qu’elles ont prise dans l’évolution des idées, c’est que leur cri­tique de l’état social était juste. On peut bien les repouss­er dans leur ensem­ble parce que leur réal­i­sa­tion entraîn­erait un cham­barde­ment de tout le sys­tème social, mais lorsque l’on prend chaque cri­tique à part, on est bien for­cé de recon­naître sa justesse et d’admettre que, après tout il devrait être fait quelque chose pour chang­er ce point recon­nu défectueux.

Cela ne nous indique-t-il pas ce qu’il serait pos­si­ble de faire ?

Au lieu de nous épuis­er en efforts vains à grouper une minorité impuis­sante, parce que minorité, pourquoi ne pas atta­quer la société en détail, en essayant de grouper sur un seul et unique point tous ceux qui sont d’accord que ce point doit être changé sans s’occuper de ce qu’ils peu­vent penser sur les autres points.

Et il peut en être ain­si sur chaque change­ment désiré. De façon que, quoique attaquée en détail, la société se trou­verait sapée dans son ensem­ble. Il n’est pas néces­saire que cette attaque d’ensemble soit menée sous le con­trôle d’un par­ti. Pourvu qu’elle se fasse c’est l’essentiel.

Que cha­cun agisse selon ses préférences, que cha­cun choi­sisse le point d’attaque qu’il a le plus à cœur de voir s’exercer les efforts, et l’on ver­ra que c’est la façon la plus rationnelle de faire quelque chose.

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Il est des cas où les groupe­ments pour­raient se pass­er du con­cours ou de la per­mis­sion des autorités pour réalis­er la réforme projetée.

Par exem­ple, le pub­lic est exploité par des com­merçants sans scrupules qui lui font pay­er les choses néces­saires de la vie beau­coup plus chère qu’elles ne valent commercialement.

Si le pub­lic voulait, en s’organisant en ligue de con­som­ma­teurs, il pour­rait élim­in­er nom­bre d’intermédiaires dont le seul pré­texte à leur inter­férence est de pou­voir prélever un béné­fice quel­conque comme prix de leurs bons offices, et ensuite, par une série de boy­cottages soigneuse­ment choi­sis forcer les autres à se con­tenter de béné­fices raisonnables.

À l’heure présente, par exem­ple, est-ce que le pub­lic, s’il n’était pas si pas­sif, ne pour­rait pas met­tre un frein à l’exploitation forcenée dont il est la victime ?

Il y a bien eu un petit sur­saut de révolte. Dans quelques local­ités la pop­u­la­tion a ten­té de con­trôler les prix, mais cela s’est apaisé plus vite que ça n’avait com­mencé, faute de con­vic­tion, faute d’organisation, faute d’esprit de suite.

Une des caus­es de la vie chère, c’est le pro­tec­tion­nisme qui facilite les com­bi­naisons des prof­i­teurs. Ce sont les restric­tions d’importations, les droits de douane. Ici, on ne peut se pass­er du con­cours du Par­lement. Mais comme il serait facile de le « con­va­in­cre », s’il trou­vait devant lui une véri­ta­ble opin­ion publique résolue à se faire enten­dre coûte que coûte.

Si, avec le con­cours du fisc, quelques mil­liers de spécu­la­teurs arrivent à empocher annuelle­ment des mil­lions par cen­taines, c’est que, moins bêtes que le pub­lic, ils ne vont pas dis­cuter leurs petites affaires dans les réu­nions élec­torales. Ils ont su se grouper et se faire craindre.

Il existe bien une « Ligue du Libre Échange » qui pub­lie des travaux remar­quables mais à laque­lle il faudrait plus de vie et de force, si on veut qu’elle joue le rôle qu’elle devrait remplir.

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Pour jouer le rôle que j’entrevois, ces asso­ci­a­tions devront grouper un nom­bre con­sid­érable d’adhérents. On pour­rait y réus­sir en dépen­sant moitié moins de peines qu’on en dépense à abru­tir le pub­lic dans les dis­cus­sions élec­torales qui ne ser­vent qu’à l’égarer davan­tage, ou à vouloir l’embrigader dans les sectes poli­tiques qui, au fond, ne cherchent qu’une chose : « Ôte-toi de là que je m’y mette ».

