La Presse Anarchiste

En toute sérénité

Trois jeunes gens, de dix-huit, vingt et un et vingt-trois ans, ont été con­damnés par le tri­bunal mil­i­taire de Madrid, le pre­mier à deux peines de douze ans de prison, le deux­ième à trente ans, le troisième à quinze ans, pour des atten­tats et des ten­ta­tives d’attentats à la bombe.

Cela va don­ner un ali­ment à la pro­pa­gande antifran­quiste et à l’agitation révo­lu­tion­naire de style tra­di­tion­nel. Et sans nier la néces­sité de l’effort à dévelop­per pour libér­er les nou­veaux con­damnés, effort auquel nous sommes, naturelle­ment, dis­posés à pren­dre part, nous croyons utile de faire la déc­la­ra­tion suivante :

Nous con­sid­érons que ce genre d’action est nuis­i­ble à la cause qu’il veut servir. Plac­er dans des lieux publics, sur un bateau, dans une com­pag­nie de nav­i­ga­tion des bombes qui ne peu­vent attein­dre que des gens nulle­ment respon­s­ables du régime que l’on com­bat ne fait que se retourn­er con­tre les auteurs, la pop­u­la­tion qui subit ce régime, et dis­créditer, dans le cas qui nous occupe, la cause même de l’antifranquisme.

D’autre part, nous ne pou­vons rester insen­si­bles au fait que trois jeunes gens vont pass­er en prison tant d’années de leur vie, comme nous ne pou­vons oubli­er que deux autres anar­chistes antifran­quistes sont mon­tés sur l’échafaud pour un acte que deux de leurs cama­rades avaient com­mis. Ni que d’autres cama­rades espag­nols sont tombés avant, dans des cir­con­stances divers­es, mais sans autres résul­tats que ren­forcer les mesures de répres­sion. Les per­sé­cu­tions entre­pris­es en France con­tre cer­tains mil­i­tants espag­nols sont un des résul­tats de cette activité.

Le sort des trois nou­veaux con­damnés sera exploité par ceux qui ont besoin de mar­tyrs pour se livr­er à leur agi­ta­tion ver­bale et dém­a­gogique habituelle. Nous pen­sons d’abord à eux, plus qu’à la cam­pagne que l’on peut faire en leur nom. Nous pen­sons qu’il y a mieux à faire qu’à plac­er des bombes qui frap­pent aveuglé­ment. Nous com­prenons et nous approu­ve­ri­ons l’attaque directe du prin­ci­pal respon­s­able de la tyran­nie total­i­taire, mais dans l’organisation actuelle de la police d’État, il est impos­si­ble de l’atteindre. Ce genre d’action dés­espérée est donc à décon­seiller. D’autre part, toutes les pro­pa­gan­des et les cam­pagnes du monde n’empêcheront pas le régime attaqué de se défendre.

Dans plusieurs occa­sions de l’histoire de l’anarchisme, et en Espagne même à d’autres péri­odes, le prob­lème du ter­ror­isme fut posé, et ce sont des hommes comme Asca­so, Dur­ru­ti et autres qui, en 1931, arrivèrent à la con­clu­sion que cette tac­tique devait être aban­don­née. Car si ces actions font beau­coup de bruit, elles font surtout beau­coup de mal ; dans l’esprit pub­lic d’abord ; par les pertes qu’elles causent dans le mou­ve­ment révo­lu­tion­naire, ensuite.

C’est en ayant présent à l’esprit les trois jeunes gens qui vien­nent d’être con­damnés à Madrid, et ceux qui aupar­a­vant ont été gar­rot­tés ; c’est parce que nous désirons que d’autres ne soient pas con­damnés pour des résul­tats mal­heureux à douze, quinze ou trente ans de bagne, ou remis au bour­reau, et que des inno­cents ne payent pas pour Fran­co, que nous avons pris la respon­s­abil­ité d’écrire ce qui précède.


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