La Presse Anarchiste

À travers les livres

His­toire anec­do­tique du Tra­vail, par Albert Tho­mas. Prix : 1 fr. 80. « Biblio­thèque d’Éducation ».

S’il est un ensei­gne­ment qui, entre tous, mérite d’être cri­ti­qué, c’est, assu­ré­ment, celui de l’histoire. La chose est fatale. Par­tir de ce prin­cipe qui gui­da uni­que­ment les créa­teurs de l’enseignement pri­maire et a tou­jours cours dans les sphères offi­cielles, que l’école doit, sur­tout et avant tout, for­mer des citoyens d’une cra­tie déter­mi­née, pré­pa­rer des élec­teurs, c’est assi­gner d’avance à l’histoire un carac­tère net­te­ment, ten­dan­cieux, volon­tai­re­ment par­tial, scan­da­leu­se­ment systématique.

Aus­si bien n’avons-nous pas à remon­ter bien loin dans nos sou­ve­nirs pour nous remé­mo­rer les pitoyables manuels en usage dans la tota­li­té des écoles publiques. Revan­chards (c’était, le maître d’école alle­mand qui nous avait bat­tus en 1870 – 71), tein­tés d’un clé­ri­ca­lisme à peine dégui­sé (l’état laïque n’avait pas encore réus­si à tom­ber sa rivale) ils n’apportaient, qu’une nomen­cla­ture sèche et rapide des fastes des rois, diri­geants et guer­riers, qu’une chro­no­lo­gie ennuyeuse. Le peuple était absent. Des mani­fes­ta­tions de la vie interne des grou­pe­ments, du tra­vail et de la vie humaine, aucune trace.

À la véri­té, à peu près par­tout, depuis une dizaine d’années ces manuels ont dis­pa­ru, pour faire place à de plus modernes, ou ont été refon­dus. Sous l’influence des idées syn­di­ca­listes qui se sont plus ou moins infil­trées dans les milieux pri­maires, l’allure géné­rale de l’enseignement de l’histoire s’est modi­fié. Moins d’histoire-dynastique, moins d’histoire-bataille ; un peu plus d’histoire-populaire, d’histoire-civilisation. Sur le ter­rain réser­vé aux princes, une par­celle est pré­le­vée, concé­dée en toute pro­prié­té à Jacques Bon­homme et Jean Lou­vrier. Les éco­liers n’ignorent plus tout à fait que des pay­sans et des ouvriers ont tra­vaillé, souf­fert, pei­né, au cours des siècles, tan­dis que s’agitaient à tra­vers la fumée ou l’éclat des lustres, capi­taines et dirigeants.

Un peu d’air res­pi­rable – encore peu – est venu se mêler à l’air vicié. Encore faut-il que la dose ne soit pas dépas­sée. L’histoire doit demeu­rer le caté­chisme offi­ciel de la démo­cra­tie paci­fique, amante du pro­grès, pen­chée sur les humbles et les tra­vailleurs. Trop d’impartialité ne peut être de mise. À preuve, la mésa­ven­ture arri­vée aux excel­lents petits livres de Gus­tave Hervé.

Quoi qu’il en soit, en dépit de pro­grès cer­tains, la vie éco­no­mique des grou­pe­ments, n’a été le plus sou­vent qu’un acces­soire. L’évolution dynas­tique demeure le cadre.

Avec le petit livre de Tho­mas, la vie des tra­vailleurs passe au pre­mier plan. Ou plu­tôt, il ne s’agit plus que d’eux seuls. Ce n’est pas à pro­pre­ment par­ler une « his­toire de France » qui nous est pré­sen­tée, mais exclu­si­ve­ment, celle du travail.

L’ouvrage comble ain­si une lacune regrettable.