Il m’est arrivé sou­vent de citer le « Tour­ing-Club » comme exem­ple de ce que peut faire la force d’association. Avec une coti­sa­tion min­ime de cinq francs par an, il fait des mer­veilles ne faisant ou dis­ant des bêtis­es que lorsqu’il se mêle de politique.

Il répare des routes, en fait con­stru­ire de nou­velles, entre­prend des travaux pour amé­nag­er ou pro­téger des points de vue. Il a enseigné, et appris dans une cer­taine mesure, aux hôte­liers à apporter dans leur instal­la­tion un peu plus de con­fort et de pro­preté, quoique l’hygiène laisse encore fort à désir­er dans une foule de local­ités. Mais on ne brise pas tout d’un coup la rou­tine et l’obstination.

Ce que le « Tour­ing-Club » a fait dans sa sphère d’action peut se faire dans d’autres direc­tions, par des groupe­ments com­posés d’hommes ani­més du même esprit de méth­ode, réso­lus à ne s’arrêter que lorsqu’ils auront accom­pli ce qu’ils sont réso­lus de faire aboutir.

Mais, pour aboutir à quelque chose, il fau­dra, bien enten­du, que ces asso­ci­a­tions soient actives, sachent agir elles-mêmes lorsque c’est néces­saire, et qu’au besoin elles soient combatives.

Faire des con­férences, pub­li­er tracts et brochures, c’est un tra­vail utile de pro­pa­gande qui ne doit pas être nég­ligé. Mais à cela ne doit pas se borner l’effort de l’association. Il faut que l’agitation soit con­tin­ue, sans trêve ni répit, sous toutes les formes, de tous les instants, prof­i­tant de la moin­dre occa­sion prop­ice pour faire enten­dre ses reven­di­ca­tions, lorsqu’il s’agit de forcer les pou­voirs à agir lorsque les change­ments ne peu­vent se faire sans leur agré­ment mais sans per­dre de vue qu’il faut d’abord faire soi-même tout ce qu’il est pos­si­ble de faire.

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On nous avait juré que l’on ne se bat­tait que pour que les peu­ples puis­sent libre­ment dis­pos­er d’eux-mêmes, et on a trafiqué, et on con­tin­ue de trafi­quer de provinces et régions, et de leurs habi­tants ; comme si c’était du bétail, sans les con­sul­ter, et con­tre tous leurs vœux.

On nous avait promis la fin des mil­i­tarismes, et, par peur de la révo­lu­tion sociale, on a favorisé l’élément réac­tion­naire en Alle­magne. Pour lui per­me­t­tre d’écraser le social­isme, on s’est gardé de désarmer com­plète­ment. On a lais­sé le mil­i­tarisme alle­mand se réor­gan­is­er, afin de jus­ti­fi­er la per­sis­tance du nôtre. Tou­jours dans le même esprit, on four­nit armes et muni­tions, on tri­pa­touille des com­pro­mis avec les élé­ments les plus réac­tion­naires de la Russie.

On dépense notre argent dans l’espoir de sauver les créances de ceux qui furent assez bêtes, ou sans scrupules, pour soutenir de leur argent un régime pour­ri, ne se main­tenant que par l’arbitraire et l’assassinat.

Sous pré­texte de com­bat­tre le bolchevisme.

Quelle cam­pagne vrai­ment digne du nom de cam­pagne a‑t-elle menée contre·ces agisse­ments ? Aucune. Et pour­tant, si l’opinion publique était con­sciente, quelle for­mi­da­ble vague de protes­ta­tion devrait s’élever.

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Je n’entreprendrais pas d’énumérer toutes les direc­tions dans lesquelles pour­rait se dévelop­per l’activité des indi­vidus, leur fournir l’occasion d’un groupe­ment. Quelques-uns seule­ment à titre d’illustration.

Out­re les deux ou trois cas cités plus haut, il existe une « Ligue des Locataires », à laque­lle il ne manque que de se dévelop­per et qui pour­rait être une force.

Il y a la « Ligue Anti-Alcoolique » qui pour­rait obtenir de plus sûrs résul­tats si elle s’attaquait, surtout, aux caus­es économiques engen­drant l’alcoolisme, au lieu de, surtout, ful­min­er con­tre l’alcool lui-même et de dépass­er le but lorsqu’elle prêche l’abstention totale.

