La Vie Ouvrière n’a pas la prétention de l’être. Cependant, elle voudrait bien le devenir.
Un de nos abonnés de Reims nous a écrit pour nous dire quelle revue il désirerait ardemment recevoir :
« D’abord, elle devrait me dispenser de la lecture de toutes les autres. Prenons la question, bien actuelle, des retraites ouvrières. Dans le numéro 7 de la Vie Ouvrière, je trouve sur ce sujet un article de Merrheim, Je l’ai parcouru et je l’ai trouvé fort bien fait. Mais je ne me rappelle guère de ce qu’il contient ! C’est que, pour me former une opinion personnelle sur cette question, j’ai dû lire cent articles, peut-être plus, parus dans l’Humanité et dix autres journaux, la matière d’une dizaine de volumes à trois francs cinquante. Qu’un professionnel du journalisme fasse cela, soit, puisque c’est son métier. Mais comment voulez-vous qu’un homme, qui ne dispose guère que d’une heure chaque jour, et encore pendant ses repas, pour se tenir au courant des questions d’actualité, y arrive vraiment en si peu de temps ?…
» Quand les journalistes ont polémiqué pendant quinze jours ou un mois sur un sujet, ils l’ont retourné sous toutes ses faces. Les arguments les plus saillants ont été produits, souvent dans une formule heureuse qui projette une vive lumière sur toute la question. C’est à ce moment que devrait intervenir ma revue idéale. Au lieu de me faire entendre une conversation boiteuse avec un ou plusieurs compères que je ne vois pas, je lui demanderais de me servir la substantifique moelle de l’os trituré ailleurs, sans rien me laisser perdre d’essentiel. Le jour où une telle revue existera, elle favorisera vraiment le progrès des idées, car on aura le temps de réfléchir à ses lectures et on pourra le faire sans craindre de laisser échapper des arguments qu’il importe de connaître. Aujourd’hui, la mauvaise organisation des revues, leur concurrence, nous forcent à en lire un grand nombre ; nous n’y arrivons qu’en le faisant superficiellement, le temps nous manque pour réfléchir et, peu à peu, nous perdons l’habitude de penser. »
Vous avez raison, abonné,.., de désirer une telle revue. Mais, voyez-vous les difficultés qu’elle comporte ? Ça n’a l’air de rien. C’est pourtant énorme.
Le suffrage universel et la liberté de la presse devaient faire l’éducation du pays. Va te faire fiche ! Au bout de cinquante ans, aucun progrès profond n’est sensible.
En ce qui concerne la presse, on peut dire qu’elle a deux baillons. La grande presse à la bouche fermée ou corrompue. La petite presse, quand elle est indépendante, est incapable d’utiliser son indépendance par manque de travail, de recherches, d’effort. Les deux catégories de journalistes sont si semblables ; leurs procédés sont tellement pareils : Ah ! il faut parler de telle-chose ? Bien ! Une plume ; de l’encre ; du papier. Voilà, patron, les deux cents lignes demandées.
Tout est à refaire. Tout est à faire. Même les hommes pour le faire.
Le mouvement social porte le poids de ces méthodes de journalisme. On n’est pas informé. Et pour s’informer, des difficultés énormes sont à surmonter. Tenez. Essayez de savoir la situation financière dans laquelle se trouvent les compagnies de chemins de fer, afin de prévoir la résistance que rencontreront nos camarades cheminots pour faire augmenter leurs misérables salaires.
Essayez ! Vous verrez que c’est plus difficile à découvrir que si telle idée syndicaliste se rattache à Marx, à Proudhon ou à Bakounine. Nous sommes profondément ignorants du milieu économique où nous vivons. Nous avons reçu une éducation à rebours. On nous a tout caché. On nous a éloignés des réalités. Vous avez lu, dites-vous, la matière de dix volumes sur une question et cette question vous est encore obscure. Qu’est-ce alors pour celui qui n’a fait aucun effort ou qui n’a pas le temps de le faire ?
Oui, le progrès des idées gagnerait à l’existence d’une revue des faits, d’une revue objective et passionnée à la fois. Cette revue, il faut que nous soyons capables de la faire. Avec de la volonté et de la ténacité, nous y parviendrons.
[/P. M./]