Mais, est-ce bien là un « manuel sco­laire » au sens propre du mot, ? Assu­ré­ment non. Bien. que l’auteur ait son­gé, sur­tout, à l’école, puisque l’« His­toire anec­do­tique du Tra­vail » fut publiée d’abord par frag­ments dans la « Revue de l’Enseignement pri­maire et pri­maire supé­rieur » ; bien que la pré­face s’adresse visi­ble­ment aux ins­ti­tu­teurs, on ne retrouve pas, en feuille­tant les pages, la forme ordi­naire, l’allure géné­rale, la dis­po­si­tion, le ton qui sont les carac­té­ris­tiques des ouvrages des­ti­nés aux élèves des écoles. Celui-ci n’est pas conforme aux pro­grammes offi­ciels et ne connaî­tra pas les encen­se­ments admi­nis­tra­tifs. Par là, il se signale à l’attention des parents et des ins­ti­tu­teurs syndicalistes.

« Nous avons pen­sé, dit l’auteur, que sous une forme his­to­rique, pure­ment, objec­tive, il était pos­sible de pro­po­ser à l’esprit des enfants un tableau-résu­mé de l’histoire des tra­vailleurs, et de les pré­pa­rer ain­si à exa­mi­ner avec sérieux, avec impar­tia­li­té, tout cet ensemble de pro­blèmes que la vie d’aujourd’hui ne tarde jamais à poser devant eux. »

L’examen des trente-six « Lec­tures his­to­riques » (c’est le sous-titre de l’ouvrage) prouve que ce but, est rem­pli. C’est bien, en effet, le récit, agréa­ble­ment illus­tré, des luttes, des espé­rances, comme aus­si des révoltes du pro­lé­ta­riat labo­rieux et exploi­té, se dérou­lant au cours des siècles, à tra­vers l’antiquité, le Moyen Âge, les régimes modernes et l’actuelle démo­cra­tie bour­geoise, qui est offert au lecteur.

On pour­ra trou­ver, peut-être, que Tho­mas s’est quelque peu attar­dé, dans les pre­miers cha­pitres, sur des âges loin­tains, des socié­tés tota­le­ment dif­fé­rentes de la nôtre ; on pour­ra regret­ter que cer­tains sujets de lec­ture n’aient pas été choi­sis à la place de ceux qui figurent dans l’ouvrage, nul ne sau­rait refu­ser à l’auteur le témoi­gnage de l’honnêteté his­to­rique et de louable impar­tia­li­té qu’il demande.

Nous n’avons point cou­tume de faire de réclame. Albert Tho­mas – on le sait – n’est pas de nos amis. Nous n’en sommes que plus à l’aise pour dire le bien que nous pen­sons de son ouvrage et le recom­man­der aux ins­ti­tu­teurs qui y trou­ve­ront de pra­tiques indi­ca­tions pour vivi­fier leur ensei­gne­ment et l’adapter aux aspi­ra­tions et besoins de la classe pro­duc­tive, et, tout aus­si par­ti­cu­liè­re­ment aux ado­les­cents des syn­di­cats ouvriers qui y pui­se­ront, d’excellentes leçons de choses.

Nous le recom­man­dons d’autant plus volon­tiers, qu’il appar­tient à un domaine où l’on ne ren­contre trop sou­vent que niai­se­ries ou mau­vaise foi.

[/​Jean Pie­ton/​]

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La Ques­tion des Socié­tés de Cré­dit, par Jules Domergue – 1 vol. de 124 pages. – Prix : 2 francs. Édit. Bauche.

M. Domergue a réuni en un volume les articles qu’il avait publié dans la revue qu’il dirige, La Réforme éco­no­mique. Ces articles ne contiennent rien de nou­veau. Ils ne sont que la répé­ti­tion, avec la verve et la pas­sion en moins, de ce qu’avait dit Lysis dans La Revue et La Grande revue.

On connaît l’état de la ques­tion : les petits ban­quiers locaux sont obli­gés peu à peu de dis­pa­raître devant le déve­lop­pe­ment colos­sal des grandes socié­tés de cré­dit, Socié­té Géné­rale, Cré­dit Lyon­nais, Comp­toir d’Escompte, qui ont créé des agences et des bureaux jusque dans les plus modestes chefs-lieux de can­ton. La Socié­té Géné­rale /​i> à elle seule pos­sède 517 agences en province.