Il existe la « Ligue des Droits de l’Homme », qui rend des ser­vices appré­cia­bles en com­bat­tant les abus de pou­voir, les actes d’arbitraire, les juge­ments par­ti­aux des tri­bunaux. Peut-être pour­rait-on lui reprocher d’être un peu trop for­mal­iste, mais chaque groupe agi selon ses conceptions.

Excel­lente pour la besogne qu’elle mène, la « L. des D. de l’H. » devrait être com­plétée par la créa­tion de « Comités de Défense Sociale » pour les cas où les inter­ven­tions auprès des Pou­voirs et des Admin­is­tra­tions étant insuff­isantes, il s’agirait de créer de forts courants d’agitation en vue de sec­ouer l’opinion publique.

Tout le monde se plaint du sys­tème d’éducation de l’État, sys­tème des­tiné à for­mer de « bons citoyens » obéis­sant aux lois sans jamais les dis­cuter, s’inclinant devant tout être revê­tu d’un uni­forme, d’une cas­quette galon­née, ou d’un insigne quel­conque, payant exacte­ment ses impôts sans jamais s’inquiéter de leur emploi. De bons sujets, enfin, qui atten­dent patiem­ment que l’État fasse tout pour eux, sans qu’ils aient à se déranger.

Depuis tou­jours on se plaint de l’envahissement de la bureau­cratie et du fonc­tionar­isme. Pour une pop­u­la­tion de 38 à 40 mil­lions d’habitants, il exis­terait plus d’un mil­lion de fonc­tion­naires. Et l’on crée de nou­velles fonc­tions tous les jours 1 pour 38 habi­tants, y com­pris les enfants ! – qui grèvent le bud­get, et empiè­tent chaque jour sur la lib­erté individuelle.

Alors que, pen­dant des généra­tions, va peser sur les épaules du con­tribuable le poids énorme des dépens­es et dettes que nous coû­tent les folies de quelques-uns, ne serait-il pas urgent de men­er une cam­pagne en vue de dimin­uer forte­ment le nom­bre des budgé­ti­vores, quitte à pay­er mieux ceux qui resteraient, mais en exigeant d’eux le tra­vail qu’ils auraient à faire dans une admin­is­tra­tion bien tenue.

Alors que les aspi­ra­tions générales sont pour plus de lib­ertés, – pour les indi­vidus comme pour les groupes – pour une divi­sion plus rationnelle du tra­vail dans la machiner­ie sociale, pour une décen­tral­i­sa­tion lais­sant plus de place aux ini­tia­tives, l’État, au con­traire, tra­vaille à cen­tralis­er de plus en plus, à absorber plus que jamais l’activité sociale, à s’immiscer tou­jours plus en avant dans la vie des indi­vidus. Est-ce que, là encore, il ne serait pas temps que l’opinion publique s’organise en vue de résis­ter à ces envahissements ?

Je laisse à cha­cun le soin d’ajouter à la liste. Ce qui est cer­tain c’est que ce n’est pas la besogne qui manque. Et, de plus, que cette besogne peut se faire avec fruit si on sait la pour­suiv­re avec méth­ode, avec persévérance.

Seule­ment, au lieu de per­sis­ter à vouloir trans­former en bloc la société, prenons-la en détail : que l’on sache se partager la besogne selon les ten­dances, selon les apti­tudes, que l’on sache choisir les points d’attaque les plus capa­bles de grouper le plus de bonnes volon­tés et il fau­dra bien que, un jour, croule ce for­mi­da­ble amas d’arbitraire et d’exploitation.

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Je vois venir cer­tains grincheux qui vont me dire : « C’est un pro­gramme de réformes que vous nous présen­tez. Ce ne sont pas des réformes que nous voulons, mais la révolution. »

D’abord, ce que je présente, c’est, surtout, un moyen de men­er une lutte effi­cace con­tre l’état social qu’il s’agit de chang­er. L’erreur de nom­breux anar­chistes est de dédaign­er ce qu’ils appel­lent « la masse » et de croire qu’ils seront capa­bles de faire la révo­lu­tion sans elle, et au besoin con­tre elle.
De là leur admi­ra­tion pour la révo­lu­tion bolchevik et de ses procédés.

Mais, n’en déplaise à ces anar­chistes qui se dis­ent, et sans doute se croient anar­chistes – com­ment arrivent-ils à con­cili­er leurs idées de lib­erté, d’initiative, d’autonomie, avec leur accep­ta­tion d’une dictature ?

