La Presse Anarchiste

Çà et là (pensées individualistes)

Réa­lise-toi toi-même, ce qui vaut mieux que d’attendre ton salut de « réa­li­sa­tions »sociales plus ou moins éloi­gnées qui ne sont jamais que des réa­li­sa­tions incom­plètes, car elles ne visent qu’à l’amélioration maté­rielle de l’individu sans son amé­lio­ra­tion morale, le lais­sant esclave de ses pré­ju­gés et de ses vices.

L’individualiste, en son iso­le­ment, fait plus de besogne que l’agitateur « com­mu­niste » dans une réunion publique ou un congrès.

Ceux qui pro­clament que pen­ser est un crime com­mettent chaque jour le crime de ne pas pen­ser. Le crime n’est pas de pen­ser, mais d’imposer des limites à la pensée.

Être chas­sé d’un par­ti, c’est pour cer­tains hommes un hon­neur : si on les chasse, c’est qu’ils sont sin­cères. On ne garde que les hypo­crites, trou­peau facile à mener, à dres­ser, à diriger.

Je peux n’avoir jamais vu quelqu’un et l’appeler « mon ami », tan­dis que je ne peux don­ner le même titre à quelqu’un que je ren­contre plu­sieurs fois par jour, et qui, mal­gré ses pro­tes­ta­tions d’amitié, est mon pire ennemi.

Quelle est la rai­son d’être de la vie ? La jus­tice, l’amour ou la sagesse, que sais-je ? N’est-ce pas plu­tôt la beau­té, qui les contient en les dépassant.

Vivre d’une idée, c’est se pros­ti­tuer. Vivre pour une idée, c’est être un homme libre.

Ne cher­chons pas le bon­heur. Il vient à nous sans qu’on le cherche : il suf­fit de savoir pré­pa­rer sa venue.

Aimer, c’est par­ta­ger la souf­france d’autrui, c’est ne faire qu’un avec l’être cher, c’est se dévouer, sans se dimi­nuer, c’est se don­ner après qu’on s’est soi-même trou­vé. Aimer, c’est sacri­fier son bon­heur pour un plus grand bon­heur, c’est à la fois souf­frir et jouir, c’est mou­rir len­te­ment et vivre éter­nel­le­ment. Aimer, c’est se concen­trer, se res­sai­sir, et c’est se consu­mer, comme une flamme ardente ; aimer c’est être un bra­sier, un océan, un monde, c’est créer de l’éternité et de la beauté.

Il est évident que la pen­sée ne suf­fit pas à trans­for­mer le monde, si elle n’est secon­dée par l’action. La pen­sée fait naître l’action qui s’ajoute à elle pour la prolonger.

Renon­çons à prendre la parole en public, si ce n’est dans un but utile. Il y a vrai­ment trop d’orateurs qui parlent pour ne rien dire.

Si nous énon­çons une véri­té ; ceux qui lui sont déjà conquis n’ont pas besoin qu’on l’exprime avant eux ; et ceux qui ne veulent pas la voir ne sont guère dis­po­sés à eu faire leur pro­fit : dans les deux cas on parle bien inuti­le­ment. Il faut par­fois se résoudre à par­ler inutilement.

Tant de gens font des dis­cours au peuple que ce der­nier finit par se las­ser : au lieu d’écouter les ora­teurs qu’il regarde la réa­li­té, peut-être la véri­té lui apparaîtra-t-elle ?

Refu­sons de don­ner des conseils à qui que se soit. D’abord parce qu’ils ne seraient pas sui­vis, même de ceux qui les sol­li­citent, ensuite parce que c’est « fri­ser le ridi­cule » que de se croire qua­li­fié pour éclai­rer son pro­chain. C’est bien assez d’avoir à nous réfor­mer, sans cher­cher à réfor­mer les autres. Les don­neurs de conseils n’ont jamais don­né que de mau­vais conseils : c’est pour­quoi ils sont écou­tés. S’ils s’étaient réfor­més, ils ne son­ge­raient pas à réfor­mer les autres, leur exemple seul serait un ensei­gne­ment, et cha­cun serait libre de le suivre.

La consta­ta­tion de la lai­deur chaque jour plus grande peut décou­ra­ger le pen­seur. Cepen­dant, ce serait une atti­tude indigne de lui de ces­ser toute action. L’occasion se pré­sente tou­jours de faire un geste utile. Au pen­seur de savoir le sai­sir, afin de nous prou­ver qu’il n’a pas per­du tout espoir.

[/​à suivre/​]

[/​Lacaze-Duthiers/​]

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