Après Lysis, Domergue estime que cette dis­pa­ri­tion des ban­quiers locaux devant les éta­blis­se­ments de cré­dit a été désas­treuse au point de vue « des inté­rêts de la pro­duc­tion natio­nale ». Les socié­tés de cré­dit, en effet, au lieu de cher­cher à aider avec les énormes capi­taux qu’elles ont en dépôt les indus­triels et com­mer­çants fran­çais, n’ont pour but que de drai­ner l’épargne fran­çaise vers les emprunts étran­gers, emprunts russes, japo­nais, bré­si­liens ou argentins.

C’est ain­si que la pro­por­tion des valeurs fran­çaises émises par les socié­tés de cré­dit en 1908 n’a été que de 5 p. 100, alors qu’en cette même année, la pro­por­tion des valeurs alle­mandes émises par les banques alle­mandes était de 96,5 p. 100.

M. Domergue attend le salut du Par­le­ment et de la Banque de France. Le Par­le­ment, pense-t-il, pour­ra enrayer le départ de l’argent fran­çais vers l’étranger en votant une loi régle­men­tant les émis­sions ; la Banque de France pour­ra redon­ner de la vie aux banques locales avec cer­taines modi­fi­ca­tions dans ses condi­tions de réescompte.

L’avantage du livre de M. Domergue, c’est d’avoir dépouillé la thèse des par­ti­sans des banques locales de tout le brio qu’y avait mis Lysis et d’avoir ain­si mieux fait appa­raître son carac­tère arti­fi­ciel et réactionnaire.

Les agences des éta­blis­se­ments de cré­dit ont tué et rem­pla­cé les ban­quiers locaux comme banques de dépôt et d’escompte dans les trois quarts de la France, comme les grands maga­sins ont tué et rem­pla­cé les petits bou­ti­quiers, parce qu’elles offraient à la clien­tèle des faci­li­tés plus grandes et des condi­tions plus avan­ta­geuses. Les éta­blis­se­ments de cré­dit dirigent l’argent de l’épargne vers les fonds d’État ou les grandes entre­prises étran­gères plu­tôt que vers l’industrie natio­nale, parce que la France est un pays peu indus­triel où la moyenne et la petite indus­trie qui y sont la règle n’ont pas besoin du concours des banques pour obte­nir les faibles capi­taux dont elles ont besoin. Les seules régions véri­ta­ble­ment indus­trielles de France, le Nord et l’Est, – M. Domergue est obli­gé de le recon­naître – ont conser­vé leurs banques locales. C’est parce que celles-ci y étaient nécessaires.

Cette grande que­relle entre les banques locales et les éta­blis­se­ments de cré­dit se régle­ra sans doute en fin de compte par la par­ti­ci­pa­tion des banques locales qui existent encore aux émis­sions des grands éta­blis­se­ments. Lorsqu’ils auront leur part du gâteau, les ban­quiers de pro­vince ne trou­ve­ront plus mau­vais que l’argent fran­çais file en Rus­sie ou en Amé­rique du Sud.

Au fond, que­relle de bou­tique, et rien de plus.

[/​R. Lou­zon/​]

Hygiène de la Femme et de la Jeune Fille, par le Doc­teur Marthe Fran­cil­lon-Lobre (Col­lec­tion d’Hygiène pra­tique et fami­liale). – Prix : 2. fr. 50. Lib. Delagrave.

Mme le Doc­teur Fran­cil­lon-Lobre s’est don­né pour but, dans ce livre, « de grou­per aus­si sim­ple­ment que pos­sible, les connais­sances néces­saires à la femme en matière d’hygiène ».

