La Presse Anarchiste

Éducation

I

Il est toute une caté­go­rie de réfor­ma­teurs de la Socié­té qui s’affirment « édu­ca­tion­nistes ». On les confond volon­tiers avec les indi­vi­dua­listes car cer­tains d’entre eux se parent aus­si de cette épithète.

Ils sou­tiennent qu’une édu­ca­tion appro­priée, appli­quée aux hommes dès l’enfance, for­me­rait en eux une men­ta­li­té tolé­rante, altruiste, dés­in­té­res­sée, etc., telle en un mot, qu’à par­tir d’eux, l’humanité serait vouée au bon­heur éter­nel. C’est affir­mer – affir­ma­tion peut-être témé­raire – que le bon­heur est fonc­tion néces­sai­re­ment de la tolé­rance, de l’altruisme et du dés­in­té­res­se­ment ou de tout autre ver­tu qu’il leur plai­ra de mettre au pre­mier rang.

Au risque de les scan­da­li­ser, je leur dirai que la ques­tion sociale n’est pas affaire d’éducation.

Bien enten­du, je n’appelle pas édu­ca­tion la pro­pa­gande d’adulte à adulte, ni l’instruction telle qu’elle est recher­chée spon­ta­né­ment par les hommes faits. Tout cela c’est sim­ple­ment l’exercice de la liber­té indi­vi­duelle. Je parle de l’instruction telle qu’elle est impo­sée aux enfants avant que leur per­son­na­li­té ait pris sont plein développement.

Or, cette ins­truc­tion don­née aux enfants, je consi­dère qu’elle ne doit pas être un ins­tru­ment de réforme social et cela pour plu­sieurs raisons :

1) L’éducation sub­sti­tue tou­jours plus ou moins la per­son­na­li­té de l’éducateur à celle de l’enfant. Édu­quer celui-ci socia­le­ment c’est lui ins­til­ler les concep­tions sociales de l’éducateur, lui incul­quer, à l’exclusion de tous les autres idéals, un idéal indi­vi­duel qui serait bien en peine de jus­ti­fier son droit à pri­mer au fait que les parents prennent cette liber­té avec leurs enfants. Je veux bien, pour des rai­sons d’ordre pra­tique, l’admettre. Mais que l’éducation deve­nue un moyen de trans­for­ma­tion sociale, et le moyen par excel­lence, c’est autre chose.

L’éducation est, mal­heu­reu­se­ment d’ailleurs, très effi­cace, elle fait des hommes tout ce que l’on veut, des prêtres, des sol­dats, des mili­ta­ristes, des indi­vi­dua­listes, des com­mu­nistes… C’est une cour­ti­sane qui donne ses faveurs au pre­mier venu. Quand je vois des enfants « rouges » façon­nés pour la Révo­lu­tion pro­chaine par un dres­sage inten­sif, j’éprouve le même sen­ti­ment que devant une pro­ces­sion « d’enfant de moine » por­tant des cierges.

2) L’éducation, ins­tru­ment de réforme sociale, abou­tit for­cé­ment à l’uniformité. Or, rien n’est plus oppo­sé à l’attitude indi­vi­dua­liste qui voit dans la diver­si­té des hommes et des opi­nions la valeur émi­nente de la vie. Qu’on nous garde d’un monde où tous seraient ver­tueux, et d’où l’intérêt per­son­nel serait exclu ! Qui veut faire l’ange fait la bête et la ver­tu est une conven­tion. C’est l’enseignement géné­ra­li­sé de la morale chré­tienne qui a façon­né le sombre et fas­ti­dieux moyen-âge.

Est-ce à dire qu’il faille sup­pri­mer aux enfants toute édu­ca­tion et toute ins­truc­tion ? Non pas. Nous le ver­rons bientôt.

[/​Marc L. Lefort/​]

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