« Elle ne serait que tem­po­raire. Il fau­dra bien forcer la masse stu­pide à se ranger au nou­v­el état de choses, qui ne sera que pour son bien ».

Tiens ! Tiens ! De qui donc ai-je déjà enten­du ce raison­nement ? Tous ceux qui aspirent au pou­voir n’en dis­ent-ils pas autant ? La com­pres­sion ne doit dur­er qu’autant qu’elle est néces­saire pour habituer les indi­vidus à accepter le bien qu’on leur veut faire. C’est parce que « le peu­ple n’est pas encore mûr pour la lib­erté qu’il faut bien user de l’autorité ! » Et voilà des siè­cles que cela dure, chaque gou­verne­ment qui se suc­cède ne voulant que le bien général, prêt à s’effacer devant la volon­té générale lorsqu’elle saura s’exprimer. C’est-à-dire lorsqu’une révo­lu­tion nou­velle le met à la porte. À quand le gou­verne­ment anarchiste ?

Les con­temp­teurs de « la masse » ne sont que des indi­vid­u­al­istes qui s’ignorent. Ils ne sont pas des « surhommes » et ne fer­ont pas la révo­lu­tion en dépit de la « masse » et surtout con­tre elle. Pour que réus­sisse une révo­lu­tion, il faut que l’opinion publique soit pré­parée à l’accepter. Qu’on ne me fasse pas dire ce que je ne dis pas. Je ne pré­tends nulle­ment que, pour qu’une révo­lu­tion sociale soit pos­si­ble, il faut que la majorité de la pop­u­la­tion soit révo­lu­tion­naire. Non. Mais il faut qu’un tel tra­vail de pro­pa­gande ait été fait, que l’opinion publique, si elle n’y est pas active pour la faire soit pré­parée pour la recevoir, et à s’y mêler par la suite.

Mais ce sujet de la pré­pa­ra­tion à la révo­lu­tion est ce qui fera suite aux brochures qui suiv­ront si je suis à même de con­tin­uer ou si les cama­rades désireux de con­tribuer à la pro­pa­gande ne me four­nissent pas des travaux d’actualité plus palpitante.

Dans la méth­ode de pro­pa­gande que je pro­pose est, cepen­dant, un dan­ger si on s’y enfer­mait à la let­tre. C’est que, en se spé­cial­isant sur des points par­ti­c­uliers on ne finisse par per­dre de vue le point général qui, en défini­tive, est la trans­for­ma­tion totale de la société. C’est ce qui est arrivé à la plu­part des anar­chistes qui se mêlèrent aux mou­ve­ments d’à côté. Beau­coup d’entre eux finirent par n’être plus que des syn­di­cal­istes, des néo-malthusiens, des espéran­tistes, des anti-alcooliques, etc.

Les fac­ultés de l’individu, s’il est trop porté à se laiss­er absorber par une idée unique, ne sont, cepen­dant, pas uni­latérales. On peut par­faite­ment s’occuper de plusieurs entre­pris­es à la fois. C’est courant dans la vie de tous les jours. À côté des cam­pagnes d’agitation en vue de sec­ouer l’opinion publique, ou de réalis­er quelque ten­ta­tive pra­tique, les anar­chistes ne doivent pas oubli­er qu’il est une cam­pagne d’idées générales à men­er. Que si les idées anar­chistes ne sont réal­is­ables que point par point, leur réal­i­sa­tion inté­grale ne doit pas moins en être pour­suiv­ie avec vigueur, et que, pour men­er avec des résul­tats leur pro­pa­gande que j’appellerais d’à côté, ils doivent se ser­rer les coudes entre eux, s’entendre pour coor­don­ner leurs efforts et, juste­ment, pré­par­er cette révo­lu­tion dont on se réclame tant, mais que per­son­ne ne comprend.

Les anar­chistes doivent se mêler à la foule pour la pouss­er aux reven­di­ca­tions, pour l’habituer à agir d’elle-même, mais ils doivent avoir leurs pro­pres groupe­ments où ils dis­cuteraient et pré­par­eraient des mou­ve­ments d’opinion. De cette façon ils pour­ront résis­ter aux caus­es de dévi­a­tions que pour­rait entraîn­er cette par­tic­i­pa­tion à d’autres mouvements 


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