A‑t-elle atteint son but ? Pas com­plè­te­ment, à mon avis, mais en grande par­tie. Le livre est inté­res­sant, et la seule cri­tique qu’on puisse lui adres­ser est d’être à la fois trop com­plet et par endroits trop incom­plet. Trop com­plet parce qu’il ne traite pas seule­ment d’hygiène, mais de patho­lo­gie. Ce qui est inutile et quel­que­fois dan­ge­reux. Je ne vois pas très bien, par exemple, ce que viennent faire là ces cha­pitres sur l’artériosclérose, l’albuminurie, la gly­co­su­rie, la chlo­rose, les pal­pi­ta­tions, la neu­ras­thé­nie, les affec­tions des organes géni­taux : sal­pin­gites, tumeurs uté­rines, affec­tions ner­veuses, épi­lep­sie, etc. Tout cela est du res­sort médi­cal et ne s’apprend pas dans les livres. La méde­cine est une science tech­nique plus que livresque. Le livre, les for­mules toutes faites, les for­mules de drogues prises çà et là peuvent être très nui­sibles, et telle pom­made que donne Mme Fran­cil­lon pour l’eczéma peut très bien occa­sion­ner chez cer­tains malades une érup­tion grave.

L’Hygiène appli­quée à la thé­ra­peu­tique ne peut être appli­quée que par le médecin.

Le livre est par contre incom­plet dans toute la par­tie la plus impor­tante, à mon avis, et qui concerne l’hygiène de l’individu sain. Et je trouve trop brefs les cha­pitres qui ont trait pré­ci­sé­ment à l’art de conser­ver la san­té. Le cha­pitre sur l’hygiène de l’habitation contient cinq pages ; cinq pages aus­si sont consa­crés à l’hygiène du vête­ment ; trois pages à la gym­nas­tique, aux sports.

C’est évi­dem­ment peu.

Le livre vaut cepen­dant d’être lu. Il est d’abord facile à lire, bien écrit, le for­mat très pra­tique (il peut tenir dans la poche très faci­le­ment) et cer­tains cha­pitres en sont excel­lents, ceux, par exemple, qui ont trait à l’hygiène de la puber­té, à l’hygiène des organes géni­taux, à la pro­pre­té corporelle.

Quant à la femme et à la jeune fille, pour les­quelles écrit l’auteur, elles vivent, bien enten­du, dans le confort. Elles ont le temps et les moyens d’appliquer les prin­cipes de l’hygiène.

À ce point de vue encore, le livre de Mme Fran­cil­lon com­porte un ensei­gne­ment utile pour nos camarades.

[/​R. Lafon­taine/​]

Syn­di­cats et Ser­vices publics, par Maxime Leroy. – 1 vol. in-18, 3 fr. 50. Ed. Armand Colin.

M. Maxime Leroy n’est pas un juriste ordi­naire. Il ne croit pas à la toute-puis­sance de la Loi. S’il exa­mine un mou­ve­ment social, il ne se contente pas d’une exé­gèse plus ou moins savante du Code et de la juris­pru­dence, pour ten­ter de rame­ner de force les mani­fes­ta­tions nou­velles dans le cadre des règles écrites ; il étu­die les faits eux-mêmes et recherche dans quelle mesure ils tendent jus­te­ment à modi­fier les rap­ports juri­diques existants.

J’imagine qu’l doit pas­ser pour héré­tique à l’École. Chose plus inté­res­sante encore ; il est un des juristes qui ont com­pris quelque chose au syn­di­ca­lisme et aux valeurs nou­velles qu’il déve­loppe, et ceux-là ne sont pas nom­breux ; quand, avec lui, on a cité, le pro­fes­seur Duguit, auteur du livre Le Droit social, le Droit indi­vi­duel et la Trans­for­ma­tion de l’État, et M. Wer­thei­mer, qui pré­sen­ta à Mont­pel­lier une thèse har­die sur les syn­di­cats de fonc­tion­naires, la liste est à peu près close. Je dirai même volon­tiers que, de ces quelques-uns, M. Leroy est le meilleur, car il a étu­dié l’action syn­di­ca­liste avec une sym­pa­thie plus proche et une intui­tion plus pénétrante.

