La Presse Anarchiste

L’union anarchiste et le Libertaire

« C.G.T.U. » et « Cot­tin » : tous les efforts de l’Union Anar­chiste sont concen­trés sur ces deux objec­tifs. Non syn­di­qué, je me refuse à étu­dier le pre­mier. Pas­sons de suite au second.

Cot­tin : sa per­son­na­li­té, mala­dive, subit péni­ble­ment son empri­son­ne­ment au droit com­mun, d’autant plus péni­ble­ment que Cot­tin « pense » et que son âme d’apôtre aurait ten­dance, de par son atti­tude, à aggra­ver encore son sort, – son acte, sur lequel je fais toutes les réserves, que je ne puis consi­dé­rer comme un moment de la conscience humaine, mais plu­tôt comme une incons­cience. En face de ce fait : la Guerre, abattre Cle­men­ceau n’était pas une solu­tion. C’était en août 1914 que la solu­tion devait inter­ve­nir : devant la veu­le­rie de la foule, une action « col­lec­tive » était en quelque sorte impos­sible, mais il y avait la « solu­tion indi­vi­duelle », maints cama­rades l’ont trouvée…

L’U.A. et le Liber­taire veulent la libé­ra­tion de Cot­tin. Les moyens employés y par­vien­dront-ils ? Je doute. Les tracts s’empilent dans les groupes, impar­fai­te­ment dis­tri­bués ; – les réunions, les mee­tings, fré­quents, sont sui­vis tou­jours par les mêmes : la masse n’est pas atteinte ; – les articles sur le ton « Libé­rez Cot­tin ou quelqu’un par­mi nous se lève­ra… » ouvrent à de nou­veaux cama­rades les portes des pri­sons et ferment plus lour­de­ment celle ou végète Cot­tin… Et puis pour­quoi tant insis­ter sur la haute por­tée morale de l’acte de Cot­tin ? C’est comme cela que vous espé­rez aboutir ?

Il est d’autres moyens : ils répugnent peut-être à l’U.A. À moi aus­si, ils répu­gne­raient peut-être. Et cepen­dant… Oui, une action bien léga­liste… Ligue des Droits de l’Homme, etc. Il est d’autres moyens… Du jour où l’on s’est occu­pé conscien­cieu­se­ment d’Armand, par des moyens léga­listes et par des démarches, sa libé­ra­tion n’a guère tardée…

Et cette agi­ta­tion autour de Cot­tin a crée chez nos cama­rades anar­chistes com­mu­nistes une atmo­sphère toute spé­ciale et qui peut deve­nir dan­ge­reuse. Ouvrez le Liber­taire, il n’est ques­tion que de répres­sions, et les invec­tives com­bien vaines ; une rubrique « Figures Révo­lu­tion­naires » exalte les gestes d’action directe, d’un pas­sé récent ; un feuille­ton signi­fi­ca­tif : « De Rava­chol à Casei­ro » ; des articles véhé­ments contre « les brutes galon­nées », aux­quelles on pro­met, sur le papier, des « balles dans la peau ». Des arres­ta­tions, inévi­tables et dans la logique des choses, arrivent, pré­texte à de nou­velles agi­ta­tions. Les­quelles amè­ne­ront nou­velles arres­ta­tions. Et jusqu’à quand ? des cama­rades bien inten­tion­nés, devant le mys­ti­cisme des­quels je m’incline sans le par­ta­ger, font la grève de la faim. Agi­ta­tion nouvelle.

Le gou­ver­ne­ment céde­ra ? Non. Car il semble dési­rer sa répres­sion inté­rieure, heu­reuse et néces­saire diver­sion pour pour­suivre sa poli­tique exté­rieure. Cama­rades, vous prê­tez les flancs ! Res­sai­sis­sez-vous. Voyez où conduit le che­min sur lequel vous avan­cez, à grandes enjam­bées depuis quelques mois. Je ne les ai pas vécues, mais j’appréhende des années sem­blables aux années 1894 – 1898. Le geste de Juvé­nis légi­time mon appréhension.

Il existe d’autres besognes. Et plus dan­ge­reuses pour nos enne­mis. Un homme que notre pro­pa­gande édu­ca­tive tenace arrache au milieu ambiant, c’est une vic­toire ; six mois de pri­son pour un article « vive Cot­tin », c’est une défaite.

Cama­rades anar­chistes com­mu­nistes, ressaisissez-vous !

[/​16 aout 1922

Paul Ber­ge­ron/​]

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