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Qu’est-ce que gouverner ?
Créer des Fantômes, secréter perpétuellement des Fantômes, c’est la fonction essentielle de la Société.
S’il n’y avait pas de fantômes, il n’y aurait pas de société humaine. L’individualiste qui nie la Société, nie les fantômes ; ne croit plus aux fantômes ; il est affranchi, libéré, car celui qui nie les fantômes nie aussi la Société.
La fonction des fantômes, c’est, en réalité, celle de la Société : s’emparer de l’individu, en faire une proie, un « possédé » par la mainmise sur son cerveau, détruire l’individu en le transformant en automate, le sclérosant, l’obligeant à se nier comme individu, à ne plus se concevoir comme tel.
Toute société humaine tend vers la termitière. Notre société contemporaine, dite civilisée, est en train d’échafauder laborieusement, grâce à la sueur et au travail des esclaves, descendants de ceux qui, dans l’enthousiasme, construisirent les Pyramides [[Les Pyramides ne furent pas construites par des esclaves, car l’esclavage n’existait pas dans l’Égypte antique, mais par des hommes pieux persuadés que Pharaon, fils du Soleil, enfermé dans son tombeau de pierres, continuerait de les protéger, eux et l’Égypte. Même état d’esprit chez les constructeurs de cathédrales au Moyen-Âge.]], une termitière idéale, bureaucratique et technocratique, sans se douter qu’un simple coup de vent venu des terres sauvages où souffle encore l’individualisme, fera s’effondrer tout d’un coup, ce beau château de cartes.
Au fond, ainsi que l’écrivait Proudhon, tous les gouvernements ont peur du peuple, peur de l’individu ; tous les chefs, tous les maîtres ont peur des sujets.
Gouverner, c’est gouverner contre le peuple, contre l’individu, contre les sujets.
Pour tout gouvernement, l’individu, c’est l’ennemi, la bête féroce à dompter et la meilleure manière de le maîtriser, c’est de l’abêtir.
Voilà pourquoi tant d’ingénieux faussaires, vendus aux gouvernements, courtisans des gouvernements, confectionnent, dans la coulisse, les héros, les génies, les grands hommes, les doctrines, les mythes, les idéaux sociaux, sortes de fantômes qui serviront de modèles et de guides, d’instruments de domination sur les masses.
Gouverner n’est-ce pas rendre les cerveaux perméables aux suggestions de ces imposteurs, de ces rusés coquins appelés hommes d’État ? N’y parviennent-ils pas en entretenant dans les masses cette sorte d’hystérie collective que créent les comédies électorales, les plébiscites, les cérémonies officielles, les campagnes de presse, les manifestations populaires ?
Certes, nous avons appris à nous méfier de l’authenticité des exploits accomplis par les héros, antiques ou modernes. Nous ne croyons plus que le preux chevalier Roland ait, à Roncevaux, fendu de son épée deux énormes rochers et se soit rompu les veines du cou en sonnant de l’olifant. Cependant, notre cerveau reste souvent imprégné d’innombrables suggestions d’imposture, aussi dépourvues d’authenticité, qui continuent de faire de nous la proie des fantômes plus modernes, Successeurs des héros de légendes, des idoles et des dieux…
Un type de religion dogmatique : le judéo-christianisme
S’il est un type de religion dogmatique, c’est bien le judéo-christianisme et ses diverses sectes ou sous-religions qui ont poussé sur le même tronc philosophique : l’Islam, le puritanisme anglo-saxon, le jacobinisme français, le socialisme, le marxisme, le stalinisme, etc., etc.
Chacune de ces religions ou doctrines prétend détenir seule la vérité, la seule vérité possible, celle qui devra nécessairement triompher, s’imposer à tous.
C’est pourquoi il n’est pas d’État, de gouvernement, d’équipe oligarchique, de système de dictature qui n’abrite ses desseins guerriers, son appétit de conquête et de domination, ses instincts d’agressivité, d’impérialisme et de cruauté derrière des principes judéo-chrétiens : qui caractérisent ce qu’on appelle la civilisation.
Toutes les guerres de conquête des occidentaux, leur colonialisme agressif, les guerres de conquête de l’Islam, celles de la Révolution française, celles de Napoléon, les Croisades, les campagnes contre les Albigeois les guerres de religions, celles du stalinisme tsariste, ont toujours été présentées comme nécessaires pour assurer le triomphe d’un dogme judéo-chrétien, d’une vérité, de la seule vérité émanée de Dieu ou d’une hypostase de Dieu [[Exemples de quelques hypostases du Dieu judéo-chrétien, c’est-à-dire de quelques abstractions, ou entités destinées à remplacer le vieux Dieu, quand celui-ci ne suffit plus : Vérité, Justice, Patrie, État, Loi morale, Civilisation, Progrès, Intérêt général, Solidarité, Fraternité, République, Démocratie, Égalité, Liberté, Bonheur du Peuple, Émancipation des travailleurs, etc., etc., etc., toutes exigeant culte, sacrifices, des servants et sanctions contre les hérétiques.]] c’est-à-dire de Dieu présenté sous un autre nom, un nom laïque, ce que Stirner appelle un fantôme, une invention conçue, comme celle de Dieu, par l’imposture, par l’hypocrisie pour dominer, exploiter, terrasser, obliger les faibles d’esprit à l’obéissance, à la résignation.
Le respect, l’adoration de ces hypostases du Dieu judéo-chrétien, de ces fantômes, de ces entités de tartufferies, est exigée au besoin par la contrainte, par la violence, par la cruauté en invoquant toujours l’intérêt même de celui à qui on l’impose.
L’Islam en cette matière n’y est jamais allé par quatre chemins. Les guerriers, successeurs de Mahomet, qui ont conquis le monde, le cimeterre d’une main, le Coran de l’autre, ne laissèrent jamais qu’un maigre choix à l’infidèle ; leur prédication tenait en peu de mots : « Confesse la Foi du Prophète ou tu auras la tête tranchée. »
En Russie stalinienne, en Chine communiste le choix est également très limité : se soumettre à la foi communiste ou être expédié dans un camp de redressement ou d’extermination.
Nous considérons que le dogmatisme de tournure judéo-chrétienne qui caractérise la civilisation occidentale et tend à se répandre de plus en plus dans le monde est un produit de la volonté de puissance, de l’esprit de domination impérialiste et conquérant, une sorte de manifestation de la folie des grandeurs. Une manie autoritaire qui ne se rencontre pas chez le mystique ou le sceptique.
En tout cas, l’individualiste possède le moyen de se défendre contre les empiétements de la tyrannie d’inspiration judéo-chrétienne, en rejetant tous les dogmes, tous les principes sur lesquels s’appuie une autorité, toutes les morales et tous les codes, autrement dit en se comportant en homme libre, qui n’est subordonné à rien, ni à personne, avec, à l’esprit, le précepte narquois et prudent de Lao-Tsé, le « vieux Maître », sage à la foi sceptique, mystique et individualiste : « Ne pas être utile, ne pas faire le bien, ne pas faire le mal ».
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