Déjà, il nous avait don­né une excel­lente étude sur Les Trans­for­ma­tions de la puis­sance publique (Giard et Brière, 1907) dans laquelle il s’efforçait de défi­nir les modi­fi­ca­tions qu’apporte à la concep­tion tra­di­tion­nelle de l’État l’action des fonc­tion­naires asso­ciés ou syn­di­qués, et les graves pro­blèmes sociaux que sou­lève l’antagonisme nais­sant de la puis­sance poli­tique et de l’intérêt professionnel.

Son nou­vel ouvrage cherche à rap­pro­cher le syn­di­ca­lisme des ouvriers de l’industrie et celui des employés des ser­vices publics. Il com­prend deux par­ties assez dis­tinctes : dans la pre­mière, M. Leroy fait l’historique de l’organisation ouvrière jusqu’à la C.G.T., avec une docu­men­ta­tion géné­ra­le­ment sûre ; puis il exa­mine les lois sur les syn­di­cats, les pro­jets de Bar­thou et de Mil­le­rand qui, sous le pré­texte spé­cieux d’étendre le droit, syn­di­cal, sont une ten­ta­tive nette d’étranglement que l’on déguise à peine.
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Mais cette par­tie, mal­gré sa valeur, n’est pas la plus ori­gi­nale ni la plus inté­res­sante du livre. M. Leroy, qui défend depuis long­temps le droit syn­di­cal des sala­riés de l’État et consi­dère leur action comme une « expé­rience sociale immense » étu­die « la crise des ser­vices publics » et les asso­cia­tions de fonctionnaires.

Cette « expé­rience sociale », bien qu’elle ait déjà four­ni matière à une lit­té­ra­ture consi­dé­rable. a été sou­vent incom­prise et les termes du pro­blème ont été presque tou­jours mal posés. Les poli­ti­ciens, les défen­seurs de l’ordre, les par­ti­sans de l’État tra­di­tion­nel – et aus­si cer­tains révo­lu­tion­naires – en ont fait un simple mou­ve­ment de révolte, sans bases posi­tives et sans rai­sons propres ; solu­tion sim­pliste qui nie la ques­tion pour n’y pas répondre. En réa­li­té, le mou­ve­ment des fonc­tion­naires a des causes pro­fondes que M. Leroy expose de nouveau.

Le désir d’organisation qui se mani­feste chez les fonc­tion­naires est né de l’état déféc­tueux des ser­vices publics et de la sujé­tion où sont tenus les employés.

À la base, le favo­ri­tisme, en haut, l’incompétence ; nulle règle pré­cise, défi­nie, mais des règle­ments contra­dic­toires, inces­sam­ment rema­niés sui­vant le bon plai­sir des maîtres, qui per­mettent tous les passe-droits, laisse place à tous les échap­pa­toires ; l’immixtion de la poli­tique dans l’administration ; les gou­ver­nants et les par­le­men­taires consi­dé­rant les ser­vices publics comme leur chose et s’en ser­vant pour leurs inté­rêts par­ti­cu­liers contre les inté­rêts géné­raux que ces ser­vices doivent satis­faire ; aucune garan­tie pour les fonc­tion­naires qui sont, à tous les moments de leur car­rière, à la mer­ci des gens qui détiennent le pou­voir ; voi­là les carac­té­ris­tiques essen­tielles de notre sys­tème administratif.

Pri­vés de tous droits, sou­mis tous les caprices des diri­geants, les employés s’unissent pour for­mu­ler en com­mun leurs reven­di­ca­tions et défendre leurs inté­rêts. M. Leroy dit très net­te­ment et expose avec beau­coup de force les causes de ce mouvement.

