Réalise-toi toi-même, ce qui vaut mieux que d’attendre ton salut de « réalisations »sociales plus ou moins éloignées qui ne sont jamais que des réalisations incomplètes, car elles ne visent qu’à l’amélioration matérielle de l’individu sans son amélioration morale, le laissant esclave de ses préjugés et de ses vices.
L’individualiste, en son isolement, fait plus de besogne que l’agitateur « communiste » dans une réunion publique ou un congrès.
Ceux qui proclament que penser est un crime commettent chaque jour le crime de ne pas penser. Le crime n’est pas de penser, mais d’imposer des limites à la pensée.
Être chassé d’un parti, c’est pour certains hommes un honneur : si on les chasse, c’est qu’ils sont sincères. On ne garde que les hypocrites, troupeau facile à mener, à dresser, à diriger.
Je peux n’avoir jamais vu quelqu’un et l’appeler « mon ami », tandis que je ne peux donner le même titre à quelqu’un que je rencontre plusieurs fois par jour, et qui, malgré ses protestations d’amitié, est mon pire ennemi.
Quelle est la raison d’être de la vie ? La justice, l’amour ou la sagesse, que sais-je ? N’est-ce pas plutôt la beauté, qui les contient en les dépassant.
Vivre d’une idée, c’est se prostituer. Vivre pour une idée, c’est être un homme libre.
Ne cherchons pas le bonheur. Il vient à nous sans qu’on le cherche : il suffit de savoir préparer sa venue.
Aimer, c’est partager la souffrance d’autrui, c’est ne faire qu’un avec l’être cher, c’est se dévouer, sans se diminuer, c’est se donner après qu’on s’est soi-même trouvé. Aimer, c’est sacrifier son bonheur pour un plus grand bonheur, c’est à la fois souffrir et jouir, c’est mourir lentement et vivre éternellement. Aimer, c’est se concentrer, se ressaisir, et c’est se consumer, comme une flamme ardente ; aimer c’est être un brasier, un océan, un monde, c’est créer de l’éternité et de la beauté.
Il est évident que la pensée ne suffit pas à transformer le monde, si elle n’est secondée par l’action. La pensée fait naître l’action qui s’ajoute à elle pour la prolonger.
Renonçons à prendre la parole en public, si ce n’est dans un but utile. Il y a vraiment trop d’orateurs qui parlent pour ne rien dire.
Si nous énonçons une vérité ; ceux qui lui sont déjà conquis n’ont pas besoin qu’on l’exprime avant eux ; et ceux qui ne veulent pas la voir ne sont guère disposés à eu faire leur profit : dans les deux cas on parle bien inutilement. Il faut parfois se résoudre à parler inutilement.
Tant de gens font des discours au peuple que ce dernier finit par se lasser : au lieu d’écouter les orateurs qu’il regarde la réalité, peut-être la vérité lui apparaîtra-t-elle ?
Refusons de donner des conseils à qui que se soit. D’abord parce qu’ils ne seraient pas suivis, même de ceux qui les sollicitent, ensuite parce que c’est « friser le ridicule » que de se croire qualifié pour éclairer son prochain. C’est bien assez d’avoir à nous réformer, sans chercher à réformer les autres. Les donneurs de conseils n’ont jamais donné que de mauvais conseils : c’est pourquoi ils sont écoutés. S’ils s’étaient réformés, ils ne songeraient pas à réformer les autres, leur exemple seul serait un enseignement, et chacun serait libre de le suivre.
La constatation de la laideur chaque jour plus grande peut décourager le penseur. Cependant, ce serait une attitude indigne de lui de cesser toute action. L’occasion se présente toujours de faire un geste utile. Au penseur de savoir le saisir, afin de nous prouver qu’il n’a pas perdu tout espoir.
[/à suivre/]
[/