Les asso­cia­tions de fonc­tion­naires, quoique jeunes, ont une his­toire bien rem­plie. D’abord pros­crites (de 1885 à 1900) par tous les minis­tères qui se suc­cé­daient, tolé­rées ensuite, favo­ri­sées par les par­le­men­taires de gauche en même temps que ceux-ci cher­chaient à s’annexer les syn­di­cats ouvriers, elles se sont heur­tées à l’hostilité du pou­voir lorsque leurs membres ont vou­lu les trans­for­mer en syn­di­cats et se rendre indé­pen­dants des politiciens.

Il serait trop long de suivre pas à pas l’étude que M. Leroy consacre à la ques­tion du droit syn­di­cal, que les employés de l’État reven­diquent, dont cer­tains se sont empa­rés, mal­gré l’opposition des gou­ver­nants et de la jus­tice. On en trou­ve­ra l’exposé très com­plet dans son livre ; on ver­ra com­ment les ministres, après avoir refu­sé tout droit d’association aux sala­riés admi­nis­tra­tifs, ont dû leur accor­der le béné­fice de la loi de 1901 et même se rési­gner ensuite à tolé­rer des syn­di­cats qu’ils déclarent illé­gaux. On lira l’histoire et l’examen des dif­fé­rents pro­jets de sta­tut des fonctionnaires.

M. Leroy n’a pas de peine à démon­trer que ces asso­cia­tions se pro­posent un but très éle­vé : les fonc­tion­naires veulent par­ti­ci­per à la ges­tion des ser­vices publics ; leur idéal est l’organisation de ces ser­vices par les pro­fes­sion­nels eux-mêmes en dehors de toute ingé­rence poli­tique. Voi­là pré­ci­sé­ment où l’« expé­rience sociale » à laquelle nous assis­tons devient grosse de consé­quences. Elle se heurte de front à l’État, tel que l’ont consti­tué l’ancien régime et la Révo­lu­tion ; elles attaquent l’hégémonie des poli­ti­ciens ; à leur puis­sance, elle tend à sub­sti­tuer l’organisation des pro­duc­teurs. C’est tout un bou­le­ver­se­ment du droit public qui menace les déten­teurs du pouvoir.

M. Leroy, en jux­ta­po­sant, dans le même volume le syn­di­ca­lisme des ouvriers et le syn­di­ca­lisme des fonc­tion­naires, a cer­tai­ne­ment vou­lu mar­quer que ces deux mou­ve­ments ont des rap­ports étroits. L’an der­nier, en quelques occa­sions, nous avons vu, en effet, les sala­riés de l’État et les sala­riés de l’industrie se don­ner la main et com­battre ensemble. À ce rap­pro­che­ment, il y a d’autres rai­sons qu’un idéa­lisme pas­sa­ger. Il ne faut pas oublier, d’abord, le rôle qu’ont joué chez les tra­vailleurs des ser­vices publics l’esprit révo­lu­tion­naire, et sur­tout l’exemple du syn­di­ca­lisme ouvrier et de ses résul­tats. Cet exemple du pro­lé­ta­riat indus­triel a une influence énorme : c’est cer­tai­ne­ment à lui que les asso­cia­tions – du moins les plus éner­giques d’entre elles – doivent de s’être débar­ras­sées du patro­nage des poli­ti­ciens de gauche. Mais cela ne suf­fit pas à expli­quer pour­quoi, après s’être mon­trés étran­gers ou même hos­tiles aux fonc­tion­naires, les syn­di­cats ouvriers les ont appe­lés à eux et s’en rap­prochent tous les jours davan­tage, mal­gré les dif­fé­rences très réelles des condi­tions. M. Leroy indique à peine la rai­son : la bataille com­mune contre l’État, la sub­sti­tu­tion de l’intérêt pro­fes­sion­nel géné­ral aux inté­rêts poli­tiques, la lutte pour les droits du pro­duc­teur, c’est-à-dire la base même du grand mou­ve­ment syn­di­ca­liste qui tend à révo­lu­tion­ner l’organisation sociale.

L’étude de ces rap­ports reste à faire. Le livre de M. Leroy – un livre excellent et utile – y aurait gagné d’être plus homo­gène et plus complet.

[/​Har­mel/​].

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